Présidence de M. Laurent FABIUS, Président
M. Ivan ZAKINE est introduit.
M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du Président, M. Zakine prête serment.
M. Ivan ZAKINE : Monsieur le Président, mesdames, messieurs les députés, j’ai été, comme tous ceux qui s’intéressent aux questions pénitentiaires, très intéressé par la réaction de la représentation nationale et particulièrement satisfait de la mission que vous vous êtes donnée, car elle revêt une grande ampleur et tous ceux qui s’intéressent " à la question pénitentiaire ", pour reprendre une expression qui avait cours au siècle dernier, seront, je le pense, très attentifs aux résultats de vos travaux.
Je n’apprendrai rien au Président de l’Assemblée Nationale actuellement en exercice ni aux députés en fonction en disant que ce n’est pas la première fois qu’une telle commission est constituée ; néanmoins, le dernier précédent remonte à près de cent vingt-cinq ans ! La dernière des grandes commissions parlementaires qui se soit intéressée aux prisons avait été constituée au moment de ce que l’on a appelé " le réveil de la question pénitentiaire " en 1872 et ses travaux se sont échelonnés entre 1873 et 1875. Ils font l’objet de huit ouvrages in quarto, dont M. Garraud disait qu’ils étaient " l’un des plus beaux monuments de la science pénitentiaire dans notre pays ". En préparant cette audition, je me suis replongé dans ma propre bibliothèque et j’ai repris le traité de droit criminel sur lequel mon père avait fait ses études, où j’ai trouvé cette formule fort intéressante.
Vous avez un passif à assumer, sur lequel il vous appartient de faire le point, et un gros travail devant vous. Je me permets de l’indiquer en tant qu’ancien directeur de l’administration pénitentiaire, car peut-être est-ce en cette qualité que vous avez eu envie de m’entendre plutôt qu’en tant que membre du Comité européen de prévention de la torture et des peines, traitements inhumains ou dégradants.
Vous avez donc un gros travail devant vous, étant précisé que lorsque l’on s’intéresse aux problèmes pénitentiaires aujourd’hui, il est nécessaire d’avoir présent à l’esprit que ce que l’on appelle " la question pénitentiaire " - je vous renvoie à l’ouvrage de M. Garraud qui consacre un chapitre remarquable à la question - est le résultat, dans les années 1870, d’une option politique au sens le plus noble du terme qui a préféré à la transportation le maintien dans un lieu d’enfermement. La transportation c’est pour celui qui a commis une infraction, une exclusion définitive de la communauté nationale et de la société. A l’époque du roi, elle consistait à envoyer aux galères ; c’était une forme de transportation utile au roi pour diverses raisons. La prison est une notion relativement moderne dans notre société. En effet, c’est la révolution de 1789 qui a fait de la prison un mode d’exécution des peines ; elle ne servait auparavant qu’à la détention provisoire et à la rétention des dettiers, c’est-à-dire ceux qui ne payaient par leurs dettes. À partir de ce moment-là, une nation, une société a l’obligation de respecter un minimum de règles à l’égard de l’homme ou la femme placé en prison, puisque, par hypothèse, on a décidé que ces personnes réintégreraient au bout d’un certain temps la communauté nationale, ce qui n’était pas la conception de la transportation. Il faut réaliser qu’une telle décision a un coût ; une prison et des places de prison sont plus coûteuses qu’un banc sur une galère qui vogue sur l’océan ou, comme on disait à l’époque " un hamac en Nouvelle-Calédonie ". C’est une évidence et cette question de la situation des prisons a agité les esprits tout au long du temps qui a suivi cette grande réaction intellectuelle des années 1870-1875.
