Présidence de M. Louis MERMAZ, Président

Mme Elisabeth GUIGOU est introduite.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du Président, Mme Elisabeth GUIGOU prête serment.

M. le Président : Madame la garde des sceaux, je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation car nous souhaitions vous entendre sur la situation dans les prisons françaises, objet de travail de cette commission d’enquête qui travaille depuis le mois de février et terminera ses travaux à la fin du mois de juin.

Mme Elisabeth GUIGOU : Monsieur le Président, M. le Rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je vous dirai d’abord combien je suis sensible à l’attention que l’Assemblée nationale porte aux prisons. J’imagine que certains d’entre vous sont entrés pour la première fois dans une prison à l’occasion de cette commission, qui a effectué les visites de façon systématique puisque vous aurez vu la totalité des établissements pénitentiaires. Je ne doute pas que vous ayez éprouvé le choc que j’ai moi-même ressenti lors de ma première visite dans une prison lorsque je suis devenue garde des sceaux. Nous le savons, même dans les établissements qui ne sont pas vétustes, c’est le bruit incessant, les clés qui tournent, l’odeur mais aussi, souvent, la détresse d’un certain regard.

Les visites que j’ai effectuées, même dans les établissements les moins vétustes, m’ont forgé deux convictions : il fallait radicalement changer la situation et aussi faire comprendre à nos concitoyens ce qu’était la situation de nos prisons car celles-ci sont une institution publique. A ce titre, la prison ne peut être cachée. C’est la raison pour laquelle j’ai autorisé ces deux dernières années cinq cents reportages, deux cents de la presse nationale et trois cents de la presse régionale. C’est la première fois que l’on ouvre les prisons de cette façon. Vous en voyez la traduction puisque se multiplient les reportages sur ce sujet, y compris télévisuels. C’est une bonne chose parce que si l’on veut que l’intérêt pour les prisons ne soit pas qu’un feu de paille, épisodique, il faut donner à voir nos prisons. J’espère qu’au fur et à mesure que cette commission avancera, nous aurons un point de vue plus nuancé, mais il est important, en effet, de donner à voir ce que sont nos prisons.

Comment vois-je la prison ? Deux éléments y sont particulièrement spéciaux : l’espace et le temps. Ce sont eux qui font la différence entre le détenu et l’homme libre. L’espace est limité, le temps est compté. L’espace est cloisonné, le temps est immobile.

Une certitude aussi : une porte d’une prison n’est pas qu’une porte d’entrée, c’est aussi une porte de sortie. Une porte de prison doit être entendue à double sens. Il faut que tous nos concitoyens soient convaincus que tous les détenus, sauf quelques exceptions très rares, sortiront un jour. Lorsque nous parviendrons à faire comprendre qu’on ne parque pas les détenus sur une autre planète, où on les oublierait définitivement, mais que tous sortiront un jour, à part quelques-uns, nous aurons fait un grand progrès dans notre pays sur la compréhension de la situation pénitentiaire parce que c’est cette conviction qui permet de s’interroger sur le sens de la peine, sur ce que doit être la prison et même sur sa légitimité.

D’ailleurs, la prison doit-elle exister ?

Je n’ai jamais entendu un parlementaire me poser cette question, sauf peut-être en son for intérieur, mais je ne le sais pas. Pourtant, certains la posent et il peut sembler paradoxal que pour réinsérer des personnes privées de liberté, la société commence par les enfermer loin d’elle. Pour l’instant, c’est une question philosophique qui reste théorique parce que la société doit aussi prendre en compte les plus faibles et les victimes et les mettre à l’abri de ceux qui ont contrevenu à nos lois et leur ont porté atteinte.

Vous aurez compris à travers ces brefs propos liminaires que je pense que la prison doit devenir le dernier recours lorsque aucune autre solution n’est possible et que lorsque la situation de la prison s’impose, le temps qui y est passé doit être strictement nécessaire, si possible positif, au moins neutre. Il faut que, dans toute la mesure du possible, le détenu sorte dans de meilleures dispositions qu’il n’est entré.

Or c’est une autre constatation, la prison est un lieu de contrainte légale. Les hommes - car la prison est majoritairement un monde d’hommes - sont détenus contre leur volonté. C’est donc un monde de violence, de violence potentielle mais qui se manifeste en de multiples occasions : violence contre soi même par le suicide, j’y reviendrai ; par les automutilations ; violence entre détenus ; violence contre les personnels ; et, parfois, violence des personnels. La vigilance contre la violence est un combat de tous les instants.

Ce sont ces observations, ces interrogations qui ont présidé à la mise en _uvre de ma politique pénitentiaire. Je ne m’attarderai pas sur ce sujet puisque je l’ai présentée en conseil des ministres le 8 avril 1998, sauf pour rappeler les trois axes majeurs de cette politique : l’amélioration des conditions de prise en charge des détenus ; une politique pour les personnels de l’administration pénitentiaire ; une politique résolument tournée vers les alternatives à la détention et la réinsertion.

Des progrès importants ont été accomplis, grâce au soutien du Parlement. J’en ferai quelques rappels.

Les excellents budgets des trois dernières années ont permis la création de 1 030 emplois entre 1998 et 2000, dont 558 emplois de surveillants et 300 emplois de personnels socio-éducatifs affectés dans les services pénitentiaires d’insertion et de probation, les SPIP.

Les crédits de fonctionnement ont sensiblement augmenté pour atteindre 2,198 milliards de francs en 2000. Le surplus sur ces crédits de fonctionnement a donc été de 40 % supérieur à l’augmentation constatée pour les trois ans 1995-1997. Quant aux crédits d’investissements que vous avez bien voulu voter ces trois dernières années, ils atteignent 3,491 milliards de francs et sont quatre fois supérieurs à ceux de la période 1995-1997.

Mon programme de construction, vous le savez, porte sur dix nouveaux établissements pénitentiaires ainsi que sur la réhabilitation des cinq plus grosses maisons d’arrêt et sur la rénovation de l’ensemble du parc classique.

Mais il ne suffit pas de s’occuper des murs. Il faut faire en sorte que les détenus aient chaud, qu’ils mangent à leur faim - si je dis cela, c’est que ce n’est pas encore tout à fait le cas. Il faut agir pour diminuer le nombre de personnes incarcérées. C’est tout le sens de ma politique sur les alternatives à la détention.

J’aborderai maintenant brièvement trois sujets : les conditions de travail des personnels ; la situation des détenus ; les contrôles et la construction des nouveaux bâtiments.

Pour ce qui est de la situation des personnels pénitentiaires, je veux avant tout rendre hommage au sens des responsabilités de ces personnels qui, dans leur immense majorité, accomplissent leur travail avec conscience et dévouement. C’est un métier difficile. C’est aussi un métier risqué : 278 agressions répertoriées en 1998 et 320 en 1999.

J’ai constaté que même les reportages les plus sombres je pense notamment à un excellent reportage d’Envoyé Spécial sur les prisons de Lyon - ont tous renvoyé une image positive de ces agents de l’administration pénitentiaire, dont on voit à quel point ils allient une conscience professionnelle et un savoir-faire.

Mais ces personnels sont inquiets, très inquiets même.

Tout d’abord, ils aspirent à une plus grande reconnaissance de la Nation. Ils exercent une mission difficile et souffrent de l’indifférence, voire du mépris, dont leur profession a été trop longtemps l’objet. Ensuite, leur métier évolue et il faut qu’ils se préparent à une mutation dans l’exercice d’une activité où la surveillance et la réinsertion seront mieux identifiées. Ils doivent appliquer des méthodes ou des technologies nouvelles, auxquelles ils ne sont d’ailleurs pas généralement hostiles. C’est le cas avec le projet d’exécution de peine, avec les centres pour peines aménagées, la mise en service des unités de vie familiale qui induiront de nouvelles méthodes de travail et une nouvelle relation avec les détenus.

Je citerai tout particulièrement la restructuration des quartiers de mineurs, mieux identifiés et délimités géographiquement, qui constituent aujourd’hui un espace de la prison réservé aux mineurs et, éventuellement, aux jeunes majeurs.

A mon arrivée dans ce ministère, il n’existait pas de poste de surveillant comprenant une spécialité pour les mineurs. J’en ai créé 218, affectés à l’encadrement des mineurs, et j’ai affecté, la première année, l’essentiel des créations de postes de surveillants à ces postes de surveillants de mineurs. Cela n’a d’ailleurs pas été sans susciter des remous. Ces surveillants reçoivent une formation particulière en liaison avec les services de la protection judiciaire de la jeunesse. Leur travail est organisé de telle sorte que ce soient toujours les mêmes qui soient en relation avec les jeunes. Ils sont donc mi-surveillants, mi-éducateurs.

Enfin, de nouveaux métiers apparaissent.

Je pense à la généralisation du logiciel GIDE, gestion informatisée des détenus, qui fait appel à de nouvelles compétences pour les greffes pénitentiaires et qui soulage la charge d’écritures manuscrites, mais aussi au bracelet électronique, qui implique un nouveau mode d’intervention des personnels, tant de surveillance qu’éducatifs. Il y a également la réforme des services pénitentiaires d’insertion et de probation, qui a permis aux travailleurs sociaux d’intervenir dans un cadre nettement plus large que par le passé, c’est-à-dire de suivre les mêmes personnes dedans et dehors.

C’est donc à une réelle révolution que sont confrontés les personnels pénitentiaires. Ils sont, naturellement, constamment associés et consultés. Une rencontre se tient mensuellement au siège de l’administration pénitentiaire entre mes services et ces organisations syndicales. J’ai moi-même avec eux des contacts réguliers.

J’ajoute qu’un comité d’hygiène et de sécurité sera, cette année, mis en place dans les 94 établissements comptant plus de cinquante agents. Cela signifie que ce dispositif n’existait pas auparavant. J’ai relancé le dialogue social. Je reçois régulièrement les organisations syndicales. Je me rends d’ailleurs demain matin au congrès de l’UFAP.

