La prison est un monde de violences, violence de la population incarcérée et violence de l’enfermement, un monde de rapport de forces entre les détenus et aussi avec les personnels qui y sont constamment confrontés.

Le rôle d’observation des surveillants est fondamental, tant la loi du silence règne en prison. Les victimes d’abus, de racket ou d’humiliations sont peu enclines à venir le déclarer. Il vaut mieux ne rien dire et donner l’impression d’être sûr de soi, sinon la voie est ouverte aux brimades, au racket, aux menaces, aux règlements de compte.

Ceci explique que les incidents relevés par l’administration ne reflètent que très partiellement la réalité. Ils n’en sont que des indicateurs.

 ? En 1999, les rapports d’incidents enregistrés par le bureau de gestion de la détention relèvent 278 agressions contre le personnel (dont 164 ayant entraîné une interruption temporaire de travail inférieure à 15 jours).

Les rapports d’agressions sont en augmentation (215 en 1997). Leur analyse fait apparaître une fréquence plus grande des agressions dues à des problèmes psychologiques ou comportementaux et une nette sur-représentation des condamnés parmi les agresseurs, notamment les condamnés à des peines de 10 ans et plus. Ceci appelle une réflexion sur les longues peines sur lesquelles nous reviendrons. Les détenus, sans espoir d’être libérés à moyen terme et sans crainte réelle de voir leur peine alourdie n’ont " plus rien à perdre ".

Les phénomènes de violence sont bien entendu exacerbés par le manque d’effectifs et les postes non pourvus.

" Il y a d’ailleurs très peu d’agents affectés à la surveillance ou à la gestion des détenus. Enormément de postes sont des postes fixes, d’autres sont annexes, et un seul agent gère l’ensemble des détenus à un étage. Or au bout de six heures, cet agent est usé, fatigué de sa journée. Nous nous sommes d’ailleurs rendu compte - une étude a été menée dans un établissement où les journées ont été allongées à 12 heures pour certains postes - que les agressions et les incidents se produisaient en fin de service. En effet, en fin de service, le surveillant est moins accessible et a du mal à répondre aux détenus ; or la moindre " mauvaise réponse " peut engendrer une agression, un incident. " (Jean-Luc Aubin, UFAP).

Ces situations de crise génèrent d’autres violences comme en témoignent les incendies volontaires, principalement dans les quartiers disciplinaires. Par exemple, la maison d’arrêt de Grenoble a connu à neuf reprises ce type d’incidents au cours de l’année passée.

 ? Près de 40 000 procédures disciplinaires ont eu lieu en 1999

Elles ont donné lieu à 27 500 placements en cellule disciplinaire et dans 12 600 cas à une sanction de parloir avec séparation.

Le placement en cellule disciplinaire est la sanction majoritairement prononcée. Il est donc essentiel, d’abord que les cellules disciplinaires offrent des conditions d’hébergement correctes. Des progrès ont été faits dans l’aménagement de ces quartiers. C’est toutefois loin d’être partout le cas.

A Rennes par exemple, les cellules disciplinaires sont de véritables culs de basse-fosse aux dires même du directeur. A Fleury-Mérogis, elles n’ont aucune ouverture sur l’extérieur : seul existe un éclairage " naturel " par une vitre au plafond du sas d’entrée qui ne s’ouvre pas. Comme dans d’autres endroits, le point d’eau est situé au-dessus des toilettes. A Gradignan, elles manquent totalement de lumière au point qu’il est impossible de lire le soir et difficile durant la journée.

Les cours de promenade réservées aux détenus placés en quartier disciplinaire sont également, la plupart du temps, extrêmement exiguës et sordides.

Le rapport du Comité national d’évaluation du programme de prévention du suicide en milieu carcéral le constate :

" Les locaux présentent une très importante hétérogénéité. Si certains établissements de conception ancienne ont pu, totalement ou partiellement, se conformer à la réglementation en vigueur, il est à noter que d’autres établissements restent très en deçà des objectifs. Ainsi, tel établissement récent présente des cellules propres, bien éclairées, régulièrement repeintes, avec un coin WC-lavabo préservant un peu d’intimité. Tandis qu’un autre a dû se contenter, comme seul " progrès " majeur, de l’installation d’une arrivée d’eau courante dans les cellules. Cet établissement n’ayant d’ailleurs fait que mettre son quartier disciplinaire au niveau du reste de la détention présentant un extrême état de vétusté... Il existe enfin des quartiers disciplinaires sans lumière naturelle, sans aération directe, sans table ni chaise. La réglementation relative aux douches et promenades est respectée même si l’état sanitaire peut parfois laisser à désirer. "

Des normes ont été prises pour ces cellules dans le cadre de la prévention du suicide. Elles doivent être appliquées.

