M. Pierre Brana a expliqué que la Commission des Affaires étrangères avait créé une mission d’information sur le rôle des compagnies pétrolières dans la politique internationale tant sur le plan social, politique qu’environnemental et que les membres de cette mission avaient estimé utile de rencontrer M. Pascal Lissouba en raison de la situation au Congo ces dernières années. La mission représente le législateur et ne saurait engager l’exécutif. Toutefois une tendance nouvelle apparaît dans la vie politique française. Le législateur remplit de plus en plus la mission de contrôle de l’exécutif sur le plan international ce qui se faisait peu. La mission d’information de l’Assemblée nationale sur le génocide rwandais est un exemple de cette évolution.
M. Pascal Lissouba a d’emblée précisé qu’il aurait tendance à se focaliser sur la situation grave et préoccupante que connaît le Congo aujourd’hui mais qu’il répondrait aux attentes des députés. Il a regretté les incompréhensions qui le tiennent éloigné de Paris et l’obligent à rester à Londres. Avant de faire un exposé liminaire, il a demandé à connaître les questions spécifiques que se posent les parlementaires.
M. Pierre Brana a souhaité que soit évoqué le rôle d’Elf au Congo-Brazzaville et la situation actuelle de ce pays.
Il a demandé au Président Lissouba de préciser pourquoi et sur quel fondement juridique il avait porté plainte contre Elf et s’il pensait que les armes utilisées par les différents protagonistes avaient été financées par la rente pétrolière versée par Elf. Il s’est enquis de la date des premiers contacts entre le Président Lissouba et la compagnie américaine Occidental Petroleum.
M. Roland Blum a souhaité lui aussi des éclaircissements sur le système de financement des achats d’armes.
Il a voulu savoir si Elf avait entamé une déstabilisation du gouvernement du Président Lissouba à partir du moment où il avait signé un accord avec une compagnie pétrolière américaine.
Il a souhaité cerner le mécanisme de versement de la redevance pétrolière due par les compagnies à l’Etat congolais car Elf soutient que ces opérations étaient effectuées de manière transparente et qu’il appartient aux Etats producteurs de gérer la rente pétrolière.
M. Pascal Lissouba a répondu à ces questions.
Il a porté plainte contre Elf non pas parce qu’il détenait des documents sur les activités blâmables de cette grande entreprise financièrement puissante, véritable Etat dans l’Etat disposant de moyens d’action formidables sur le plan international mais parce qu’un certain nombre d’agents de cette compagnie avaient usé de cette force pour mener des actions dévoyées et inhumaines. La puissance d’Elf aurait dû être utilisée à des fins plus respectables au plan des principes.
Le Congo a des liens historiques avec la France. Les Congolais ont appris par cœur les discours du Général de Gaulle c’est dire si la France est ancrée en eux. Quand le Président Chirac est venu à Brazzaville il n’était pas seulement considéré comme le Président de la République française, mais aussi comme l’héritier du Général de Gaulle. Or aujourd’hui ce Congo si proche de la France par l’histoire, est en passe d’être détruit par des bombes payées par Elf au mépris des principes de liberté d’opinion et de droit à la vie. On tue des Congolais qui ont voté pour lui et on continue de leur imposer des choix alors qu’on doit les laisser décider eux-mêmes.
Ayant fait ses études en France, à Nice et à la Sorbonne, il a été marqué par la Révolution française. Bien que littéraire, il a choisi de poursuivre des études scientifiques pour mieux aider son pays. "Périsse la République plutôt qu’un principe" or ces principes comme la Constitution votée à 97 % par le peuple sont bafoués au Congo. Désordres et tueries se poursuivent contre le peuple congolais innocent. C’est pourquoi une plainte a été déposée contre Elf. Après ses études en France, à son retour au Congo dans les années 1970, il est accusé par M. Sassou N’Guesso d’avoir fomenté l’assassinat de l’ancien président de la République du Congo et arrêté ; condamné à mort, il fut sauvé d’extrême justesse. Il est resté deux ans et demi en prison et a quitté le Congo pour enseigner à Paris XII pendant cinq ans. Il n’était donc pas préparé à faire face à des opérations financières douteuses.
A son arrivée au pouvoir en septembre 1992 les caisses de l’Etat étaient vides, il y avait 6 milliards de dollars de dettes comme le montrent les rapports du FMI et de la Banque mondiale, et les fonctionnaires n’avaient pas été payés depuis cinq mois. L’Etat congolais avait obtenu une redevance pétrolière de 17 % mais il ignorait la quantité de pétrole produite. Le contrôle gouvernemental sur les quantités produites aurait été un crime de "lèse-Elf". Cependant le Congo qui avait une dette de 6 milliards de dollars était le pays le plus endetté du monde par tête d’habitant. Il s’est demandé comment cela avait pu arriver alors que ce pétrole avait été gagé jusqu’en 2002 par le Président d’alors M. Sassou N’Guesso qui avait obtenu des prêts. Arrivant de l’Unesco où il se trouvait en poste et nouvellement élu Président de la République, les caisses de l’Etat étant vides, il s’est tout naturellement tourné vers la direction générale d’Elf pour solliciter un crédit-relais sur la base d’un programme défini avec la Compagnie mais il s’est entendu signifier par M. Le Floch-Prigent, président-directeur général d’Elf que sa demande était idiote. Cet accueil l’a sidéré d’autant qu’il devait assurer le paiement des salaires des enseignants pour la rentrée scolaire. La formule du crédit-relais ne semblant pas convenir à Elf, il a demandé l’élaboration d’un programme de partage de production ; les négociations ont duré un an. La Compagnie n’était donc pas pressée de clore ce dossier et les séances de travail étaient ténébreuses.
Finalement il a obtenu le relèvement de la redevance de 17 % à 33 % et il craint que ce relèvement n’ait été le facteur déclenchant du drame congolais. Il obtient à la même époque une avance de 150 millions de dollars de la compagnie américaine Occidental Petroleum qui voulait être remboursée en pétrole. Il s’est tourné vers Elf et Agip pour conclure l’arrangement, mais ces deux compagnies se sont demandées pour quelles raisons il avait signé avec Occidental Petroleum, sans s’adresser à eux.
En visite en France en novembre 1992, il a demandé qu’on l’aide à la formation de l’armée et a tenté d’obtenir un accord de coopération en matière militaire et de sécurité. La réponse du Président Mitterrand fut brutale : "La France ne fait plus cela". Il s’en est étonné car le Gabon comme le Sénégal, la Centrafrique et le Tchad bénéficiaient de ce type d’aide. D’un côté Elf se livrait à un blocus financier, de l’autre le gouvernement français ne semblait pas vouloir l’aider sur les questions de sécurité. Les intérêts français, notamment pétroliers, au Congo étaient respectés par son gouvernement.
La déstabilisation de son pays par M. Sassou N’Guesso avait commencé depuis la période de transition. L’accord avec Occidental Petroleum n’avait rien arrangé mais le fond du problème était le désir de revanche de M. Sassou N’Guesso dont le bilan établi par la Conférence nationale était terrifiant : le Congo était un pays sinistré dépourvu de secteur privé avec une immense bureaucratie et où la population ne jouissait d’aucune liberté. Les pouvoirs du Président Sassou N’Guesso ont été réduits par la Conférence nationale, il s’est senti humilié par sa défaite aux élections et a décidé de revenir au pouvoir par les armes.
M. Roland Blum s’est enquis de la manière dont avaient été financées ces armes.
M. Pierre Brana a demandé des précisions sur le mécanisme de versement de la redevance pétrolière, notamment sur les jeux possibles autour des fluctuations du cours du dollar qui ont des conséquences sur la redevance. Comment se faisait le contrôle de la redevance due ? Il a souhaité savoir si les difficultés avec M. Sassou N’Guesso n’avaient pas commencé quand M. Lissouba a rompu avec le Parti Congolais du Travail (PCT) en 1992.
M. Pascal Lissouba a répondu à ces questions.
La preuve matérielle du financement des armes est difficile à obtenir (environ 150 millions de francs). Mais comment imaginer que M. Sassou N’Guesso ait obtenu des armes sans contrepartie ? Le mécanisme de versement de la redevance pétrolière est difficile à décrire. Les redevances sont dues à des filiales d’Elf Aquitaine, Elf Congo et Elf Gabon, opérant dans le Golfe de Guinée. Mais le fonctionnement d’une autre Société Elf Trading qui effectue des transactions reste obscur. Les fluctuations du dollar jouent sur le montant de la redevance. Le dollar peut être en baisse au moment du paiement de la redevance. Mais qui gère le différentiel provoqué par ces fluctuations portant sur des sommes considérables ? Qui peut contrôler cela ? Bien que les prix soient fixés au moment du paiement on constate des différences. Le Congo recevait des redevances d’exploitation dont il était difficile de suivre le cheminement. Les sommes provenant des marges de fluctuation pouvaient être élevées et suffisaient à financer un mouvement de déstabilisation. Il pouvait donc s’agir d’une sorte de pacte de corruption soutenant un complot.
La rupture avec le PCT n’a eu aucun effet, l’opération de déstabilisation avait commencé dans la période de transition avec la première tentative de coup d’Etat, qui a échoué, de M. Sassou N’Guesso contre le Premier Ministre Milongo. Pendant la conférence de transition, M. Kolelas voulait traduire en justice M. Sassou N’Guesso et lui-même s’y était opposé au nom des principes. MM. Sassou N’Guesso et Kolelas, même s’ils ont parfois été alliés, sont restés des adversaires irréductibles. Il a reconnu qu’il avait commis une erreur, il eut fallu traduire M. Sassou N’Guesso en justice.