En ce qui concerne la situation des détenus, je voudrais insister sur une première priorité qui devrait aller de soi, mais qui n’est pas remplie aujourd’hui : il faut détenir les personnes privées de liberté dans des conditions de dignité.

Pour la dignité des détenus, j’ai pris des mesures concrètes : droit à trois douches hebdomadaires - c’est en train d’être généralisé cette année ; remise à tous les entrants d’une trousse comprenant des produits d’hygiène corporelle, renouvelée pour les indigents ; installation de laveries accessibles aux détenus ; rénovation des sanitaires dont la séparation dans toutes les cellules devrait être achevée en 2001 ; aide aux indigents, pour lesquels nous avons créé un groupe de travail et je ferai des propositions dans le projet de loi de finances pour 2001.

La dignité, cela passe aussi par des locaux décents, suffisants, qui ne coupent pas du monde : c’est dire l’importance de la lumière, des espaces, de la vue. Le confinement produit des troubles. N’ajoutons pas des contraintes supplémentaires à l’enfermement.

Offrir des locaux qui permettent de respecter davantage le rythme de la vie libre : jour et nuit ; locaux privatifs et locaux collectifs ; intimité et sociabilité ; travail et repos ou loisirs. Tel est le cahier des charges des nouveaux établissements.

Mais si les locaux ne doivent rien empêcher, ils ne peuvent pas tout faire. C’est là qu’intervient la notion de temps. Que penser, pour se réinsérer, d’une journée limitée de 7 heures du matin à 18 heures le soir ? Que penser de détenus enfermés vingt-trois heures sur vingt-quatre, seuls dans une cellule ? Comment sortira un détenu à qui, 24 heures sur 24, il a été dit, heure par heure ce qu’il devait faire ?

Voilà les questions.

Il faut allonger la journée de détention, mais pour cela, il faut des personnels.

Il faut calmer les angoisses des prévenus qui ne vivent que pour leur juge, qui ne vivent que dans l’attente de leur procès. Pour cela, il faut des enquêtes sociales, des psychologues, un hébergement au dehors, des garanties de représentation. Il faut faire en sorte que le condamné se projette dans une occupation dynamique de son temps, mais il faut des dates de fin de peine appréhendables et si ces dates sont trop lointaines, il faut gérer à la fois l’installation dans la vie de détenu et la préparation à la sortie.

Une seconde priorité est de rappeler que les détenus ne sont pas sans droits, même si ceux-ci font l’objet d’interrogations. Le rapport Canivet nous rappelle que la réponse est simple, même si sa mise en _uvre est difficile : les détenus ont les mêmes droits que le reste des citoyens, sous réserve des restrictions particulières causées par les décisions de justice et des contraintes incontournables de la détention.

Or dans sa très grande majorité, la population pénale est très vulnérable. La prison représente le bout du bout de l’exclusion. Vous avez sûrement en tête ces quelques chiffres concernant la population pénale : 10 % cumulent l’usage de l’alcool et de stupéfiants ; 10 % ont fait l’objet d’un suivi psychiatrique avant leur incarcération ; 16 % ne dépassent pas le niveau d’études primaires ; 21 % des détenus sont illettrés ou proches de l’illettrisme, 30 % déclarent une consommation excessive d’alcool ; 30 % déclarent une consommation de drogue ; 65 % sont sans activité professionnelle et 28 % sont chômeurs indemnisés ; enfin, plus de 20 % sont étrangers, ce qui peut induire une exclusion dans l’exclusion.

C’est pourquoi la prison, lieu d’exécution des décisions de justice, doit par nature être accessible au droit et, si les détenus ont des devoirs, comme tous les citoyens, ils ont aussi en effet, comme le dit le rapport Canivet, des droits. J’évoquerai rapidement certains d’entre eux. Je répondrai aux questions que vous voudrez me poser, j’imagine, notamment sur l’application de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec l’administration, mais il en existe d’autres.

Je pense, premièrement, au droit à la sécurité.

Vous le savez, la violence existe en prison. Vous avez dû le constater. Des actes très graves peuvent être commis, comme le rappelait au début de cette année le procès d’un détenu pour le viol d’un compagnon de cellule. Une affaire similaire a récemment été jugée à Cayenne. Les rapports d’incidents font état de 74 agressions entre détenus en 1999 et l’on peut penser que ce chiffre, établi sur le seul comptage des rapports d’incidents, ne reflète qu’une partie de la réalité.

Le suicide est aussi un souci lancinant, sans doute l’un des plus graves défis auxquels est aujourd’hui confrontée l’administration pénitentiaire. L’augmentation de ces actes désespérés nous fait craindre des chiffres plus mauvais encore que l’année passée. L’an dernier, nous avions eu 125 suicides. On en dénombrait 56 au 1er juin 2000, soit 4 de plus qu’en 1999 à la même date. Cela représente onze suicides par mois, presque trois suicides par semaine.

Dans un tel contexte, les mesures que j’ai prescrites par circulaire du 29 mai 1998 doivent être complétées. Je viens de recevoir une étude - que je peux vous remettre si elle vous intéresse - faite par mes services à partir d’un examen de 244 suicides ces trois dernières années. Les conclusions qui s’en dégagent sur le profil du détenu susceptible de passer à l’acte et sur le moment du geste désespéré seront exploitées sans délai.

J’ai donné pour instruction à mes services de s’informer sur les pratiques étrangères en la matière car en lisant des études comparatives, on s’aperçoit que tous les pays qui nous entourent connaissent des chiffres de suicides inférieurs aux nôtres. Une mission se rendra prochainement dans les Etats qui paraissent les plus avancés dans ce domaine.

J’ai demandé aussi à mes services des actions plus immédiates : les directeurs régionaux des services pénitentiaires sont régulièrement sensibilisés à ce problème par des réunions spécifiques qui se tiennent à l’administration pénitentiaire.

Deuxièmement, le droit à la santé.

Il est le même en prison qu’en liberté. Tous les détenus bénéficient d’une couverture sociale, tandis que les soins qui leur sont dispensés le sont sous la responsabilité exclusive du corps médical, sans possibilité pour l’administration de s’immiscer dans la relation thérapeutique.

Mais, dans le même temps, la prison est le lieu de bien des pathologies pour lesquelles le milieu carcéral n’est pas le plus adapté. Je pense, en particulier, aux détenus présentant des troubles mentaux, dont le rapport Pradier, établi en septembre 1999 à la demande de Bernard Kouchner et moi-même, nous dit qu’ils sont de plus en plus nombreux. Le nombre des non-lieux pour cause d’irresponsabilité est passé de 16 % des personnes accusées d’un crime dans les années 80 à moins de 0,2 % en 1997. Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire qu’on ne met plus personne dans les hôpitaux psychiatriques et qu’on les met en prison ! Les prisons ne sont pas adaptées pour cela.

J’annoncerai, avant la fin de ce mois, avec ma collègue Dominique Gillot, secrétaire d’Etat à la santé, la constitution de groupes de travail et d’une mission d’inspection en vue d’expertiser et d’améliorer le système de santé en milieu carcéral.

Troisièmement, le droit au maintien des liens familiaux.

Ces liens sont essentiels pour un retour plus facile à la vie libre et pour supporter la détention. Ils sont actuellement maintenus selon un dispositif classique et hélas souvent défaillant : parloirs, correspondance, appels téléphoniques dans les établissements pour peine, permissions de sortie lorsque les conditions sont remplies. J’ai voulu aller plus loin en créant des unités de vie familiale. Actuellement en construction, elles devraient voir le jour l’année prochaine. Ainsi pourrons-nous permettre à des détenus, je pense en particulier aux condamnés à de longues peines, de retrouver périodiquement une intimité familiale.

Quatrièmement, le droit à préparer la sortie.

La réinsertion est une partie intégrante de la mission de l’administration pénitentiaire au même titre que la surveillance ; et les surveillants y tiennent beaucoup. Autrement, la prison ne serait qu’un moyen de mise à l’écart.

L’administration pénitentiaire ne reste pas inactive et fait appel à de nombreuses interventions touchant à l’enseignement, au travail et à la formation. Au titre de l’enseignement - mais je crois que nous pouvons faire des efforts supplémentaires - nous comptons quatre cent sept instituteurs, trente-cinq enseignants du secondaire, sept cents enseignants vacataires et 800 étudiants bénévoles du GENEPI, que je remercie car c’est une association formidable de jeunes qui fait un important travail en prison. Trente mille détenus ont été inscrits en 1999 dans une action d’enseignement ; dix-huit mille ont suivi une formation de base, c’est-à-dire d’alphabétisation, il ne faut pas se cacher derrière les mots. L’alphabétisation, en prison, c’est apprendre à lire ; douze mille ont suivi des cours secondaires ; les trois quarts des mineurs détenus ont été scolarisés, c’est-à-dire trois mille sur quatre mille.

Au titre de la préparation à la sortie, j’évoquerai plus particulièrement la réforme des SPIP, le projet d’exécution de peine et les centres pour peines aménagées et la réforme de la libération conditionnelle que je vous remercie d’avoir récemment votée.

La réforme des SPIP donne aux travailleurs sociaux un véritable outil leur permettant de faire un travail plus conséquent et cohérent.

Le projet d’exécution de peine est actuellement en place dans dix sites pilotes avant généralisation. Il associe dès le début, le détenu, le juge de l’application des peines, les personnels pénitentiaires, les chefs d’établissement, les surveillants et éducateurs, éventuellement le corps médical, dans le suivi d’un projet individualisé, par lequel le détenu accepte des objectifs - formation professionnelle, travail suivi, etc. - qui donnent un sens à sa peine et lui permettent de travailler effectivement dans l’optique de sa sortie. L’individualisation de la peine, qui doit être ce vers quoi nous devons tendre absolument, est ainsi, avec ces projets, véritablement assurée.

Les centres pour peines aménagées sont réservés aux détenus subissant de courtes peines ou en phase de préparation à la sortie. Je rappelle que 30 % de la population pénale subit une peine inférieure à un an. Trois centres pour peines aménagées sont actuellement en cours de démarrage : Metz, Marseille et Villejuif. Leur régime sera axé non sur la sécurité, mais sur un retour à la vie libre et sans récidive.

