Présidence de M. Laurent FABIUS, Président
M. Robert Badinter est introduit.
M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du Président, M. Robert Badinter prête serment.
M. le Président : M. Badinter, je vous souhaite la bienvenue.
Vous avez beaucoup réfléchi à deux sujets qui font l’objet de notre commission d’enquête et vous avez été garde des sceaux. Un point revient en permanence dans nos réflexions et dans la bouche des personnels que nous rencontrons lors des visites des diverses prisons françaises : quel est le sens de la peine ? C’est une question récurrente. Quel est le sens de l’emprisonnement et qu’attend-on de la prison ? C’est un point fondamental. D’autres reviennent également : que peut-on faire en amont ? C’est la question de la détention provisoire. Que peut-on faire en aval ? C’est la question de la libération conditionnelle ou du bracelet électronique. Au sein de la prison, se pose le problème de la conciliation des fonctions contradictoires que sont la sanction et la préparation de la réinsertion.
M. Robert BADINTER : Je vous dis le plaisir que j’ai à me retrouver ici. Je rappelle qu’une commission d’enquête a également été créée au Sénat sur proposition du groupe socialiste et à laquelle je n’ai pas été complètement étranger. Elle vise à déterminer l’état actuel des prisons et, plus particulièrement celui des maisons d’arrêt. Son objet est plus limité que celui de votre commission.
Sur le problème que vous avez soulevé, Monsieur le président, je serai extrêmement bref, car j’y ai consacré trop de temps dans ma vie pour avoir le sentiment qu’en dehors d’une très longue conférence je pourrai être d’une quelconque utilité.
J’ai été confronté à la question des prisons lorsque je suis devenu avocat, bien avant d’avoir occupé les fonctions de garde des sceaux. Il y a cinquante ans à peu près aujourd’hui que je me rendais pour la première fois dans une prison, à mobylette, à Fresnes. C’était en 1951.
J’ai fréquenté pendant trente ans les prisons, " du côté jardin ". Car l’avocat qui se rend en prison n’en voit que le côté accessible. Le client vient à lui, mais lui-même va au parloir mais ne rentre pas dans les cellules et, ne connaît pas les lieux de vie. Ceci ne l’empêche pas de recevoir de nombreuses confidences, souvent désolantes, de sentir l’atmosphère carcérale et de converser avec le personnel pénitentiaire. J’ai donc eu, déjà à l’époque, l’occasion de réfléchir à cette question et de constater ce que je n’ai fait que vérifier par la suite et jusqu’à ce jour : l’extraordinaire contradiction entre la réalité et l’idée de la prison en tant que peine.
La prison est une innovation apparue dans le système pénitentiaire français avec la révolution. Depuis deux siècles, le discours que vous venez à l’instant de tenir, Monsieur le président, sur la double fonction de la prison, est le même. Il s’agit bien entendu de punir, en enfermant dans un espace clos tel ou tel individu afin qu’il ne menace pas la société, en même temps que de l’amender. Sur le principe même de la détention et de la peine, cette finalité n’a pas été trahie. On s’est énormément servi de la prison, au point qu’elle est devenue pour la conscience collective française l’expression même du châtiment pénal. Il n’est pas indifférent de le souligner.
La fonction d’amendement fait l’objet d’un discours qui est comme plaqué sur un réel qui ne change guère. La prison est faite pour punir, mais aussi pour réinsérer, ce que nous trouvons dès l’origine chez Le Pelletier de Saint Fargeau. Ce discours traverse sans discontinuer le dix-neuvième siècle. À chaque fois qu’émerge un intérêt soutenu pour la question carcérale, notamment dans le monde pénitentiaire ou, dans les commissions d’enquête parlementaires, on retrouve ce discours : il faut que la prison permette d’amender ceux qui s’y trouvent. Il existe d’ailleurs un très beau texte de Mirabeau sur ce sujet. Ce n’est là qu’un discours, mais il est, selon moi, inhérent à cette complexe réalité sociale. La prison, à la fois institution, règlement, personnel, bâtiments est aussi discours. On le constate dans la première partie du dix-neuvième siècle quand on se passionnait pour la question pénitentiaire. Je recommande à cet égard pour les amateurs la lecture des écrits de Tocqueville sur la prison, admirables littérairement et répressifs, et ceux de Beaumont et de Lucas. Tout cela a nourri les passions parlementaires jusqu’en 1848. Immédiatement après, le second Empire a jeté le voile sur les prisons et l’on n’a assisté à une renaissance de cet intérêt que vers la fin du second empire. L’année 1870 a vu une première enquête parlementaire et un ouvrage formidable : l’enquête parlementaire sur le régime des établissements pénitentiaires, rédigé par le vicomte d’Haussonville qui appartient à une grande dynastie parlementaire et descendait directement de Mme de Staël. Le vicomte d’Haussonville, dans le cadre de l’Assemblée élue au lendemain de la Commune et alors que l’on est dans l’inquiétude - il s’agit de l’assemblée extrêmement réactionnaire de Versailles en 1871 - se préoccupe de ce que l’on nommait à l’époque " les classes dangereuses ". On disait que la Commune avait compté parmi ses militants un nombre important de personnes qui auraient été en prison. On s’interrogeait donc pour savoir s’il avait été fait ce qu’il fallait dans les prisons pour éviter que ceux qui y passent se transforment en communards assoiffés de sang.
Le travail parlementaire réalisé fut considérable. La commission siégea pendant quatre ans et élabora une monographie complète - c’est pourquoi elle est si extraordinaire - de la situation de tous les établissements pénitentiaires en France en 1870. Après cette enquête, il fut décidé de réformer la prison. Pour ce faire, ont été votées des lois, notamment une - ce qui n’était pas indifférent puisque, comme à l’habitude, les crédits faisaient défaut - qui prévoyaient dans les maisons d’arrêt et, pour les courtes peines, l’encellulement individuel. Comme à l’habitude, les crédits n’ont pas suivi. Ils n’ont d’ailleurs jamais suivi dans le domaine pénitentiaire et ne suivent jamais. C’est un élément à prendre en compte dans la réflexion.
La loi fut donc votée en 1875, puis la première tranche a été réalisée et, non la seconde. Les républicains avaient-ils une vision très claire de ce que devait être la prison ? Les grands républicains de la troisième république ne sont pas arrivés au pouvoir sans savoir ce qu’ils voulaient : ils avaient réfléchi et ont traduit en actes leurs projets. Ils avaient une idée de l’armée républicaine, des institutions républicaines, de la laïcité et même une idée, relative, de la magistrature. Je me suis demandé s’ils avaient une idée sur la pénitentiaire.
Après avoir quitté la chancellerie, j’ai tenu un séminaire sans Michel Foucault - car il était malheureusement décédé - avec l’historienne Michèle Perrot, pour éclairer la question de la prison républicaine. Existe-t-il une vision républicaine de la prison ? Et j’ai constaté qu’il existait un discours républicain sur la prison, mais de prison républicaine, il n’en existait pas.