Au terme de la Constitution congolaise le Président une fois élu n’appartient pas à un parti politique. Aussi dans son premier discours le 31 août 1992 a-t’il proposé la constitution d’un gouvernement d’Union nationale ce qui fut rejeté par M. Sassou N’Guesso. Après ce discours le PCT et l’Union panafricaine pour la démocratie sociale (UPADS) partis auxquels il appartenait de débattre, se sont entendus sur un certain nombre de points. M. Sassou N’Guesso avait exigé que la présidence de l’Assemblée nationale qui aux termes de la Constitution revenait au parti majoritaire UPADS soit attribuée au PCT. Malgré l’opposition de l’UPADS et pour consolider la démocratie, il est intervenu lui même pour que la présidence de l’Assemblée nationale revienne au PCT. Pendant ce temps M. Sassou N’Guesso tentait de s’entendre avec M. Kolelas. Alors que M. Lissouba avait obtenu l’accord de l’UPADS pour attribuer la présidence de l’Assemblée nationale au PCT, M. Sassou N’Guesso a annoncé la rupture des négociations UPADS-PCT ce qui démontrait sa volonté de déstabiliser le pays et de faire un coup d’état.
M. Roland Blum a observé que selon les adversaires du Président Lissouba 600 millions de dollars auraient disparu du budget du Congo pour financer des milices et acheter des armes (fin 1992, début 1993).
M. Pierre Brana a demandé si c’était à cette période que des mercenaires avaient été embauchés par le gouvernement congolais. Il a interrogé le Président Lissouba sur l’existence du centre d’Aubeville appartenant à Elf où les milices auraient été entraînées par des Israéliens.
Il s’est interrogé sur l’aide apportée par M. Sassou N’Guesso aux Angolais et a voulu connaître la nature des liens entre M. Lissouba et M. Savimbi. De fait, M. Lissouba reconnaît-il cette alliance ?
M. Pascal Lissouba a apporté les précisions suivantes.
Après deux ans de prison et quinze ans d’absence (professeur à Paris XII pendant 5 ans puis fonctionnaire de l’Unesco pendant 10 ans où il avait dirigé le bureau régional pour la science et la technologie) il était retourné au Congo pour assister à la Conférence nationale de 1990 à la demande du Président Omar Bongo devenu gendre de M. Sassou N’Guesso et avec lequel il a des liens familiaux. Comment aurait-il pu disposer de 600 millions de dollars dans un pays dont les dettes s’élevaient à 6 milliards de dollars ?
A son arrivée au pouvoir, les besoins de sécurité étaient immenses et il fallait structurer la police et l’armée dont la pyramide était renversée. Elle disposait de cadres sans troupes. La France avait apporté au Président Sassou N’Guesso une aide pour restructurer l’armée et la police mais ceux qui avaient été formés ont suivi M. Sassou N’Guesso quand lui-même est arrivé au pouvoir. En novembre 1992 comme la France refusait de l’aider à former une armée et une police, il s’est tourné vers les Israéliens car il craignait les violences et les désordres.
Le premier désordre se produisit quand le Premier ministre de son gouvernement s’étant présenté pour la première fois à l’Assemblée nationale, s’est heurté à une motion de censure en novembre 1992 alors qu’il n’avait pas eu le temps d’agir. Il a alors décidé de dissoudre l’Assemblée nationale pour procéder à des élections et éviter l’instabilité gouvernementale.
Mais M. Sassou N’Guesso a refusé la tenue de ces élections qui se sont déroulées malgré le désordre provoqué par les troupes de ce dernier alliées à celles de M. Kolelas. A ce moment là il n’avait pas les moyens de s’opposer à ces désordres et ne disposait pas d’une armée performante ; toute la troupe avait rejoint le Nord du pays. Les désordres ont commencé dès que M. Sassou N’Guesso a repris le pouvoir avec les mercenaires angolais, tchadiens qui pillaient, tuaient, violaient. Les partisans de M. Lissouba qui faisaient partie de l’armée régulière ont commencé leur résistance en déterrant les armes qu’ils avaient pour se battre contre M. Sassou N’Guesso. Si le sida, la drogue sont devenus endémiques au Congo, c’est à M. Sassou N’Guesso qu’on le doit.
