Mme Marie-Hélène Aubert a estimé que l’A.F.D. entretient a priori peu de liens avec les compagnies pétrolières, mais que dans certaines régions d’extraction la question du développement se pose en permanence car les compagnies pétrolières font valoir qu’elles apportent développement et bien-être aux populations ce qui, dans bon nombre de pays, est contestable. La mission d’information a voulu savoir en quoi pétrole et développement étaient liés et comment aides publiques et investissements économiques s’articulaient.
M. Antoine Pouillieute a situé le groupe A.F.D. dans le dispositif d’aide publique au développement. C’est un établissement public industriel et commercial dont le personnel est sous contrat de droit privé et dirigé par un directeur général nommé en conseil des ministres. Institution financière spécialisée, ses interventions sont effectuées selon les critères d’un établissement de crédit. En 1998, elle a engagé 8,3 milliards de francs dont près de 40 % dans les DOM-TOM, et 1,3 milliard par l’intermédiaire de sa filiale, la Proparco.
L’AFD est présente dans pratiquement dans 90 pays : dans tous les pays africains (sauf la Libye et le Soudan), dans la zone caraïbe, la péninsule indochinoise, l’Océan indien et le Pacifique Sud. 40 % de ses engagements dans les Etats s’effectuent dans la zone franc. 52 % de ses prêts sont non souverains, c’est-à-dire faits à des opérateurs privés pour ne pas peser sur l’endettement des Etats. 32 % de ses opérations sont effectuées avec d’autres institutions bilatérales ou multilatérales comme la Banque mondiale, la Banque asiatique de développement, etc. L’AFD dispose de 44 agences à l’étranger et 1500 personnes y travaillent. Elle fait appel aux cadres locaux afin d’assurer leur formation et leur promotion. En 1998, l’Agence a dégagé un résultat positif de 231 millions de francs démontrant ainsi que l’aide publique au développement ne s’effectue pas à fonds perdus. L’AFD dépend du Gouvernement car ses stratégies sont fixées par le ministère de l’Economie et des Finances, le ministère des Affaires étrangères et le secrétariat d’Etat aux DOM-TOM. Tous ses engagements financiers sont recensés dans son rapport annuel et sont décidés collégialement.
L’Agence ne se désintéresse pas du secteur pétrolier dans les pays producteurs où elle opère et pour lesquels le pétrole représente l’essentiel des recettes publiques. C’est une contrainte mais aussi un atout. Cette production de base représente l’essentiel de leurs recettes d’exportations, soit 98 % pour le Nigeria, 96 % pour l’Algérie, 93 % pour l’Angola, 89 % pour le Congo-Brazzaville, 79 % pour le Gabon. L’Agence ne peut donc pas faire d’impasse sur les activités pétrolières, source d’emplois locaux importants et mieux rémunérés que d’autres. En outre, les pays producteurs n’ont pas de capacité d’épargne locale, les pétroliers font donc appel aux financements extérieurs et les aléas de la production sont importants. Dans ce secteur, l’AFD n’est pas un bailleur traditionnel mais elle souhaite participer pour avoir un ticket minoritaire et utiliser ce levier à des fins de développement. Elle s’efforce de réaliser, en aval, des projets de développement locaux. Dans le domaine de la production exploitation, elle est intervenue sur trois projets. En 1992 en Angola, sur les 4 milliards de francs du projet, elle a investi 533 millions de francs pour financer des travaux sur le champ d’exploitation pétrolière. Au Congo, en 1995, elle a participé, pour 439,65 millions de francs sur les 8 milliards investis, aux travaux de développement de N’Kossa. Une partie de la somme n’a finalement pas été utilisée par Elf . En 1998, Proparco a engagé 30 millions de dollars sur un projet de 146 millions de dollars en Côte d’Ivoire pour fournir du gaz à la centrale d’Azito. Elle a agi de même en 1993 au Ghana en investissant 5,6 millions de francs sur une entité de stockage de gaz à usage domestique pour une raffinerie de pétrole. En 1995 en Côte d’Ivoire, elle a engagé 35 millions de francs dans une raffinerie. En 1995 au Cameroun, elle a investi pour 33 millions de francs afin de construire un terminal portuaire et une unité de stockage. La Caisse n’a pas d’autre projet d’investissement dans le secteur pétrolier actuellement.
Les investissements dans ce secteur doivent répondre à trois exigences fortes : le respect de l’environnement, la transparence, la possibilité de quantifier leur contribution au développement. Pour prendre en compte les contraintes environnementales, l’AFD intervient, dans le cadre des recommandations du comité d’aide au développement de l’OCDE à l’Angola, qui préconise que l’environnement soit intégré à l’évaluation, la conception, et à la mise en œuvre de projets de développement financés par les institutions internationales. La procédure d’instruction des projets financés par l’AFD comporte six grandes étapes. A chacune de ces étapes correspondent des tâches spécifiques liées à l’environnement.
L’identification est la phase où sont évalués les "risques" environnementaux des projets et l’ampleur des investigations à mener. La faisabilité est l’étape de la réalisation des études d’impact environnemental, audits environnementaux et programmes d’action, sous la responsabilité du bénéficiaire. Vient ensuite l’évaluation des études environnementales menées et l’intégration de leurs conclusions dans les projets. C’est la phase pendant laquelle se préparent les modalités de suivi du projet qui précède la " négociation/décision ", étape d’intégration des mesures environnementales dans les documents contractuels (les engagements spécifiques à l’environnement, les conditions particulières et les modalités de financement de ces mesures). Lors de l’avant-dernière phase de mise en œuvre, de suivi et de contrôle, l’AFD vérifie que les prescriptions environnementales sont correctement appliquées et les engagements tenus. A la fin du projet, des actions d’évaluation sont menées pour analyser la qualité de la réalisation du projet, ses impacts et apprécier l’efficacité des mesures mises en place.
L’AFD a procédé à une classification des projets. Sont classés A ceux qui ont un fort impact sur l’environnement et exigent une étude détaillée, B ceux qui nécessitent une étude d’impact sommaire, en C ceux qui, ne portant aucune atteinte à l’environnement, ne demandent pas d’étude d’impact. Tous les projets pétroliers comme les projets miniers sont classés en A, de même que les complexes industriels et les infrastructures (oléoducs et gazoducs), comme le prévoient, par ailleurs, les procédures de la Banque mondiale.
La transparence est une forte préoccupation de l’Agence, qui respecte les clauses anti-corruption prévues dans la convention de l’OCDE. Ces clauses impliquent un engagement juridique des bénéficiaires de l’investissement et les sanctions en sont l’exclusion du financement du projet.
L’AFD s’efforce de quantifier l’impact des projets pétroliers sur le développement. Les ressources pétrolières appartenant aux Etats producteurs, il est normal qu’elles figurent dans leur comptabilité publique et soient prises en compte par le FMI. Elles constituent une garantie pour les Etats et le prêteur qu’est l’Agence. Le cas du Tchad est intéressant, car, pour la première fois, un Etat et les Institutions de Bretton Woods ont passé un accord d’affectation de la rente pétrolière. En effet, malgré ces gisements, le Tchad a besoin d’aide publique au développement et la Banque mondiale pose certaines conditions à cette aide. Le Gouvernement et l’Assemblée nationale tchadienne ont accepté d’affecter 90% de la rente à des comptes par secteurs (80% à l’éducation, 15% aux dépenses de l’Etat, 5% à l’aménagement des collectivités locales dans lesquelles se trouvent les puits) ; les 10% restants seront bloqués pour 30 ans.
M. Pierre Brana a demandé si, parmi les objectifs fixés par l’Agence quand elle investit dans le secteur pétrolier, le régime politique du pays producteur est pris en compte.
Il a voulu savoir si les représentants ministériels ont un droit de veto dans le Conseil de Surveillance de l’AFD et si le facteur sécurité influait sur les décisions d’investir.
M. Antoine Pouillieute a apporté les précisions suivantes.
En tant qu’établissement public, l’Agence est sous tutelle d’un conseil de surveillance où siègent les trois ministères. Elle ne peut faire passer un projet contre leur avis. En cas de divergence entre l’appréciation de l’AFD et celle des ministres de tutelle, l’avis des ministres est respecté ; l’Agence a dû ainsi renoncer à des projets en Algérie et au Mali. La conditionnalité politique des projets de l’AFD se situe en amont de ses actions, puisqu’elle intervient dans la zone de solidarité prioritaire, définie récemment par le ministère. En outre, lorsqu’un pays, où l’Agence est habilitée à intervenir, a plus de deux mois d’impayés, elle ne lance plus de projets nouveaux. Au bout de quatre mois d’impayés, elle les suspend ; c’est le cas en Angola, au Congo, en République démocratique du Congo et aux Seychelles.
La sécurité est une donnée majeure car elle influence les chances de réussite d’un projet. Elle permet d’assurer un dialogue réel avec les interlocuteurs sur place et donc une étude sérieuse.
Mme Marie-Hélène Aubert a voulu savoir si l’Agence aidait à la mise en place d’un Etat de droit, en faisant valoir qu’au Tchad comme au Cameroun, les textes concernant le pétrole ont été votés sans grands débats, alors que l’Etat ne contrôle pas grand chose dans ces pays. Ne faut-il pas mettre d’abord en place un Etat de droit pour permettre une bonne gouvernance. En ce qui concerne le gisement de Sedigui, elle a jugé choquant d’exploiter uniquement les gisements du Sud pour l’exportation, alors que le Tchad manque de sources d’énergie.
Elle a demandé pourquoi l’AFD participait à des projets pétroliers en Angola ou au Congo alors que ceux-ci ne contribuent pas au développement.
M. Antoine Pouillieute a répondu que si on ne se préoccupait pas de la capacité institutionnelle des Etats, et de leur capacité d’absorption de l’aide, les effets des investissements étaient nuls. Il convient donc de s’appuyer sur un secteur public marchand en voie de privatisation ; c’est le ministère des Affaires étrangères et celui de la Coopération qui se réservent l’appui à l’Etat de droit et donnent une assistance technique à cet appui, qui n’est pas du ressort de l’Agence. L’AFD s’efforce de pallier les carences des Etats en ne décaissant que sur facture et en diversifiant ses emprunteurs. Bien que la formation des cadres ne soit pas une mission directe de l’AFD, celle-ci dispose d’un centre où 70 à 90 stagiaires par an viennent étudier. Elle veille à ce que, dans chaque projet, une part soit réservée au transfert d’expertise et utilise pour ce faire des bureaux d’études locaux.
En Afrique de nombreuses réformes économiques ont été effectuées. Le Cameroun a ainsi libéré son système bancaire et libéré ses prix. S’agissant de l’exploitation du gisement de Sedigui, il a rappelé que le Tchad détenait le record du kilowatt/heure le plus cher d’Afrique et que sa baisse nécessitait l’exploitation de ce gisement. La Société tchadienne d’électricité sera privatisée, mais il y a un lien entre le gisement de Doba financé par le Consortium et la Banque mondiale et l’exploitation du gisement de Seguidi qui ne se fera que si celui de Doba est exploité. L’AFD est impliqué dans le projet d’exploitation du Seguidi avec pour partenaire la Banque africaine de développement, la Banque européenne de développement et la Banque mondiale, car elle considère que ce projet est nécessaire pour permettre au Tchad de se développer.
L’Agence fait du développement ; son apport constitue une signature publique qui conforte un projet pétrolier en matière de risque politique. Elle considère que les éléments de valeur ajoutée locale sont forts dans ce type de projet car beaucoup d’entre eux permettent une production d’électricité à usage domestique. L’AFD s’efforce de conforter les initiatives de ce type en Afrique.
Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr
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