Présidence de M. Louis MERMAZ, Président

Mme Frédérique BARRAULT et MM. Pierre DUFLOT, Louis LEBLAY et Joël JALLET sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation du Président, Mme BARRAULT et MM. Duflot, Leblay et Jallet prêtent serment.

Mme Frédérique BARRAULT : Tout d’abord, je voudrais vous présenter la délégation CFDT fédération justice. M. Duflot est l’adjoint du directeur régional de Lille, M. Leblay directeur du centre pénitentiaire de Nantes et M. Jallet, conseiller d’insertion et de probation au service d’insertion et de probation de la Côte d’Or. Pour ma part, je suis permanente syndicale et secrétaire générale adjointe. Je suis issue non pas de l’administration pénitentiaire, mais des services judiciaires. Je suis greffier en chef de métier.

Notre délégation est représentative de la composition de notre syndicat. Nous avons cette particularité de syndiquer et de représenter les personnels de l’ensemble des directions du ministère. Nous fédérons les personnels de l’administration pénitentiaire, du directeur au surveillant, ainsi que le personnel administratif, les personnels de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse, du directeur à l’éducateur, ainsi que les personnels techniques, administratifs et professeurs, les fonctionnaires des services judiciaires, du greffier en chef au greffier et les agents administratifs, les magistrats, et les personnels de l’administration centrale.

Cette transversalité est une spécificité de notre syndicat. Nous sommes le seul syndicat à avoir ce caractère multidirectionnel et multicatégoriel. Cette spécificité se révèle être une véritable richesse : lorsque notre organisation est amenée à débattre de problèmes de justice, et donc de problèmes de société, de l’institution judiciaire ou de services publics, cette transversalité permet en effet un échange entre toutes les catégories de personnels afin de trouver ensemble des propositions et des actions.

Nous représentons tous les métiers de la chaîne judiciaire, du début jusqu’à la fin. C’est véritablement là un point très positif dans notre réflexion et dans nos propositions. Cela nous permet d’avoir une vision globale et complète de toutes les problématiques de notre institution.

Ce travail transversal est possible, entre tous les professionnels, parce qu’il repose sur des valeurs communes qui sont toutes basées sur le respect et la dignité de la personne humaine, qu’il s’agisse des personnels de notre ministère ou des justiciables, notamment les détenus.

Après cette présentation rapide et avant de laisser la parole à mes collègues, je tiens à préciser que nous nous félicitons de la création de cette commission et d’être entendus par elle aujourd’hui : nous interpellons depuis de nombreuses années le ministère sur le malaise des prisons. Nous sommes également intervenus, depuis de nombreux mois, auprès des députés et des sénateurs.

Ceci étant, nous formulons le v_u que votre rapport ne restera pas lettre morte et que ce travail permettra de déboucher sur de véritables mesures conduisant à une transparence et à une meilleure prise en compte des problèmes du milieu carcéral.

M. Pierre DUFLOT : Je suis actuellement adjoint au directeur régional des services pénitentiaires de Lille. Je viens de terminer un intérim de six mois comme directeur régional des services pénitentiaires, puisque le titulaire du poste est parti et n’a pas été remplacé de suite.

Je suis depuis vingt ans dans l’administration pénitentiaire puisque j’y suis entré en 1979. Particularité parmi les personnels de direction, ma carrière, en dehors du poste que je viens d’occuper, s’est déroulée uniquement en établissements pénitentiaires.

J’ai participé en effet à la direction de la maison d’arrêt des Yvelines à Bois-d’Arcy, qui était à l’époque un établissement neuf représentant un renouveau dans la conception architecturale des prisons. J’ai été ensuite au centre pénitentiaire de Nantes en qualité d’adjoint. Puis j’ai fait la réouverture de la maison d’arrêt de Nantes, dans ses nouveaux bâtiments. J’ai été ensuite affecté à la direction du centre pénitentiaire de Maubeuge, établissement relevant du programme 13 000. Puis, j’ai dirigé, pendant quatre ans, les prisons de Lyon, établissements dont on parle beaucoup aujourd’hui pour illustrer la vétusté des bâtiments, cette question de rénovation des bâtiments relevant directement des problématiques qui occupent votre commission.

M. Louis Leblay et moi avons tous deux un parcours de professionnels de l’institution qui nous permet d’avoir une pratique du quotidien de la gestion d’un établissement et également, en tant que syndicaliste - puisque nous sommes tous les deux élus du personnel de direction - une réflexion sur l’institution.

La difficulté, en un laps de temps aussi court, est peut-être de vous faire partager notre vision, notre conception réelle et la réalité du milieu pénitentiaire.

Il nous semble également que la question pénitentiaire, quelle que soit l’option retenue - le personnel, les détenus ou la vision politique - se trouve au c_ur d’une multitude de sujets de sociétés qui nous oblige à avoir une vision vraiment globale.

Cette globalité du problème pénitentiaire n’a rien d’étonnant si l’on considère qu’un établissement pénitentiaire est une sorte de micro-société avec ses différentes facettes. Il est, par conséquent, évident que c’est notre propre vision de cette société qui va déterminer véritablement l’ambiance d’un établissement.

L’exemplarité de l’action du directeur d’établissement, ainsi que la façon dont il va faire face aux problèmes sont déterminantes et vont retentir sur l’ambiance d’un établissement pénitentiaire. Néanmoins les leviers d’action dont il va disposer, en moyens humains et matériels, lui sont imposés ; au niveau des décisions du ministère de la Justice, ce sont véritablement les magistrats qui possèdent l’ensemble de ces leviers.

La place des directeurs d’établissements pénitentiaires reste, au sein de la direction de l’administration pénitentiaire, très réduite, alors même que ce sont ces personnels qui sont le plus à même de concevoir les choses.