S’agissant de ses relations avec l’Angola, tant que MM. Savimbi et Dos Santos se faisaient la guerre, il ne s’en est pas mêlé. Mais dès qu’ils ont commencé leurs pourparlers de paix, il a reçu M. Savimbi en 1995, pendant la conférence de la paix organisée dans le cadre de l’Unesco. M. Pascal Lissouba a évoqué une conversation avec M. Savimbi à qui il avait demandé les raisons de la persistance de la guerre civile en Angola. M. Savimbi lui a répondu qu’après la guerre de libération chacun avait des ambitions. Il aurait fallu laisser le peuple trancher. M. Savimbi disposait de mines de diamants et a acheté quantité d’armes de certaines qualités. M. Dos Santos disposait de pétrole et a acheté également des armes et a obtenu la même quantité et la même qualité d’armes que M. Savimbi. M. Lissouba a alors demandé à quel moment M. Savimbi avait su cela. Ce dernier lui a expliqué qu’il avait compris petit à petit qu’il ne terminerait jamais cette guerre car on aidait les Angolais à s’entre-tuer. A ce moment là M. Lissouba a pensé que les dirigeants angolais souhaitaient la paix car la situation de leur pays était catastrophique ; actuellement ce sont les milices angolaises qui pillent le Congo parce qu’elles n’ont rien chez elles. Les informations sur ses liens avec M. Savimbi ont été travesties, il n’a jamais passé de troupes en revue avec M. Savimbi. Celui-ci était certes présent lors de la conférence de la paix mais avec les personnalités non-officielles.
M. Pierre Brana s’est renseigné sur le rôle passé - quand il était en fonctions - et actuel de l’ancien ministre des finances du gouvernement de M. Lissouba.
M. Pascal Lissouba a avoué qu’il s’était trompé sur la qualité de son ancien ministre des finances et qu’il lui avait fait confiance parce qu’ils avaient été en prison ensemble. Il ne fut pas un ministre brillant, il appartient à ses collègues de le juger. L’ajustement structurel n’avançait pas, il devait recevoir ses collègues des Nations Unies et du FMI à sa place. Aujourd’hui ce ministre est milliardaire. Or, il y a plusieurs formes de tricherie sur la rente pétrolière : on peut s’entendre avec les pétroliers par des cheminements divers et multiples ; ils passent par la FIBA. Autour de cette banque, il y a d’autres filières pour faire passer les commissions dont les montants sont évalués en fonction d’un processus difficilement décryptable. Les commissions peuvent être légales mais la manière dont elles sont évaluées est complexe. Le ministre des finances peut placer l’argent de la rente pétrolière dans des banques spécialisées où il rapporte des intérêts sans les reverser à l’Etat. Normalement cela irait dans les caisses noires du Président. Comme selon la Constitution, le ministre des finances est la seule personne qui ouvre et clôt les comptes de l’Etat, il peut les gérer sans la signature du Président. Voilà comment ce ministre est devenu milliardaire.
M. Pierre Brana a évoqué l’existence de sondages défavorables à M. Pascal Lissouba qui était candidat lors des élections présidentielles ce qui l’aurait poussé à donner l’ordre d’assaillir la maison de M. Sassou N’Guesso.
M. Pascal Lissouba a expliqué que les sondages évoqués n’avaient pas été effectués dans de bonnes conditions ; les statistiques étaient fausses. Il ne voulait pas le pouvoir pour le pouvoir. Ces élections n’étaient pas son problème et ce sondage n’avait pas été commandé par lui. Il ne nie pas l’existence de ce document qui ne l’a pas influencé car les sondages en Afrique n’ont pas les mêmes bases et les mêmes valeurs : la base de références est toujours ethnique, contrairement à l’Europe où elle est plutôt nationale. Quand M. Sassou N’Guesso est revenu comme candidat au Congo, il a été accueilli par un ministre d’Etat en tant qu’ancien Président de la République.
Mais dès son arrivée, des troubles ont commencé dans sa propre région, semés par ses milices. Après un certain nombre d’exactions et surtout d’assassinats au sein de la population, des mesures ont été arrêtées. Le Conseil des ministres du 4 juin 1997 avait identifié et établi la responsabilité de deux collaborateurs de M. Sassou N’Guesso, comme étant les auteurs des tueries et des assassinats d’Owando (dix-huit morts) et d’Oyo (quatre morts et une douzaine de blessés graves).
Sur plainte des populations de cette région adressée au Président de la République, ce dernier a interpellé le Gouvernement et la Cour Suprême qui, elle, a jugé que s’agissant d’un flagrant délit et ce à la veille des élections présidentielles, cela méritait une sanction exemplaire, pour permettre le bon déroulement de ces élections : ce qui justifie la décision d’aller arrêter les deux criminels qui avaient trouvé refuge au domicile de M. Sassou N’Guesso. C’est sans doute ce qu’attendait ce dernier, puisque les militaires en mission commandée ont été reçus par des tirs nourris d’armes sophistiquées, faisant ainsi les premières victimes.
Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr
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