Votre commission, mesdames, messieurs les députés, ne peut qu’être bien accueillie. Vous permettrez simplement à celui qui vous parle en tant qu’ancien Président du Comité européen, mais toujours membre au titre de la France, ancien directeur de l’administration pénitentiaire ou encore tout banalement en tant que citoyen français, de considérer que cette réaction de la représentation nationale est incontestablement salutaire, car elle fait comprendre que, désormais aux yeux des parlementaires, la prison fait partie de la cité, même si cette idée est encore peu répandue parmi nos concitoyens. Vous me permettrez, cependant, de demander de manière impertinente : pourquoi seulement maintenant cette réaction de la représentation nationale ? Est-ce l’effet de la couverture médiatique d’un ouvrage qui a été publié et qui a bénéficié de deux pages entières d’un quotidien du soir, ce qui est tout de même un élément important ? Pourquoi maintenant, même s’il s’agit du témoignage fort intéressant d’un médecin qui était directement impliqué dans le fonctionnement de la maison d’arrêt de La Santé ?
Je me permets cette question quelque peu impertinente, car, bien antérieurement à cette publication, quatre rapports émanant d’un organe régulier de contrôle externe des prisons ont été publiés - je veux parler des rapports du Comité européen. Le premier a été publié au mois de janvier 1993, le deuxième au mois de mai 1998. Ils reprenaient dans une certaine mesure tout ce qui a été publié. Je vous fais grâce des deux autres, bien que leur contenu soit fort important, qui ont été publiés en janvier et septembre 1996. Pour votre information, l’un était relatif au dépôt de la préfecture de police et à la rétention des étrangers ; l’autre portait sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires de la Martinique.
Le rapport publié en janvier 1993 indiquait - j’en parle d’autant plus à mon aise que je ne faisais pas alors partie du Comité - " les conditions de détention observées aux maisons d’arrêt de Marseille-Baumettes et de Nice laissaient fortement à désirer. Ces deux établissements étaient sérieusement surpeuplés, dotés de programmes d’activités très insuffisants. De plus, les conditions sanitaires et d’hygiène, de l’avis du CPT... " [ le Comité européen ] " ...ainsi que les conditions de détention déplorables dans les bâtiments A et B de la maison d’arrêt de Marseille-Baumettes équivalaient à un traitement inhumain et dégradant. Le degré élevé du surpeuplement à la maison d’arrêt de Nice a conduit le CPT à la même conclusion. "
La deuxième visite du CPT en France a été relatée dans le rapport de 1996, publié le 14 mai 1998 : " Il appert de ce qui précède que les conditions de détention dans plusieurs parties de la maison d’arrêt de Paris La Santé laissaient grandement à désirer. Dans les divisions B, C et D, celles-ci pourraient être qualifiées d’inhumaines et de dégradantes ". Nous nous situons pleinement dans le cadre de la convention européenne, dont la France a été l’un des acteurs principaux pour son adoption, sa ratification et sa mise en _uvre. Et je me permettrai, toujours de manière impertinente et avec votre permission, de poser la question de savoir à quoi servent de telles conventions signées par la France, qui instituent un organe de contrôle externe.
Je pense que vous avez reçu comme moi le rapport de la commission présidée par le Premier Président Canivet précisément axée sur le problème du contrôle externe des prisons. Je demande : à quoi servent les conventions qui mettent en place des organes de contrôle supranationaux et décidés comme tels, si les signaux d’alarme internationaux que sont les rapports de ces organismes n’éveillent pas les consciences nationales ? Le CPT ne peut pas être en permanence dans un pays.
Je suis heureux de constater que votre commission a été créée en se fondant sur un programme très ambitieux. Je dis qu’il est nécessaire que les organes étatiques et les organisations non gouvernementales qui ont un rôle à jouer prennent le relais, sinon je crains - je me permettrai ce constat un peu désabusé, mais je suis prêt à répondre à vos questions pour essayer de lever cette apparence de scepticisme que je suis contraint de laisser percer - que les conventions internationales ne soient, s’agissant de la protection des droits de l’homme, en définitive destinées qu’à donner bonne conscience aux États et à n’être plus que des alibis.
M. le Président : Notre rôle n’est certes pas de donner bonne conscience ou de fournir un alibi. Votre rappel était fort utile, d’autant que vous connaissez parfaitement le sujet si l’on considère que vous avez suivi cela de très près, notamment pendant les années où vous avez travaillé à l’administration pénitentiaire.