La troisième République a pratiqué une politique législative très intelligente qui, grâce notamment aux dispositions relatives au sursis et à la libération conditionnelle, a permis de réduire le nombre de détenus. On parlait de l’amélioration des prisons elles-mêmes, mais sans passer à l’action. Je citerai tout à l’heure les quatre principes ou les quatre lois qu’il convient de prendre en considération à propos de la prison. L’une d’entre elle est l’hostilité de l’opinion publique. Rien n’est plus intéressant à cet égard que de suivre les travaux de la naissance de la prison de Fresnes, qualifiée de prison quatre étoiles. La première page du Petit Parisien de l’époque, journal tirant à deux millions d’exemplaires, présentait un détenu à Fresnes, cigare aux lèvres, enveloppé dans une robe de chambre somptueuse et auquel il ne manque que le champagne. L’hostilité du conseil municipal était alors si forte que les femmes - Fresnes était un petit bourg où l’on votait à gauche - refusaient d’y accoucher de crainte que ne figurât sur l’acte de naissance de l’enfant la mention " né à Fresnes " et que l’on puisse penser qu’elles avaient accouché en prison. Le conseil municipal de Fresnes, a dans une délibération, demandé au ministre de l’Intérieur de faire en sorte que les détenus qui décéderaient dans la prison de Fresnes ne soient pas enterrés dans le même cimetière que " les honnêtes gens " ! Nous sommes en pleine époque de triomphe de l’esprit républicain. C’est dire que rien n’est simple dans les rapports de la conscience collective et de l’institution carcérale.
Jusqu’en 1914, s’est produit un phénomène qui, hélas ! ne s’est jamais renouvelé : la diminution constante de la population pénale en prison. À défaut d’améliorer les prisons, les républicains ont eu le mérite de ne pas les garnir, et les ont même vidées. À la veille de la première guerre mondiale, en 1912, la population pénale est à son niveau le plus bas. Il y a environ 22 000 détenus dans les prisons métropolitaines. Cela tient aussi au fait que moins de personnes étaient traduites devant les tribunaux correctionnels. C’est une période de récession remarquable de la délinquance. Nous ne sommes pas là pour l’analyser ; pourtant, les causes sociales de cette récession mériteraient une très profonde attention.
Pendant l’entre-deux guerres, on ne prête plus aucune attention aux prisons, sauf pour construire les Baumettes et peut-être un second établissement. On se contente des prisons existantes alors que s’opère une lente remontée de la population carcérale. Surviennent alors, les épreuves terribles de l’occupation, suivie de la Libération. La population carcérale atteint des niveaux jamais connus. Le fait que de grands résistants, des personnes jusque-là étrangères à la prison, se soient trouvées incarcérées, a engendré une prise de conscience dont on voit l’expression dans la grande ordonnance de 1945. On a voulu changer l’ordre des choses. Il ne le fut pas, ni en termes de constructions, ni de crédits, ni de politiques pratiquées. La période qui court de 1962 à 1972 est caractérisée par une obsession de l’évasion qui avait saisi toute l’institution pénitentiaire. Le régime carcéral en France au début des années 70 était, en conséquence, absolument affligeant. Ce n’est pas ici l’ancien avocat qui parle. Il suffit de se référer à ce qu’il est advenu à Clairvaux en 1972 et par la suite. En 1974, une immense révolte a éclaté dans les prisons françaises et, à partir de 1974 jusqu’en 1980, une politique différente fut engagée, fondée sur les rapports successifs de M. Schmelk et de M. Arpaillange, rapports qui ont conduit à des réformes importantes, car l’on se trouvait dans une situation de retard saisissante.
Churchill disait justement que les vieux messieurs ont tendance à confondre leurs souvenirs et leurs discours. Je ne rappellerai donc pas longuement mon expérience personnelle ; elle fut, je n’hésite pas à le dire, douloureuse. Je connaissais bien les prisons, j’avais participé à certains cercles des années 1970 - 1980 qui _uvraient pour la modification des conditions carcérales ; j’en avais longuement parlé avec Michel Foucault. J’ai trouvé, en arrivant à la Chancellerie, une situation terrible. L’alternance avait fait naître en juin 1981, une effervescence formidable dans les prisons. On considérait qu’elle signifiait que des mesures immédiates et très fortes allaient être prises s’agissant des prisons. S’ajoutait à cette attente la chaleur qui obsède littéralement la direction de l’administration pénitentiaire quand l’été arrive, c’est-à-dire la crainte de l’explosion carcérale et la nécessité de prendre des mesures très fortes. Nous avons eu recours à des mesures importantes de grâce pour le 14 juillet 1981 et à une loi d’amnistie, dont le moins que l’on puisse en dire est qu’elle n’a pas servi le crédit politique de ses auteurs dans la population. Et pourtant c’était une nécessité. Je me souviens encore de ma pauvre mère demandant : " Mais pourquoi mets-tu ainsi dehors tous les assassins de France ? " Je lui disais que c’était là une vision sommaire des choses. Ceux qui ont vécu ces années se souviennent encore de cela, le tout se déroulant dans un concert d’attaques que je me garderai aujourd’hui de faire résonner, ne serait-ce que par écho.
Dans ce climat, nous avions atteint, à l’automne 1981, le plus bas niveau de l’étiage pénitentiaire depuis 1936. Le nombre de détenus était inférieur à 30 000, mais cela n’a pas duré. Au cours de cette période, je n’ai pas manqué d’adresser des circulaires de politique générale aux parquets leur demandant de veiller à ne requérir l’incarcération que dans les cas où cela paraissait absolument indispensable. Vous comprendrez mon scepticisme en ce qui concerne le gouvernement de la politique pénale par la voie des circulaires de la chancellerie quand je vous aurais dit qu’à mon départ, le nombre des détenus était revenu au niveau que j’avais trouvé à mon arrivée.
Beaucoup a été fait, dans un climat très difficile. En matière de constructions : quand 300 places avaient été aménagées par an au cours des dix ans précédents, nous avons réussi à porter ce nombre à 500, ce qui était très insuffisant, mais constituait un progrès. Nous avons fait beaucoup pour les personnels pénitentiaires. J’y reviendrai dans un instant, car cela fait partie des lois qui pèsent sur l’institution pénitentiaire. Et nous avons fait beaucoup pour les détenus malgré l’opinion publique. Chacune des mesures prises avait fait l’objet d’une orchestration incroyable dans la presse d’opposition de l’époque, beaucoup plus dure que ne l’est le climat politique actuel, qu’il s’agisse d’une mesure que l’humanité même commandait au premier chef - la suppression des quartiers de haute sécurité - qui ne faisaient qu’engendrer des tensions inouïes à l’intérieur des prisons ou qu’il s’agisse de l’institution des parloirs libres, non séparés, pour remplacer l’horrible système dans lequel, de part et d’autre d’un hygiaphone, une mère parlait à son fils, ou une amie à son ami. Un gardien passant entre les deux, dans le couloir, les visiteurs hurlaient les uns à côté des autres sans arriver à s’entendre. Le remplacer par une table, simplement pour pouvoir s’embrasser, se toucher les mains : ce sont des choses essentielles. Vous n’imaginez pas la lutte qu’il a fallu engager pour réussir à instaurer ce nouveau dispositif, comme d’ailleurs pour parvenir à supprimer le costume pénitentiaire qui était en soi une honte, ou pour instaurer la possibilité de téléphoner aux siens depuis la prison et, la possibilité de fumer au mitard, mesure que je ne recommanderai pas aujourd’hui ! Il en allait de même pour l’installation de la télévision qui symbolisait le quatre étoiles. J’ai retrouvé le texte d’un académicien - je tairai son nom, mais ce n’était ni M. Peyrefitte ni M. d’Ormesson - qui, à l’annonce de l’entrée de la télévision dans les prisons, avait annoncé qu’il ne manquait plus que la possibilité de se commander le caviar chez Petrossian ! Quand on connaît la réalité carcérale et ce que l’on y mange, on reste pensif, mais cela faisait partie du mythe. Enfin un très grand effort a été fourni concernant le problème du cloisonnement des prisons ; même si cela peut paraître paradoxal, il faut ouvrir les prisons. Voilà ce qui a été fait et qui demeure à mes yeux encore très insuffisant. Je ne vois pas ici certains de mes amis de l’époque, Raymond Forni, Jean-Pierre Michel, Gilbert Bonnemaison, qui a fait beaucoup, tous les vétérans de ces combats aujourd’hui lointains. Je tiens encore à les remercier. Pour le reste - je fais notre autocritique - le gouvernement et les majorités de l’époque n’ont pas suivi en ce qui concerne les moyens économiques. Le montant des crédits que j’avais obtenus représentait 25 % d’augmentation sur cinq ans, soit 5 % en moyenne annuelle. Ce n’était évidemment pas suffisant pour transformer structurellement les prisons françaises, même si tel était le v_u ardent du garde des sceaux que j’étais. Je n’ai pas su me faire entendre, je le regrette encore aujourd’hui.