Je mentionne aussi la libération conditionnelle qui doit, évidemment, donner aux détenus les moyens de défendre avec toutes les garanties judiciaires leur projet de sortie appuyé sur des efforts sérieux de réinsertion.

Le troisième axe que je voulais développer devant vous est le contrôle des établissements pénitentiaires.

Pourquoi un tel contrôle ? Cette question m’est souvent posée en interne. Je réponds qu’il ne s’agit nullement de méfiance. Il s’agit, là encore, d’équilibre des pouvoirs. Comme toute institution à laquelle la loi confie l’exercice d’une contrainte, l’administration pénitentiaire doit avoir une déontologie et doit admettre un contrôle extérieur car les abus de pouvoir éventuels commis par le personnel pénitentiaire est sans commune mesure pour les victimes avec les abus de pouvoir commis par un agent de n’importe quelle autre administration. La transparence est ici la garantie de cette exigence.

C’est le sens du rapport Canivet. Le sujet implique l’administration pénitentiaire dans son ensemble et il est important, si l’on veut que la réforme aille à son terme, que les objectifs soient clairement définis et que les personnels soient consultés et associés à la réflexion. Cette réflexion est lancée. Le rapport Canivet a été présenté au Conseil supérieur de l’administration pénitentiaire le 20 mars dernier. Il a naturellement été immédiatement communiqué aux organisations syndicales ainsi qu’aux associations et aux juridictions.

Les 22 et 23 mai, une cinquantaine de personnels pénitentiaires appartenant à l’encadrement, directeurs d’établissements, chefs de services pénitentiaires et premiers surveillants, ont été réunis à ma demande par la directrice de l’administration pénitentiaire avec l’assistance d’un consultant extérieur, pour s’exprimer sur les propositions du rapport Canivet. Un second séminaire réunira les directeurs régionaux et les cadres de l’administration centrale les 21 et 22 juin et j’ai moi-même engagé la discussion avec les organisations syndicales, dans un cadre informel, par deux fois, et nous aurons une discussion plus formelle lors du comité technique paritaire ministériel au mois de septembre prochain.

S’agissant de l’architecture - dernier sujet - des établissements pénitentiaires, je voudrais rappeler au préalable un élément important concernant mon programme de construction : il ne s’agit pas de créer de nouvelles places en prison comme cela fut le cas des précédents programmes. Je ne construis pas ces prisons pour augmenter le nombre de places disponibles en prison, mais pour remplacer les établissements vétustes et permettre l’encellulement individuel comme l’impose, dans un délai de trois ans, la loi sur la présomption d’innocence que vous avez votée.

Je me suis exprimée sur ce délai de trois ans mais l’objectif est fixé. Je suis convaincue qu’il faut tout faire pour diminuer le nombre de personnes incarcérées. D’ailleurs, les dispositions que le Parlement vient de voter sur la détention provisoire dans la loi sur la présomption d’innocence vont dans le bon sens puisque la seule élévation des seuils de placement en détention provisoire devrait entraîner mécaniquement une diminution de quatre à cinq mille détentions provisoires.

Je sais que certains d’entre vous contestent la rénovation du parc immobilier en affirmant que l’augmentation du nombre des places induit celle du nombre de détenus. Le fait est loin d’être vérifié et je citerai, à cette fin, des chiffres qui n’ont jamais été publiés : en 1987, le déficit était de 12 500 places pour 51 000 détenus ; en 2000, le déficit a été ramené à 4 600 places et la population pénale est de 51 900 détenus exactement en ce moment, avec une tendance à la baisse. C’est donc bien que l’on arrive à diminuer la pénurie de places disponibles sans augmenter le nombre de détenus.

Je dirai un mot également sur la dimension des établissements pénitentiaires puisque certains d’entre vous ont émis des interrogations à ce sujet, qui rejoignent une interrogation qui m’habite depuis le début : existe-t-il un modèle type de prison ? Quelle logique préside à l’existence de grands établissements pénitentiaires ?

J’apporterai deux précisions concernant les établissements actuellement en cours de construction. D’une part, ils sont d’une taille nettement inférieure à celle de nos grands établissements comme Fleury-Mérogis, Fresnes, la Santé ou les Baumettes qui comportent plus de 1 200 places. 3 500 même pour Fleury. Ce sont des établissements de 600 places. Cela n’a rien à voir. Si nous avons choisi ce gabarit, c’est parce que, malheureusement, nous avions besoin, dans ces endroits où nous reconstruisions, d’établissements de 600 places, à la fois pour faire face à la surpopulation des établissements qu’ils remplacent et pour permettre un encellulement individuel des prévenus, ainsi que le prévoyait le cahier des charges.

Pour autant, je suis convaincue qu’il ne doit pas y avoir de dogme au nom duquel une maison d’arrêt ou un établissement pour peine devrait dans tous les cas compter au moins 600 places. L’argument économique n’est pas négligeable mais, s’il doit être intégré dans la discussion, il ne peut être le seul critère puisque nous avons à intégrer évidemment le souci d’humanité. Si une petite prison favorise mieux la réinsertion qu’une grande, alors sa construction ne doit pas être considérée comme une dépense, mais comme un investissement. Et si nous avons besoin de construire une grande prison, alors son organisation et l’organisation du travail des personnels doit prendre en compte cet objectif, c’est-à-dire que dans une prison de 600 places, on peut très bien gérer des groupes de détenus inférieurs. C’est d’ailleurs ce que nous réalisons pour les mineurs. On n’est donc pas obligé de gérer indistinctement des groupes de 600 détenus.

Je serai donc extrêmement attentive à toutes les suggestions que vous pourriez écrire sur ce sujet.

En conclusion, j’aborderai deux points.

Je veux, d’une part, vous redire que l’ensemble de ma politique pénitentiaire a pour objet de donner un sens à la peine. Cette peine doit prendre en compte la victime, la société et le délinquant. Elle ne peut pas être une simple mise à l’écart, une vengeance, même si elle est une sanction. Elle doit rester orientée sur ce qui arrivera nécessairement un jour, sauf cas très exceptionnel : la sortie du détenu. Elle doit favoriser la réparation et, pour ce faire, apporter des réponses diversifiées.

Je pense que nous avons fait des progrès importants avec le lancement de la rénovation du parc immobilier, avec le projet d’exécution de peine, avec la réforme des SPIP et celle de la libération conditionnelle. Il nous reste cependant beaucoup de chemin à parcourir.

Je veux d’ailleurs rendre hommage au travail des associations qui assurent une présence régulière en détention et dont les interventions constituent un prolongement ou un complément précieux de l’action de l’administration.

Il faut compter avec des moyens plus importants... et aussi avec le temps. On ne rattrape pas en quelques mois ni même en quelques années un retard de plusieurs décennies, voire, en certains lieux, de plus d’un siècle. Il faut du temps. C’est sans doute ce qui est le plus difficile à admettre et à faire admettre. Mais cet obstacle, nous le réduirons d’autant mieux que les moyens dont nous disposerons seront plus importants.

J’ai déjà dit que, dans son ensemble, le programme de construction, de réhabilitation et de rénovation des établissements, condition première, essentielle, mais non suffisante bien sûr, à la transformation de la prison, représentait près de 13 milliards de francs, en plus des crédits déjà prévus dans le budget voté. Un tel programme ne pourra être conduit sans l’appui du Parlement, à vrai dire, de la Nation tout entière car, à ce niveau, il faut des arbitrages budgétaires qui doivent être expliqués et compris par le pays. Il faudra trouver des montages financiers nouveaux, qui restent à créer. J’y travaille avec la Caisse des dépôts et consignations et je dois dire que je trouve à Bercy, sur ce sujet, une ouverture plus grande que par le passé.

Vos constatations et vos propositions seront un précieux soutien. Quel qu’il soit, votre constat aura l’immense mérite de désigner clairement ce qui doit changer. Il est certain que, sur un sujet de cette importance, le Gouvernement et le Parlement seront d’accord pour mettre un terme - non pas immédiatement, c’est malheureusement impossible - mais dans des délais aussi brefs que possible à une situation qui n’est pas digne d’une démocratie comme la nôtre.

M. le Président : Je vous remercie, Mme la garde des sceaux. Vous avez, il faut vous en féliciter, largement anticipé sur les travaux et les conclusions de la commission d’enquête.

Vous avez légitimement rappelé tout ce que vous aviez fait - et je pense que l’on peut dire que l’on n’avait jamais tant fait en si peu de temps - et vous avez beaucoup insisté sur tout ce qui reste à faire. Notre rôle, puisque nous nous serons rendus dans la quasi-totalité des établissements pénitentiaires, sera de vous informer plus encore que vous ne pouvez l’être, de la différence qu’il y a forcément entre vos objectifs, ce que vous avez déjà fait, et la réalité sur le terrain. Comme nous ne sommes pas là pour faire chacun un discours, je vais vous poser quelques questions qui seront forcément parcellaires. J’en poserai peu pour laisser ensuite la parole au rapporteur et à mes collègues.

Je vous ai écrit personnellement. Puis, les quatre députés - M. Blessig, M. Masdeu-Arus, M. Suchod et moi-même - qui se sont rendus en Guyane, Martinique et Guadeloupe vous ont écrit pour vous signaler que nous avions trouvé à Basse-Terre une maison d’arrêt contiguë au palais de justice innommable, dans laquelle nous avons rencontré dix à douze détenus enfermés vingt-deux heures sur vingt-quatre, réduits à vivre accroupis - un tabouret pour douze personnes - allongés sur des bas-de-flanc ; je ne vous décris ni les sanitaires ni le lavabo. Vous voyez bien ce que cela représente. Des cours exiguës, surchauffées dès que la saison chaude arrive.

C’est un symbole : à quelques centaines de mètres de là, une très belle préfecture, c’est normal, ornée d’un drapeau tricolore de la taille de ceux qu’on attache à l’Arc de triomphe, le 14 juillet. Notre indignation est immense. Vous nous avez déjà répondu, mais je voudrais que vous preniez la pleine dimension de ce problème. C’est un véritable scandale qu’il faut faire cesser le plus tôt possible.