M. le Rapporteur : Certes, il est des médiatisations importantes, voire outrancières, mais ce n’est pas cela qui a fait bouger le parlement. Depuis longtemps, les uns et les autres écrivons, au même titre que vous-même.
La bibliothèque de l’Assemblée Nationale recèle 83 rapports et documents qui parlent de la prison à peu près dans les mêmes termes que le livre de Mme Vasseur, médecin chef de La Santé.
Par ailleurs, siègent ici quelques membres de la commission des lois, qui rédigent chaque année des rapports dans le cadre de l’examen du budget. Certains rapporteurs ont dénoncé de façon forte - et ils ont été suivis par l’ensemble des membres de la commission des lois - ce qui se passait en prison. Mais - pardonnez-moi ma vulgarité - tout le monde s’en foutait ! Comme vous l’avez très bien expliqué, on met en prison, on pose un couvercle par-dessus et on n’en parle plus. C’était l’état d’esprit qui prévalait avant la révolution : l’éloignement, puis la disparition du coupable ou du présumé coupable suffisaient à faire croire que la justice était rendue. Les bons esprits de la période des philosophes avaient inventé cette idée d’enfermement pour permettre la réhabilitation et la rédemption, mais cela n’a pas longtemps été suivi d’effet. Napoléon Bonaparte a fait en sorte que la prison soit de nouveau un lieu d’enfermement et le moyen de retour aux bonnes m_urs.
Vous relevez l’absence de commission d’enquête sur le sujet depuis 125 ans. J’espère que d’ici à 125 ans, on parlera encore un peu de nous et que nous aurons réalisé un travail suffisant et intéressant.
Ma question portera sur l’action que vous menez en tant que membre du Comité européen pour la prévention de la torture, Comité que vous avez présidé. À quel moment et pourquoi êtes-vous intervenu en prison en France ? Quand avez-vous constaté des manquements à ce point graves que le Comité ait été obligé d’intervenir ? Avez-vous à l’esprit quelques exemples qui peuvent être assimilés à des tortures en prison ?
M. Ivan ZAKINE : Il convient que je vous explique le mode de fonctionnement du Comité européen. Il vous permettra de comprendre pourquoi ma réponse à votre question vous semblera quelque peu insuffisante.
Le Comité européen a un programme de travail. Il organise des visites périodiques dans les pays. Lorsqu’il a commencé à fonctionner en 1989, le premier programme de visites a été tiré au sort. Je n’en faisais pas partie à l’époque, puisque je ne suis entré au Comité qu’en 1993, à l’occasion du premier renouvellement, les mandats étant de quatre ans, renouvelables une fois. Le tirage au sort permet d’éviter une remise en cause de choix qui pourraient être autrement considérés comme arbitraires.
Le programme de travail du Comité est d’organiser des visites périodiques en fonction des possibilités. Le Comité a commencé à fonctionner à 15 membres en 1989 et, en compte aujourd’hui 41. La dernière session plénière que j’ai présidée il y a trois semaines, comptait 34 membres physiquement présents dans l’hémicycle du Conseil de l’Europe.
Les pionniers du CPT ont établi un programme, où figurait la France. Aux termes d’une disposition du règlement intérieur du Comité européen, le membre élu au titre d’un pays ne fait jamais partie de la délégation qui visite son pays. Par conséquent, depuis 1993, date à laquelle je suis membre du Comité, j’assiste aux délibérations qui adoptent le rapport de visite, mais je ne participe pas aux votes concernant la France. Cela explique pourquoi ma réponse ne pourra être très précise.
Le rapport est soumis, une fois rédigé, aux autorités nationales ; il est confidentiel. C’est une des règles qui figure dans la convention elle-même. Ce fut une condition essentielle lors de l’entrée en vigueur de la convention, qui n’aurait jamais existé si la règle de confidentialité n’avait pas été incluse dans la convention elle-même. Cette règle de confidentialité apparaît dès les travaux préparatoires de la convention européenne.
J’atténuerai l’inquiétude que je sens naître à l’annonce de cette règle de confidentialité. Aux termes de la convention, la confidentialité peut être levée à la demande du gouvernement qui a reçu le rapport. Un gouvernement gêné par un rapport ne le publiera jamais, penserez-vous. Les pionniers du Comité européen ont eu la sagesse de mettre en _uvre une règle non écrite selon laquelle toute visite est annoncée lorsqu’une délégation du Comité européen arrive dans un pays ; en effet, un communiqué de presse annonce qu’une visite est entamée dans tel pays, étant précisé qu’au cours de l’année précédente, nous publions par voie de presse le programme de l’année à venir. C’est ainsi que je ne dévoile aucun secret et que je ne viole pas la règle de confidentialité en annonçant que la France sera visitée au cours de l’année 2000.
La France fut donc visitée. Le premier rapport fut établi en 1993. Le communiqué de presse est publié une fois la visite terminée. L’expérience a montré que les gouvernements qui reçoivent un rapport, alors que tout le monde sait qu’il existe, ne peuvent très longtemps résister à la pression qui s’exerce sur eux pour le publier. C’est pourquoi les rapports de 1993 et celui de 1996 publié en 1998, malgré les termes très durs qu’ils contenaient, furent publiés, sur décision des autorités françaises. L’expérience montre que, à l’heure actuelle, près de 75 % des rapports sont publiés par l’ensemble des pays visités, les 25 % restants ne refusant pas de publier, mais, pour certains d’entre eux, il convient de prendre en compte le temps qui s’écoule nécessairement entre le temps de la visite, la rédaction et la transmission à une autorité du rapport ; il faut également préciser que la règle du contradictoire est respectée, c’est-à-dire que le rapport est publié, avec en annexe, la réponse du gouvernement du pays visité. Vous trouverez donc dans les deux rapports auxquels je faisais allusion tout à l’heure, la réponse des autorités françaises sur le programme de rénovation de la maison d’arrêt de La Santé. Les rapports publiés par le Comité européen en 1993 et 1996 comme l’ouvrage auquel nous faisions tout à l’heure allusion sont relatifs à des faits survenus avant les travaux de rénovation dont j’ignore s’ils ont été ou non suffisants. La délégation qui viendra en France, si elle décide de se rendre à la maison d’arrêt de La Santé, sera mieux à même de se prononcer.
M. le Président : Concrètement, lorsqu’une délégation, en charge d’établir un rapport, se présente dans les prisons, comment cela se passe-t-il ?
M. Ivan ZAKINE : La visite périodique s’échelonne sur deux semaines. La délégation est généralement composée, selon l’importance du pays, d’une dizaine de personnes, qui comprend six ou sept membres élus du Comité et trois ou quatre experts, le nombre d’experts variant selon la composition même des membres élus du Comité. Si ces derniers sont médecins, il sera inutile de compter un médecin expert supplémentaire. Nous essayons de former, dans la composition de la délégation, un éventail de compétences ou de qualifications permettant de balayer l’ensemble des problèmes. La visite dans le pays dure environ quinze jours. En général, la délégation se subdivise en deux, voire trois sections, qui essaimeront à travers le pays, dans plusieurs établissements pénitentiaires. J’ai personnellement conduit la délégation qui est allée en Espagne. Nous nous sommes rendus pour 4 jours à Carabanchel ; nous étions cinq. Il en fut de même lorsque j’ai conduit la délégation à la prison d’Ankara. La délégation qui s’est rendue à Diarbakir, était également assez substantielle et est demeurée assez longuement sur place. Nous arrivons dans un établissement nanti d’une habilitation, généralement signée par le premier ministre ou les ministres concernés, que nous présentons aux chefs d’établissement. L’établissement peut être pénitentiaire ou relever des forces de police, la compétence du Comité européen ne se limitant pas aux prisons. En effet, selon la convention, sont concernés tous les lieux où des personnes peuvent être privées de liberté sur ordre d’une autorité publique. L’interprétation donnée à ce texte conduit le Comité européen à assurer la visite des établissements pénitentiaires, des locaux de police, de gendarmerie ou équivalent dans l’ensemble des pays européens. Cette interprétation permet d’inclure dans le contrôle du Comité européen les centres de rétention d’étrangers, les établissements psychiatriques pour les placements d’office ainsi que les locaux disciplinaires des casernes. Ce dernier point a été admis par un certain nombre de pays, que je ne pourrai vous citer, dans la mesure où le rapport n’est pas encore publié. Mais il faut que vous sachiez que des locaux disciplinaires d’une caserne - le rapport qui sera publié à ce sujet risque de vous surprendre - ont été visités par le Comité européen dès lors que nous savions que des personnes y étaient privées de liberté.
M. Claude GOASGUEN : Monsieur le Président, présentant votre introduction, vous sembliez très sceptique et un peu désabusé.
Comment interprétez-vous le " tout le monde s’en fout " de notre rapporteur ?
Vous avez mis en avant l’inefficacité des contrôles externes, et notamment le fait que la sanction restait très aléatoire. Comment améliorer ce type de contrôles ? Doit-on réfléchir à un système européen de contrôle externe ?
M. Ivan ZAKINE : S’agissant des contrôles externes, je ne parle pas d’inefficacité, mais plutôt du risque d’inefficacité une fois que les organes internationaux en charge du contrôle ont accompli leur mission ; cette mission est nécessairement limitée car le Comité ne peut rester en permanence dans un pays, ou alors il faudrait installer une antenne permanente dans chacun des quarante et un pays. Dès lors que le rapport est publié, le relais doit être pris par les organes nationaux. C’est pourquoi, je suis particulièrement heureux de me trouver ici aujourd’hui, mais il faudrait davantage d’occasions qui permettraient aux constatations du Comité européen de trouver un écho.
Le risque d’inefficacité est grand si le relais n’est pas pris. Le rapport du Comité européen suscitera un petit peu de " mousse " pendant quelques jours, mais l’intérêt retombera très rapidement après.
Je suggère, et c’est également ce que le Comité préconise dans tous ses rapports annuels, qu’au niveau national, les gouvernements prennent en charge le problème et transposent ce qui est prévu dans la convention internationale en créant l’équivalent du Comité européen. Il s’agirait d’un organe national de contrôle indépendant et totalement externe et, non pas une inspection dépendant de l’administration. J’ai été directeur de l’administration pénitentiaire et j’avais à ma disposition une inspection dite " générale " des services pénitentiaires. Elle n’est pas conçue comme un organe de contrôle externe indépendant de l’administration, mais est un instrument au service d’un ministère. La création, au niveau national, d’un équivalent du Comité européen figure dans les conclusions du rapport de la commission Canivet, déposées la semaine dernière.
M. Claude GOASGUEN : S’agirait-il d’un organe national ou européen ?
M. Ivan ZAKINE : Je dis bien : organe national de contrôle externe. Vous trouvez notamment une expérience équivalente à l’égard des services de police au Portugal pour lesquels a été créée l’Inspection générale de l’administration de l’intérieur, dirigée par un haut magistrat, avocat général de la Cour suprême du Portugal, placé définitivement en position de détachement et inamovible dans sa fonction. Il lui revient de choisir seul ses collaborateurs, qui deviennent également inamovibles pendant la période de leur mandat. Il les choisit issus de la société civile ou de l’administration. Dans ce dernier cas, ils quittent l’administration et deviennent membres de l’IGAI et inamovibles dans cette fonction. Cette forme de relais est propice à prévenir l’inefficacité.
J’en viens à votre première question concernant l’indifférence de l’opinion pour les problèmes pénitentiaires. Permettez-moi de dire, peut-être un peu brutalement - même si la formule de votre rapporteur m’y incite - qu’elle est certainement due au fait que la prison n’est pas " payante ", elle n’intéresse personne. À l’exception peut-être d’une seule fois, qui, parmi vous, a été informé de l’inauguration d’une nouvelle prison ? Pourtant, on en a bâti depuis quelques années ! Une prison ne s’inaugure pas, car ce n’est pas très rentable.
M. Robert PANDRAUD : Il y a des exceptions.
M. Ivan ZAKINE : J’ai, en effet, assisté à l’inauguration de la prison de Valencienne en 1964 par Jean Foyer, garde des sceaux.
M. le Président : Je ne pense pas que cette indifférence relève essentiellement de la responsabilité des décideurs politiques. Chacun regardera ce qu’il a fait.
M. Renaud DONNEDIEU de VABRES : Ma première question fait référence à votre action lorsque vous étiez directeur de l’administration pénitentiaire. Quelles étaient les mesures que vous avez mises en place pour être informé en temps réel ? Quelles instructions avez-vous donné pour que, par exemple, un rapport de médecin vous parvienne sans censure ? Avez-vous entrepris des démarches et à quelles difficultés vous êtes-vous heurté ? Quelles recommandations pouvez-vous formuler ?
Lorsque vous établissez les constats de ce que vous voyez dans les différents pays que vous visitez, quelles conclusions tirez-vous sur le rôle et la mission que remplit la prison ?
M. Ivan ZAKINE : J’ai pris mes fonctions de directeur de l’administration pénitentiaire au mois de juin 1981 dans un climat peu favorable sur le plan pénitentiaire, dans la mesure où le surencombrement des prisons françaises était au maximum. Nous nous sommes attachés à réduire le nombre des détenus et la préoccupation majeure a porté sur l’amélioration des conditions matérielles de vie, notamment la vie quotidienne dans les prisons, ce qui impliquait aussi la prise en compte de l’état des bâtiments.
J’avais mis en place un programme de visites par l’inspection générale des services pénitentiaires qui dépendait directement de moi. Une action psychologique a été engagée auprès des personnels pénitentiaires, afin de faire comprendre que l’amélioration des conditions de vie dans les prisons n’impliquait pas nécessairement - ce qui était pourtant le credo de certaines organisations professionnelles des fonctionnaires pénitentiaires - que les prisons allaient devenir un caravansérail permettant aux détenus de faire définitivement la loi. Il fallait faire comprendre que l’amélioration des conditions de vie dans les prisons n’était pas seulement destinée aux détenus, mais concernait aussi le personnel pénitentiaire. J’ouvre une parenthèse : j’ai noté avec grand plaisir que, dans le cadre de la mission que vous vous êtes impartie, figure l’appréciation du statut des fonctionnaires de l’administration pénitentiaire. Il faut bien être conscient que rien ne peut être réformé dans les prisons qui ne rencontre l’adhésion du personnel pénitentiaire. L’expérience montre que l’on peut coucher sur le papier toutes les réformes aussi belles soient-elles, il n’est pas possible de les mettre en _uvre si les fonctionnaires pénitentiaires n’y adhèrent pas pleinement.
M. le Président : Les conditions de vie des détenus sont les conditions de travail du personnel.
M. Ivan ZAKINE : Tout à fait. Certes, le surveillant rentre chez lui le soir quand le détenu reste dans sa cellule, mais il faut réaliser qu’ils vivent côte à côte tout au long de la journée. C’est pourquoi, du reste, des formes de violence, telles que définies par la convention, sont rarissimes dans les établissements pénitentiaires - ce n’est pas spécifique à la France - alors qu’il y en a bien davantage, alléguées ou vérifiées, dans les services de police ou de gendarmerie ; en prison, le détenu et le surveillant doivent vivre une longue période côte à côte. Par conséquent, une situation permanente de tension n’est pas envisageable et ne peut perdurer trop longtemps.
Pour ce qui concerne la remontée de l’information, j’avais organisé avec l’inspection générale des services pénitentiaires des séances de travail une fois, voire deux fois par semaine. Nous faisions le point sur l’ensemble des établissements visités.
En matière de contrôle médical, l’administration pénitentiaire disposait d’une inspection médicale des services pénitentiaires, inspection dite " maison ". Tout mes efforts ont consisté à faire de cette inspection un embryon de contrôle externe. Le service médical des établissements pénitentiaires a été assumé à la fin de l’année 1983 par le ministère de la Santé. Les postes de médecins dans les prisons n’étaient plus des postes purement pénitentiaires mais de santé publique, ce qui a permis à l’administration pénitentiaire de travailler avec des médecins qui n’avaient aucun lien de subordination administrative avec l’administration pénitentiaire et de bénéficier ainsi de l’infrastructure du ministère de la Santé, notamment en ce qui concernait le nombre d’externes, d’infirmiers et de personnels en lien avec le médecin.
Sur le rôle de la prison - personnellement, j’adhère à cette manière de voir et je pense qu’autour de cette table personne n’imagine que l’on va reconstituer ni les galères, ni les bagnes outre-mer comme ce fut le cas dans les années 1800 - il faut convenir que, dès lors que la privation de liberté est un mode de sanction d’une infraction, il appartient à la nation d’améliorer les conditions de vie des détenus. Le temps est passé de dire que la prison doit réhabiliter et réadapter ; le constat est fait et il convient de le relativiser. Au delà de cette mission, je dis qu’à tout le moins les conditions matérielles de vie dans la prison doivent être telles que celui qui en sortira inéluctablement, puisque telle est l’option prise, ne soit pas un révolté contre la société ; il ne faut pas que celui qui a connu la prison veuille faire payer le temps qu’il y a passé, au motif qu’il y a subi des conditions de vie indignes d’une société évoluée comme la nôtre.
Je terminerai par la question des jeunes détenus qui reste un problème majeur. Le rôle de la prison est de donner à ces jeunes l’encadrement socio-éducatif qu’ils n’ont pas pu ou pas voulu trouver à l’extérieur, même si cela coûte cher à notre société ; faute de quoi, les personnes qui sortiront seront encore plus révoltées contre elle. Il ne faudra pas alors s’étonner de voir s’enflammer tel ou tel secteur de notre pays.
M. Michel HUNAULT : Monsieur le Président, puisque le Comité européen pour la prévention de la torture a vocation à visiter les prisons des quarante et un membres du Conseil de l’Europe, je souhaiterais avoir un point de comparaison : comment situez-vous les prisons françaises par rapport au reste des pays du Conseil de l’Europe ?
M. Ivan ZAKINE : Je pourrais vous répondre d’une pirouette en répondant que, d’une manière générale, le Comité s’interdit d’établir un tableau d’honneur des prisons - ce serait, d’ailleurs, plutôt un tableau d’horreurs. Cela étant, je n’ai pas visité les prisons françaises depuis que j’ai quitté mes fonctions à l’administration pénitentiaire en 1983, mais, selon ce qui est publié, je dirai que nous ne sommes ni mieux, ni plus mal lotis, sauf pour ce qui concerne l’état de certains bâtiments.
Monsieur le rapporteur, vous aurez à votre disposition les rapports annuels de la direction de l’administration pénitentiaire. Je vous renvoie à celui qui a dû être publié au début des années soixante, lequel contient le rapport du magistrat qui était chargé de l’inspection générale des services pénitentiaires de l’époque. Le directeur de l’administration pénitentiaire était alors M. Robert Schmelk. Le rapport de l’inspecteur général dresse un bilan apocalyptique de l’état matériel de certaines prisons vouées à la démolition. Il indiquait même que l’on pouvait desceller les barreaux de certaines cellules à l’aide d’une petite cuillère, ce qui avait amené le garde des sceaux de l’époque, Jean Foyer, à annoncer un programme de constructions et de rénovation. Il avait été indiqué que vingt-six prisons méritaient d’être fermées.
Lorsque j’étais directeur de l’administration pénitentiaire, la maison d’arrêt de Perpignan était encore en fonctionnement. Il s’agissait d’un ancien couvent de s_urs clarisses. Selon la règle de l’ordre, on ne devait jamais, où que l’on soit, voir le ciel. Même la cour de promenade qui était dans un cloître ravissant était couverte. Cette prison a, depuis, été désaffectée, ce qui a fait grincer des dents les services de gendarmerie qui devaient transférer les détenus de la prison voisine jusqu’à la ville de Perpignan. Depuis, une nouvelle prison a été construite à Perpignan.
M. le Président : Monsieur Zakine, nous vous remercions beaucoup.
Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr
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