Une fois cette période ministérielle achevée, j’ai voulu comprendre ce qui se passait dans cette institution. Nous savons tous, depuis près de deux siècles que, telle qu’elle est, la prison est le séminaire du crime et l’école de la récidive. Cela figure déjà dans les premiers rapports de 1825. On ressasse que nos prisons sont l’école du crime et. en même temps, qu’elles doivent être le lieu de l’amendement et de la réinsertion. Alors que tant d’hommes d’État, tant de gouvernements, tant de gardes des sceaux, se sont succédés et alors qu’aucun d’entre eux ne voulait susciter en France un système portant atteinte à la dignité des êtres humains, pourquoi ce phénomène s’est poursuivi tant de temps et continue de se poursuivre ? La question appelle une réflexion fondamentale. Je devais m’y attacher avec Michel Foucault, je l’ai fait avec Michèle Perrot. Nous avons tenu séminaire pendant cinq ans, en regroupant des directeurs de prison, des aumôniers, des médecins. Nous avons finalement cru comprendre de quoi il s’agissait. Comme vous pouvez le constater, j’en tirais un gros ouvrage : La prison républicaine 1871-1914, livre d’histoire sur l’étude du phénomène pénitentiaire de cette époque et fruit de travaux très importants de ce séminaire. Mon éditeur m’a mis en garde : " Croyez-vous que " la prison républicaine " sur la couverture, cela va marcher ? Personnellement, je recommanderai un autre titre. " J’ai refusé, il ne s’est pas trompé : ce fut un échec total ! On peut encore se procurer ce livre partout. C’est assurément l’échec majeur de ma carrière littéraire. Pourtant s’il est pessimiste, il n’est pas ennuyeux.
J’en arrive à ce qui domine, à mon sens, le problème. Une loi d’airain pèse sur la prison. Je l’ai appelée " loi d’airain ", car je ne l’ai jamais vue démentie : vous ne pouvez pas, dans une société démocratique déterminée - je ne parle pas des prisons totalitaires, car l’idée même de respect de la dignité humaine n’existe pas - porter le niveau de la prison au-dessus du niveau de vie du travailleur le moins bien payé de cette société. Le corps social ne supporte pas que les détenus vivent mieux que la catégorie sociale la plus défavorisée de la société. En effectuant des voyages pénitentiaires, on constate que les pays où l’on trouve des prisons décentes sont des pays du nord de l’Europe, avec une très forte conscience sociale et un niveau d’égalité sociale très poussé, où les garanties données aux catégories sociales les moins favorisées de la société sont très élevées. Ce n’est pas sans raison si les meilleures prisons d’Europe se situent en Suède, en Hollande ou en Norvège : la loi d’airain fixe le niveau très au-dessus du nôtre.
Les Etats-Unis, le pays le plus riche du monde, connaissent aujourd’hui la population carcérale la plus élevée des sociétés démocratiques. Deux millions de personnes sont détenues aux États-Unis pour une population de 250 millions d’habitants. Pour un taux d’incarcération identique, nous compterions aujourd’hui en France plus de 400 000 détenus. Nous en comptabilisons 55 000 et nous considérons, à juste titre, que ce nombre est trop élevé. Aux États-Unis, les détenus sont en majorité âgés de vingt à quarante-cinq ans. Imaginez ce que cela signifierait au regard de la population française ! Les États-Unis ont des prisons très diverses, mais les pires - et elles sont terribles - se situent dans les Etats où l’inégalité sociale est la plus éclatante et où l’on rencontre le plus de noirs en prison, car la condition commune des noirs dans ces Etats est extrêmement basse. Cette loi d’airain est une des raisons profondes pour lesquelles j’ai toujours été convaincu que c’était en améliorant la condition des plus défavorisés à l’intérieur de notre société que l’on pouvait améliorer au mieux les prisons. Il convient de conserver cette donnée en mémoire.
Deuxième loi : il n’est pas possible de faire progresser la condition carcérale si on ne fait pas progresser simultanément la condition des personnels et celle des détenus. Les personnels vivent durement leur condition et c’est un travail dont la société ne reconnaît pas les mérites. C’est là une donnée clef. Lorsque l’on veut faire progresser la condition des prisons, il faut simultanément améliorer la condition des uns et des autres. Pas une des mesures - que j’ai prises après force concertation et moult difficultés et une résistance considérable - ne le fut sans que, conjointement, ne soient améliorées la condition des personnels et celle des détenus. Il s’agit d’une réalité profonde. Le sort du personnel de surveillance est indissociable de celui des détenus et on ne peut, dans le cadre d’une commission d’enquête, écarter cette exigence. Leur formation au reste s’est considérablement améliorée. L’école nationale de l’administration pénitentiaire est une bonne école, encadrée par un corps enseignant remarquable. C’est un vrai progrès qui appelle, compte tenu de la promotion personnelle des personnels pénitentiaires, une reconnaissance et une considération plus grandes encore sous toutes ses formes.
Troisièmement, dans la société française - et en général dans toutes les sociétés marquées par une empreinte profonde du catholicisme - prévaut l’idée que la prison est un lieu fait pour souffrir. Durkheim a écrit des pages admirables sur la peine il y a un siècle ; depuis, rien n’a été fait de mieux sur la peine que l’analyse de Durkheim. Le crime, le délit grave, le délit tout court engendrent une réaction sociale, laquelle pour s’apaiser appelle une sorte de compensation sous la forme d’une souffrance de celui que l’on identifie comme l’auteur du trouble apporté à la collectivité. Une liaison s’est opérée entre prison et souffrance, car la prison est une peine et que la peine signifie douleur. Quand j’entends de grandes autorités déclarer que la prison n’est que la privation de liberté, je souris toujours intérieurement : d’une façon non dite mais ressentie, il en va différemment. La prison est un lieu de peine, ce n’est pas qu’un lieu de privation de liberté. Je rappelle ces réactions qui surgissent lors de grands progrès carcéraux : " Il n’y en a que pour eux. ", le quatre étoiles, la télévision et le reste ! La pédagogie a un rôle important mais elle est difficile à faire entendre. Il y a des périodes favorables et des périodes défavorables : périodes favorables quand survient, comme maintenant, une prise de conscience de la réalité des prisons. Ces périodes cessent par le jeu des circonstances ; que survienne une prise d’otage, qu’un gardien soit, hélas victime d’un grave attentat dans une prison et aussitôt le climat change. Il existe donc des moments pendant lesquels on peut agir. Je pense que nous sommes à l’un de ces moments, mais qu’il est à la merci d’un incident qui peut survenir à tout instant, car la prison est un monde de violence, d’épreuve de forces ; tout peut y advenir à tout moment ; c’est d’ailleurs ce qui fait la difficulté de la gestion des prisons par les services de l’administration pénitentiaire.