Par ailleurs, est-il vrai qu’un problème foncier retarderait la construction d’une nouvelle prison à Saint-Denis-de-la-Réunion, que vous avez décidé d’ouvrir ?

Mme Elisabeth GUIGOU : J’étais informée des problèmes de la prison de Basse-Terre et vos courriers m’ont apporté des précisions qui m’ont encore davantage alertée. Je vous ai déjà répondu à ce sujet. J’irai au mois de septembre dans les départements d’Outre-mer que vous avez cités.

S’agissant de Saint-Denis-de-la-Réunion, je n’ai pas eu connaissance de problèmes fonciers. Pour nous, le dossier suit son cours.

M. le Président : Les élus de la Réunion, Mme la garde des sceaux, nous ont dit récemment, à l’occasion des débats sur la loi d’orientation des départements d’Outre-mer, qu’un problème foncier risquait de retarder son avancée. Je vous en informe pour que vos services puissent s’en saisir.

Mme Elisabeth GUIGOU : Nous allons regarder cela de plus près puisque vous nous le signalez, mais je ne peux vous en dire plus à ce sujet.

M. le Président : Je tenais à vous poser quelques questions précises. Quant à la philosophie du sujet, nous aurons l’occasion d’en débattre.

En ce qui concerne les mineurs, ce qui nous a le plus frappé, c’est leur incompréhension de se trouver là. On peut d’ailleurs se demander à quoi cela sert d’enfermer des mineurs ainsi un, trois ou six mois ; n’est-il pas possible d’envisager d’autres structures ? Je sais que vous y pensez. Mais nous avons aussi constaté, très souvent, malgré la compétence des personnels engagés, l’incompréhension, la stupéfaction des surveillants face aux comportements des mineurs.

On a l’impression que ces deux populations, les surveillants qui font leur travail généralement correctement et les mineurs, se tournent le dos, ne comprennent pas pourquoi ils sont les uns en face des autres. Cela m’avait beaucoup stupéfié dans les prisons de la métropole et dans celles des départements d’Outre-mer aussi.

Mme Elisabeth GUIGOU : En ce qui concerne les mineurs, il faut dans la mesure du possible éviter la prison. Pour une raison simple, non pas pour éviter la sanction, parce que je pense au contraire que pour les mineurs, quand un acte de délinquance est commis, il faut qu’il y ait systématiquement une sanction.

M. le Président : Tout à fait.

Mme Elisabeth GUIGOU : Nous sommes tous d’accord sur ce sujet. Mais nous devons préférer d’autres types de sanction parce qu’en prison, nous n’avons pas aujourd’hui les moyens de suivre les mineurs, comme peut le faire la protection judiciaire de la jeunesse dans des centres d’accueil. Lorsque nous suivons un mineur délinquant dans des centres éducatifs renforcés, par exemple, qui accueillent justement des délinquants multirécidivistes que les magistrats ont choisi de ne pas envoyer en prison ou que l’on a fait sortir de prison, il faut savoir que vous avez deux adultes pour un enfant ou pour un adolescent. Tel est le taux d’encadrement, que l’on ne peut absolument pas atteindre en prison.

Nous avons là un véritable problème de société parce que chaque fois qu’un mineur commet un acte de délinquance, une clameur enfle, relayée par de nombreux parlementaires de l’Assemblée nationale - on entend cela tous les mercredis aux questions d’actualité - : " Il faut les mettre en prison ! Pourquoi les relâche-t-on ? " J’entends ça toute la journée !

C’est affaire de cohérence. J’aimerais bien que les groupes politiques qui vont signer le rapport, s’ils s’expriment dans le sens que vous venez d’indiquer, aient ensuite une expression cohérente dans l’hémicycle.

Pour la prise en charge des mineurs dans les prisons, il existe aujourd’hui cinquante-trois établissements habilités à recevoir des mineurs. Nous pourrions en créer davantage. Nous avons mis au point, mais c’est également une question de formation des personnels de l’administration pénitentiaire, un suivi particulier et une formation d’éducateur. J’ai visité des prisons dans lesquelles les surveillants arrivent à instaurer avec les mineurs une relation éducative ; une relation à la fois ferme, très ferme même, mais qui, en même temps, a le mérite d’amener le mineur à s’intéresser à quelque chose car il n’y a rien de plus terrible que de voir ces jeunes de quinze à dix-huit ans, le regard vide. J’en ai vu comme ça. A part le suicide, il n’y a rien de plus affreux que de voir ces jeunes qui semblent avoir perdu tout espoir, qui sont comme des légumes.

J’ai vu des surveillants parvenir à établir cette relation. Le problème, ils le disent, c’est le temps. Lorsqu’un mineur est mis en prison pour un ou deux mois, c’est à peine le temps d’instaurer cette relation.

Il faut parvenir à avoir un débat public et un discours collectif sur la cohérence de ce que nous demandons concernant les mineurs. Certains préfèrent dire, et c’est très répandu : " Qu’on les mette en prison huit jours, ça leur apprendra ! " Mais que peut-on faire huit jours avec un mineur en prison ? Comme vous dites, il a à peine le temps de comprendre. De toute façon, il sortira et ce sera un petit caïd.

Nous avons besoin d’augmenter l’encadrement, d’accroître le nombre d’enseignants, d’enseignants formés car, même s’ils sont motivés, j’en ai vu beaucoup, ils sont obligés de faire du sur-mesure. Le taux d’enseignants par mineur en prison est équivalent à celui de l’extérieur ; or il faut les prendre un par un, parce qu’ils ne savent pas lire. Vous ne pouvez pas faire des classes de dix ou de quinze. Cela ne sert à rien. C’est ce que j’ai vu à Lyon, par exemple.

Le problème est le suivant : la Nation veut-elle donner au ministère de l’Education nationale les moyens suffisants pour qu’il y ait un nombre suffisant d’enseignants dans les prisons qui puissent prendre véritablement le temps d’apprendre à lire à ces mineurs, c’est-à-dire que, pendant qu’ils apprennent à lire à ceux-là, ils n’apprennent rien d’autre à des élèves de 3ème ou de 4ème.

M. le Président : Je partage votre point de vue : nous ne devons pas être le miroir des fluctuations de l’opinion publique. Il faut incarner et respecter le peuple, mais se méfier des caprices de l’opinion, même s’ils sont durables.

De quels moyens disposez-vous, Mme la garde des sceaux, pour faire en sorte que les magistrats s’impliquent davantage dans ce qui se passe dans les prisons ? Car dans beaucoup d’établissements, les directeurs, après un moment de gêne, nous disent qu’ils ne les voient pas souvent ; parfois ils ne les ont pas vus depuis un an. C’est un grave problème. Il ne suffit pas d’envoyer les gens en prison et de ne plus se préoccuper de ce qu’ils deviennent.

Mme Elisabeth GUIGOU : Je crois que les choses changent.

Avant que je réunisse la commission Canivet pour la première fois, j’avais envoyé tous les membres de mon cabinet ainsi que des membres de l’inspection générale des services judiciaires dans les prisons sur ce sujet précis : le contrôle par les magistrats. Le soir, tous ont fait rapport devant le conseil supérieur de l’administration pénitentiaire pour dire ce qu’ils avaient vu, ou pas vu. C’était absolument convergent.

Le rapport Canivet s’est fait l’écho de ce grave problème. Il y a une prise de conscience maintenant. J’en ai parlé à chaque occasion avec les premiers présidents et procureurs généraux que je réunis régulièrement. Les pratiques sont très variables. Certains juges d’instruction visitent régulièrement les personnes qu’ils ont placées en détention provisoire. Certains magistrats et procureurs visitent régulièrement les prisons. D’autres n’accomplissent pas cet effort.

Je signale que le président de la chambre d’accusation de Paris est allé visiter la prison de la Santé il y a trois ou quatre mois. Il a constaté qu’une personne était là en détention provisoire depuis deux ans, sans qu’il y eût d’acte d’instruction. La chambre d’accusation a immédiatement fait libérer cette personne.

M. le Président : On pourrait dire la même chose des avocats commis d’office que les détenus se plaignent de ne pas voir souvent.

M. le Rapporteur : Madame la garde des sceaux, l’ampleur de votre description et l’analyse que vous faites de la situation de l’administration pénitentiaire et des prisons montrent bien que nous avons eu raison de proposer et de mettre en place une commission d’enquête parlementaire. D’autant plus que cette commission d’enquête depuis qu’elle travaille a un vrai rôle pédagogique vis-à-vis de l’ensemble de nos collègues députés, qui nous posent des questions sur la réalité de la situation.

Comme nous avons visité l’ensemble des établissements, nous allons pouvoir vous faire un portrait tel que nous l’avons vu, avec les qualités et les défauts d’un tel type d’enquête. Nous pourrons répondre, par exemple, à votre dernière question : les magistrats vont-ils dans les établissements, puisque nous avons interrogé et posé des questions sur les rapports qui sont faits à votre administration chaque année. Nous savons qui va et qui ne va pas dans les prisons. C’est intéressant parce que cela permettra aussi d’améliorer le fonctionnement.

Mais ce que nous ressentons après ces visites, c’est d’abord la nécessité de transparence de cette administration. C’est une administration de la République ; sur ses frontons, il y a le drapeau de la République et il est écrit " Liberté, Egalité, Fraternité ". Pourtant, ces établissements sont fermés à l’ensemble des citoyens qui en assurent pourtant le fonctionnement et doivent en assurer aussi la responsabilité.

Nous avons vu dans ces établissements des choses très raisonnables. Nous avons vu les applications de vos directives dans un certain nombre de domaines. Mais nous avons vu également des choses indignes.

M. le Président vous a parlé de la prison de Basse-Terre. Sans les avoir rencontrées avec autant d’outrances dans certaines prisons métropolitaines, nous avons aussi trouvé des situations qui ne sont pas dignes d’une administration du XXIème siècle, pas dignes de la République aujourd’hui.