Ensuite, dans l’intérêt de la personne poursuivie et aussi dans l’intérêt même de celui qui la prononce, car une sanction légitime suppose que le sentiment d’arbitraire en soit écarté, on ne peut que se féliciter que la question de l’assistance du détenu dans cette procédure ait été posée (Cf III).

Enfin, le régime disciplinaire français étant, par sa durée, l’un des plus stricts d’Europe (avec un maximum de placement au quartier disciplinaire de 45 jours), il convient de s’interroger sur les conditions d’isolement qu’il induit.

Pour les psychiatres, comme pour les visiteurs de prison qui le réclament, un minimum de liens avec l’extérieur devrait pouvoir être préservé.

" Le rapport d’évaluation sur la prévention du suicide en prison avait formulé des recommandations en 1998 mais ce rapport n’a pas été publié. Les directives proposées en mars 1999 n’ont donné lieu à aucune suite précise, mais il était notamment indiqué qu’il fallait maintenir les parloirs pendant la détention en quartier disciplinaire, qu’il importait de maintenir les liens avec l’extérieur, d’au moins pouvoir parler avec sa famille, que celle-ci ne soit aussi punie, d’une certaine manière, par le quartier disciplinaire.

De plus, beaucoup d’illettrés se retrouvent dans cette situation. Il convient aussi de maintenir des repères dans le temps et dans l’espace. Le maintien de récepteurs de radio en quartier disciplinaire semblerait aujourd’hui une adaptation moderne. Ne tolérer, comme c’est actuellement le cas, que quelques lectures, provoque chez les illettrés un isolement sensoriel beaucoup trop important. Quelques mesures relativement simples permettraient d’humaniser le quartier disciplinaire. " (Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire)

De surcroît, la privation de visite est une conséquence du placement en cellule disciplinaire, alors qu’elle ne peut être prononcée en tant que sanction disciplinaire. Seule est possible la suppression du parloir sans séparation, lorsque la faute a été commise au cours ou à l’occasion d’une visite (Art. D.251-1 du code de procédure pénale).

Le maintien d’un nombre minimal de visites lors du placement en quartier disciplinaire doit être possible. Il convient donc de revoir les règles régissant le quartier disciplinaire et notamment celles concernant la procédure qui s’y applique. 13

 ? La mise à l’isolement ne constitue pas, en droit, une sanction disciplinaire. Les détenus placés à l’isolement bénéficient en principe du régime de détention ordinaire, si ce n’est qu’ils n’ont pas de contact avec les autres détenus. Un détenu peut être placé à l’isolement, soit à la demande du juge d’instruction s’il s’agit d’un prévenu, soit sur sa demande, soit par mesure de précaution ou de sécurité, c’est-à-dire pour assurer la propre protection de l’intéressé ou préserver l’intégrité de ses codétenus. Il a pu être constaté que les pratiques dans l’utilisation de cette mesure étaient très variables, bien que l’encadrement de la procédure de mise à l’isolement ait été renforcé. Il est d’ailleurs à noter que cette disposition pose de considérables problèmes de fonctionnement dans les établissements qui ne disposent pas d’un quartier d’isolement.

Dans les faits, les conséquences du placement à l’isolement sont lourdes en termes d’accès aux équipements et aux activités et la solitude prolongée a des effets psychologiques importants.

Au 1er mars 2000, 57 détenus étaient placés à l’isolement depuis plus d’un an.

" Dans les maisons centrales, se pose aussi le problème de l’isolement prolongé. On voit de plus en plus des gens rester très longtemps - plusieurs mois, voire plusieurs années - à l’isolement, avec une raréfaction des sensations, des perceptions, des stimulations, qui suppose pour survivre des capacités internes que seuls possèdent quelques détenus, qui finissent par être connus parce qu’ils deviennent professeur d’histoire. Pour la plupart des autres détenus, l’isolement prolongé rend complètement fou. La mort psychique qui en résulte est un phénomène très inquiétant. D’autant que, comme ils se comportent très mal, ils passent du quartier d’isolement au quartier disciplinaire et ainsi de suite. Il est terrifiant de voir ainsi abandonnés entre le quartier d’isolement et le quartier disciplinaire des gens qui n’ont plus d’avocat - en maison centrale, la plupart du temps, l’avocat commis d’office disparaît - qui viennent des confetti de l’empire, de Tahiti ou de la Guadeloupe, à six mille ou vingt mille kilomètres de leur famille. Il conviendrait de prévoir des règles plus précises afin que ce qui se passe dans le quartier d’isolement soit connu de l’extérieur et contrôlé, de même que les hôpitaux psychiatriques sont contrôlés depuis longtemps, notamment depuis la loi de 1990, par des commissions qui viennent voir les gens et les entendre. Les certificats médicaux que nous établissons constituent des avis qui ne sont pas toujours suivis. " (Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire)


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr