20.54. Le problème apparemment insoluble de la prolifération des armes a continué de s’aggraver au cours des dernières années, comme l’a démontré la Commission d’enquête sur le Rwanda en 1998. Dans le rapport qu’il a présenté à notre Groupe lorsque nous l’avons rencontré, le président de la Commission, Mahmoud Kassem, a déclaré que : "L’afflux illicite et incontrôlé des armes en Afrique alimente les conflits, renforce l’extrémisme et déstabilise le continent tout entier [...] Le caractère explosif de la situation actuelle dans la région des Grands Lacs, et en particulier en RDC, est alimenté par la prolifération sans précédent des armes légères dans la région [...] Il est clair que plusieurs des livraisons d’armes vers la région sont destinées à [...] l’un ou l’autre des 23 groupes rebelles qui ne sont pas assujettis à l’embargo sur les armes décrété par l’ONU [comme le sont par exemple les ex-FAR, les Interahamwe et l’UNITA] [...] Tous ces groupes rebelles sont reliés entre eux par des réseaux ouverts de livraison d’armes dirigés par des éléments extérieurs ou par leurs propres dirigeants. Ces liens ont miné l’efficacité des deux embargos décrétés par le Conseil de sécurité [...] Il apparaît clairement que l’accès facile aux armes encourage les groupes politiques militants à recourir à l’opposition armée plutôt qu’à l’opposition démocratique[77]."
20.55. Mais les livraisons d’armes ne sont pas toutes illicites ou destinées aux intervenants non gouvernementaux, comme le prouve un récent rapport américain intitulé Deadly Legacy : US Arms to Africa and the Congo War. Comme l’indique son titre, les auteurs sont très critiques envers le rôle des États-Unis en Afrique. "Les représentants du gouvernement américain, par exemple la secrétaire d’État Madeleine Albright et l’ambassadeur aux Nations Unies Richard Holbrooke, peuvent bien parler d’un nouveau partenariat avec le continent africain, fondé sur la promotion de ’solutions africaines aux problèmes africains’. Il n’en demeure pas moins que les problèmes auxquels sont confrontés l’Afrique et ses peuples ont été en bonne partie alimentés par l’intervention américaine dans la région. De plus, les solutions proposées par l’administration Clinton demeurent axées sur des politiques contre-productives issues de la guerre froide qui façonnent les relations entre les États-Unis et l’Afrique depuis trop longtemps [...] Malgré le rôle manifeste qu’ils ont joué dans la naissance de ce conflit, les États-Unis ont fait bien peu pour reconnaître leur complicité ou aider à trouver une solution viable[78]."
20.56. Les principales conclusions du rapport touchent directement la paix et la stabilité futures du Rwanda et du continent entier, et méritent d’être largement comprises[79] :
"La guerre civile qui se poursuit en République démocratique du Congo (ex-Zaïre) est un exemple parfait de l’influence dévastatrice des politiques américaines de vente d’armes en Afrique. Les États-Unis ont permis de prolonger le règne du dictateur zaïrois Mobutu Sese Seko en lui fournissant plus de 300 millions de dollars d’armes et 100 millions de dollars de formation militaire. Après la prise du pouvoir par Kabila, l’administration Clinton s’est empressée de lui offrir un soutien militaire en mettant sur pied un nouveau programme d’entraînement des forces armées.
"Bien que l’administration Clinton ait rapidement critiqué les gouvernements engagés dans la guerre au Congo, des décennies de livraisons d’armes américaines et l’aide technique à l’entraînement que continue d’offrir l’armée américaine aux deux parties ont alimenté le conflit. Les États-Unis ont contribué à bâtir l’arsenal de huit des neuf gouvernements engagés directement dans le conflit qui fait rage en RDC depuis le coup d’État réussi par Kabila.
"Malgré l’échec des politiques américaines dans la région, l’administration actuelle continue de répondre aux maux qui affligent l’Afrique en contribuant à renforcer les dictatures militaires. En même temps que les livraisons d’armes américaines en Afrique continuent d’augmenter, l’administration Clinton lance une nouvelle vague de programmes d’entraînement militaire en Afrique [...]
"Alors même qu’ils alimentent l’escalade militaire, les États-Unis continuent de réduire leur aide au développement en Afrique et se montrent incapables (ou peu disposés) de mettre de l’avant des solutions de rechange non violentes."
20.57. Les auteurs de Deadly Legacy soutiennent de manière persuasive que les priorités du gouvernement américain sont lourdement dénaturées. D’après leur analyse, "l’approche adoptée par l’administration Clinton face à l’Afrique continue de mettre l’accent sur les intérêts à court terme des États-Unis dans la région, le maintien d’une distance sécuritaire face aux problèmes continus et l’encouragement de réponses armées et à courte vue aux problèmes complexes de transition vers la démocratie et de développement d’une paix internationale. Les États-Unis devraient approfondir et élargir leurs consultations avec les gouvernements et la société civile d’Afrique afin d’identifier les causes de l’instabilité et de la violence et de mettre en place des solutions viables et durables [...] Les critiques font valoir que les États-Unis mettent encore une fois leurs ressources au mauvais endroit, faisant la promotion des relations militaires aux dépens du développement de la démocratie et de la prévention des conflits [...] En transférant un fraction minime de l’énergie présentement consacrée à l’aide militaire vers des solutions de rechange non militaires qui pourraient favoriser la démocratie, le développement et le retour à la paix, les États-Unis pourraient jouer un rôle important pour apporter le leadership, la sécurité et la stabilité dans la région[80]."
20.58. Il est heureux que nous ayons pu pénétrer l’idée que se font les Américains sur leur rôle en Afrique centrale. Mais d’autres pays sont également complices et leurs rôles ne doivent pas être oubliés. D’après l’Agence américaine pour le contrôle des armes et le désarmement, la Chine est le principal fournisseur d’armes de l’Afrique centrale, les États-Unis arrivant au deuxième rang et la France au troisième ; en Afrique australe, la Russie occupe le premier rang et la France et les États-Unis sont à égalité au second rang[81]. Faire partie des trois plus importants fournisseurs d’armes de pays pauvres en guerre nous semble une distinction peu honorable, et au moins un organe du gouvernement américain semble d’accord avec nous sur ce point. À la fin de 1999, le Département d’État américain affirmait que le trafic d’armes "dans la région politiquement fragile des Grands Lacs d’Afrique centrale" avait un impact "catastrophique". Le Département d’État concluait cependant que la situation "se poursuivrait sans relâche dans l’avenir prévisible" puisqu’il n’existait pas de "volonté politique suffisante de la part des leaders régionaux et internationaux" pour y mettre fin[82].
[77] Ambassadeur Mahmoud Kassem.
[78] William D. Hartung et Bridget Moix, "Deadly legacy : US Arms to Africa and the Congo War", World Policy Institute, Washington, DC (janvier 2000) : 2.
[79] Ibid.
[80] Ibid., 9-10, 14
[81] US Arms Control and Disarmament Agency, "World Military expenditures and Arms Transfers", 1997, Washington, DC, 1999, Table III.
[82] US State Department, Bureau of Intelligence and Research, "Arms flows to Central Africa/Great Lakes Fact Sheet", novembre 1999.
Source : Organisation de l’Unité Africaine (OUA) : http://www.oau-oua.org
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