La mise en oeuvre d’une politique ambitieuse d’aide au développement
Les caractéristiques de la coopération française
En 1985, l’aide française au Rwanda occupe parmi les aides bilatérales une place qualifiée " d’honorable " mais de " non déterminante " dans le rapport qu’établit le Chef de la Mission de coopération française de l’époque, M. Patrick Pruvot. Ce dernier estime également que la coopération française peut y jouer un rôle plus important en se mettant plus " à l’écoute " de ce pays. Plusieurs priorités sont d’ores et déjà bien identifiées, il s’agit de l’autosuffisance alimentaire, du désenclavement, de l’emploi, de l’instruction et de la formation, de la santé. Elles ne cesseront par la suite d’être réaffirmées.
En 1990, une centaine de coopérants et de volontaires sont présents au Rwanda. La coopération française privilégie les interventions permettant à ce pays de résoudre au mieux les problèmes auxquels il est confronté -déséquilibre grave des finances publiques, problème de l’équilibre alimentaire- et en raison desquels il vient de s’engager dans une procédure d’ajustement structurel auprès des instances financières internationales.
Quatre secteurs bénéficient des enveloppes d’investissement du Fonds d’action et de coopération (FAC), de dotations d’assistance technique et de bourses :
– l’enseignement, la formation universitaire et professionnelle et la culture qui recueillent 39 % des moyens ;
– le développement rural, c’est-à-dire l’agriculture, l’élevage et la recherche dans ces domaines, qui totalise 26 % des moyens ;
– la santé avec 16 % des moyens ;
– le secteur des infrastructures, des communications, de l’appui aux administrations et aux entreprises qui se voit attribuer 19 % des moyens. Ce dernier secteur connaît une croissance essentiellement liée à la nécessité de soutenir les domaines dont Etat et communes tirent des recettes.
Ces crédits doivent permettre de réaliser les objectifs suivants :
– la formation au niveau des structures locales de cadres susceptibles d’assurer le suivi des projets de développement ;
– la généralisation de l’enseignement primaire pour lutter contre l’analphabétisme, la réorientation de l’enseignement secondaire et supérieur en fonction du marché du travail ;
– l’autosuffisance alimentaire recherchée à travers la diversification des cultures, l’élevage, la sélection des semences, le stockage et la circulation des produits agricoles, l’outillage et les techniques, la réforme du système foncier... ;
– l’emploi avec l’aide à la création de petites unités industrielles agro-alimentaires et la réalisation d’infrastructures recourant à une nombreuse main d’œuvre ;
– le désenclavement interne et externe du pays (télécommunications, aéroports, routes, électrification, ...) ; le secteur des télécommunications fait l’objet d’un soutien particulier. En 1992, le Rwanda dispose d’un réseau entièrement numérique, un des plus modernes du monde ;
– la santé, à travers un appui important à l’hôpital de Ruhengeri, le développement de campagnes de vaccination, la prévention des pathologies tropicales, la lutte contre le SIDA, le contrôle des naissances, la formation des personnels de santé.
En 1990, la France finance pour 1,5 million de francs, un projet d’appui à la sécurité de la navigation aérienne avec la fourniture à l’aéroport de Kigali de matériels de radioguidage et de leur maintenance. Elle prend également en charge l’équipage de l’avion présidentiel, un Falcon 50 financé par une aide budgétaire de 60 millions de francs.
Par ailleurs, le Président de la République a annoncé le 25 mai 1989 à Dakar une remise de dette qui représente en 1990 une économie de 36,4 millions de francs. La France figure parmi les pays qui soutiennent le plan d’ajustement structurel mis en place au Rwanda fin 1990.
Le plan d’ajustement structurel (1990-1991)
La très forte dégradation de la situation économique rwandaise à l’aube des années 1990 met fin à l’illusion de l’autosuffisance sur laquelle reposait l’économie de ce pays depuis les années 1970.
Jusqu’à cette époque, et contrairement au Burundi, le Rwanda refusait tout accord avec le FMI qui lui imposerait une dévaluation dans le cadre d’un programme d’ajustement structurel ; il s’imposait, de lui-même, un programme de rigueur qui a largement contribué à forger sa réputation de pays pauvre mais économiquement sain. C’est d’ailleurs en vertu de cette image que s’est développée une coopération bilatérale importante avec les pays européens notamment. En 1991, l’aide bilatérale et multilatérale représentait 21,5 % du PIB(4) rwandais et 60 % de ses dépenses publiques en faveur du développement ; l’OCDE estime, de son côté, à 343 millions de dollars le montant total de l’aide annuelle fournie au Rwanda sur la période 1990-1993 (soit 50 dollars par habitant) contre 35 millions de dollars annuels pour la période 1971-1974.
La dégradation continue des équilibres intérieurs et extérieurs a fait apparaître les limites d’une telle politique, plus encore dans un contexte de redéploiement budgétaire en faveur des dépenses militaires, qui passent de 1,9 % du PIB en 1989 à 7,8 % en 1992. Dès la fin de l’année 1990, est mis en place un plan d’ajustement structurel (PAS) soutenu par le FMI, la Banque mondiale et par la plupart des pays et organisations présents au Rwanda, dont la France. Dans le cadre de ce plan, une facilité d’ajustement structurel de 41 millions de dollars est approuvée en avril 1991 par le FMI ; le 21 juin 1991, c’est au tour de la Banque mondiale d’approuver un crédit d’ajustement de 90 millions de dollars.
En 1991, les dépenses militaires augmentent fortement et représentent 7 % du PIB rwandais contre 2 % en 1989 tandis que le produit intérieur brut se dégrade et que la situation politique devient plus instable.
La France pourtant verse, en 1991, 70 millions de francs au titre de l’aide à la balance des paiements. Cette décision s’explique selon M. Patrick Pruvot, Chef de la Mission de coopération à l’époque, d’une part par le fait que la France contribue, avec le FMI et la Banque mondiale, à certains volets du programme d’assainissement et de modernisation d’infrastructures hautement stratégiques pour un pays enclavé (à savoir le réseau routier et les télécommunications), d’autre part par la bonne image conservée par le Rwanda sur le plan politique en dépit de la dégradation de sa situation économique. Cette aide, destinée à accompagner le plan d’ajustement structurel et très rapidement dégagée, a été fort appréciée des autorités rwandaises qui ont souligné qu’elle avait favorisé en 1991 le retour à la liquidité dans les banques.
LE PLAN D’AJUSTEMENT STRUCTUREL
MIS EN OEUVRE AU RWANDA EN 1990-1991
– Stabilisation macro-économique et amélioration de la compétitivité
(r) Maintien d’un taux de change compétitif
(r) Réduction du déficit budgétaire à 5 % en 1993 (12 % en 1990) par une politique combinée de mobilisation des ressources fiscales et de réduction des dépenses publiques
(r) Libéralisation des échanges commerciaux et suppression progressive du système de contrôle des prix
(r) Amélioration de la politique monétaire (libéralisation des taux d’intérêt)
– Réduction du rôle de l’Etat dans l’économie
(r) Baisse du prix garanti à la production du café et suppression des subventions
(r) Accélération du programme de privatisation, liquidation et réorganisation des entreprises publiques
– Mise en place d’un système de protection des plus démunis (programme
d’action sociale)
(r) Programme de construction d’un réseau routier rural et de protection contre l’érosion des sols
(r) Programme de sécurité de l’approvisionnement en nourriture des régions touchées par la sécheresse
(r) Programme de développement de la petite entreprise
(r) Financement de la part parentale des dépenses d’éducation pour les 10 % les plus pauvres de la population
(r) Fonds de redéploiement des travailleurs du secteur public en sureffectif
En 1992, les actions de coopération françaises s’élèvent à 130 millions de francs et concernent toujours prioritairement le développement agricole, la santé publique, la formation. Fin 1992, une subvention de 15 millions de francs est accordée au projet de télévision nationale rwandaise.
En 1993, la France est devenue avec la Belgique le premier bailleur de fonds du Rwanda avec des actions de coopération représentant 232 millions de francs.
En dépit de cette aide, la situation économique du Rwanda demeure mauvaise. En 1993, le déficit budgétaire atteint 12 % du PIB, les recettes intérieures couvrent 40 % des dépenses courantes de l’Etat mais les dépenses en capital financées sur les ressources intérieures ne représentent que 8 % du total des investissements publics. Un nouveau programme d’ajustement, qu’il revenait au Gouvernement à base élargie, prévu par les accords de paix d’Arusha, de négocier, apparaissait donc inéluctable.
En décembre 1993, le Chef de la Mission de coopération, M. Michel Cuingnet, estime, dans son rapport d’activités, que " l’accord d’Arusha du 4 août 1993 marque l’entrée du Rwanda dans une phase de paix et ouvre la voie à la normalisation de la vie socio-économique ". Il conclut sur les capacités d’adaptation de l’économie rwandaise et l’ardeur au travail de la population même si la situation générale reste préoccupante sur un plan politique, économique et financier. Rien n’est dit des tensions ethniques, de la montée des violences, des grandes difficultés de mise en application des accords d’Arusha. Dans un bel élan d’optimisme, le Chef de la Mission de coopération appelle de ses voeux la prochaine réunion de la commission mixte franco-rwandaise " dans une perspective de reconstruction nationale " et considère qu’il faudrait promouvoir la politique de rationalisation foncière et de spécialisation des activités agricoles par région arrêtée par la guerre. Il estime notamment qu’ " il faut à présent favoriser la promotion des centres de services, d’artisanat, de transformation des produits du monde rural. Ces centres doivent aussi être des lieux d’échange et d’innovation sociale en appui au processus de démocratisation. Voilà dans quel contexte positif doit aussi s’inscrire notre coopération ".
Il est vrai qu’à cette date de décembre 1993, la coopération civile représentait la quasi-totalité de l’aide de la France puisque, le 15 décembre, après le retrait de ses forces, la coopération militaire se limitait à 24 assistants militaires techniques.
La signature d’un accord d’assistance militaire technique
Dès 1972, les premiers stagiaires militaires rwandais viennent suivre en France un enseignement militaire spécialisé. Les quatre gendarmes rwandais présents cette année-là dans les écoles de Gendarmerie française ne représentent cependant qu’une proportion modeste de l’ensemble des participants africains aux stages organisés par la France (1 %) et suivent quinze des 12 110 stages dont ont bénéficié des stagiaires officiers ou sous-officiers africains.
L’accord du 18 juillet 1975
La France signe avec le Rwanda un accord d’assistance militaire technique tout à fait classique qui correspond au modèle type encore utilisé récemment lors de l’accord signé avec Madagascar le 1er juin 1998.
D’application immédiate, cet accord conclu pour un an et renouvelable par tacite reconduction peut être dénoncé par l’un ou l’autre des deux Gouvernements, cette dénonciation prenant effet 90 jours après sa notification à l’autre partie.
L’article premier de l’accord prévoit les conditions dans lesquelles les personnels militaires français sont mis à la disposition du Gouvernement rwandais et précise leur mission : " le Gouvernement de la République française met à la disposition du Gouvernement de la République rwandaise les personnels militaires français dont le concours lui est nécessaire pour l’organisation et pour l’instruction de la Gendarmerie rwandaise ". A l’origine, la coopération militaire franco-rwandaise avait pour unique mission de développer une assistance technique visant à faciliter la mise en place d’une Gendarmerie rwandaise sur le modèle (structure, organisation et procédures) de la Gendarmerie française. La réalisation de cet objectif explique tout naturellement que le poste de Chef de la Mission d’assistance militaire à Kigali ait été tenu par un officier supérieur de la Gendarmerie.
L’article premier précise également les obligations auxquelles s’engage la République rwandaise :
– la prise en charge des frais de déplacement résultant de l’exécution du service ;
– la fourniture gratuite de logements meublés aux coopérants militaires français et à leur famille ;
– l’obligation d’assurer à ces derniers les soins médicaux et hospitaliers ;
– l’exonération des droits de douane pour les biens introduits sur le territoire rwandais par les personnels militaires et destinés à leur usage personnel ;
– une exonération fiscale pour la fraction de leurs revenus perçus localement.
L’article 2 stipule que " les personnels militaires français mis à la disposition du Gouvernement de la République rwandaise sont désignés par le Gouvernement de la République française après accord du Gouvernement de la République rwandaise " et que " les intéressés sont placés sous l’autorité de l’officier français le plus ancien dans le grade le plus élevé mis à la disposition de la République rwandaise ". Il est précisé que cet officier relève de l’ambassadeur de France, ce qui témoigne de la nature " civile " de la coopération militaire.
Dans le texte initial, l’article 3 de l’accord prévoyait que les militaires français servant au titre de la Coopération demeuraient sous juridiction française et qu’ils servaient " sous l’uniforme français, selon les règles traditionnelles d’emploi de leur arme ou service avec le grade dont ils sont titulaires ". Enfin, cet article indiquait précisément le cadre et les limites de leur mission : " ils ne peuvent en aucun cas être associés à la préparation ou à l’exécution d’opérations de guerre, de maintien ou de rétablissement de l’ordre ou de la légalité ".
Les articles 4 et 5 traitent des dispositions disciplinaires et judiciaires applicables aux coopérants militaires français.
L’article 6 fixe les conditions dans lesquelles le Gouvernement français assure, dans la limite de ses moyens, la formation et le perfectionnement de cadres de la Gendarmerie rwandaise dans ses écoles militaires et prend à sa charge les frais de voyage des stagiaires, à l’exception des frais d’entretien et des dépenses relatives aux soldes.
Les modifications apportées à l’accord initial
Cet accord particulier sera modifié à deux reprises, en 1983 et en 1992.
La première révision de l’accord a été introduite au mois d’avril 1983 à la demande du Gouvernement rwandais et acceptée sans amendement par la France. Elle modifie l’article 3 qui précise désormais que les personnels français " servent sous l’uniforme rwandais, avec le grade dont ils sont titulaires ou, le cas échéant, son équivalent au sein des forces armées rwandaises. Leur qualité d’assistants techniques militaires est mise en évidence par un badge spécifique " Coopération Militaire " porté sur la manche gauche de l’uniforme à hauteur de l’épaule ".
Les militaires français portent donc l’uniforme de la Gendarmerie rwandaise avec toutefois un signe symbolique distinctif sur l’épaule. Cette modification se justifie par le fait que les assistants militaires techniques peuvent être appelés à occuper des postes de substitution dans la Gendarmerie rwandaise. Dans ces conditions, il a été décidé de faire en sorte qu’il y ait, si ce n’est une intégration au sein de forces locales, à tout le moins une identification à l’arme au sein de laquelle ils sont appelés à servir.
La seconde modification introduite par la révision de 1983 concerne la suppression de l’interdiction faite aux coopérants militaires français d’être associés de près ou de loin à toute préparation ou exécution d’opération de guerre, de maintien ou rétablissement de l’ordre ou de la légalité. Au regard de l’histoire, on ne peut que s’interroger sur les motivations qui ont conduit le ministère de la Coopération et du Développement en 1983 à renoncer à la prudence qui fut de mise en 1975 lors de la conclusion de l’accord initial.
L’avenant du 26 août 1992, en remplaçant dans les articles premier et 6 de l’accord de 1975 " la Gendarmerie rwandaise " par " les forces armées rwandaises ", étend la coopération militaire française à l’ensemble des missions des forces armées du Rwanda. Cet avenant intervient près de deux années après que le Front patriotique rwandais (FPR) a lancé sa première offensive au Rwanda et que la France a, de fait, étendu sa coopération militaire à d’autres domaines que l’organisation et l’instruction de la Gendarmerie rwandaise. Il est pour le moins étonnant que les autorités civiles et militaires françaises ne se soient rendu compte qu’avec un retard de près de deux ans que les actions conduites auprès de l’armée rwandaise par les coopérants français se déroulaient en marge des accords établis par les deux Etats. Interrogé sur ce point lors de son audition, l’Ambassadeur Georges Martres a simplement précisé " s’être aperçu en 1992 que la coopération militaire destinée à l’armée rwandaise manquait de base juridique puisque l’accord en vigueur à cette époque ne mentionnait que la coopération avec la Gendarmerie ".
Il ne se serait donc agi que d’une simple opération de régularisation, de mise en conformité avec la pratique. Cet argument purement technique paraît toutefois insuffisant si l’on se réfère au télégramme de l’attaché de défense, le Colonel Bernard Cussac, faisant état du souhait du Gouvernement rwandais de " doter tous les personnels de l’opération Noroît d’une carte de coopérant " à une période où la question du retrait des militaires français était posée dans le cadre des négociations d’Arusha qui venaient de débuter. Cette demande, si elle avait été satisfaite, ce qui n’a pas été le cas, aurait eu pour conséquence de permettre le maintien, au titre de la coopération, d’un effectif renforcé de coopérants au Rwanda, les militaires français devant, en application des accords d’Arusha alors en négociation, se retirer du Rwanda.
L’extension de la coopération française, de la Gendarmerie rwandaise aux forces armées rwandaises, pourrait dans ce contexte se comprendre aussi comme une façon de donner satisfaction au Gouvernement rwandais qui souhaitait le maintien du plus grand nombre possible de militaires français, tout en respectant en apparence les dispositions d’Arusha prévoyant le retrait des militaires français.
Le contexte particulier dans lequel est intervenu cette dernière modification traduit une orientation d’approfondissement de la coopération française qui, d’après plusieurs informations données à la Mission, ne concordait pas avec les orientations générales définies par le Président François Mitterrand. Celui-ci semblait considérer que les accords de coopération militaire avec l’Afrique ne pouvaient être maintenus indéfiniment. En effet, le Président aurait estimé que ces accords pouvaient mettre les troupes françaises dans une situation délicate dans la mesure où elles exerçaient leurs missions dans des pays perturbés par des guerres civiles, tout en gardant présent à l’esprit qu’elles étaient toutefois un point d’appui nécessaire au développement d’actions humanitaires ou à la sécurité des ressortissants français.
Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr
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