5.16. La dictature militaire contrecarrait les ambitions de nombreux éléments de l’élite rwandaise. Des pressions pour la démocratisation, venues à la fois de l’intérieur et de l’extérieur du pays, forcèrent Habyarimana à accepter une politique multipartite. Les nouvelles formations créèrent de nouvelles sources de tensions au sein de l’élite, tandis que la petite clique de Hutu du nord-ouest qui dominait les organes de l’État commença de plus en plus à craindre de perdre son le contrôle et sa domination au sein de l’État et de ses institutions. ddd

5.17. qu’elle exerçait sur une part disproportionnée des postes au pouvoir.Avec les années, le régime Habyarimana se maintenait dans la complaisance, l’arrogance, la corruption généralisée et s’éloignait inexorablement de la population. Les proches du Président formaient une petite faction appelée Akazu (qui signifie "petite case") ou parfois surnommée le "Clan de Madame" puisqu’elle était composée de l’épouse du Président, de sa famille et de ses proches associés. Caractéristique constante de l’ère Habyarimana, le favoritisme dont faisait preuve cette sphère dirigeante à l’égard de ses vieux fidèles régionaux devint de plus en plus flagrant. Que ce soit pour l’attribution de places dans les écoles, d’emplois au gouvernement ou de projets d’aide, les régions du nord bénéficiaient des politiques gouvernementales de manière disproportionnée.

5.18. Mais l’Akazu était également le centre d’un réseau d’intrigues politiques mercantiles et militaires. Avec les années, le régime Habyarimana se maintenait dans la complaisance, l’arrogance, la corruption généralisée et s’éloignait inexorablement de la population. Les proches du Président formaient une petite faction appelée Akazu (qui signifie la petite maison) ou parfois surnommée "le Clan de Madame" puisqu’elle était composée de l’épouse du Président, de sa famille et de ses proches associés. Caractéristique constante de l’ère Habyarimana, le favoritisme dont faisait preuve cette sphère dirigeante à l’égard de ses vieux fidèles régionaux devint de plus en plus flagrant. Que ce soit pour l’attribution de places dans les écoles, d’emplois au gouvernement ou de projets d’aide, les régions du nord bénéficiaient des politiques gouvernementales de manière disproportionnée. En oOutre les faveurs accordées au Nord, les beaux-frères de Habyarimana - les frères de sa femme - étaient impliqués dans plusieurs affaires illicites et activités de corruption, criminelles, notamment de transactions de devises, et de trafic de drogue et recevaient de généreuses commissions sur les contrats du gouvernement.[13] Une bonne partie de l’aide au développement finissait en réalité dans leurs poches. Selon André Sibomana, un prêtre catholique et probablement l’ennemi le plus courageux et le plus efficace de la clique au pouvoir : "Nous avons la preuve qu’Habyarimana et sa femme détournaient des fonds devant servir à nourrir la population afin d’importer des articles de luxe, par exemple des téléviseurs qui se vendaient à des prix infiniment gonflés[14]." Maintenant que l’effondrement économique avait considérablement réduit les privilèges du pouvoir, l’Akazu décida que sa seule option valable était de réduire le nombre de ses concurrents.

5.19. Pour la femme du Président et sa famille, le mouvement vers le partage du pouvoir se résumait à une contestation de leurs privilèges. Dès que furent engagées les négociations d’Arusha (voir ci-dessous) qui étaient destinées à établir un partage du pouvoir Habyarimana ne pouvait plus résister à la pression pour négocier le partage du pouvoir, non seulement avec d’autres Hutu, mais aussi avec les envahisseurs Tutsi du FPR, l’Akazu prit la décision délibérée de résister à cette menace par tous les moyens. De nombreux observateurs connaissaient bien la vénalité cupidité de l’Akazu et ne doutaient pas de sa détermination fanatique à maintenir ses privilèges. Toutefois, et les membres de notre Groupe le comprennent parfaitement, peu d’entre eux auraient pu seulement imaginer la voie que l’Akazu emprunterait pour ce faire.

5.20. Pour le reste de la classe politique, les revendications régionales étaient au cœur du mécontentement. La population qui n’était pas du Nord voulait une plus grosse part du gâteaugrande part des positions gouvernementales, mais les chefs rwandais étaient trop malins pour se laisser entraîner dans une lutte publique contre leur propre enrichissement. L’Akazu eut vite recours au jeu infaillible de la carte ethnique pour faire diversion et éloigner l’attention des différences entre Hutu. Entre-temps, les Hutu de l’extérieur, mécontents, découvrirent que la démocratie pouvait être un cri de guerre séduisant, d’autant plus qu’il était acclamé par les Occidentaux qui, à la fin de la guerre froide, ont redécouvert les vertus de la démocratie dans les pays plus pauvres.

5.21. La majorité de la population observa la nouvelle compétition entre les élites avec une aliénation croissante, puisqu’elle ne semblait avoir aucun rapport avec sa propre vie. Les Rwandais des régions rurales ne voulaient plus de politiciens cherchant leur intérêt personnel, mais des politiques et des programmes permettant d’alléger leur détresse. Mais ils n’obtinrent de leurs dirigeants qu’une prolifération de nouveaux groupes politiques en grande partie inopérants et l’idée persistante que le vrai problème était la trahison de leurs voisins Tutsi. Les conséquences les plus importantes du soi-disant mouvement de démocratisation n’étaient pas voulues : il servit à inciter les forces malveillantes au sein de la société tout en aliénant encore plus la majorité de la population.

5.22. À nouveau, les Rwandais confondirent ceux qui persistaient à leur prêter une obéissance presque aveugle aux autorités. Des grèves et des manifestations contre le gouvernement eurent lieu en 1990 et même l’Église catholique se sentit obligée d’exprimer publiquement sa désapprobation à l’égard des politiques du gouvernement. (D’un autre côté, mises à part quelques exceptions louables, il importe de mentionner que les chefs de l’Église et de l’État n’ont pas cessé de rester étroitement liés durant les événements de toutes ces années, ce qui valut à la première le surnom d’"Église du silence" dans les cercles anti-gouvernement[15].)

5.23. Face au mécontentement croissant, on eut recours à la technique de la carotte et du bâton. Tout d’abord, Habyarimana utilisa l’invasionl’invasion d’octobre 1990 par le Front Patriotique Rwandais dominé par les Tutsi comme prétexte pour terroriser les opposants Hutu (c.f. chapitre suivant). Mais à mesure que le FPR avançait, il sembla plus prudent d’essayer de les amadouer avec des concessions, même s’il était toujours clair que le gouvernement marchandait toutes les possibilités qu’il était forcé d’offrir. La dictature unipartite d’Habyarimana fut remplacée par un essaim de 15 partis. Dans au moins un d’entre eux, le Parti Libéral, les Tutsi se sentaient chez eux. Un autre parti, la Coalition pour la Défense de la République (CDR), était un groupe radical anti-Tutsi, dont la plupart des membres étaient des extrémistes même aux yeux des Rwandais. Tous semblent toutefois s’entendre sur le fait que l’aile droite du MRND entretenait à tout le moins des liens étroits avec la nouvelle CDR et qu’elle s’en servait pour diffuser de la propagande extrémiste Hutu. Les autres nouveaux partis étaient surtout composés de Hutu de l’extérieur des régions du nord-ouest qui avaient été écartés des circuits internes. Quelques observateurs ont oublié de souligner que ce qui distinguait le MRND de la plupart des nouveaux partis était qu’il avait le pouvoir et que les autres voulaient y accéder.

5.24. Vers 1992, on assista à une escalade considérable de la violence anti-Tutsi, à la fois rhétorique et physique. Avec l’augmentation des massacres, du terrorisme et des manifestations de rue, Habyarimana ne pouvait plus résister à la pression et dut accepter une assemblée de coalition dans laquelle le poste de premier ministre irait au plus grand parti de l’opposition. Mais les tensions entre le MRND de Habyarimana et ses opposants ne disparurent jamais, en particulier parce que le MRND ne cessa d’accuser l’opposition de collaborer avec le FPR ennemi tandis que la guerre civile, qui durait depuis deux ans, continuait de dominer les énergies des élites du pays.


[13] Filip Reyntjens, "Rwanda : Genocide and Beyond", Journal of Refugee Studies, vol. 9, no 3, septembre 1996.

[14] André Sibomana, Hope for Rwanda (London : Pluto Press, 1999), 25.

[15] Prunier, 132 ; Hugh McCullum, The Angels Have Left Us : The Rwanda Tragedy and the Churches (Genève : Conseil oecuménique des Églises, 1995)


Source : Organisation de l’Unité Africaine (OUA) : http://www.oau-oua.org