Il reste une dernière question que je souhaite aborder. Peut-être les sensibilités ont-elles évolué comme elles ont évolué dans bien des domaines comme par exemple, la vision qu’a l’opinion des homosexuels. Peut-être parviendrons-nous à une évolution similaire s’agissant des détenus. Indépendamment de cette fenêtre dans l’opinion, un consensus politique est nécessaire à la réforme. Dès lors que la prison est objet de passions politiques, comme je l’ai vécu, le progrès devient plus difficile encore, car c’est un thème facile à exploiter démagogiquement en allant dans le sens de ce que pense une partie de l’opinion publique " Regardez le ministre des détenus, le ministre des assassins ! " L’accusation de laxisme est une arme politique, il faut s’en défier absolument. À cet égard, nous traversons une période plus pacifique, et où la prise de conscience est faite. Je pense que ce phénomène est lié aux alternances successives, qui ont montré que le problème était récurrent de garde des sceaux en garde des sceaux, de gouvernement en gouvernement. Le problème est un problème structurel de la société française et doit être traité comme tel.
Pourquoi le groupe socialiste du Sénat et celui qui vous parle ont-ils réagi à un livre qui, s’il présente un intérêt, n’est pas un chef d’_uvre de la littérature pénitentiaire ? Le Comité pour la prévention contre la torture du Conseil de l’Europe est un organe de surveillance des établissements pénitentiaires en Europe. Cette instance internationale reconnue, née d’un traité, comprend des observateurs de plusieurs nations, choisis parmi des femmes et des hommes connus pour leurs qualités et leur objectivité qui vont inspecter les prisons. C’est un organe d’une importance extrême, surtout par son action concernant certains pays de l’Est européen aujourd’hui membres du Conseil de l’Europe et qui ne sont pas au niveau que l’on peut espérer. Rien n’est pire à l’heure actuelle que les prisons russes et ce que j’ai entendu dire à Strasbourg par des observateurs sur les prisons russes pour mineurs me pousse à déclarer que Dostoïevski est un post-moderne !
Cet organisme a effectué des visites en France en 1991. Ses rapports sont publiés par le Conseil de l’Europe avec l’accord des gouvernements. Je suis de près les travaux de ce comité présidé par M. Zakine. Le rapport de 1991 qui fait état de problèmes dans les maisons d’arrêt et lieux de rétention a été suivi d’un rapport en 1996.
Le rapport de 1996 fait état de l’excellent accueil que les représentants du Conseil de l’Europe ont reçu. Il a été publié en 1998. Cela correspond donc à deux gouvernements successifs. Ce rapport s’agissant des maisons d’arrêt, notamment de La Santé et des Baumettes, témoigne, pour notre pays, de quelque chose d’indigne. Je ne croyais pas que cela puisse encore exister. Figurent aujourd’hui dans nos textes des prescriptions très précises concernant les obligations de visite des établissements, notamment celles de la magistrature. J’avais fait ajouter, en 1983, l’obligation de dresser un rapport de ces visites pour le parquet. La visite est une chose, le rapport permet une prise de conscience. Juges d’instruction, présidents de chambre d’accusation, juges des mineurs, juges de l’application des peines et, je le rappelle, procureurs de la République, ont tous obligation de se rendre en prison selon une périodicité minimale fixée par les textes. Il est explicitement indiqué que les procureurs généraux et les premiers présidents devaient faire rapport au ministre de la Justice de l’état des établissements pénitentiaires de leur ressort. Cela signifie que de tels clignotants ne fonctionnent pas, au regard du constat dressé dans les rapports du CPT. Une commission d’enquête a été créée dans le cadre de l’Assemblée et une autre siège au Sénat. Cette dernière travaille essentiellement sur les conditions dans les maisons d’arrêt parce que c’est là que la sonnette d’alarme a été tirée. Par ailleurs, c’est le lieu caractérisé de la surpopulation pénale. Enfin, il est impossible de penser à un amendement des détenus dans les maisons d’arrêt. Je rappelle qu’elles sont conçues pour contenir des présumés innocents et que si l’on y travaille, on ne peut certainement pas y recevoir une formation professionnelle. En outre, ne devraient s’y trouver que des personnes condamnées à de courtes peines dans le cadre de comparutions immédiates. Si l’on est cinq mois ou six mois en prison, il est inutile d’essayer de procéder à une réinsertion professionnelle car le temps fait défaut.
Ce sont donc des lieux où il faut éviter la promiscuité, la récidive, l’école du crime et la violation de la dignité humaine, indépendamment des considérations de santé. Tel est le problème des maisons d’arrêt et il est prioritaire. Les commissions d’enquête ne disposent que de six mois. Lorsque nous avons créé la commission au Sénat, j’ai indiqué qu’il fallait concentrer nos efforts, car la constitution d’une grande commission à l’Assemblée étudiant le problème général de l’incarcération, nous permet de nous enquérir exactement de ce qui se passe d’abord au niveau des maisons d’arrêt. Le problème d’ailleurs se pose différemment pour les centres de détention et encore différemment s’agissant des conditions d’incarcération dans les maisons centrales. Ce sont des problèmes qui, dans la technique pénitentiaire, ne se posent pas de la même manière, les questions de durée jouant énormément.
Il est certain qu’en l’absence de regards extérieurs et de la venue de personnages étrangers dans la prison, cet espace clos devient un bouillon de culture. C’est pourquoi il est prévu par les textes la venue des magistrats dans les prisons et le fait qu’ils rédigent des rapports. La présence de visiteurs, d’éducateurs dans les prisons des mineurs et d’éducateurs en général - le regard extérieur - est essentiel. Il faut que ceux qui sont dehors entrent dans la prison et que ceux qui sont dedans ne soient pas coupés du dehors. La représentation profonde de la prison comme monde clos, à l’écart dans lequel on ne pénètre pas, est fatale. J’ajoute que l’on y gagne en termes de réinsertion et qu’à défaut de réinsertion, au moins il n’y a pas déresponsabilisation et perte de contact avec l’extérieur. C’est pourquoi une disposition aussi simple que l’entrée de la télévision était si importante.
Je puis dire à cet instant - cela fait cinquante ans que j’observe cette institution et, cinquante ans que je vois des hommes et des femmes de qualité s’en préoccuper - que l’institution carcérale est sensiblement mieux aujourd’hui qu’elle n’était le jour où je me suis rendu à Fresnes pour la première fois. Elle n’est pas, pour autant, ce qu’elle devrait être - la prison républicaine -. Il n’y a jamais eu dans notre histoire de véritables crédits mobilisés pour la transformation des prisons. Jamais ! Et je ne peux croire que ce soit l’effet d’un hasard.
M. le Président : Je vous remercie. Je crois me faire l’interprète de chacun d’entre nous en vous disant que votre intervention constitue un apport considérable pour notre commission et au-delà du talent que chacun vous connaît, qui fait honneur à l’institution parlementaire.
M. le Rapporteur : En 1981, nous étions quelques-uns, dont certains autour de cette table aujourd’hui, à avoir eu l’honneur de voter l’abolition de la peine de mort, grand moment de l’histoire de la justice en France. Quelques temps après, en qualité de garde des sceaux, vous nous avez demandé de travailler sur un nouveau code pénal, afin d’établir une nouvelle échelle des peines. Aujourd’hui, on semble reprocher au législateur d’avoir rempli les prisons par l’allongement de la peine de prison ou son utilisation abusive pour des méfaits qui auraient pu être punis d’une manière. Est-ce votre sentiment ?
M. Robert BADINTER : Cela ne peut l’être pour les raisons que je viens d’évoquer : alors qu’en décembre 1981, nous nous situions à un étiage d’environ 29 000 détenus, en 1986 il était passé à 41 000. À l’époque, le nouveau code pénal n’était pas encore voté. J’ai présidé le comité qui l’a élaboré ; le projet fut déposé en janvier 1986 ; il a été élaboré au cours de la législature entre 1990 et 1992 pour entrer en vigueur en 1993. Il serait donc singulier d’attribuer au code pénal les phénomènes d’inflation dans les prisons auxquels nous avons assisté sans discontinuer.
Je me souviens d’avoir travaillé dans un moment de consensus exceptionnel avec MM. Séguin, Toubon et Bonnemaison sur le travail d’intérêt général. Cette mesure nécessaire, qui fut votée dans l’enthousiasme par la majorité de l’époque, figure dans le code pénal depuis 1983. Le travail d’intérêt général qui est un instrument très précieux n’a progressé que très doucement.
La question de la définition des peines et du rapport à la prison me laisse sceptique. Il est certain que les jurés n’ont cessé de prononcer des peines toujours plus fortes. J’appelle l’attention de votre commission sur les peines perpétuelles et les peines de trente ans. La courbe de ces peines maximales prononcées par jurés populaires pour des crimes terribles n’a cessé de croître. C’est un problème très important qui va avoir des conséquences dans un avenir relativement proche parce que, parallèlement, il n’y a plus de libérations conditionnelles. Votre commission doit étudier de près l’évolution de la pratique des libérations conditionnelles pour les peines de plus de trente ans et le taux actuel de commutations de peines à perpétuité. Il est quasiment nul et cela depuis des années. Il faut prendre garde aux terribles maisons centrales qui sont souvent dans une condition de tension extrême car s’y trouvent des hommes qui, pour certains, peuvent se révéler très dangereux. Il faut multiplier les précautions, mais aussi " rouvrir le robinet ", ce qui appelle de la part d’une commission parlementaire une étude précise sur les raisons de cette évolution depuis des années.
Que ce soit du côté des tribunaux correctionnels ou des cours d’assises, la durée des peines prononcées n’a cessé de s’allonger. Cela ne signifie pas que le plafond est toujours atteint, mais qu’une tension sociale appelle à la répression, caractéristique d’époques de crise économique.
J’évoquais le fait que le nombre le plus bas de détenus se situait immédiatement après la guerre de 1914. Entre 1904 et 1912, la France se porte extrêmement bien et les mécanismes d’insertion sociale et d’intégration fonctionnent que ce soit les associations sportives, les syndicats, les associations d’aide aux étrangers ou les mouvements religieux. La famille est une institution encore très forte et je n’ai pas besoin de préciser ce qu’est l’armée républicaine ! C’est un élément insuffisamment pris en compte, mais qui joue en termes de prévention. Ce n’est pas dans les textes que vous trouverez la raison de l’inflation carcérale, mais dans la pratique.
M. Louis MERMAZ : Monsieur le président, 52 000 personnes sont incarcérées, soit l’équivalent de la ville de Nevers et de sa banlieue. 14 000 sont en attente de jugement. Pensez-vous que l’application en France du numerus clausus pourrait permettre une moindre incarcération ? Évidemment, celui-ci ne jouerait pas envers les personnes dangereuses.
Comment expliquez-vous que la mise en place du bracelet électronique n’aboutisse pas ?
Vous avez supprimé les quartiers de haute sécurité, mais les actuels quartiers disciplinaires ne ressemblent-ils pas à ce qu’étaient les quartiers de haute sécurité ?
M. Robert BADINTER : J’ai soutenu le bracelet électronique lorsque la question a été évoquée au Sénat. Tout ce qui peut éviter la détention est bon à expérimenter et à utiliser. Je souhaite donc qu’il entre en application le plus vite possible. J’ignore les raisons pour lesquelles il n’en est pas déjà ainsi.
Je ne vois pas comment on pourrait établir un numerus clausus. Plus personne ne serait incarcéré à La Santé parce que l’établissement est plus que plein. Mais si trente malfaiteurs dangereux sont arrêtés, qu’en faites-vous ? Comment déterminer les priorités ? Vous opérerez des transferts, mais cela est différent de la mise en place d’un numerus clausus : c’est l’ouverture d’une prison en en garnissant une autre. Si le numerus clausus signifie libérer un certain nombre de détenus, parce que l’on a besoin d’autant de places, il ne me paraît pas régler la question pénitentiaire.
M. Louis MERMAZ : On ne libère pas n’importe qui, en tout cas pas quelqu’un de dangereux.
M. Robert BADINTER : Le problème clef se situe au niveau des maisons d’arrêt. Il n’appartient pas à l’autorité administrative de libérer quelqu’un placé sous mandat. Par conséquent, pour cette population présumée innocente, une décision de justice doit intervenir. Par quels moyens juridiques allez-vous contraindre des magistrats instructeurs ou ceux qui ont condamné en comparution immédiate à procéder à une libération ?
M. le Président : C’est un système qui existe dans des pays voisins, mais il suppose deux conditions. La première est que le nombre de places disponibles soit plus élevé que le nombre des condamnés réels et potentiels afin de disposer d’une marge. La seconde, liée à la première, suppose que l’on incarcère moins, que les condamnations soient moins longues, et les pratiques de libérations conditionnelles beaucoup plus fortes. Si ces conditions sont remplies, l’idée du numerus clausus, qui implique en particulier que les juges s’intéressent davantage à ce qui se passe dans la prison, devient moins irréaliste.
M. Robert BADINTER : Monsieur le président, la seconde partie de votre propos répondait à la première. Si nous engageons une véritable politique de libérations conditionnelles, que nous réduisons les placements en détention et construisons plus de prisons, le numerus clausus devient inutile. Je ne vois pas comment on pourrait appliquer un numerus clausus dans les conditions carcérales actuelles. Je réponds cela avec regret, mais je ne vois pas.
M. le Président : L’on adjoint en général, à la règle du numerus clausus l’obligation de ne mettre qu’une personne par cellule. On pourrait envisager, pour le futur, - c’est certainement ce qu’avait à l’esprit le président Mermaz - un système fondé sur le principe de cellules individuelles, un suivi individuel de la peine, une réduction générale de celle-ci et pour boucler le système et pour s’assurer qu’il fonctionne, le principe du numerus clausus. Ce sont autant de v_ux qui actuellement sont des v_ux pieux.
M. Robert BADINTER : Si vous réunissez les trois premières conditions, vous n’aurez pas besoin de la quatrième et la quatrième sans les premières est impossible.
M. Louis MERMAZ : Lors de l’examen du projet de loi sur la présomption d’innocence, nous avons posé l’obligation, d’ici à trois ans, de la mise en cellule individuelle des personnes en détention provisoire. Les lois doivent obliger les constructions à suivre. Sinon, on n’avancera pas.
M. Robert BADINTER : Nous sommes au c_ur du problème. J’en reviens à la maison d’arrêt, car, encore une fois, on ne doit pas traiter le problème des peines qui durent des décennies de la même façon que celui de la surpopulation des maisons d’arrêt.
La situation est insupportable dans les maisons d’arrêt pour de multiples raisons. Dire que la loi doit poser à nouveau le principe - puisque cela avait déjà été fait -, que l’on ne saurait, étant présumé innocent, être traité autrement que placé seul dans une cellule, doit rester une possibilité sans devenir une obligation, sauf à en revenir à la prison victorienne. Ce doit être le v_u de la personne incarcérée, car les êtres humains ne sont pas tous faits pour être seuls. On n’a pas toujours une personnalité telle que l’on goûte la solitude et les livres. Il y a ceux qui préfèrent la compagnie, ce qui se conçoit. Mais il faut, une fois cela posé, prévoir un plan pluriannuel en ce qui concerne au moins les maisons d’arrêt et passer à l’acte ! Le vote est une chose. Sa mise en _uvre en est une autre. Il faut le prévoir, le voter et refuser qu’il soit, pour des raisons contingentes mais qui surviennent, toujours différé.
Je ne suis pas certain qu’il soit possible d’atteindre cet objectif dans le délai de trois ans. Il vaut mieux fixer une date plus éloignée, mais offrant un terme certain. Affirmer pour les présumés innocents la possibilité, dans les maisons d’arrêts, d’être seul s’ils le désirent, en tout cas pas plus de deux par cellule, serait une mesure, si elle était effective - et pas seulement votée - opérant une transformation considérable. Il faut savoir que cela implique des moyens. Je remarque que nous avons entendu de multiples suggestions sur l’utilisation de la " cagnotte " ; pas une seule fois il ne fut avancé de consacrer cinq milliards de francs à la transformation des prisons.
M. François LONCLE : Une mesure qui a été annoncée il y a huit jours.
M. Robert PANDRAUD : Deux constructions supplémentaires !
M. Robert BADINTER : Il convient d’être précis. Au regard des besoins de la région parisienne et du nombre des détenus, il faut très vite quelque chose - c’est une question de moyens et de volonté politique - pour agir au niveau des maisons d’arrêt, le problème le plus brûlant à l’heure actuelle.
Votre propos relatif aux quartiers disciplinaires, M. Mermaz est celui que répètent volontiers ceux qui n’ont pas connu les QHS. J’ignore ce que sont les quartiers disciplinaires aujourd’hui. Je sais combien nous les avions réglementés pour éviter qu’ils redeviennent des QHS. C’est là une application concrète. Les quartiers disciplinaires ne sont pas les QHS, ne serait-ce qu’en ce qui concerne les conditions d’isolement et de traitement. On ne peut faire l’économie, en prison, d’un lieu disciplinaire. Il ne faut pas avoir des prisons une vision angélique : c’est un lieu de tension, de violence et d’affrontement où la loi du plus fort, parce qu’il s’agit d’un lieu cloisonné avec des jeunes hommes, est menaçante à tous moments. Il faut donc qu’il y existe un système disciplinaire.
M. Robert PANDRAUD : Monsieur le président, je veux tout d’abord vous remercier et vous féliciter de cette intervention qui est la plus profonde et la plus équilibrée que nous ayons entendue jusqu’à maintenant.
La détention des jeunes est de plus en plus importante et cette délinquance est celle qui entraîne le plus de récidive. Il y a des allers et retours entre les banlieues et les établissements pénitentiaires. Ce phénomène est lié à des raisons sociales, familiales et autres, mais aussi à la disparition de l’armée républicaine. Je ne suis pas sûr qu’avant 1914 l’armée, voire les régiments les plus disciplinaires comme les bataillons d’Afrique ou la colonisation, n’était pas un substitut à des phénomènes de violence qui ont toujours plus ou moins cours dans certains secteurs. Ne pourrait-il y avoir une organisation de santé civile, hiérarchisée, militarisée, dont la mission serait plus utile aux jeunes que d’être enfermés entre quatre murs. Il y a toujours des forêts à débroussailler dans le Sud-Est. Ce serait une formation plus utile que de les enfermer dans nos établissements, quels qu’ils soient.
J’ai vérifié dans les barodets successifs : je dois être le seul parlementaire à avoir indiqué au cours de ma première campagne électorale que la première partie de mon programme porterait sur la construction d’un établissement pénitentiaire. Tous mes amis m’ont dit que c’était complètement absurde et que j’allais ainsi perdre des voix. Je crois que cela m’en a plutôt fait gagner et, deux ans après, j’ai eu le plaisir d’inaugurer la prison. C’est d’ailleurs le seul projet satisfait d’une carrière parlementaire déjà bien longue. Je crois donc qu’une campagne d’information est nécessaire.
Je terminerai par un problème de méthodologie. Monsieur le président, sur des sujets aussi importants et complexes, mettant en cause des principes fondamentaux, ne croyez-vous pas que l’obligation réglementaire que nous avons de siéger six mois, donc d’aboutir dans un délai extrêmement rapide, pourrait être levée ? La commission d’enquête sous la troisième République avait travaillé pendant quatre ans. Ne pourrait-on siéger pendant une législature, ce qui permettrait de réaliser un travail plus sérieux que celui fourni en six mois ? Ce que je dis là, je l’ai formulé au sujet de la commission d’enquête sur la Corse et pour beaucoup d’autres.
M. le Président : Dans le cas précis, je ne suis pas certain d’aller dans le sens de votre suggestion. En tant que Président de l’Assemblée, je pourrais vous répondre que le règlement nous l’interdit et cela suffirait. Mais, au-delà, il faut identifier les principaux problèmes de la prison aujourd’hui. A travers les auditions auxquelles nous procédons et les visites sur place, nous voyons déjà, et nous verrons encore plus d’ici deux mois, les principaux problèmes et les voies de solution.
La question centrale est celle fort bien identifiée par Robert Badinter de la volonté politique d’agir dans un contexte donné, car je retiens les lois qu’il a énoncées. Nous disposons d’une certaine fenêtre, car nous réunissons à la fois de la croissance et, me semble-t-il, un assez large consensus politique sur un grand nombre de points. Si nous sommes capables d’identifier les principaux problèmes, de dégager les pistes de solution, d’y procéder d’une façon assez rassemblée et de profiter du fait que l’opinion publique est plus réceptive qu’à d’autres moments, c’est la période où il faut agir. Nous allons entrer dans des périodes électorales - les élections municipales l’année prochaine, les élections législatives ensuite - je ne suis pas certain que cette question échapperait à la dramatisation et aux oppositions habituelles. Il faut aller au fond du sujet, mais je considère qu’une telle fenêtre ne s’est pas présentée depuis longtemps. Ce n’est pas un hasard si l’Assemblée a créé unanimement notre commission d’enquête et si le Sénat a fait de même. Depuis sa création, alors que j’ai un abondant courrier, je n’ai pas reçu une lettre dont le contenu aurait été : " Mais de quoi donc vous vous occupez ? Il y a d’autres problèmes dans le pays ".
M. Robert BADINTER : Je ne dirai rien du problème parlementaire soulevé. Il est vrai qu’une durée de six mois est courte pour mener une enquête sur les conditions matérielles dans les prisons françaises.
Vous avez tout à fait raison, Monsieur le président, d’indiquer qu’il existe une fenêtre. Son ouverture n’est pas exempte d’aléas, profitons-en.
Sur le problème très difficile de l’incarcération des mineurs, vous aurez certainement l’occasion d’entendre le directeur de la protection judiciaire de la jeunesse et peut-être de vous rendre dans des établissements pour mineurs. C’est aussi une question à laquelle on réfléchit depuis très longtemps. Un constat n’a jamais été démenti : réunir des mineurs délinquants dans un même lieu fermé engendre inévitablement des phénomènes de récidive et d’aggravation. Il convient d’y faire très attention. Mettray est resté dans l’histoire pénitentiaire comme le modèle de ce qu’il ne faut pas faire, à savoir rassembler des jeunes délinquants et les soumettre à un ordre hiérarchisé dur, ce qui entraîne toujours des phénomènes de récidive et d’aggravation considérables.
Au sein de la population carcérale, le problème des détenus toxicomanes doit être pris en compte. C’est l’une des données très complexes de notre temps. Dans les maisons d’arrêt qui comptent beaucoup de toxicomanes, la question se trouvera inévitablement posée : que faire des toxicomanes, notamment des jeunes toxicomanes ? Arriver sur ce point à faire preuve à la fois de lucidité et de volonté politique, ce serait un pas en avant considérable.
Il est un autre élément à prendre en compte et non des moindres, il s’agit du niveau d’illettrisme des jeunes dans les prisons françaises qui est insupportable.
Il convient également de prendre en compte la présence très forte d’étrangers dans les maisons d’arrêt, qui est souvent la conséquence d’un dévoiement de l’utilisation de l’institution pénitentiaire qui devient une sorte de centre de rétention généralisé. Je me souviens d’avoir constaté avec stupéfaction - et j’y ai mis de l’ordre - que des préfets rencontrant des difficultés pour procéder à des reconduites à la frontière demandaient à des procureurs de prendre des réquisitions fermes pour faire garder sur le territoire des étrangers deux mois de plus, ce qui ajoutait à l’encombrement des maisons d’arrêt. La question des centres de rétention et des conditions de vie dans ces centres, dénoncées dans les rapports internationaux, en liaison avec la politique pénitentiaire, ne peut être éludée. On a un peu trop transformé des politiques administratives en politiques répressives avec les conséquences qui en découlent pour les maisons d’arrêt. Il convient d’étudier cette question de très près.
La santé des détenus est un problème constant qui a fait des progrès considérables. Nous sommes arrivés - cela recoupe une des lois que j’évoquais précédemment - avec des difficultés inouïes à mettre fin à ce que l’on a appelé " la médecine pénitentiaire ", qui était une médecine de sous-hommes. Nous fûmes confrontés à des réactions corporatistes intenses. En 1983, nous avons rattaché les établissements pénitentiaires à l’inspection de l’administration de l’assistance publique. Le regard de cette inspection fut enfin posé sur la médecine carcérale et, de ce jour, tout fut rendu possible, avec des progrès successifs qui n’ont jamais cessé, car l’on a compris qu’il ne pouvait exister une médecine pratiquée pour tous et une médecine carcérale et un traitement carcéral des maladies. Il existe des maladies pénitentiaires, mais c’est autre chose. Devant la maladie, tout être humain doit être également traité. La rupture qu’a connu la médecine pénitentiaire illustre mon propos précédent : des regards extérieurs sur la prison s’imposent.
Mme Christine BOUTIN : Monsieur le président, je voulais très simplement vous remercier pour votre intervention et pour la façon dont vous nous avez présenté votre expérience et votre culture en ce domaine.
M. le Rapporteur a fait allusion à une décision très importante que vous avez fait voter en 1981 : l’abolition de la peine de mort. Je profite de l’occasion qui m’est donnée aujourd’hui pour dire combien je regrette de ne pas avoir été alors parlementaire, car j’aurais voté pour l’abolition de la peine de mort.
Les quatre lois que vous avez énoncées guideront grandement nos travaux tant elles sont fortes et capitales pour changer le regard de la société sur la prison.
J’ai été particulièrement sensible à votre troisième loi, qui a établi le lien qui existait entre la perception qu’a l’opinion de la prison, associée à la peine donc à la souffrance, et la culture chrétienne doloriste. Je pense que vous avez tout à fait raison mais, vous avez conclu votre intervention sur un ton quelque peu pessimiste quant à l’avenir. Je dirai que la culture et la religion elles-mêmes évoluent. Les chrétiens n’ont plus une vision doloriste des choses ; la rédemption ne passe plus par la douleur. Au-delà de l’aspect religieux, une fenêtre s’ouvre aussi sur le plan culturel, qui a toute son importance.
Nous constatons l’allongement des peines prononcées pour un nombre croissant de détenus. Ne croyez-vous pas que cela traduit tout simplement une inquiétude de nos concitoyens confrontés à une société en pleine mutation - qui perd un peu ses repères, et qui, de manière facile, mais tout à fait injuste, demande d’emprisonner ceux qui la dérangent ? Peut-être est-ce une chose naturelle, mais comment pourrait-on rassurer, car une société en évolution n’est pas, en soi, un phénomène inquiétant ?
M. Robert BADINTER : Je souscris tout à fait à vos propos sur l’évolution des sensibilités dans les milieux catholiques. Il faut reconnaître que bien souvent, dans le domaine de l’action dans les prisons, les plus engagés sont ceux qui appartiennent à l’église catholique.
En ce qui concerne la sensibilité collective, je serai très net. C’est la raison pour laquelle je n’ai pas fait preuve d’optimisme. On a parlé de fenêtre. Il existe aujourd’hui une fenêtre qui est liée à la diminution du chômage et à l’amélioration de la situation économique. Il y a deux ans de cela, je ne crois pas que nous eussions été dans cette situation, car on aurait argué du besoin d’argent pour des choses plus importantes et, en effet, il existe toujours des choses très importantes. M. Fabius a raison de dire qu’il faut aller vite. Si, demain, la conjoncture économique se renverse, on opposera des priorités, tels les chômeurs de longue durée, et on dira que pour les prisons, on verra ensuite. C’est d’ailleurs ce qui m’a été opposé entre 1982 et 1986, période très difficile économiquement. La recherche d’un bouc émissaire est aussi liée à la conjoncture économique. Dans les conjonctures favorables, l’appel à la répression, cette sorte de libération de la tension sociale, ne s’exerce pas de la même façon. Profitons-en.
M. Jacky DARNE : Monsieur le président, j’ai été frappé par votre propos : il y a un discours républicain sur la prison, mais pas de prisons républicaines. Est-ce à dire que, depuis un siècle et demi, on n’a pas su - les législateurs successifs comme la société dans son ensemble - arbitrer efficacement sur un plan budgétaire pour se donner les moyens de mettre en application le discours ? Votre propos implique-t-il seulement cette interrogation sur les moyens sur lesquels vous êtes revenu à plusieurs reprises, en en faisant même un point central de votre diagnostic historique. Ou peut-on aller plus loin et s’interroger sur le fond : peut-il y avoir une prison républicaine ? Quelle est-elle ? Quelle place la prison doit-elle tenir dans la société et a-t-elle un sens ? Qui doit y aller ? Ne pas y aller ?
M. Robert BADINTER : Je ne sais si à l’heure qu’il est, je puis me lancer dans une analyse de votre question qui est essentielle, mais je me ferai une joie de vous rencontrer pour longuement vous expliquer mon sentiment.
Après la parution de " Surveiller et punir ", j’avais fait remarquer à Michel Foucault que s’il avait très bien traité du discours - il avait analysé tous les propos, les écrits de la période des Lumières et du dix-neuvième siècle - il ne s’était pas attaché au réel. Le réel demeure immuable à travers les périodes successives. Il est une contradiction entre le discours tenu par les Républicains - la prison n’est pas seulement faite pour punir, mais surtout pour amender - et une réalité qui n’est faite que pour punir et, pour ainsi dire, jamais pour amender. Lorsque cela perdure un temps aussi long, il faut en rechercher les causes. Je n’ai évoqué que quelques lois. Les temps ont-ils changé ? J’ai évoqué l’exemple de l’homosexualité pour laquelle les attitudes de la société ont à ce point changé. L’on est peut-être à un moment de l’évolution de notre société, où le regard posé sur les prisons, lui aussi, sera différent. Mais, pour l’instant, cela ne s’est encore jamais produit.
J’ai connu des majorités, j’ai appartenu à une majorité, j’ai ici des amis qui y ont appartenu. Nul ne peut mettre en doute la volonté de bien faire qui nous animait, mais on nous opposait toujours d’autres priorités. Combien de fois ai-je entendu cette réponse ! C’est l’histoire même de la prison républicaine : il y a toujours eu d’autres priorités budgétaires. Nous allons voir si aujourd’hui, l’heure est venue.
M. François LONCLE : Monsieur le président, je vous remercie à mon tour pour la qualité de votre exposé.
Vous avez lié les inégalités sociales dans le monde démocratique à la qualité des prisons : plus il y a d’inégalités sociales et moins la qualité des prisons est satisfaisante. La Grande-Bretagne fait exception à ce principe. La prison anglaise est probablement de meilleure qualité sur le plan humain que la prison française, alors que les inégalités sociales sont très fortes dans ce pays.
Ne pratique-t-on pas le numerus clausus d’une manière hypocrite, à travers les amnisties diverses et nombreuses ? Ne serait-il pas préférable de le pratiquer de manière plus transparente ?
On apprend pendant les travaux de nos commissions d’enquête respectives, que la garde des sceaux, y compris d’ailleurs en utilisant les surplus budgétaires, a décidé d’accélérer le programme de construction ou de rénovation. Faut-il continuer de raisonner en constructions supplémentaires plutôt qu’en terme de rénovation et de restauration des prisons ? Ne faut-il pas axer tout notre effort sur les peines de substitution à l’enfermement ?
M. Robert BADINTER : Nous devons axer tout notre effort en priorité sur les peines de substitution. Moins il y aura de condamnations à des peines d’emprisonnement et notamment à de courtes peines, mieux cela vaudra. Cela permettrait de régler la situation. Mais c’est là la liberté de ceux qui jugent.
La régulation des prisons par les lois d’amnistie répond effectivement à l’empire de la nécessité : quand l’explosion paraît proche, une mesure de grâce collective ou une d’amnistie est prise. Ce n’est certainement pas un bon mode de régulation.
Il faut être lucide : regarder le nombre des détenus en maison d’arrêt, s’interroger sur la composition de la population pénale, se pencher en particulier sur le problème évoqué, si important, des peines de prison utilisées pour les étrangers qui sont en réalité des rétentions administratives. Examiner la nature de la population pénale et la question des toxicomanes. À partir de là, on peut déterminer le rapport contenant/contenu possible. Je suis convaincu que ce n’est pas une politique de construction pénale massive qui répondra à la situation. Il faut se limiter à ce qui est absolument nécessaire et, procéder à l’analyse de ce qui est, voire ce qui doit être fait et ensuite aménager ce qui doit l’être. La nécessité de la construction d’une prison à Nice est, par exemple, évidente. Là aussi, les choses ont changé, notamment en termes de résistance des municipalités.
M. Noël MAMÈRE : Monsieur le président, moi aussi, je reconnais la qualité de votre intervention qui nous a appris beaucoup de choses.
Vous avez fortement insisté sur la notion de substitution et, vous avez évoqué des expériences étrangères de politique pénale. Je voulais recueillir votre sentiment sur les mineurs. On assiste en France à une lente " américanisation " que vous avez dénoncée, qui tend à criminaliser un peu trop notre jeunesse. Il existe des expériences, notamment celle de l’Espagne, citée par l’Observatoire international des prisons, qui visent à limiter la détention des mineurs. Que pensez-vous de cette expérience et pensez-vous qu’elle pourrait être appliquée à la France ?
Vous avez évoqué à plusieurs reprises le cas des étrangers. La solution ne consisterait-elle pas à décriminaliser les infractions des étrangers, ce qui permettrait de les traiter autrement ?
Ma dernière question porte sur la conception républicaine que vous défendez avec tant de talent qui fait de la prison un lieu d’amendement plutôt qu’un lieu de peine et insiste sur cette nécessité d’une sorte d’aller et retour permanent entre le dehors et le dedans. Que pensez-vous du rapport Canivet et pensez-vous qu’il puisse offrir des pistes intéressantes ?
M. Robert BADINTER : Je n’ai pas le temps de traiter du rapport de M. le Premier Président Canivet à loisir, mais j’inviterai à ne pas élaborer de systèmes trop compliqués. M. Canivet est un juriste de très grande qualité et auquel je porte beaucoup de considération et d’estime. J’ai trouvé que la multiplicité des ombudsman allait créer un complexe réseau d’intervenants et que le vrai problème n’était pas là. En revanche, certaines mesures plus précises sont à inscrire dans les dispositions réglementaires.
Je ne recommanderai pas de se précipiter pour élaborer une loi pénitentiaire fondamentale. Plus qu’énoncer les principes fondamentaux - respect du droit à la dignité, à la santé -, il faut assurer leur portée dans les faits, et cela appelle davantage d’intervenir en matière réglementaire. De surcroît, les situations évoluant, il vaut mieux préserver une certaine flexibilité. Nous connaissons les grands principes et les réitérer ne réglera pas l’essentiel. En revanche, je suis convaincu que l’institution d’un système de surveillance et de contrôle extérieur à l’administration pénitentiaire est indispensable. Il faut repenser l’inspection générale des prisons. L’inspection ne doit pas appartenir à l’administration qu’elle contrôle. L’_uvre du parlement sera sur ce point essentielle.
La question de la sanction et de l’incarcération des mineurs sur laquelle on prononce aisément des généralités est la plus difficile. Il faut éviter cette incarcération mais on ne peut non plus ne pas prendre en compte le cas du mineur presque majeur qui peut être dangereux. Je ne puis vous donner une réponse rapide sur un sujet qui appelle de longs développements. Il faut simplement se rappeler que, dans l’histoire, les colonies pénitentiaires, quel que soit leur nom, où l’on rassemble un nombre important de mineurs, ont toujours échoué pour aboutir à la récidive d’une façon funeste, à un caïdat terrible, et à des violences sexuelles sur lesquelles je n’ai pas besoin d’insister.
Mme Catherine TASCA : Que pensez-vous de l’organisation et de l’utilisation du travail des détenus en prison ?
M. Robert BADINTER : Je réponds par péché d’ignorance : je ne sais pas où l’on en est sur cette question. Je sais que beaucoup fut fait à partir du rapport de M. Schmelk pour que le travail dans les prisons ne soit pas une occupation, mais une formation. Les principes étaient clairs. Dans les centrales notamment des choses remarquables furent réalisées en matière d’informatique et d’initiation à l’informatique. Dans certaines centrales, je sais que le processus avait été poussé assez loin, notamment à Caen. Le principe est clair : le travail ne doit pas être une occupation, mais une formation.
Mme Catherine TASCA : Et au sujet de la rémunération - on pourrait presque dire de la " non rémunération " du travail des détenus ?
M. Robert BADINTER : La rémunération n’était pas si négligeable. A la fin de mes fonctions, elle était de l’ordre de 1 400 francs par mois, ce qui n’était pas insignifiant, mais une partie était réservée nécessairement aux victimes. Je n’ai pas, récemment, suivi cette question. Le rapport de la commission d’enquête sera pour moi éclairant.
M. le Président : Merci, Monsieur le président. Ce fut une audition extrêmement intéressante.
Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr
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