Au travers des propos liminaires de Frédérique Barrault, il parait évident que nous sommes favorables à une transversalité. Nous nous opposons à cette présentation qui consisterait à dire que la prison appartient au pénitentiaire. Nous sommes au contraire favorables à l’ouverture la plus grande possible. Pour autant, cela ne signifie pas qu’il faille nous écarter de la conception globale des établissements, parce que notre vécu professionnel n’est, à aucun moment, hormis en tant que syndicaliste, pris en compte.

C’est un véritable problème au vu de la comparaison que l’on peut faire avec d’autres institutions ou ministères. Ce vécu professionnel est aussi un vécu de citoyen, au c_ur de la conception qu’on se fait de la vie. En effet, lorsqu’on est confronté au phénomène de l’incarcération, des prisons et des libertés, on est forcément confronté à l’essentiel de ce qui fait la vie. Au-delà des problématiques de l’enfermement, il faut aussi prendre en compte les problématiques de la vie et la difficulté par rapport à la mort. Par exemple, s’agissant du problème des suicides en prison, essentiel à l’heure actuelle, il faut essayer d’analyser cette question au fond et de trouver des réponses adaptées.

S’agissant de la gestion des établissements, la première des difficultés rencontrée par un chef d’établissement pénitentiaire est de ne pas avoir la maîtrise des flux. Ce premier problème nous parait important. Notre fédération, depuis sa constitution en 1982, a essayé de mettre en exergue sa volonté de voir se réaliser le numerus clausus pour plusieurs raisons.

En premier lieu, il s’agit de permettre une meilleure maîtrise des flux. En effet, on ne conçoit plus une collectivité telle que celle-ci sans un certain nombre de normes. Comment pouvoir gérer véritablement sans savoir que, le soir, vont arriver vingt ou vingt-cinq détenus ou sans savoir le nombre de libérations. Notre action doit s’inscrire à moyen et long terme et, pour se faire, nous devons avoir une certaine maîtrise des flux.

Aucune collectivité, que ce soit l’Education nationale pour les quotas et les classes ou l’hôpital pour le nombre de lits, ne connaît cette situation. Pour notre part, nous sommes complètement soumis à cela. De ce fait, la gestion quotidienne est difficile.

En second lieu, si le numerus clausus est inscrit dans nos revendications, c’est parce que nous considérons que les magistrats doivent regarder véritablement la situation telle qu’elle est. Un des points positifs de la création de cette commission d’enquête est le fait de voir, depuis un mois, des magistrats retrouver le chemin des maisons d’arrêt et des prisons. Nous nous en réjouissons et espérons que cela va perdurer, car c’est un élément important.

Les normes qui seraient ainsi fixées obligeraient, d’une part, le magistrat à avoir un regard sur qui est incarcéré et, d’autre part, à faire des choix par rapport à l’ensemble de ses dossiers.

Une autre des difficultés que l’on rencontre est d’avoir trois entités à l’administration pénitentiaire : une entité centrale, une entité régionale et une entité locale. Il manque incontestablement, malgré la bonne volonté des uns et autres à chaque niveau, un lien entre les trois entités pour concevoir véritablement une démarche d’ensemble.

J’évoquerai brièvement deux autres points. Il nous semble important d’aller vers une meilleure autonomie et une responsabilisation plus grande des acteurs. Enfin, s’agissant du contrôle, autre point important qui revient constamment dans les réflexions sur les prisons, il nous semble qu’il faut se diriger davantage vers des contrôles qui prendraient la forme de médiation dans l’ensemble du dispositif, plutôt que vers un renforcement de la judiciarisation.

M. Louis LEBLAY : Comme mon collègue, je suis dans l’administration pénitentiaire depuis vingt ans. J’ai dirigé plusieurs établissements de différentes catégories : la maison d’arrêt de Caen, la maison d’arrêt de Rennes pendant quatre ans, la maison centrale de Saint-Maur, au c_ur de la problématique des longues peines et du désespoir, pendant quatre ans, avant d’occuper une fonction en état-major, comme adjoint au directeur régional des services pénitentiaires de Marseille, qui est une région difficile. Depuis début 1998, je suis directeur du centre pénitentiaire de Nantes.

Mon propos portera sur deux points. Tout d’abord, au travers de l’expérience professionnelle et de la manière dont on peut ressentir les choses, je voudrais souligner le décalage qui s’observe, quand on est sur le terrain, entre les politiques " virtuelles ", définies par l’administration centrale, et les politiques réelles appliquées sur le terrain.

Ce décalage va croissant. En effet, on constate un fossé de plus en plus large entre les différents niveaux d’administration, aussi bien sur le fond - la philosophie des réformes, le sens que l’on veut donner à la peine et à la prison - que sur la forme - la méthode, la manière technocratique de les présenter - en oubliant d’ailleurs souvent le corps des surveillants, qui constitue pourtant le personnel le plus important parce que le plus nombreux et situé véritablement au c_ur de la détention, ainsi que les moyens humains nécessaires à la mise en _uvre des réformes. L’administration centrale semble éloignée du terrain qu’elle ne connaît pas forcément bien ; les directions régionales sont si grandes qu’elles ne peuvent parvenir à impulser toutes les réformes et souvent se cantonnent à jouer un rôle de " petit télégraphiste " ou de boîte aux lettres pour la transmission des directives vers les établissements ; enfin, les établissements où les équipes de direction, quand elles sont au complet et qu’il existe une notion d’équipe de direction, ce qui est rarissime, doivent, le plus souvent, gérer toutes les réformes, parfois contradictoires, sans que soient donnés véritablement des contrats d’objectifs à atteindre.

Il est souvent demandé aux personnels de direction d’impulser des réformes, de garantir la sécurité et les droits des personnes détenues, avec des personnels qui, à la base, ignorent le plus souvent les réformes ou y ont été sensibilisés de très loin ou très peu et dont certains représentants véhiculent un discours singulièrement corporatiste, voire conservateur. Ces personnels sont parfois dans la logique de la publicité Renault, cette fois prise au pied de la lettre : " Cela ne marchera jamais ", et il faut que cela ne marche pas. Ils ont besoin de ce discours pour exister, discours dans lequel on retrouve parfois des relents plus ou moins extrémistes. Les personnels de direction sont obligés de composer aussi avec cela pour assurer la gestion des détentions.

Toujours dans ce décalage entre les politiques virtuelles et les politiques réelles, il me semble que cette administration manque singulièrement de mémoire. Bien des directeurs de l’administration pénitentiaire déplorent le manque d’adéquation entre les réformes et les moyens. M. Karsenty, dans son témoignage lors de son départ en 1992, le déplorait déjà, mais il n’a pas été beaucoup entendu.

En son temps, était également déploré le contournement de l’administration pénitentiaire. Certes, le décloisonnement et l’ouverture vers d’autres ministères - la Culture, la Santé - représentent un progrès considérable. Mais ce décloisonnement avec le recours à des partenaires extérieurs a parfois conduit à oublier de s’appuyer sur les surveillants et les personnels, comme s’ils n’avaient pas eux-mêmes un sens du progrès. Peut-être les a-t-on, de ce fait, un peu plus enfermés dans une expression corporatiste et " poujadiste ".

Par exemple, la mission Bonnemaison, en 1989 qui faisait suite à une crise des prisons s’est traduite pour les personnels par des améliorations de leurs conditions de travail, mais sous un angle uniquement matériel - des micro-ondes, des postes de télévision - en oubliant peut-être de réfléchir sur le sens de leur métier, car les surveillants peuvent aussi faire évoluer les prisons.

Comment sortir de cette situation alors qu’on observe par ailleurs - et c’est un élément important de ce décalage entre virtuel et réel - que plus on avance, plus on valorise, dans cette administration, ce qui est en dehors de la détention. C’est comme si la noblesse des métiers pénitentiaires n’existait plus. On observe d’ailleurs ce phénomène avec les surveillants spécialisés. Le fait d’accoler une épithète au mot surveillant - surveillant moniteur de sport, surveillant auxiliaire de santé -, équivaut à dévaluer d’autant le métier de surveillant que l’on renvoie au fin fond de la détention et des coursives, en oubliant de prendre en compte cette dimension de l’administration pénitentiaire.

Si l’on veut réellement parler de prévention des suicides, sujet hautement sensible, il faut retrouver le chemin du contact et du dialogue avec la population pénale, et non pas se contenter de statistiques, de diagnostics, de réunions, de commissions de ceci ou de cela...

D’ailleurs une réforme récente illustre et, me semble-t-il, tend à aggraver cette tendance à oublier quelque peu les détenus. On parle beaucoup de " personnes placées sous main de justice ". On intègre par là milieu ouvert/milieu fermé. Mais on observe aussi qu’avec la réforme récente des services pénitentiaires d’insertion et de probation, ce sont encore les travailleurs sociaux que l’on enlève du milieu fermé. Alors que l’on veut mutualiser les milieux ouvert et fermé, il me semble au contraire que l’on enferme davantage le milieu fermé, à un point tel que certains progrès intervenus dans la reconnaissance entre les travailleurs sociaux et les surveillants sont en train de s’effilocher ou de se distendre.

Il a fallu un certain temps pour qu’intervienne une reconnaissance mutuelle entre les travailleurs sociaux et les surveillants. On y était à peu près parvenu, et maintenant la tendance serait d’enlever les travailleurs sociaux des milieux fermés. De la sorte, ils risquent de nouveau d’être perçus par les personnels, non plus comme des collègues, mais simplement comme des intervenants extérieurs. Le détenu n’est plus vécu comme tel, mais comme un client. Or c’est une vision totalement technocratique pour qui a eu un contact avec les détenus et la réalité du terrain. C’était le point sur lequel je voulais attirer l’attention.

Le deuxième point que j’évoquerai concerne le débat sur les très longues peines et l’absence d’espoir. Ayant dirigé pendant quatre ans la maison centrale de Saint-Maur, je sais là de quoi je parle. Il faut redonner du sens à la prison et développer les libérations conditionnelles. Le rapport Farge comporte des propositions en ce sens qui, si elles étaient suivies, pourraient apporter une amélioration à ce niveau. Il faut judiciariser et revoir le mode d’octroi des libérations conditionnelles, notamment pour les longues peines.

Toujours s’agissant des longues peines, on s’est également aperçu que depuis l’abolition de la peine de mort en 1981, le nombre des condamnations à perpétuité a considérablement augmenté. Il y a de moins en moins de commutations de peines perpétuelles - aucune, me semble-t-il, durant ces trois dernières années. Si l’on veut donner du sens à la peine, il est nécessaire d’individualiser et de développer les libérations conditionnelles.

En effet, les maisons centrales sont de vrais volcans. Souvenez-vous des événements d’un passé récent. S’il n’y a pas d’espoir, des événements comme ceux de 1987 à Saint-Maur, 1988 à Ensisheim et Clairvaux, sans oublier l’année 1992 qui fut une année horrible sur le plan des détentions, se répéteront.

La solution passe par un développement des mesures de libération conditionnelle.

M. Joël JALLET : Je suis conseiller d’insertion et de probation à l’administration pénitentiaire depuis 1985. Ce sur quoi je voulais attirer votre attention concernait la mission essentielle qui est celle des travailleurs sociaux dans l’administration pénitentiaire, à savoir la réinsertion des personnes détenues et des personnes en milieu ouvert.

L’insertion est l’affaire de tous, mais je souhaiterais quand même attirer l’attention de votre commission sur l’intérêt qu’il y aurait, pour l’administration pénitentiaire à resituer la réinsertion au c_ur de ses centres d’intérêt. Je précise cela parce qu’il me semble qu’actuellement, l’administration pénitentiaire demande beaucoup aux travailleurs sociaux : gérer des flux et des stocks, aiguiller des gens qui sont justiciables.

Or la thèse que nous défendons à la CFDT est que le travail socio-éducatif devrait être basé plus sur un suivi individuel, dans la durée, qui permet d’aider la prise de conscience par les personnes dont nous avons la charge, de leurs difficultés et de leurs dysfonctionnements, de les aider à s’inscrire dans un processus de changement et de les y accompagner, de se responsabiliser, d’être autonomes. Tout cela a pour objectif la prévention de la récidive, et par conséquent la sécurité de nos concitoyens.

Pour mener à bien ces missions, il me semble que l’institution et sa structuration devraient permettre aux personnes détenues de se responsabiliser, d’être citoyens et acteurs de leur réinsertion, et bénéficier de droits et de devoirs, alors qu’on constate que le moment d’incarcération est un moment de rupture, notamment par rapport à des droits. Je pense notamment à l’attribution du RMI et à des éléments de cette nature.

Il semblerait également important que l’on puisse, au sein de l’administration pénitentiaire, développer les mesures alternatives à l’incarcération et les aménagements de peine, d’autant que l’on sait que ces mesures fonctionnent. Elles fonctionnent tout simplement parce que, dans le cadre de ces mesures, les gens sont accompagnés dans un processus d’insertion.

Il est également important de préciser que l’incarcération ne doit pas être un moment de rupture totale avec le monde extérieur. Vivre une incarcération dans des conditions humaines, est une chose importante pour l’insertion future des détenus.

La fin de mon propos concernera la charge de travail des travailleurs sociaux qui, à mon avis, résume totalement le discours que j’ai essayé de vous tenir. L’administration pénitentiaire fixe des normes de travail sur le nombre des personnels socio-éducatifs qu’elle installe dans les établissements pénitentiaires et dans les SPIP. Ces normes ont été fixées à un travailleur social pour cent détenus en milieu fermé et un travailleur social pour soixante-dix justiciables en milieu ouvert.

A titre de comparaison, nos collègues de la protection judiciaire de la jeunesse, en milieu ouvert, ont une norme de travail fixée à un pour trente. Au-delà de la prise en charge individuelle des personnes, se rajoutent des charges transversales qui sont, au sein des détentions, l’organisation d’activités culturelles, éducatives, de formation professionnelle.

Il semble important que nous, travailleurs sociaux, puissions aller au devant de ceux qui ne demandent peut-être pas forcément grand-chose, et également prendre correctement en charge ceux qui sont dans de grandes difficultés, les cas psychiatriques ou encore les toxicomanes, les délinquants sexuels, etc.

Nous devrions revenir à des normes de charge de travail moins importante avec la possibilité donnée par l’administration pénitentiaire d’aller à la rencontre de ces gens, ce qui implique des moyens financiers et humains plus importants et adaptés.

S’agissant de la réforme des SPIP, la CFDT a toujours été favorable à la modernisation des services d’insertion. La réforme qui a été faite, comme le rappelait M. Leblay tout à l’heure, ne paraît pas répondre à nos interrogations. Les moyens humains et financiers ne suivent pas. La forme qu’a pris cette réforme n’est, à notre avis, pas adaptée à la réalité des terrains. Nous aurions souhaité une réelle départementalisation et que des moyens humains accompagnent cette réforme, que ce soit en nombre de travailleurs sociaux, de secrétariat ou de postes d’encadrement. Cette réforme n’a pas répondu à cela.

M. le Président : Ma question concerne le problème des effectifs dans les directions régionales. Vous parliez de " télégraphiste ". Que fait et que peut faire le directeur régional ? Quels sont ses pouvoirs et comment cela se passe-t-il en ce moment ? En effet, il demeure un rouage important pour une politique pénitentiaire et, selon vos propos, il ne peut faire grand-chose, ce qui est très inquiétant. Pouvez-vous préciser ce point, notamment M. Duflot qui est directeur régional adjoint par intérim ? Peut-être pourriez-vous également nous dire ce que vous arrivez à faire à Lille.

M. Louis LEBLAY : J’ai moi-même assuré, pendant près de deux ans et demi, des fonctions d’adjoint au directeur régional des services pénitentiaires de Marseille. La qualification de " télégraphiste " est une formule, empruntée du reste. La dimension même des directions régionales pose problème. Par exemple, la direction régionale de Rennes où je me trouve couvre trois régions administratives - Pays de Loire, Basse-Normandie, Bretagne. Il est difficile d’impulser des réformes sur des régions qui vont de Cherbourg à Fontenay-le-Comte !

C’est aussi dans cet esprit que j’évoquais les difficultés de mise en _uvre. Les directions régionales ont un rôle important dans l’impulsion et la mise en _uvre des réformes. Je ne dis pas qu’elles ne le font pas, mais leur dimensionnement et les insuffisances observées parfois dans les organigrammes font qu’elles ne peuvent pas forcément remplir convenablement toutes les missions qui leur sont dévolues.

Il faudrait sans doute revoir la dimension des régions. Par exemple, la région PACA couvre et Marseille et la Corse. On peut considérer que la Corse, à elle seule, mériterait une région.

M. Pierre DUFLOT : A Lille, où je suis, on retrouve le même phénomène avec trois régions administratives : Pas-de-Calais, Picardie, Haute-Normandie. En fait, en termes d’intervention, de contrôle et de prise en charge de l’ensemble des structures, il est évident que la base étant située à Lille, une intervention au Havre soulève de vraies difficultés.

Les directions régionales - et c’est pourquoi je parlais du lien des trois entités - n’agissent qu’à la marge, en termes financiers et de moyens humains. A titre d’exemple, nous recensons un certain nombre de manques sur l’ensemble des catégories. Nous le signalons à l’administration centrale qui nous répond en nous attribuant un certain nombre de postes, qui représentent néanmoins une infime proportion de ce qu’il faudrait pour une mise à niveau, dans l’ensemble des catégories. Or on place, au niveau des directions régionales, un certain nombre de collègues en échec sur un établissement. Cela sert de placard pour un certain nombre d’entre eux. C’est quand même dommageable car on pourrait concevoir que le niveau régional ait une vision plus globale, donc plus valorisante ou valorisée de l’action à mener.

Il faudrait une véritable vision régionale d’équipe, tant pour les établissements que pour l’administration centrale ou régionale, afin d’impulser un certain nombre de réflexions. Venant de terminer six mois d’intérim, il me semble que c’est une réelle vision de l’organisation de l’ensemble des établissements qu’il faut impulser à ces niveaux hiérarchiques. Sinon, on se heurte à des blocages, individuels ou collectifs, et on n’avance pas sur la mise en place de l’ensemble des politiques.

M. le Rapporteur : Tout à l’heure, Mme Barrault a présenté l’organisation syndicale que vous représentez, comme étant un ensemble de la maison justice et, par ce biais, ayant une interférence et un droit de regard sur l’ensemble de la politique menée en matière de justice. Ensuite a été évoqué le numerus clausus.

Nous avons proposé une forme de numerus clausus dans le cadre de la loi sur la présomption d’innocence, du moins au niveau des détenus préventivement, ce qui nous vaut d’ailleurs un vrai débat avec l’extérieur parce que certains trouvent que nous allons trop loin et empiétons sur les prérogatives des magistrats.

J’ai entendu un magistrat, premier juge d’instruction aux Sables-d’Olonne, déclarer à votre collègue responsable de la maison d’arrêt de la Roche-sur-Yon, que son rôle était de mettre les gens en prison et que celui du directeur était de les garder. Cette déclaration m’a paru un peu intempestive et difficile à accepter parce que ce n’est pas ainsi que l’on pourra gérer le numerus clausus.

Vous avez certainement quelque influence auprès des magistrats puisque votre syndicat est transversal. Avez-vous eu ce type de discussion avec les magistrats que, pour notre part, nous allons avoir ?

Par ailleurs, je voudrais savoir si vous avez réfléchi à la gestion du numerus clausus. Je ne vous demande pas de nous fournir une réponse sur-le-champ, mais il nous intéresserait de recevoir, d’ici quelques jours, une note explicitant votre position sur le sujet.

S’agissant des directions régionales, notre constat est le même. Nous considérons qu’elles sont trop vastes en termes géographiques et que, de ce fait, cela rend le travail en équipe avec les directeurs d’établissement, particulièrement difficile. Dans cette région que je connais bien, de Rennes à Caen jusqu’au Poitou, on est confronté à une série de problèmes qu’on ne peut gérer, d’autant qu’il est difficile de circuler autrement qu’en voiture. Des progrès sont encore à faire en ce domaine.

Avez-vous des propositions de redécoupage des directions régionales ? Souhaitez-vous les assimiler, en termes géographiques, aux cours d’appel ou bien les calquer sur les limites administratives actuelles ? Avez-vous réfléchi à cette possibilité ?

M. Pierre DUFLOT : S’agissant du numerus clausus - la grande question posée par M. le Rapporteur - nous y réfléchissons et vous transmettrons une note sur ce point. J’ajouterai que le numerus clausus, d’une certaine manière, s’applique déjà dans le cadre des établissements pour peine et des établissements relevant du programme 13 000. Dans notre jargon, nous appelons cela le numerus clausus économique à 120 %.

M. le Rapporteur : Certes, pour les établissements où se purgent les peines, il y a numerus clausus, mais au détriment des maisons d’arrêt...

M. Pierre DUFLOT : C’est ce que j’allais ajouter.

M. le Rapporteur : Car les détenus attendent de longs mois.

M. Pierre DUFLOT : C’est un transfert qui se fait au détriment des maisons d’arrêt, en particulier des maisons d’arrêt urbaines, en rapport avec la délinquance urbaine, avec des conséquences sur les conditions de détention - trois détenus dans des cellules de 9 mètres carrés comme cela existe dans ces milieux.

C’est là le c_ur du problème, mais le numerus clausus concerne également le pouvoir judiciaire. Nous ferons des propositions, mais il est certain qu’une réflexion doit être menée en commun avec les magistrats, afin de se donner les moyens de sortir de cette difficulté.

M. Louis LEBLAY : Concernant le numerus clausus, il y a aussi l’exemple des quartiers mineurs où, pour le coup, un nombre de places maximal est défini. C’est vrai que nous devons y réfléchir et formuler des propositions.

Pour revenir sur un problème très réel que vous soulevez, il n’est pas normal que des détenus condamnés à de longues peines aient à attendre de longues années, en maison d’arrêt, avant de rejoindre des établissements pour peine. Le délai d’attente, pour un transfert au centre de détention de Nantes, après une décision d’affectation, est de dix-huit mois, ce qui est sans doute vrai également pour Saint-Martin-de-Ré, Muret et d’autres établissements. Il n’est pas normal que des condamnés à de longues peines, alors qu’ils sont affectés depuis parfois deux ou trois ans dans un établissement pour peine, doivent attendre aussi longtemps.

Je ne suis pas certain, pour l’instant, compte tenu des discussions avec les magistrats, que l’idée du numerus clausus soit mûre. Avant de parler de l’insertion ou de la réinsertion des personnes détenues, il faut commencer par parler de la dignité. Je ne vois pas comment faire autrement, en maison d’arrêt, que d’aller vers le numerus clausus. On n’a de cesse de vanter, en France, des pays qui s’en inspirent tels que certains pays nordiques ou les Pays-Bas. Peut-être faudrait-il suivre d’autres exemples. Mais assurément la CFDT est très attachée à cette notion et pourra faire des propositions.

Mme Martine AURILLAC : J’aurai une question concernant les mineurs. Puisque vous êtes des professionnels et que vous avez parlé de transversalité, comment appréciez-vous les rapports entre la protection judiciaire de la jeunesse et l’administration pénitentiaire ? Y a-t-il des dysfonctionnements ? Voyez-vous des éléments qui permettraient d’améliorer les choses ?

M. Pierre DUFLOT : Le premier établissement où j’ai travaillé a été la maison d’arrêt de Bois-d’Arcy, qui abrite un quartier mineur important. On avait, à l’époque, dans le bâtiment que je gérais, trois cents jeunes détenus, dont soixante-quinze mineurs ! Les modalités de prise en charge des mineurs ont changé. On sait très bien que cela exige une action pluridisciplinaire.

Selon les normes retenues pour la PJJ, il faut un travailleur social pour un jeune dans les unités d’éducation renforcée, ce dont nous sommes très loin, quand on regarde les quartiers mineurs en milieu pénitentiaire. Or on peut considérer que ne viennent en milieu pénitentiaire, que des jeunes qui ont un parcours de délinquance plus affirmé encore que ceux qui sont pris en UER. Il y a donc là une vraie difficulté. Sur le terrain, il existe, parce que nécessité fait loi, une réelle volonté de travailler en commun. Au niveau des directions centrales, je ne suis pas sûr - et je suis même assez sûr du contraire - qu’il y ait la même vision du problème.

M. Louis LEBLAY : Je souscris totalement à ces propos.

Mme Frédérique BARRAULT : Je voudrais appuyer les propos de Pierre Duflot. On constate tous les jours, au niveau ministériel, qu’il y a un véritable cloisonnement entre les directions. Nous souhaitons, depuis toujours, que ce ministère décide enfin de se décloisonner, d’avoir une véritable politique judiciaire transversale, à l’image de notre syndicat.

On constate en permanence, dans la gestion et la réflexion, que chaque direction mène sa politique et suit son chemin, ignorant poliment ce que fait la direction d’à côté. Cela se ressent, au niveau ministériel, dans les relations entre la PJJ et l’administration pénitentiaire qui sont quasiment inexistantes.

M. Renaud DONNEDIEU de VABRES : Dans les fonctions remplies par la prison, quelles sont celles qui vous semblent essentielles ? Je vous demande cela parce qu’il convient de partir de la fonction qu’on assigne à la prison pour décliner ensuite ce qu’on veut en faire et les moyens qu’il faut lui attribuer. Quelles sont d’ailleurs, de ce point de vue, les réalités qu’il ne faut pas oublier, et que vous souhaitez, en tant que personnel de l’administration pénitentiaire, nous rappeler ?

Par ailleurs, dans les progrès qui peuvent apparaître humainement nécessaires, quelles sont les questions qui, pour vous aujourd’hui, à effectifs ou à structures constantes, sont ingérables ?

Dans les relations entre les personnels de l’administration pénitentiaire et les médecins, quelle est la nature du conflit qui peut parfois se produire ?

Vous avez évoqué l’opposition entre contrôle et judiciarisation, ce que je comprends parfaitement. Quelles sont les bornes que vous estimez nécessaires d’apporter à la judiciarisation et quelles formes de contrôle efficace préconisez-vous ?

M. Louis LEBLAY : S’agissant des fonctions que l’on assigne à la prison et le sens à donner à la peine, je crois que l’administration pénitentiaire a une mission de sécurité publique et contribue à cette sécurité. La prison n’est pas simplement, comme le dit le juge d’instruction aux Sables-d’Olonne que vous évoquiez, un lieu pour garder des détenus. Il s’agit aussi de faire en sorte que les détenus sortent dans les moins mauvaises conditions possibles, avec le moins d’amertume et de ranc_ur, et ce serait déjà un point positif par rapport à la société.

Même si l’administration ne peut à elle seule assurer cela, elle peut y contribuer. L’un des rôles majeurs d’une administration pénitentiaire est de mettre à disposition des personnes détenues, des moyens d’enseignement, de formation, d’actions culturelles, qui leur permettent de changer et de se transformer. A mon sens, le rôle essentiel de la prison est de faire en sorte qu’un détenu sorte dans les moins mauvaises ou les meilleures conditions possibles, selon qu’on est optimiste ou plus réservé.

Se borner à un rôle de garde et de sécurité serait très insuffisant. L’important, au-delà de la mission de sécurité, c’est la préparation à la sortie ainsi que tous les moyens mis en _uvre pour qu’un détenu s’en sorte le moins mal possible et pour prévenir, autant que faire se peut et le plus longtemps possible, la récidive.

M. Pierre DUFLOT : Je compléterai le propos de mon collègue sur l’opposition insertion-sécurité, qui est assez factice. Dans la gestion des longues peines, on sait que la meilleure sécurité vient des mesures mises en place à l’intérieur et la passerelle entre intérieur et extérieur.

Sur la réforme de la santé en milieu pénitentiaire et la place de chacun des intervenants, il ne faut pas occulter le fait qu’il existe deux pouvoirs qui cohabitent difficilement. En effet, la difficulté de partage des informations et des responsabilités - voire de pouvoir - bloque un certain nombre de choses, au détriment du détenu.

Parfois s’y greffent des problèmes de personnes, ce qui n’améliore pas la situation. Toutefois, dans nombre d’endroits, cela se passe relativement bien, chaque intervenant ayant réussi à trouver sa place.

La réforme de la santé ouvre différentes perspectives. Il est difficile d’imaginer accorder une autonomie au pôle santé tout en demeurant, sur les autres aspects, dans la conception ancienne des choses. C’est là la vraie difficulté.

S’agissant du contrôle, on envisage plus une institution proche de celle du médiateur de la République, au niveau local. Ce tiers interviendrait dans le face-à-face administration/détenu, avec une vraie responsabilité. Mais cela conduit à réfléchir à la nature de l’organe de contrôle de l’établissement lui-même, et à la manière d’intégrer les forces vives et la pluridisciplinarité dans ce contrôle. En effet, c’est ce qui est en cause à l’heure actuelle.

M. Renaud DONNEDIEU de VABRES : Parmi les éléments d’amélioration de la vie des détenus, quels sont ceux qui vous apparaissent, aujourd’hui, à structures ou effectifs constants, totalement ingérables : les accueils, les problèmes de vie sexuelle... ? Quels sont les points que vous estimez ne pas être en mesure de gérer, à moins d’un bouleversement des structures et des effectifs ?

M. Pierre DUFLOT : Il est très difficile de donner une réponse. Le problème quasi ingérable à l’heure actuelle, c’est l’agressivité globale qui règne à l’intérieur des établissements. C’est un vrai défi, en termes de gestion individuelle et collective dans les quartiers difficiles.

M. Louis LEBLAY : Vous avez évoqué les relations entre les médecins et les personnels. Chacun, dans le respect de ses prérogatives, est confronté de plus en plus fréquemment, à un nombre croissant de détenus qui arrivent totalement déstructurés, voire pour certains atteints de troubles du comportement. Un certain nombre de détenus ne sont pas suffisamment malades pour être placés en milieu psychiatrique, mais le sont malgré tout en prison. Or la prison n’est pas un hôpital long séjour. Ces détenus, dont le nombre va croissant, posent problème tant aux médecins qu’aux personnels pénitentiaires. En effet, les surveillants sont désemparés lorsqu’ils doivent faire face à l’agressivité ou aux crises de certains détenus, alors même que les psychiatres ne veulent pas pour autant prescrire des mesures de placement en milieu spécialisé.

L’évolution du code pénal, qui a tendu à responsabiliser de plus en plus les détenus par rapport à leurs actes, implique une proportion de condamnés qui, lorsque l’article 64 du Code pénal existait, n’auraient pas été sous le coup de la prison car jugés en état d’aliénation au moment du passage à l’acte. Cette proportion de détenus, compte tenu de l’évolution du code, a augmenté singulièrement ces dernières années. En termes de gestion, nous sommes là à la limite de l’ingérable.

Par ailleurs, même si ce n’est pas du même ordre, il est tout aussi inquiétant de constater, vu les phénomènes d’allongement des peines et des durées de détention, le vieillissement de la population pénale et l’augmentation des détenus de plus de 60 ans. Cela ne relève pas de la médecine psychiatrique, et d’ailleurs on ne sait plus trop de quelle médecine cela relève. Dans le centre de détention de Nantes que je dirige, cette population est assez nombreuse, soit une trentaine de détenus avec un doyen d’âge de 82 ans. Quel sens peut avoir la prison, au bout d’un certain temps, pour ces personnes ? Cela induit des difficultés de gestion et de relations.

M. Joël JALLET : J’ajouterai que l’administration pénitentiaire est actuellement incapable d’assurer la prise en charge socio-éducative de chaque personne incarcérée.

Mme Frédérique BARRAULT : Je voudrais revenir sur le découpage géographique. Que ce soit l’administration pénitentiaire, la protection judiciaire de la jeunesse ou le service judiciaire, chacune de ces directions a un découpage géographique spécifique, ces trois découpages géographiques étant eux-mêmes différents du découpage administratif. Ceci fait que nous avons quatre découpages géographiques qui se superposent.

M. le Rapporteur : Le ressort des cours d’appel ajoute en plus à la confusion.

Mme Frédérique BARRAULT : Tout à fait. La CFDT, depuis toujours, réclame la refonte de la carte judiciaire pour uniformiser ces différents découpages.

M. le Rapporteur : Cela pourrait se faire indépendamment de la réforme de la carte judiciaire.

Mme Frédérique BARRAULT : Oui, mais si on veut une politique cohérente au niveau ministériel, il faut absolument se pencher sur ce problème qui malheureusement n’aboutit toujours pas. La CFDT ayant mené une réflexion assez poussée sur le sujet, je me propose de vous envoyer également notre contribution.

M. le Président : Tout document que vous auriez sur les sujets évoqués et sur celui-ci nous intéresse.

Mme Nicole FEIDT : Je voudrais que l’on puisse compléter nos informations sur le rôle du juge d’application des peines, au sein de vos établissements. Comment jugez-vous le rôle de ce juge et quel pourrait-il être dans le cadre de la rénovation des services d’insertion ? Menez-vous une réflexion sur ce sujet ?

Par ailleurs, au sein de l’Assemblée nationale, a été votée une loi sur l’égalité professionnelle. Comment voyez-vous le rôle des femmes dans l’administration ?

M. Pierre DUFLOT : Je vais vous répondre sur le rôle des femmes dans l’administration. A la CFDT, nous avons une secrétaire générale, une secrétaire générale de la fédération et nous avons beaucoup milité pour cette égalité. La féminisation des différents corps est en voie de réalisation dans différents domaines.

S’agissant des personnels de surveillance, et notamment de l’intégration des surveillantes en quartier hommes, qui se situe à la base de la réflexion, cela nous paraît être très intéressant et très profitable car cette forme de mixité rapproche des réalités de vie. La prise en charge, par les femmes, des problèmes de vie et de société des détenus nous semble être un apport intéressant.

Ceci étant, demeurent des obstacles plus matériels, tels que les fouilles, sur lesquels il faut rester très attentif. Toutefois dans la gestion d’équipe, ce qui est notre credo au niveau des établissements, on ne peut que se féliciter de la mixité et l’appuyer. A notre niveau, quand on nous interroge sur ce point, car certains collègues ont des réflexes plus négatifs, on appuie cette démarche dans les établissements qu’on dirige.

M. Joël JALLET : S’agissant du rôle des juges d’application des peines, il nous semble important que le juge d’application des peines ne soit pas seul à prendre sa décision, car c’est lui qui décide à la base des mesures alternatives à l’incarcération et des aménagements de peines. Il faut qu’il puisse s’entourer des avis des professionnels de terrain. J’irai même au-delà en disant que, dans sa prise de décision, il doit se faire aider par ses propres collègues.

En effet, on constate que certains juges d’application des peines, pour de multiples raisons - idéologiques, de confiance, etc. - ne prennent que très peu de décisions d’aménagement de peine.

M. Jacky DARNE : J’ai été impressionné dans vos interventions par la place que vous avez consacré au problème de relations sociales internes et de l’insuffisance de prise en compte du vécu des personnels et de dialogue dans l’évolution des métiers, y compris dans leur dénomination.

Ma question, qui comporte trois volets, tourne autour de cet aspect. Le premier est la façon dont s’organise la formation permanente à l’intérieur des établissements. Fonctionne-t-elle sur la base d’une demande individuelle de chaque agent ou selon des plans de formation collectifs, en fonction d’un besoin ou d’une évolution ? Par exemple, si un quartier des mineurs pose problème et que la formation des personnels est insuffisante, existe-t-il une réflexion collective sur une action de formation ? Je ne parle pas de la formation initiale pour laquelle il y a eu un certain nombre de réflexions, mais de la façon dont se gère cette adaptation permanente. La situation qu’a connue un surveillant, entré à 20 ans dans l’administration pénitentiaire, a évolué. Comment cette question est-elle gérée ? Des améliorations ou des évolutions vous apparaissent-elles souhaitables ?

Ma deuxième question est la suivante. Dans le secteur hospitalier ou de l’Education nationale, un lycée ou un hôpital, il existe un projet d’établissement. Sans être le summum de la réflexion, ce sont néanmoins des moments où s’instaure un dialogue collectif interne à l’établissement et avec des partenaires externes. Or vous le souligniez tout à l’heure dans la présentation de votre organisation syndicale, vous êtes dans ce type de configuration. Existe-t-il des expériences, à l’initiative de directions ou de directives, qui ont conduit à ce type de démarche ? Si oui, cela a-t-il produit un résultat ? Si non, seraient-elles, à votre sens, un des éléments, non pas de réponse à tout, mais de dynamique interne dans un établissement ?

Ma troisième question est plus générale. Vous avez indiqué qu’une des différences entre les réformes annoncées et les réformes vécues, c’est que les moyens mis en _uvre ne sont pas à la hauteur. J’entends cela. Indépendamment des moyens, quels mécanismes vous apparaîtraient comme permettant de restaurer un dialogue social à un niveau qui dépasse celui de l’établissement ? Peut-on simplement rester dans des pratiques telles que si chacun y met du sien et si l’on ajoute des moyens, cela peut fonctionner ? Ou bien pensez-vous que des mécanismes de nature différente dans la représentation des personnes et dans des lieux de dialogue, permettraient d’aller dans le sens opposé de ce que vous avez constaté ?

M. Pierre DUFLOT : Ce sont encore des questions essentielles. Sur la formation permanente et continue, au sein des établissements, force est de constater l’échec de l’administration pénitentiaire. En effet, malgré la volonté des chefs d’établissement, il est très difficile de dégager le temps suffisant pour permettre à l’ensemble des personnels d’accéder à la formation continue, pourtant nécessaire pour répondre notamment à l’évolution des types de population pénale. Vous citiez notamment le cas des mineurs.

Au niveau des établissements, la formation continue relève plutôt de la volonté de chaque chef d’établissement et reste vécue comme un effort important, au détriment des autres charges de gestion des détentions. Par conséquent, elle ne peut être perçue de façon positive. J’ai du mal peut-être à faire passer l’idée, mais en tout cas, la formation continue est considérée par les personnels comme étant un frein à leurs repos et à l’exercice plus serein de leurs fonctions, ce qui est contraire à l’objectif même de la formation continue.

Toutefois, en termes de moyens, il est évident que les directions régionales s’inquiètent, au niveau des établissements, de l’absence de formateurs, voire de leur déficit croissant. Si, au sein de chaque établissement, il n’y a pas, en la matière, une personne spécifiquement chargée de la formation, il est très difficile d’argumenter et d’articuler une véritable réflexion sur la formation continue.

M. Louis LEBLAY : Il est clair que la formation continue représente une journée par an, voire moins, par agent et par établissement. Le terme de formation continue ne convient donc guère. Mais cela s’explique aussi par les effets de la réforme de la bonification du cinquième du régime des retraites, que l’on ressent fortement sur les années 2000 et 2001. Des personnels partent et d’autres, à 48 ans, sont déjà près de la retraite puisqu’ils pourront partir, dans certains cas, dès 50 ans. Par conséquent, les mobiliser sur une formation continue ou des projets d’établissement relève de la prouesse. Ceci ajoute également aux difficultés.

Néanmoins, s’agissant de certains quartiers, l’administration fait des efforts, notamment à l’égard des surveillants qui interviennent dans les quartiers des mineurs où il y a là une volonté de faire évoluer et de spécialiser les surveillants. Toutefois, on bute sur les questions liées aux effectifs et à l’absence de formateurs dans les établissements.

Quant à ce qui pourrait se faire en termes de projet d’établissement, s’en rapprocherait peut-être l’une des mesures du programme pluriannuel pour la justice, à savoir le projet d’exécution de peine. Dans la finalité, comme beaucoup de réformes actuellement, cette initiative est excellente.

Avec le projet d’exécution de peine, il s’agit de donner du sens à la peine, de rendre le détenu acteur de sa peine et de le faire avec les personnels, car on ne peut pas le faire sans eux. Mais là aussi, on achoppe sur le manque de moyens.

Par exemple, se développe, en matière de projet d’exécution de peine, une phase améliorée de l’accueil dans les établissements. C’est le cas de Nantes où se tient un module accueil pendant quinze jours, pendant lequel tous les détenus sont vus et auquel toutes les catégories de personnels participent. Ensuite, cela s’effiloche pendant la durée de détention, faute d’effectifs.

Quant au dialogue social avec les organisations, il porte le plus souvent sur des questions d’organisation de service, de jours de repos, de rappels sur les jours de repos hebdomadaire. Cela porte davantage sur de telles considérations que sur une volonté de revoir l’organisation même du travail. Sur ce point, l’administration centrale ne joue pas non plus toujours un rôle d’impulsion pour qu’il y ait des évolutions réelles en matière d’organisation du travail.

M. le Président : Madame, messieurs, je vous remercie.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr