M. François Dopffer a décrit les relations bilatérales franco-birmanes.
La politique de la France envers ce pays est inspirée par trois séries de constatations :
– au niveau de la politique intérieure, le fonctionnement normal de la démocratie y est impossible ; le verdict des urnes n’a pas été respecté ; la pratique du travail forcé est avérée, ce qui justifie une attitude de principe critique et sévère.
– sur le plan géopolitique, la Birmanie occupe une place importante en Asie du Sud-Est où se superposent les influences de la Chine et de l’Inde et c’est un territoire qui dispose de richesses non négligeables. Elle est membre de l’Association du Sud-Est Asiatique (ASEAN), organisation importante des pays d’Asie du Sud-Est avec laquelle la France entretient des relations très suivies.
– les autorités françaises sont réservées sur l’utilité des sanctions économiques contre le régime birman, car en général, les sanctions atteignent davantage les populations que les dirigeants.
L’action de la France s’inscrit dans le droit fil de la position commune sur la Birmanie adoptée par l’Union européenne dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC). Les relations bilatérales franco-birmanes sont extrêmement faibles : il n’y a pas de dialogue politique ; le commerce bilatéral est réduit ; la coopération est centrée sur l’aide médicale. La France n’est pas favorable à une politique d’isolement systématique de la Birmanie, elle prend acte de sa participation à l’ASEAN qui figurait parmi les objectifs des pères fondateurs de l’Association.
S’agissant de la légalité internationale applicable à la Birmanie, les Nations Unies n’ont pas édicté de sanctions internationales. L’Union européenne a décidé, dans le cadre de la PESC, un certain nombre de restrictions : suspension de toute visite ministérielle en Birmanie, de la coopération militaire (embargo sur les armes et retrait des attachés militaires), suppression des aides autres qu’humanitaire et interdiction de délivrer des visas aux membres de la Junte et de l’appareil de sécurité du SPDC (State Peace and Development Council).
Le Congrès des Etats-Unis a voté une loi interdisant tout investissement nouveau en Birmanie. Sur ce fondement juridique, une action a été intentée contre Total devant le Tribunal de Los Angeles. Hostile au principe de l’application extra-territoriale d’une loi américaine à une entreprise française agissant à l’étranger, ce qui est contraire aux règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) le ministère des Affaires étrangères a soulevé et obtenu l’incompétence du Tribunal de Los Angeles. Parallèlement, des législations sub-fédérales américaines, notamment dans l’Etat du Massachusetts et dans certaines autres collectivités territoriales, prévoient de refuser l’accès aux marchés publics d’entreprises actives en Birmanie. Elles interdisent également de traiter avec des fonds de pension placés dans des sociétés actives en Birmanie pénalisant les institutions financières qui disposeraient d’actions de Total, ce qui est contraire aux règles édictées par l’OMC.
Si les pays scandinaves et les Etats-Unis sont hostiles à de nouveaux investissements en Birmanie, l’Allemagne et le Royaume-Uni ne paraissent pas favorables à des sanctions économiques. Le Royaume-Uni est le premier investisseur européen et ses exportations vers ce pays ont augmenté de 30% en 1998. Un certain nombre d’organisations non gouvernementales et d’associations préconisent des boycotts par les consommateurs de marques de grande diffusion qui, présentes en Birmanie, pourraient souffrir de ces attaques.
La position de Mme Aung San Suu Kyi sur les sanctions économiques a varié. Pendant un temps, elle a considéré que tout investissement en Birmanie consolidait la Junte, ce qui semble avoir suscité un débat interne, car cette position, qui pénalisait la population, constituait aux yeux de certains une erreur politique et renforçait la tendance autarcique du régime birman. Il ne s’agit plus d’un thème majeur dans ses déclarations. L’investissement de Total en Birmanie est privé. Des accusations de travail forcé et de blanchiment d’argent de la drogue ont été portées contre Total qui les a toujours démenties. Il n’appartient pas au ministère des Affaires étrangères de répondre à la place de Total.
M. Pierre Brana a voulu savoir pourquoi la Birmanie avait été acceptée au sein de l’ASEAN alors que par ailleurs, elle avait été mise au ban des nations. Il s’est étonné de l’annonce d’une position nouvelle de Mme Aung San Suu Kyi sur les investissements privés en Birmanie.
Il a souhaité savoir quels étaient les contacts officieux et officiels de la France pour aider les démocrates à rétablir un Etat de droit en Birmanie. Y a-t-il une action positive de la France à ce sujet ?
Il a demandé quelles étaient les consignes données par le ministère des Affaires étrangères à l’ambassadeur de France à Rangoon dans ses relations avec Total.
M. François Dopffer a répondu à ces questions.
Les pays d’Asie du Sud-Est aspirent à une forme de coopération régionale pour surmonter le handicap que constitue la faiblesse de leurs économies nationales. L’ASEAN a pour but implicite de résister à l’influence écrasante des grandes puissances ; aussi l’entrée de la Birmanie dans l’ASEAN a-t-elle pour objectif d’ouvrir une alternative à ce pays et d’éviter qu’il soit trop lié à l’une d’entre elles.
L’ambassadeur de France à Rangoon rencontre régulièrement Mme Aung San Suu Kyi avec laquelle la France maintient un dialogue confiant, en coordination avec les autres pays membres de l’Union européenne, le Japon et les Etats-Unis. Mme Aung San Suu Kyi a été invitée à venir en France à l’occasion du cinquantième anniversaire de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme et à participer à la Journée des femmes le 8 mars prochain. Il est apparu que si, pendant un certain temps, elle avait critiqué les investissements étrangers privés en Birmanie, elle n’a plus par la suite mis l’accent sur ce thème. Cette position a pu être vérifiée lors de la visite en Birmanie du sous-secrétaire général des Nations Unies pour les Affaires politiques, M. Alvaro De Soto. Celui-ci a indiqué qu’il pourrait revenir accompagné d’un expert de la Banque mondiale et n’a pas écarté l’idée d’une aide en cas d’évolution politique positive. Mme Aung San Suu Kyi n’a pas condamné ce projet.
La direction de Total entretient les relations habituelles d’une entreprise française importante avec le ministère des Affaires étrangères. Il arrive que le ministère constate a posteriori qu’un membre de la direction de Total s’est rendu en Birmanie. Sur place, l’Ambassade est en contact avec Total. Des agents de cette ambassade se sont rendus à plusieurs reprises sur le chantier.
Mme Marie-Hélène Aubert s’est renseignée sur la situation politique et sur l’état de la société birmane. Quelles sont les perspectives d’évolution de ce pays ?. Au sein de la Junte, existe-t-il vraiment un conflit entre partisans de l’ouverture à la société civile et conservateurs ?
Elle s’est interrogée sur la manière dont était assurée la sécurité du gazoduc de Yadana qui traverse une zone de rebellion karen et mon ; à cet égard, elle s’est informée de la situation dans cette région.
Elle a demandé en quoi la Junte était liée au trafic de drogue, quel était son discours officiel, quelle était l’ampleur du phénomène et la position de Mme Aung San Suu Kyi sur ce point.
M. Pierre Brana a observé que la Thaïlande était le seul client potentiel du gazoduc, ce qui lui donnait une possibilité de pression importante sur la Junte. Il s’est interrogé sur l’état des relations entre la Birmanie et la Thaïlande.
M. François Dopffer a apporté les précisions suivantes.
La situation politique birmane est incontestablement mauvaise, mais, dans chaque camp, des éléments souhaitent sortir de l’impasse. Du côté de la Junte, on note quelques modifications au sommet dues à l’élimination des généraux les plus corrompus et à l’arrivée d’un nouveau ministre des Affaires étrangères, plus ouvert que son prédécesseur. Quelques libérations de prisonniers politiques ont eu lieu : la Junte a pris grand soin de ne jamais mettre en danger la sécurité physique de Mme Aung San Suu Kyi. L’an dernier, une tentative de dialogue entre les deux parties a échoué faute d’un accord sur le niveau des discussions.
Le souvenir des événements de 1988 reste très vif dans la population qui redoute de nouveaux troubles et préfère le statu quo. Il est donc peu probable que la crise se dénoue de la même manière qu’en Indonésie ou aux Philippines. Un compromis entre les éléments réformistes de l’armée et la fraction la moins intransigeante de la Ligue serait susceptible d’enclencher un processus, mais très progressif.
Au sein de la Junte, on ne peut exclure que des divergences existent, mais elles sont difficiles à observer. Certains généraux, autour des services de renseignements, seraient désireux de suivre l’exemple indonésien (levée des contraintes à l’égard de l’extérieur et ouverture aux investissements privés), mais d’autres tirent argument de la chute de Suharto pour freiner toute évolution. L’équilibre actuel au sein de la Junte est maintenu par la présence du général Ne Win, toutefois très âgé et malade.
M. François Dopffer ne dispose pas d’informations précises sur le système de sécurité des installations de Total.
La Junte a remporté d’importants succès, militaires et politiques, sur les rebellions. Elle a divisé les Karens sur un critère religieux, les Karens chrétiens restant fondamentalement hostiles aux militaires. La zone tampon qui existait depuis la fin du 19ème siècle entre la Thaïlande et la Birmanie a disparu ; les armées birmane et thaïlandaise se trouvent donc face à face. La situation est tendue, émaillée d’incidents militaires.
Il existe des rumeurs sur des complicités facilitant l’organisation du trafic de drogue, car la Birmanie produit de l’opium, transformé pour partie sur place en héroïne, exportée du pays, mais c’est un sujet sur lequel il est difficile d’avoir des certitudes. Une coopération s’est engagée entre les Américains et les autorités birmanes pour éliminer la culture du pavot. Un effort a été fait en ce sens d’après les Etats-Unis. Les autorités birmanes annoncent officiellement qu’elles coopèrent avec la communauté internationale dans cette lutte.
Mme Marie-Hélène Aubert s’est renseignée sur l’attitude des opérateurs économiques et sur le niveau d’implantation des entreprises françaises en Birmanie.
Soulignant la contradiction entre le discours politique sans indulgence à l’égard de la Junte et la liberté des échanges qui pourrait servir à la conforter, elle s’est interrogée sur l’impact du projet de Total sur l’image de la France.
Elle s’est demandé si il n’y avait pas de risque de relations parallèles entre Total et la Junte par l’intermédiaire de la Myanmar Oil and Gas Enterprise (MOGE).
Elle s’est interrogée sur les possibilités de faire évoluer la Birmanie et a voulu connaître le nombre de prisonniers politiques et de réfugiés birmans en Thaïlande.
M. François Dopffer a répondu à ces questions.
Les entreprises actives en Birmanie sont peu nombreuses. D’après les rapports périodiques de l’ambassade de France, les perpectives de développement économique de la Birmanie sont faibles, à l’exception de quelques activités touristiques ; les secteurs essentiels y fonctionnent mal. Une cinquantaine de PME françaises sont implantées en Birmanie ; elles ont misé en 1995-1996 sur l’ouverture de ce pays et sur l’émergence de ses voisins. La crise asiatique et la lenteur de l’évolution économique en Birmanie ont déçu les opérateurs.
La position de la France ne comporte pas de contradictions. Ses relations bilatérales avec la Birmanie sont très réduites. La construction d’un gazoduc qui fournira du gaz en Thaïlande contribue au développement de la région, ce qu’apprécient les pays qui la composent. La présence de Total en Birmanie n’affecte pas l’action du ministère des Affaires étrangères dans la région.
Depuis deux ans, on observe une dégradation de la situation économique. La disparition du général Ne Win est susceptible de provoquer un changement. L’accroissement des sanctions contre la Birmanie aurait un impact réduit, car ce pays est habitué depuis longtemps à vivre en autarcie. Les Nations Unies, l’ASEAN et plusieurs pays européens estiment que l’évolution doit s’opérer par d’autres moyens. Une évolution politique ne sera possible que si Mme Aung San Suu Kyi, Prix Nobel de la Paix et élue démocratiquement par le peuple birman, et la Junte militaire birmane reprennent contact.
Actuellement, on compterait 1 200 prisonniers politiques en Birmanie, certains sont condamnés, d’autres assignés à résidence. Des exécutions sommaires semblent avoir eu lieu, touchant des militants mais aucun des parlementaires de la Ligue. Le nombre de réfugiés birmans en Thaïlande est difficile à évaluer car les travailleurs illégaux sont d’autant plus nombreux que la frontière entre les deux pays est poreuse. Les fortes différences de niveau de vie poussent les Birmans à s’exiler en Malaisie comme en Thaïlande, laquelle s’inquiète de ce phénomène difficile à contrôler.
Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr
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