Nous avons rencontré des personnels compétents, efficaces qui cherchent à faire leur travail dans les meilleures conditions possibles, mais qui n’ont pas toujours, au bout du compte, non pas la récompense escomptée, mais simplement les moyens de fonctionner. Par exemple, l’absence de remplacement systématique quand il y a des absences de personnel de surveillance, voire de direction. Nous avons vu parfois des chefs de détention prendre des directions d’établissements pendant plusieurs mois. Nous voyons des postes de surveillants non remplacés pendant quelques mois, voire l’année dépassée. Il semblerait que dans cette administration, il n’y ait pas de gestion dynamique des personnels.

Par ailleurs, Mme la garde des sceaux, nous avons constaté comme vous que la prison est un monde de violence et qu’il fallait faire une réforme et une rénovation complète des établissements parce que la situation immobilière ou la situation " de confort " de ces établissements est telle qu’ils induisent eux-mêmes la violence ; nous nous apercevons que parfois des efforts ont été faits, et j’étais avant-hier dans la prison de Vannes, vieille prison s’il en est, puisque le bâtiment date du XVIème siècle, rénovée car les trois derniers directeurs ont fait le nécessaire pour demander des crédits auprès de la direction régionale. Les autres établissements de la région ne demandant rien, c’est la prison de Vannes qui a pu récupérer tous les crédits de la direction régionale de Rennes. Aujourd’hui, on voit dans chaque cellule la douche, les toilettes. D’un vieil établissement, on peut donc faire quelque chose d’équilibré.

Je tenais à vous dire cela, car on ne peut avoir une vision systématique des choses. Il n’y a pas de situations complètement indignes, ni complètement extraordinaires, mais toute une gamme, celle-ci allant plutôt vers le négatif que vers le positif, ce qui montre l’ampleur du travail qu’il nous reste à faire.

Ma première question sera la suivante. Notre rapport va nous conduire obligatoirement à proposer des textes législatifs pour améliorer la situation pénitentiaire. Je souhaiterais savoir si vous seriez partisane d’une solution qui tendrait, avec l’appui du Parlement, à le faire dans le cadre d’une grande loi pénitentiaire.

Ma deuxième est subsidiaire, mais me paraît cependant intéressante. Vous avez parlé des jeunes en prison. Les règlements actuels ne prévoient pas qu’un jeune de plus de seize ans et de moins de vingt ans, par exemple - qui sont les plus nombreux en prison - puisse obligatoirement suivre les cours. J’ai rencontré l’autre jour, dans une prison, un jeune de seize ans et demi qui m’a dit qu’il n’avait plus d’obligation scolaire et qu’en conséquence, il ne suivait pas de cours. Dans notre rapport, nous avons peut-être l’intention de préconiser cette obligation de formation professionnelle et d’obligation scolaire. En êtes-vous partisane ?

Ma dernière concerne la réhabilitation : quel devenir assurer au casier judiciaire ?

Mme Elisabeth GUIGOU : Je partage absolument toutes vos constatations. Vous avez souhaité faire un diagnostic qui prenne en compte la diversité des situations. L’une des constatations que l’on peut faire, en dehors du choc face à la vétusté de certains établissements et aux conditions de détention inacceptables, est qu’il existe aussi des établissements qui fonctionnent bien. On est donc frappé par la profonde injustice de la répartition sur le territoire d’établissements tout à fait corrects et d’autres dont on a honte.

Une loi pénitentiaire ? J’ai été très intéressée par cette proposition du rapport Canivet, car il y aurait besoin de rassembler dans un même texte l’ensemble des dispositions concernant l’administration pénitentiaire. Aujourd’hui, ces dispositions sont très éparpillées et certaines ont été prises par voie réglementaire alors qu’elles auraient nécessité un traitement législatif. De plus, l’élaboration d’une loi pénitentiaire serait aussi l’occasion d’un grand débat sur la prison. Je ne suis pas hostile à une telle perspective.

Il est certainement nécessaire, mais cela représente un long travail que nous avons déjà commencé, de distinguer ce qui est réglementaire de ce qui est législatif. C’est une perspective qu’il ne faut pas fermer, en effet.

Les mineurs sont soumis aux mêmes obligations qu’à l’extérieur. Nous trouvons sur l’enseignement les mêmes règles qu’à l’extérieur. Ne faut-il pas, et cette question que vous posez peut s’appliquer pour l’enseignement, la formation ou la prise en charge médicale, avoir des règles particulières en prison pour tenir compte de la particularité de la situation ?

Tout ce qui permettrait d’inciter, voire d’obliger, les jeunes à avoir une activité en prison me semblerait salutaire. Rien n’est plus consternant que de voir ces jeunes passer la journée devant un poste de télévision. Et encore, heureusement qu’il y a la télévision car c’est une ouverture sur l’extérieur ! Mais vous avez tous vu cela : on arrive dans une cellule, les jeunes sont couchés, en pleine journée. On se demande quand et comment changer cela.

Nous avons surtout ce problème avec les jeunes majeurs. Mais il est vrai que dans les quartiers pour mineurs, tels qu’ils sont aujourd’hui pris en charge et parce qu’il existe des surveillants formés pour cela, à Fleury-Mérogis, par exemple, pour les moins de seize ans, vous avez des cellules absolument impeccables. Ils ont même mis des patins, je n’en revenais pas. Et les jeunes sont dynamiques ; ils vont dans les activités, ils vont au sport, ils suivent un enseignement, etc. Mon objectif pour les centres mineurs est celui-là.

Envisager une obligation d’activité, d’enseignement, de formation est sans doute une question à se poser.

En ce qui concerne le casier judiciaire, des procédures permettent aujourd’hui, y compris pour des personnes qui ont été condamnées à de longues peines - j’ai en tête le cas d’une personne qui a fait l’objet d’une libération conditionnelle à la suite d’une condamnation très grave - de demander par l’intermédiaire de l’avocat la radiation des condamnations du casier judiciaire.

Peut-on assouplir ces procédures ? J’y serais assez favorable si c’était possible. Il faut voir dans quelles conditions. Voir quelqu’un qui a été libéré de prison, traîner son casier toute sa vie durant... Cela fait partie de la réinsertion que de faire en sorte de supprimer ce type de stigmatisation.

M. Claude GOASGUEN : Mes questions ne seront pas une critique car j’ai été tout à fait séduit par votre introduction et la manière large dont vous avez posé les problèmes, mais une question me paraît essentielle.

A la visite des prisons, le parlementaire, qui a un peu l’habitude du monde judiciaire, a le sentiment d’être, plus qu’ailleurs, dans un système administratif ; un système administratif dans lequel règne plus que dans les autres, le sentiment de l’injustice car les autres systèmes administratifs ont sécrété des recours pour excès de pouvoir, des mises en cause de responsabilité d’individus. Dans le système carcéral, nous nous retrouvons dans un endroit où, tout à coup, après être passé par une phase judiciaire aiguë, les individus tombent dans un canevas administratif dont la justice est désormais absente parce que, Mme la garde des sceaux, le sentiment que nous avons tous eu est que se trouvaient là des fonctionnaires très méritants et très courageux, mais pas de magistrats.

La question fondamentale que je voudrais vous poser est de savoir s’il est possible d’imaginer un système d’exécution des peines dont les magistrats puissent être absents d’une manière aussi aveuglante. Que le parquet soit absent, soit. Il a quand même des responsabilités par le code de procédure pénale qui sont énormes et qui ne se limitent absolument pas à la visite annuelle devant le Conseil de surveillance, car la loi est formelle. Elle est incitative. Il a tous les pouvoirs. Que le juge d’application des peines soit débordé, sûrement. Que le juge d’instruction ait besoin de temps, on l’accepte. Mais à la visite des prisons, nous avons ce sentiment général que le monde judiciaire est absent, ou quasiment, de la gestion administrative de la prison. Cela vaut aussi pour les avocats, M. le président a eu raison de le souligner. Je ne suis pas aussi compétent, bien sûr, que l’inspection des services qui est techniquement tout à fait compétente dans le domaine administratif, mais comme nous sommes dans une commission politique, je veux vous poser la question politique : je ne comprendrais pas qu’une loi pénitentiaire ne " rejudiciarise " pas la question de l’administration pénitentiaire.

Vous avez posé des questions fondamentales. J’ai envie d’en poser une : vous êtes-vous posé la question de la nécessité d’une administration pénitentiaire et d’une direction de l’administration pénitentiaire ? Lorsque l’administration pénitentiaire est venue avec ses valises du ministère de l’Intérieur, on a le sentiment, à la lecture des débats parlementaires, que c’est justement pour rencontrer les juges. Je vous dis, moi, que les juges n’ont pas été rencontrés.

Par conséquent, la question se pose aujourd’hui véritablement du contrôle extérieur par la justice de l’administration pénitentiaire dont, par ailleurs, vous avez parfaitement souligné les capacités et les vertus, dont je n’ai pas l’approche caricaturale qui en est faite dans la presse car j’ai visité des prisons où tout se passait bien. Je voulais le souligner ici.

Néanmoins, que cela se passe mal ou bien, le constat qui frappe est que, de magistrats, point. Cela pose un problème juridique et un problème d’organisation générale qui dépassent très largement les problèmes d’administration de vos services.

Quelles sont vos intentions sur ce point ? Ce que vous avez répondu tout à l’heure va tout à fait dans mon sens. Qu’un président de chambre d’accusation de Paris aille visiter la Santé que, visiblement, il n’a pas visité depuis deux ans et qu’il y découvre quelqu’un en préventive depuis deux ans, qu’il en reparte et convoque ses collègues pour le libérer, vous comprendrez quand même, qu’à la fin du XXème siècle, avec les connaissances juridiques qui sont les nôtres, c’est pour le moins choquant ! Par conséquent, si vous aviez voulu nous tendre la perche pour vous demander de rectifier les relations entre la magistrature et l’administration pénitentiaire, vous ne pouviez pas mieux faire. Peut-être était-ce votre intention, je ne sais pas...

Ma seconde question porte sur les mineurs. Sur ce point, je partage tout à fait votre sentiment. L’éloignement, Mme la garde des sceaux, ne signifie pas que l’on mette en incarcération immédiatement les mineurs. Il signifie que l’opinion publique réclame que les mineurs soient éloignés lorsqu’ils commettent des actes de violence grave, mais cela ne veut pas dire que l’opinion ne réclame pas pour autant de les éduquer.

Nous avons rencontré le directeur de la protection judiciaire de la jeunesse hier. Il y a incontestablement un progrès. Etes-vous favorable à des établissements spécialisés éducatifs, car on ne peut imaginer qu’un mineur en détention, même si son délit est de peu de durée et peu de portée, ne puisse être l’objet d’une obligation éducative ?

Je vous remercie de ce que vous nous avez dit et de la façon dont vous avez situé le problème dans votre introduction.

Mme Elisabeth GUIGOU : Je vous remercie de vos appréciations, M. le député.

En ce qui concerne l’absence des magistrats, c’est le premier président de la cour de cassation, M. Canivet, auteur de ce rapport d’une commission elle-même constituée, notamment, de magistrats, qui a fait cette constatation dans les termes les plus nets. Nous avons déjà commencé à prendre des mesures qui vont aller dans le sens d’une présence judiciaire et d’une " juridictionnalisation " des décisions prises en prison, ne serait-ce que parce que les personnes qui sont placées en prison sont placées sous main de justice et que le code de procédure pénale impose des obligations précises aux magistrats, qu’il faut voir respectées.

Les créations de postes auxquels nous procédons dans les services judiciaires devraient permettre de dégager davantage de temps. Il faut aussi avoir en tête que les magistrats sont confrontés à une explosion des contentieux. Ils ont fait un effort de productivité considérable. Aucun corps de la fonction publique n’a fait un tel effort de productivité depuis vingt ans. Nous créons des postes, nous donnons de l’informatique, nous améliorons la gestion des tribunaux, nous décentralisons. Tout cela pour que les magistrats soient davantage maîtres de leur temps. Je ne voudrais pas que ce soit haro sur les magistrats, mais je sais que vous avez effectué un travail très sérieux et que vous aurez des conclusions qui feront la part des choses, et ce que vous avez dit le montre.

Concernant l’application des peines, vous avez voté la juridictionnalisation de l’application des peines. C’est une réforme considérable que Robert Badinter avait tentée il y a dix-sept ans et qui avait depuis été remisée dans les tiroirs. Cela veut dire que le juge d’application des peines, qui est déjà présent dans les établissements, lorsqu’il statuera sur une libération conditionnelle statuera non plus, comme c’est le cas aujourd’hui, dans une fonction administrative, mais dans une fonction juridictionnelle. Il sera obligé d’entendre un avocat et sa décision sera susceptible d’appel. Pour les peines supérieures à dix ans, ce sera un véritable tribunal qui décidera avec, là aussi, une possibilité d’appel devant une formation collégiale. C’est une réforme qui induira un changement des comportements extrêmement important parce que, par nécessité, cette juridictionnalisation imposera un regard des magistrats sur les détenus.

Il y a aussi des recours contre les sanctions auprès du juge administratif.

Il faut progresser sur ce terrain. C’est à la fois une question de moyens, d’effectifs, et de sensibilisation. A cet égard, votre rapport sera extrêmement important ; si vous mettez l’accent sur cette nécessité, cela ne peut pas ne pas être entendu.

Nous travaillons sur le contrôle extérieur. La première phase de consultation sur le rapport Canivet sera terminée fin juillet. Nous poursuivrons la consultation des organisations syndicales. Il est indispensable de faire cette réforme avec les personnels ; sinon vous voyez bien qu’elle ne verra pas le jour. Il faut que les personnels s’approprient la nécessité du contrôle extérieur des prisons, qu’ils comprennent que ce n’est pas dirigé contre eux, que c’est justement parce qu’ils font un travail dont ils n’ont rien à cacher, même s’il y a des brebis galeuses comme dans toutes les professions, que ce contrôle est nécessaire.

D’après les premiers contacts et les premières discussions, je sens des craintes et des réticences, mais je ne vois pas de fermeture absolue sur ce sujet. Il faut parvenir à conduire ces réformes de façon qu’elles puissent être appliquées. Je vous indique à ce propos que j’ai demandé des postes de cadres extérieurs dans le budget 2001 pour commencer à organiser le contrôle extérieur des prisons.

Sur la question des mineurs, nous savons tous ici qu’il n’y a pas une réponse sur la délinquance des mineurs. Il nous faut arriver à mettre en place des formules d’hébergements diversifiées qui correspondent à la diversité des situations. Il ne faudrait pas non plus se focaliser seulement sur la situation des mineurs en prison - j’en ai parlé, je n’y reviens pas - ni sur la situation des centres éducatifs renforcés - nous en aurons une centaine l’année prochaine, ce qui est considérable -, il faut aussi se préoccuper des hébergements de jour, du suivi, de l’articulation surtout entre les différents services administratifs qui prennent en charge les familles ou ces mineurs.

Le problème dramatique, c’est le cloisonnement. Les personnes qui suivent des familles en détresse - en général, les jeunes délinquants sont plutôt issus de ces milieux familiaux -, les enseignants, les travailleurs sociaux et les magistrats, sauf quand il existe des contrats locaux de sécurité et des politiques municipales extrêmement actives, ne se rencontrent jamais.

Alors comment voulez-vous ? Des jeunes passent ainsi constamment au travers des mailles du filet. Des rapports de sociologues, très intéressants, ont même montré que c’était devenu pour certains une motivation, un sport, que de circuler entre les différentes modalités de prise en charge. Nous n’allons pas résoudre ces problèmes uniquement en s’occupant des prisons ou des centres éducatifs. Il faut le faire. Mais il y a un problème profond de coordination, d’attention, de suivi et de prise en charge globale.

M. Hervé MORIN : Comme Claude Goasguen, je voudrais reconnaître le travail que vous avez accompli depuis que vous êtes garde des sceaux. Tous nos interlocuteurs reconnaissent que, d’une part, sous Pierre Méhaignerie, il y a eu une grande amélioration du droit à la santé des détenus et que, sous votre ministère, il y a eu une prise en compte de la prison. Cependant, beaucoup reste encore à réaliser.

Nous ne sommes ni dans une vision apocalyptique, telle qu’elle a pu être décrite dans la presse ou dans le livre de Mme Vasseur, ni dans une situation formidable.

Ma première question porte sur la liberté conditionnelle. Nous avons assisté à une réduction du nombre de libérations conditionnelles. Pensez-vous que nous allons retrouver un rythme plus important de mises en liberté conditionnelle pour donner un sens à la peine, car c’est un des moyens dont nous disposons pour cela ?

Ma deuxième question concerne les longues peines. J’ai bien conscience que nous sommes entre le besoin de la société de punir, les droits des victimes ou des familles, et la question de la réinsertion. Il est clair aujourd’hui que les longues peines ne sont pas forcément la bonne solution, sauf peut-être pour des délinquants extrêmement dangereux dont on voit mal comment régler la situation. Mais on voit bien que la longue peine n’est pas une solution.

Ma troisième question a trait aux psychotiques et aux toxicomanes. Il me semble que toute une partie de la population qui se trouve en prison n’a rien à y faire. Vous l’avez dit, Mme la garde des sceaux. Seriez-vous favorable à des établissements spécialisés, réservés aux cas psychiatriques qui sont actuellement en prison et qui, à mon sens, n’ont rien à y faire, ou à des populations comme les toxicomanes qui, certes, sont souvent des dealers mais, bien souvent, ils le sont davantage parce qu’ils sont malades que par vocation à être dealer ? Ne pourrait-on trouver une solution intermédiaire pour, au moins, ces deux populations ?

Ma quatrième question porte sur l’individualisation des peines : le vrai problème est le manque de moyens. Ce qu’a dit M. Goasguen sur l’absence des magistrats est exact. Certes, quelques magistrats font leur travail, individualisent les peines ; certains juges d’application des peines passent chaque semaine dans les prisons, mais c’est extrêmement rare. Cela nécessite de nombreux moyens, des moyens considérables que nous n’aurons pas pour mettre en _uvre ce genre de dispositif.

Etes-vous favorable à l’introduction de l’avocat pour les sanctions dans les prisons ? Etes-vous favorable à ce que les magistrats décident d’un certain nombre de sanctions ?

Enfin, dernier point sur la loi pénitentiaire, il semblerait utile que nous ayons une grande loi pénitentiaire ; cela permettrait au moins à notre pays d’avoir un débat à la fois sur la mission de la prison et sur les moyens que l’on doit y affecter.

M. Michel HUNAULT : Nous pourrions poser trente-six questions, je n’en poserai qu’une. Mme la garde des sceaux, comme mes collègues, je note les avancées faites sous votre ministère. Je rappellerai à notre collègue, M. Morin, que la prise en charge sur la santé, c’est la loi de 1994. Mais nous ne sommes pas ici pour dresser un bilan.

Je voudrais parler des petites peines. La loi prévoit que pour les peines inférieures à un an, lorsque la personne a un emploi ou présente certaines garanties, le juge d’application des peines peut favoriser l’exercice de cette peine dans un centre en semi-liberté. Vous avez annoncé, ce matin, la confirmation d’un vaste plan de construction et de réhabilitation des maisons d’arrêt. Ne croyez-vous pas que ce plan devrait mettre l’accent sur les places dans les centres de semi-liberté, qui sont très limitées ?

Nous avons vu avant-hier un documentaire sur l’incarcération des femmes, certaines d’entre elles étant éloignées de leur famille pour des peines de trois mois et confrontées à des situations humaines très dures. Ne pensez-vous pas que ce soit une piste à approfondir ?

M. Emile BLESSIG : Après les visites que nous avons faites, nous aurions chacun une multitude de questions à poser. Je voudrais d’abord faire une observation qui découle de l’une de vos remarques. Vous avez indiqué qu’à partir de 2001, les séparations des sanitaires dans les cellules seraient achevées. Permettez-moi d’attirer votre attention sur un établissement, qui a eu son époque de gloire dans les années d’après-guerre : la prison-école d’Oermingen. Dans cet établissement, cent cinq cellules n’ont aucun sanitaire. J’espère qu’ils se retrouveront dans ce projet ambitieux, mais nous ne parlerons pas là de séparation, mais d’existence de sanitaires dans les cellules.

Ma question porte sur le travail pénitentiaire. Vous avez insisté sur l’importance du temps de la journée du détenu. Le travail pénitentiaire est une composante occupationnelle absolument importante, voire indispensable, dans bon nombre d’établissements et dans l’exécution d’un projet de peine personnel. Il est utile et nécessaire parce que, d’une part, la prison est un univers d’argent. Celui qui n’a pas d’argent n’existe pas en prison. D’autre part, le travail pénitentiaire est aussi l’occasion de retrouver des repères et l’amorce d’une réinsertion.

Deux remarques. Premièrement, ce travail pénitentiaire s’exécute quelques fois dans des conditions matérielles pour le moins critiquables. Deuxièmement, il existe le travail avec les concessionnaires et le travail dans les services généraux. C’est indispensable, mais la rémunération des détenus utilisés dans les services généraux est indigne, puisqu’elle est de l’ordre de 500 francs par mois, parfois moins.

Ne pourrait-on pas aussi arriver à une certaine souplesse permettant de concilier enseignement et travail pénitentiaire, car ce dernier est un facteur de responsabilisation qui permet au détenu d’accéder à un certain revenu ? Mais lorsqu’il suit des cours d’enseignement, et non de formation professionnelle, il n’est pas rémunéré. Donc, paradoxalement, cela crée un conflit entre l’intérêt à court terme qui est d’accéder à l’argent et l’intérêt à long terme du projet d’exécution de la peine.

Dernier point : j’observe au passage, que l’Etat récupère 20 %, me semble-t-il, de l’ensemble des salaires payés sur le travail et, à ma grande surprise, cet argent échappe à votre ministère pour retourner au Trésor. C’est une question que nous ne résoudrons pas ici, mais ces 20 % pourraient être une contribution à l’amélioration de la condition pénitentiaire au sens général.

Mme Nicole BRICQ : Madame la garde des sceaux, je me contenterai d’une seule question concernant le programme de construction des établissements. Je laisserai de côté l’arithmétique par rapport au nombre de détenus que vous avez utilisée tout à l’heure car j’avoue ne pas l’avoir comprise. Nous avons constaté au fil des auditions qu’il existe un point de consensus, que ce soit de la part des personnels surveillants, des chefs d’établissement, de ceux qui représentent les droits des détenus, de tous ceux qui travaillent à l’intérieur et à l’extérieur de la prison pour que la vie s’y améliore : plus les établissements sont à taille humaine, plus il peut y avoir des relations humaines entre les personnels surveillants qui vivent au quotidien avec les détenus vingt-quatre heures sur vingt-quatre, meilleur est le fonctionnement interne de la prison.

Je m’interroge sur la solution, technique, qui consiste à construire des établissements dont j’ai pu constater durant nos visites que certains ouverts il y a à peine huit ans, très bien conçus sur le papier, ne correspondaient pas à l’évolution de la population pénale. Je tenais à attirer votre attention sur le programme de construction. Bien que vous nous ayez dit que les critères avaient changé, cela ne semble pas se vérifier dans ce que nous entendons et voyons sur le terrain.

On a fait un programme de construction purement fonctionnaliste, qui tenait compte, je le comprends, de l’épure budgétaire, mais qui ne correspond ni à l’évolution de la population pénale ni au besoin d’humain et de relationnel dans les prisons.

Pourriez-vous nous dire quelles réorientations vous envisagez de donner, parce que nous avons l’impression - en cela, je rejoins ce que disais mon collègue M. Goasguen - d’une approche purement technique, technocratique, administrative du problème et d’un train administratif qui roule, quels que soient les ministres et qui conduit effectivement à certaines aberrations. J’ai ainsi visité un établissement complètement isolé en pleine campagne, où il n’y a aucun moyen de transport. Il faut que vous nous donniez votre sentiment sur ce point.

Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Vous avez, Mme la garde des sceaux, tout dit, donné tous les chiffres et évoqué le retard pris depuis des décennies que l’on est en train de rattraper.

Vous avez parlé de la dignité des détenus. Mais où est la dignité lorsque, dans une cellule de 10 m ?, prévue pour deux, cinq hommes s’entassent ? Quand un homme malade vous demande d’intercéder en sa faveur afin qu’il puisse faire sa toilette intime à l’écart des autres ? Que dire de l’hypocrisie de certains parloirs ? J’ai visité un parloir où un enfant avait été conçu. Comme vision du monde, il n’a que les visites qu’il peut faire à son père dans ce même parloir.

Nous pourrions revenir sur des images mais, comme il faut être rapide, je n’évoquerai que deux problèmes.

Même si certains de mes collègues en ont déjà parlé, je voudrais revenir sur la santé dans les prisons. Le rapport Pradier est accablant sur la recrudescence de la tuberculose en prison avec les malades atteints du VIH et l’hépatite C, sur la lourdeur des malades psychotiques pour lesquels les surveillants ne sont pas du tout formés et qu’ils ont une grande difficulté à appréhender, et sur la polytoxicomanie sous la forme associée de cigarettes, d’alcool et de drogue avec le trafic de hachisch en prison.

Je poserai deux questions précises parce que cela m’a choquée.

J’ai visité la maison d’arrêt Saint-Michel à Toulouse lorsque j’ai été élue députée. Ce jour-là, il y a eu une naissance. La seconde fois, je m’y suis rendue dans le cadre de la commission parlementaire, il y avait encore une naissance. Je voudrais vous demander s’il est encore humain de séparer les enfants à dix-huit mois de leur mère emprisonnée ? Ce ne sont pas des cas nombreux, mais cela existe.

Un facteur me paraît essentiel à développer : le sport, pour l’équilibre entre le mental et le physique. Il est vrai, malheureusement, que pour les maisons d’arrêt construites dans les villes, il est difficile de trouver des terrains de sport. Mais nous l’avons entendu souvent, le sport est un facteur d’équilibre.

Mme Christine BOUTIN : Il est vrai, Mme la garde des sceaux, que cette commission d’enquête a fait un travail important et que son rapport pourra sûrement aider à la sensibilisation de l’opinion sur le fait que la prison ne doit être que la privation de liberté ; j’insiste sur ce " que ", car il faut absolument que les Français se rendent compte que la prison ne devrait pas être autre chose. Or elle est bien autre chose.

Je voudrais vous remercier très rapidement pour la réponse que vous avez faite à notre rapporteur sur la question du casier judiciaire. Vous savez que j’y tiens beaucoup. C’est tout un ensemble, un regard différent, que nous aurons, par ce biais, sur le sens de la sanction.

Je voudrais insister sur le mot transparence, indispensable pour le droit des détenus, les personnels et les victimes. En ce qui concerne la transparence, je souhaiterais que les victimes soient davantage informées et associées à la procédure et soient véritablement partie prenante, de façon à ce que, véritablement, la réconciliation puisse se faire chaque fois que possible puisque, nous ne devons pas l’oublier, un délinquant a vocation à sortir. C’est ce moment de la libération qui est particulièrement difficile.

Les deux questions que je voulais vous poser ont déjà été évoquées, mais personnellement, je serais plus favorable à un médiateur qu’à l’avocat dans le prétoire, c’est-à-dire une personne qui ne soit pas directement liée au délinquant, mais une personne qui ait l’agrément du ministère et qui soit indépendante à la fois du personnel et du détenu, de façon à ce que le personnel puisse maintenir son autorité dans l’établissement et qu’il n’y ait pas une trop grande connivence entre le détenu et celui qui le représente. L’idée d’une tierce personne est une bonne idée, mais il faut trouver une solution pour ne pas toucher à l’autorité du chef d’établissement, tout en maintenant les droits des détenus.

Ma dernière question a été abordée par M. Blessig. Guidée par les mêmes préoccupations que les siennes, je vous demanderai ce que vous pensez de la création d’un revenu minimum pour les détenus ?

M. Alain COUSIN : Sur l’approche générale du monde pénitentiaire, Dieu merci, tout le monde pense à peu près les mêmes choses, et depuis longtemps, avec une certaine continuité. Nous recevions hier un de vos prédécesseurs, M. Chalandon, qui employait à peu près les mêmes mots que vous ce matin. Il nous disait notamment que les constructions réalisées en trois ans l’auraient été en douze en utilisant le circuit habituel de l’administration pénitentiaire.

Ma question porte sur l’échéancier que vous pouvez imaginer et les financements que vous pouvez prévoir s’agissant du remplacement de l’ensemble des prisons du XIXème siècle. Dieu sait, hélas, qu’elles sont encore nombreuses ! Quels montages financiers envisagez-vous pour permettre de remplacer dans les meilleurs délais ces prisons ?

M. Pradier a déclaré, à ma grande surprise, à propos de la prise en charge médicale, qu’il était incontestable que ce qui avait été mis en _uvre dans le " programme 13 000 " était meilleur que ce qui existe dans les autres prisons, tout simplement parce qu’il y a une obligation contractuelle. Ce sont les liens juridiques qui, semble-t-il, rendent la prise en charge plus efficace.

Je souhaitais connaître votre sentiment à ce sujet parce que, notamment, dans une prison nouvelle d’un département qui vous est cher et où je me suis rendu il y a quelques jours, on m’indiquait que le cahier des charges concernant la construction nouvelle du secteur sanitaire prévoyait un nombre de mètres carrés inférieur à ce qui existe aujourd’hui. Ce n’est pourtant pas brillant pour le moment. Il semble y avoir là une certaine incompréhension.

M. Julien DRAY : Madame la garde des sceaux, je voudrais attirer votre attention sur l’opportunité de la situation, car nous sommes un certain nombre de parlementaires à avoir déjà fait ces constats sur la dérive de notre système pénitentiaire. Ces constats ne sont pas nouveaux. Néanmoins, il existe une prise de conscience qui permet aujourd’hui d’adopter des mesures beaucoup plus radicales et de mettre en _uvre une mobilisation des moyens financiers qui n’était pas permise par le passé. L’utilité de cette commission tient au fait qu’il existe un consensus sur la dérive que nous avons constatée, ce qui facilite l’action.

Je voudrais donc faire trois remarques.

Premièrement, tant que l’on ne limitera pas l’enfermement, qu’on ne lui donnera pas un sens nouveau, qu’il demeurera la solution de facilité pour ceux qui subissent comme pour ceux qui prononcent, comme c’est le cas aujourd’hui parce que l’enfermement a été totalement banalisé, nous ne nous en sortirons pas.

Plusieurs directeurs de prison ont évoqué la question du numerus clausus, qui consisterait à mettre en place un système qui ne conduise pas à construire encore et encore, car plus on construit, plus on remplit. Evidemment, le système évite de se poser les questions d’alternatives ou de système alternatif. Tant que nous n’adopterons pas une solution drastique par le numerus clausus, nous n’arriverons pas à faire évoluer la situation.

Deuxièmement, les établissements de semi-liberté sont des établissements qui fonctionnent bien et qui créent les conditions d’une réinsertion par la suite. Mais ils sont peu nombreux et, dans les programmes prévus, ils n’ont pas fait partie des priorités retenues. N’y aurait-il pas nécessité de rectifier cela ?

Troisièmement, des expériences étrangères montrent aujourd’hui que tout ce qui est peine de réparation, relevant de juridictions spéciales, fonctionne bien. Ne serait-il pas bon, notamment pour les plus jeunes, car c’est là l’essentiel, de mettre en place des juridictions qui se consacrent exclusivement à ces peines de réparation, ce qui les rendraient effectives ?

Alors que l’on pourrait prononcer des peines de travaux d’intérêt général, je constate que, comme le système n’a pas été mis en place, on préfère condamner à une peine d’emprisonnement de huit à quinze jours. C’est plus facile.

Mme Elisabeth GUIGOU : Je vais tâcher de répondre brièvement à toutes ces questions, toutes plus importantes les unes que les autres.

Monsieur Morin, je vous répondrai surtout sur la présence des avocats au prétoire et l’application de la loi du 12 avril 2000.

Cette loi est votée, il va falloir l’appliquer. La question est de savoir comment l’appliquer en prison. C’est moins simple qu’ailleurs. La loi ne dit pas " l’avocat ". Je rejoins la remarque de Mme Boutin. Elle indique " un assistant extérieur ". Nous avons besoin de bien réfléchir pour savoir de quelle façon sera appliquée cette loi en milieu pénitentiaire.

Autorisera-t-on un détenu à demander à un autre de venir l’assister, voire un détenu d’un autre établissement parce qu’il aura été transféré entre-temps ? Toutes sortes de questions se posent. Ce n’est pas nécessairement l’avocat, cela peut être quelqu’un d’autre. C’est une question à examiner en liaison avec le contrôle extérieur, mais la loi sera appliquée. J’ai demandé au Conseil d’Etat une interprétation. La loi s’appliquera. Il faut en étudier les modalités.

S’agissant des établissements spécialisés pour les détenus qui ont des problèmes psychiatriques, la question est de savoir, dès lors qu’ils auront été déclarés responsables par des experts psychiatres, ce que seront ces établissements : des établissements psychiatriques ? Des prisons ? Il y a des choix à faire. Ce n’est pas géré de la même façon.

M. Hunault a posé une question très importante sur les longues peines. Depuis le début des années 80, la société est devenue plus répressive. Nous constatons un allongement très net des peines prononcées par les tribunaux. Et, par ailleurs, la loi a institué, à l’initiative de M. Peyrefitte, des peines de sûreté en 1978 et des peines incompressibles sous le ministère de M. Méhaignerie.

Je me félicite que l’on évolue sur ces sujets parce que les longues peines, pour les personnes qui y sont condamnées, donnent l’impression de ne plus jamais voir le bout du tunnel. Je crois beaucoup au débat public sur ces questions, parce que des consensus se forment et les personnes chargées de prendre des décisions ne restent pas insensibles à ces consensus. Si vous arrivez à modifier les choses, je n’y verrai que des avantages. Mais il y a tout de même des détenus pour lesquels une condamnation à perpétuité se justifie.

Sur les petites peines, il est vrai qu’il faut préparer la sortie. Nous avons les centres pour peines aménagées que nous allons créer parce que l’on a besoin d’un savoir-faire particulier pour préparer la sortie. Ils accueilleront les semi-libertés, les placements à l’extérieur, les condamnés en fin de peine et ne seront pas axés uniquement sur une seule mesure.

Je voudrais dire à M. Blessig qui a posé une question sur le travail en prison, que c’est une question que je juge très importante parce que quand les détenus peuvent travailler, on constate un mieux. Mais ce n’est pas possible dans tous les établissements, par manque de place d’ateliers. Dans les nouveaux établissements, nous avons systématiquement intégré cet aspect.

Il est important que l’on puisse mieux s’occuper des indigents. Nous avons mis en place un groupe de travail sur ce sujet au sein de l’administration pénitentiaire, qui a fait plusieurs propositions que nous sommes en train d’étudier, notamment la création d’un pécule de 150 francs renouvelable par quinzaine, l’augmentation des salaires versés aux détenus affectés au service général et la suppression des frais d’entretien comptés aux détenus.

Sur la question d’un revenu minimum posée par Mme Boutin, j’indiquerai que les associations sont divisées sur ce thème : le Secours catholique et l’Association nationale des visiteurs de prison sont opposés à toute aide financière à caractère automatique. C’est un sujet difficile.

Quoi qu’il en soit, je ferai des propositions dans le cadre du projet de loi de finances pour 2001 pour mieux traiter la question de l’indigence en prison parce que les indigents sont souvent persécutés par les autres, parfois traités comme des esclaves.

S’agissant de la taille des établissements, j’ai dit dans mon introduction à quel point c’était une question que je m’étais posée et que je continue à me poser. A mon avis, il ne faut pas avoir une vision systématique des choses. Les établissements que nous construisons actuellement, tout d’abord, ne sont pas situés en pleine campagne. Ensuite, ils intègrent des préconisations très précises que j’ai demandées dans le cahier des charges : de petites unités, des douches en cellule, la lumière naturelle, des espaces suffisants pour le sport et le travail, les unités de vie familiale, des buanderies, des cellules pour handicapés, des espaces pour le sport.

En outre, il n’y a aucune fatalité à gérer un établissement de 600 personnes en globalisant ces 600 personnes. Cela dit, il est vrai que nous devons systématiquement nous poser cette question. Par exemple, à Lyon, nous sommes en train d’étudier la possibilité, non pas de construire une seule prison de 600 places pour remplacer les prisons existantes, mais des établissements de 300 places. Nous travaillons sur cette hypothèse. Vous voyez, par conséquent, que nous ne laissons rien à l’abandon. Au contraire, c’est une question que je trouve très importante et je serai très attentive à vos propositions.

J’ai pris l’année dernière une circulaire au sujet des enfants en prison avec leur mère incarcérée, justement pour que l’on soit beaucoup plus attentif à ces situations. Mais je suis absolument convaincue qu’au bout de dix-huit mois, il est mieux pour l’enfant, parce que j’ai beaucoup parlé de ces questions avec les psychologues et les personnels qui en sont chargés, de sortir. Il faut trouver une situation de placement qui permette à l’enfant de rester en relation avec sa mère et, si possible, avec son père, ce qui n’est pas facile quand les deux sont détenus. Mais on ne peut laisser un enfant en prison. La relation avec la mère est une chose, la socialisation de l’enfant est aussi extrêmement importante.

Je crois avoir répondu aux deux remarques de Mme Boutin ainsi qu’à M. Cousin dans les remarques générales que j’ai faites.

Je ne pense pas que le numerus clausus, évoqué par Julien Dray, soit une solution. Il faut, à mon sens, avoir un programme suffisamment ambitieux mais cela demande des financements. J’en ai indiqué le chiffre : 13 milliards pour l’encellulement individuel des détenus que nous avons aujourd’hui, sachant que nous allons avoir une baisse mécanique de leur nombre grâce à la réforme de la détention provisoire.

Je ne suis pas favorable au numerus clausus parce que je pense que cela pourrait générer des inégalités extrêmement fortes sur le territoire. Dans certains établissements, parce qu’il y aurait de la place, on mettrait les gens en prison, Puis, dans la région voisine, ce ne serait pas le cas parce qu’il n’y aurait pas de place !

Par ailleurs, cela pourrait générer des bizarreries dans la gestion des établissements.

Enfin, j’estime qu’à partir du moment où la loi est votée par le Parlement de la République et que des décisions judiciaires fixent un certain nombre de peines, aller à l’encontre, par une décision administrative, de la loi et de son application par les tribunaux, serait vraiment curieux. Je préfère donc que l’on s’y prenne autrement, mais nous poursuivons le même objectif : celui du sens et de l’individualisation de la peine et, bien entendu, lorsque les gens sont en prison, des conditions de détention dignes.

Pour ce qui est des peines alternatives, il est très important de les développer, notamment pour les mineurs. De gros progrès ont été faits en matière de travail d’intérêt général. En 1989, nous comptions 3 700 travaux d’intérêt général ; en 1999, leur nombre s’élève à 24 000. C’est une peine qui me paraît particulièrement adaptée, notamment pour les mineurs parce qu’elle leur permet de réparer tout de suite.

Monsieur Cousin, à propos de la nouvelle UCSA d’Avignon, on me dit qu’en effet, le problème a été vu et que l’on est en train d’envisager une redistribution des locaux pour augmenter la surface de l’UCSA.

M. le Président : Madame la ministre, nous vous remercions.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr