A) LE CONSTAT : L’ETERNELLE PENURIE DES EFFECTIFS

Lors des visites effectuées dans les établissements pénitentiaires, les membres de la commission d’enquête se sont attachés à rencontrer les surveillants et notamment les représentants locaux des syndicats représentatifs. Ces syndicats ont par ailleurs tous été entendus en auditions non ouvertes à la presse par la commission d’enquête. Le sentiment profond qui se dégage de ces entretiens est qu’il ne peut y avoir d’évolution du système pénitentiaire sans adhésion du personnel, et notamment du personnel surveillant :

" Il n’est pas possible de faire progresser la condition carcérale si on ne fait pas progresser simultanément la condition des personnels et celle des détenus. Les personnels vivent durement leur condition et c’est un travail dont la société ne reconnaît pas les mérites. C’est là une donnée clef. Lorsque l’on veut faire progresser la condition des prisons, il faut simultanément améliorer la condition des uns et des autres. Pas une des mesures - que j’ai prises après force concertation et moult difficultés et une résistance considérable - ne le fut sans que, conjointement, ne soient améliorées la condition des personnels et celle des détenus. Il s’agit d’une réalité profonde. Le sort du personnel de surveillance est indissociable de celui des détenus et on ne peut, dans le cadre d’une commission d’enquête, écarter cette exigence " (M. Robert Badinter).

" J’ai noté avec grand plaisir que, dans le cadre de la mission que vous vous êtes impartie, figure l’appréciation du statut des fonctionnaires de l’administration pénitentiaire. Il faut bien être conscient que rien ne peut être réformé dans les prisons qui ne rencontre l’adhésion du personnel pénitentiaire. L’expérience montre que l’on peut coucher sur le papier toutes les réformes aussi belles soient-elles, il n’est pas possible de les mettre en _uvre si les fonctionnaires pénitentiaires n’y adhèrent pas pleinement. " (M. Ivan Zakine, représentant le comité européen pour la prévention de la torture)

Actuellement, la revendication essentielle, au niveau local notamment, ne porte pas sur des questions indemnitaires ou statutaires mais sur le problème du manque d’effectifs.

LES EFFECTIFS TOTAUX

Au 1er janvier 2000, l’administration pénitentiaire emploie en effectifs réels 25 121 personnes, dont 20 041 au titre de la surveillance des établissements. La différence entre effectifs budgétaires et effectifs réels est la suivante :

Effectifs budgétaires 2000 Effectifs réels Vacances
Personnel de direction 370 315,5 54,5
Personnel administratif 2.308 2.174,5 133,5
Personnel technique 675 631,3 43,7
Personnel socio-éducatif 2.100 1.958,7 141,3
Personnel de surveillance 20.256 20.040,7 215,3

Le personnel de l’administration pénitentiaire représente 41 % des effectifs du ministère de la justice.

Les vacances de poste constatées au 1er janvier 2000 résultent pour la plus grande partie de créations d’emplois correspondant à la loi de finances 2000, lesquelles ont creusé le nombre de vacances de manière mécanique. En outre, à l’intérieur de certains corps, des recrutements étaient en cours ou venaient tout juste de s’achever à cette date. Il faut dès lors relativiser le nombre de vacances de poste comptabilisé dans le tableau ci-dessus.

LES EFFECTIFS DU PERSONNEL SURVEILLANT

La question de la vacance de postes prend, dans l’administration pénitentiaire, un relief particulier compte tenu des spécificités que revêt ce service public. Les missions de garde et sécurité, qui lui sont notamment assignées par la loi du 22 juin 1987, imposent en effet un fonctionnement permanent des établissements 24 heures sur 24, tout au long de l’année. Toute tension sur les effectifs se répercute obligatoirement sur les conditions de travail des agents en poste. Dans ce contexte, les réformes intervenues, notamment pour améliorer le régime des retraites ont considérablement pesé sur le climat social : l’article 24 de la loi n° 96-452 du 28 mai 1996 portant diverses mesures d’ordre sanitaire, social et statutaire a accordé au personnel de surveillance de l’administration pénitentiaire un régime dérogatoire de retraite identique à celui dont bénéficie le personnel de police depuis 1957 et caractérisé par l’octroi de la bonification dite du cinquième. La bonification du cinquième est une mesure destinée à compenser l’abaissement de la limite d’âge tenant ainsi compte de la pénibilité de l’accomplissement de la mission de sécurité des personnels de surveillance.

Au 1er janvier 2000, la limite d’âge des personnels de surveillance a été abaissée à 55 ans ; la bonification d’annuités est octroyée à raison d’une annuité par cinq ans de service effectif passé dans le corps du personnel de surveillance, nul ne pouvant se voir accorder plus de cinq annuités au titre de la bonification.

Malgré la mise en place d’un dispositif de transition entre 1996 et 1999 ayant pour objet de limiter le nombre de départs en retraite, il semble que l’administration pénitentiaire ait mal évalué les effets de cette nouvelle disposition. Les départs à la retraite, toutes catégories confondues, se sont élevés à 388 en 1997 ; ils sont de 515 en 1998. Compte tenu de la pyramide des âges du personnel surveillant, le mouvement devrait s’amplifier dans les années à venir. Il faut ajouter que les régions pénitentiaires sont inégalement touchées ; l’Ile-de-France, qui accueille traditionnellement les jeunes surveillants, semble moins concernée que la région de Toulouse et de Bordeaux.

La féminisation du personnel surveillant nécessite également de s’engager dans une réflexion sur ses conséquences à long terme en matière d’effectifs : aujourd’hui, le taux de féminisation du corps des personnels de surveillance est de 7,7 % ; ce taux comptabilise les personnels féminins aussi bien en quartiers hommes qu’en quartiers femmes. Si l’on ne considère que les quartiers hommes, le taux de féminisation est de 5,6 %.

La féminisation du corps est très bien acceptée, que ce soit par les directeurs d’établissements ou par les syndicats de surveillants. Il semble acquis que la présence de surveillantes a pour effet d’apaiser le climat de la détention et de changer les rapports de force entre personnel surveillant. La féminisation est donc un apport très positif dont il faut se féliciter ; elle semble impliquer, pour les organisations syndicales rencontrées, de nouvelles contraintes que l’administration centrale doit prendre en compte dans la gestion des effectifs ; en terme de postes de travail, certaines tâches, essentiellement les fouilles à corps, ne paraissent pas pouvoir être effectuées par des femmes. En terme d’organigramme, il s’agit également de prendre en compte le " taux compensatoire pour les besoins de service ". Le TCBS est censé refléter les besoins en personnel en prenant en compte le taux moyen d’absence, quelle que soit la cause de la vacance de poste. Ce TCBS a été fixé à 30 % pour les surveillantes en quartier femmes et 16 % en quartier hommes. Or ce taux de 16 % n’a pas fait l’objet d’une réévaluation, alors même que l’on compte un nombre croissant de femmes en détention hommes.

La validité de ces arguments mériterait néanmoins une analyse plus approfondie ; fixé en concertation avec les organisations syndicales, il n’est pas sûr que le TCBS reflète la réalité et semble davantage traduire un rapport de force entre syndicats et administration. La différence des taux entre surveillants et surveillantes mériterait d’être revue car il ne paraît pas correspondre au taux d’absentéisme constaté. Quoi qu’il en soit, l’inadéquation du TCBS a été invoquée à maintes reprises au cours des visites effectuées. Il faut être conscient qu’il pourrait susciter, à terme, une certaine tension sociale et de nouvelles revendications.

LES EFFECTIFS TECHNIQUES ET ADMINISTRATIFS

Les visites effectuées dans les établissements pénitentiaires ont permis de constater sur place la grande misère des corps techniques et administratifs ; il n’y a souvent pour entretenir un bâtiment comptant 1 000 détenus que deux ou trois personnels chargés de la maintenance. A la maison d’arrêt de Basse-Terre, qui se trouve dans un état particulièrement vétuste, un seul agent technique est prévu dans l’organigramme. On compte le plus souvent sur les bonnes volontés, le parcours professionnel de certains détenus ou tout simplement le " système D " pour entretenir des bâtiments soumis pourtant à des conditions d’utilisation difficiles.

S’agissant du personnel administratif, la carence des effectifs s’explique, selon l’administration pénitentiaire, par l’histoire et la culture ; dans sa réponse aux observations de la Cour des comptes, publiée dans le rapport public particulier de décembre 1999 relatif à la fonction publique de l’Etat, l’administration pénitentiaire précise que " la pression sociale a souvent abouti à la création d’emplois de surveillance plutôt qu’administratifs. C’est pourquoi, malgré le plan de réintégration en détention des personnels de surveillance, mené depuis 1993, certains d’entre eux occupent toujours, de manière indue, des postes administratifs ou techniques. Ce dysfonctionnement est dû à l’insuffisance du nombre des emplois budgétaires administratifs et techniques ".

" Lorsque des emplois sont créés, c’est le plus souvent dans les corps de catégorie C. Or la gestion des établissements, comme celle des directions régionales, nécessite non seulement des emplois administratifs plus nombreux, mais aussi des emplois plus qualifiés (catégories A et B). "

LES EQUIPES DIRIGEANTES

Il faut compter dans cette catégorie à la fois le personnel de direction et les chefs de service pénitentiaire, de catégorie B, qui exercent les fonctions de chef d’établissement dans des petites maisons d’arrêt d’une capacité théorique de moins de 200 places.

Le rapport de la Cour des comptes publié en décembre 1999 constate que, bien que le taux de vacance sur les emplois budgétaires paraisse extrêmement faible, des vacances fonctionnelles prolongées sont simultanément constatées ; la Cour des comptes attribuait ce paradoxe à la gestion du corps des chefs d’établissement par l’administration centrale et notamment l’utilisation de sanctions " officieuses " consistant, en l’absence d’une position hors cadre similaire à celle du corps préfectoral, à recourir à des affectations dans des emplois de chargés de mission en direction régionale ou dans des emplois d’administration centrale sans contenu bien défini. En des termes plus nets, il est certain que ces " mises au placard " entraînent de grosses difficultés dans la gestion des corps de directeurs, encore renforcées par des départs nombreux vers les carrières de la magistrature ou du corps préfectoral.

Les chiffres fournis par l’administration pénitentiaire font état, en 1999, de douze établissements ayant connu une vacance de poste de chef d’établissement s’échelonnant de quinze jours à six mois (cette dernière durée ayant été constatée pour la maison d’arrêt de Mont-de-Marsan). Ces chiffres ne traduisent pas cependant les vacances dans les équipes d’encadrement, ainsi que, plus généralement, le sous-encadrement général des établissements pénitentiaires. Les normes actuellement fixées par l’administration pénitentiaire sont, pour les établissements récents, de deux personnels d’encadrement pour un établissement de 400 places et de trois pour un établissement de 600 places. On constate aujourd’hui que de nombreuses maisons d’arrêt plus anciennes, qui accueillent entre 200 et 350 détenus ne compte qu’un seul personnel de direction.

B) L’INSUFFISANCE DES REPONSES DE L’ADMINISTRATION CENTRALE

UN EFFORT BUDGETAIRE POURTANT CONSEQUENT

La Cour des comptes affirme dans son dernier rapport que la direction de l’administration pénitentiaire a fait l’objet d’un traitement favorable lors des lois de finances successives par rapport à la plupart des autres services de l’Etat ; il faut effectivement reconnaître que l’augmentation des emplois depuis dix ans est continue. Cette augmentation a principalement concerné le personnel de surveillance, qui a représenté près de 80 % des créations d’emplois budgétaires dans la période 1990-1998. Les personnels techniques ont également connu une augmentation très sensible de leurs effectifs (+ 37 %) sur une population de départ il est vrai très faible.

L’administration pénitentiaire a fait face aux nombreux départs en retraite en obtenant, par deux fois en 1998 et 1999, la création de postes de surveillants en surnombre par rapport aux postes budgétaires prévus. Ces créations en surnombre sont de l’ordre de 400 élèves surveillants en 1998 et de 507 en 1999. La demande a été reconduite en 2000. Pour l’année 2000, l’effort en matière de recrutement de personnel surveillant a permis de porter à plus de 1 300 le nombre de surveillants stagiaires sortant de formation et à 1 600 le nombre d’entrants en formation initiale. A titre comparatif, en 1999, ce sont 975 stagiaires qui sont sortis en formation et 983 qui y sont entrés.

Il faut néanmoins ajouter que les effets de ces recrutements massifs mettent un certain temps à se faire ressentir dans les organigrammes des établissements, compte tenu du retard considérable pris dans le passé et de l’allongement de la durée de formation passée de quatre à huit mois, des élèves surveillants.

DES ESSAIS DE PROSPECTIVE A LONG TERME

Afin de mieux gérer ses effectifs, l’administration pénitentiaire s’est dotée depuis janvier 1999 d’un tableau prévisionnel d’effectifs de personnel de surveillance par établissement. Ce tableau permet de donner des indications sur les entrées et sorties prévisibles des effectifs sur les douze mois à venir. Elaboré conjointement par l’administration centrale et les directions régionales, il se limite pour l’instant aux effectifs surveillants mais devrait être prochainement complété par un travail similaire sur les autres corps.

En outre, l’administration centrale, passée la surprise des " comportements individuels inattendus à la suite de la bonification de l’octroi du cinquième ", pour reprendre sa propre expression, a estimé également nécessaire d’anticiper plus finement qu’elle ne l’avait fait jusqu’alors, les départs en retraite : la directrice de l’administration pénitentiaire a ainsi écrit en septembre 1999 aux 3 400 agents âgés d’au moins 49 ans qui n’avaient pas déposé une demande de retraite, afin de connaître leurs intentions.

De plus l’administration met en place une application informatique, baptisée GEREHMI (gestion des ressources humaines du ministère de la Justice) chargée de remplacer la base informatique GP (gestion personnel) devenue obsolète ; disponible en 2002, cette base est censée permettre, au niveau central, une meilleure évaluation des besoins.

La recherche d’une évaluation prospective des ressources humaines a également porté sur les carrières des personnels de catégorie A et notamment des directeurs d’établissement.

Cependant, là encore, les efforts entrepris paraissent insuffisants compte tenu des attentes locales ; la gestion des effectifs constitue, il est utile de le rappeler, un thème récurrent des revendications rencontrées lors des visites.

UN RAISONNEMENT SUR DES ORGANIGRAMMES OBSOLETES

Il est difficile d’appréhender l’ampleur de la question des effectifs en ne raisonnant que sur les statistiques des vacances de poste fournies par l’administration pénitentiaire. En effet, ces vacances de postes sont calculées en fonction de postes prévus dans des organigrammes qui ne correspondent pas à la réalité.

Ce sont d’abord pour la plupart des organigrammes obsolètes : " Une inadéquation certaines se fait jour entre les missions confiées au personnel pénitentiaire et les moyens mis à sa disposition. Ces missions s’effectuent sans effectifs supplémentaires. L’organigramme, à Privas, date de 1988 et il était, déjà à cette date, obsolète " (M. Jean-Claude Lopez, directeur de la maison d’arrêt de Privas)

Etablis dans les années quatre-vingts, ces organigrammes ne correspondent ni à l’évolution des missions attribuées à la prison, ni aux changements constatés de la population pénale et à son accroissement ; ils n’intègrent pas non plus les personnels administratifs et techniques.

Les conséquences de cette pénurie d’effectifs sont nombreuses ; elles alourdissent considérablement le climat social, rendent le travail des surveillants pénible et se révèlent finalement financièrement coûteuses.

C) LES CONSEQUENCES DE LA PENURIE D’EFFECTIFS : UN SERVICE PENITENTIAIRE DESORGANISE

DES CONDITIONS DE TRAVAIL POUR LE PERSONNEL RENDUES PENIBLES

C’est là bien évidemment la première des conséquences du sous-effectif : les rythmes de travail imposés par les conditions de détention, aggravées par le phénomène de surpopulation et de changements structurels de la population pénale, rendent le travail de personnel pénitentiaire et notamment le métier de surveillant, pénibles.

Les surveillants n’ont pas, face à ce sous-effectif, le sentiment de remplir correctement leur mission ; selon leur expression, " ils font tourner ", gèrent au quotidien une surpopulation endémique, sans avoir le temps d’élaborer avec les détenus une relation suivie d’observation et d’écoute.

" Dans les grands établissements, on compte, à un moment donné, un surveillant pour cent détenus. Aux Baumettes, un seul surveillant peut même couvrir deux ailes. Cela représente, sur une longueur de 200 mètres, 130 ou 150 détenus à gérer " (M. Georges Vin, directeur des Baumettes).

Les rythmes de travail, en termes de charges journalières, de permanences de nuit ou de congés sont difficiles à assumer : il en résulte une aggravation des taux d’absentéisme, déplorée à peu près unanimement dans tous les établissements pénitentiaires, avec toutefois une nette prépondérance dans les maisons d’arrêt surpeuplées. En cinq ans, le taux d’absence global des personnels de surveillance a augmenté de 2 %, les rubriques cumulées maladies, accidents du travail et longues maladies représentent 23,91 jours d’absence par agent en 1998, contre 21,22 jours en 1997. De plus, l’absentéisme oblige les directeurs d’établissement à procéder à des rappels de surveillants de permanence, ce qui contribue à alourdir à son tour les rythmes de travail du personnel rappelé. Dès lors, il apparaît que l’absentéisme est un phénomène qui s’auto-entretient et dont on ne peut casser la dynamique qu’en améliorant de manière très nette les conditions de travail.

Le rappel des surveillants de permanence oblige de plus l’administration pénitentiaire à procéder à la rémunération d’heures supplémentaires conséquentes, dont le coût très important a été à juste titre dénoncé par la Cour des Comptes.

DES CONSEQUENCES GRAVES POUR LA SECURITE

L’administration pénitentiaire a souvent eu tendance, pour relativiser le sous-effectif, à raisonner en taux d’encadrement global et à comparer ce taux avec celui de nos voisins européens :

" La France ne compte qu’un surveillant pour 2,6 détenus au 1er janvier 2000, alors que le nombre de surveillants est plus élevé que jamais et que celui des détenus baisse. Or la moyenne de détenus par surveillants constatée dans l’Union européenne est inférieure, sauf en Grèce, au Portugal et au Luxembourg. En 1996, dernière année sur laquelle nous disposons de statistiques comparatives, le ratio était de 2,3 détenus par surveillant au Royaume-Uni, 1,7 aux Pays-Bas et 1,3 au Danemark " (Mme Martine Viallet, directrice de l’administration pénitentiaire).

Cette présentation, qui consiste à diviser simplement le nombre de détenus par celui des surveillants, ne traduit qu’imparfaitement la réalité ; C’est, compte tenu des roulements d’équipes, à un instant donné, que le décompte doit être fait ; seul ce décompte permet d’appréhender la faiblesse des effectifs et la vulnérabilité du surveillant isolé sur un étage d’une détention.

Le sous-effectif, qu’il résulte d’un organigramme sous évalué ou d’un taux d’absentéisme important, conduit les chefs d’établissement à " découvrir " des postes en arrêtant provisoirement de les pourvoir. Les visites d’établissements ont permis de constater les difficultés qui résultaient de cette gestion des effectifs : le personnel, les chefs d’établissement sont constamment dans une logique de gestion " sur le fil ", à la merci de l’incident ou de l’agression. Le service de nuit, notamment dans les petits établissements, n’est parfois effectué que par deux agents au lieu des trois comme prévu dans un protocole d’accord entre administration et syndicats. Ce service de nuit s’effectue également sans gradé de service présent dans l’établissement, alors même que les clés sont détenues par le gradé :

" Dans 90 % des établissements, il n’y a pas de gradé de nuit mais un gradé de permanence à domicile. Nous devons donc l’appeler chez lui pour qu’il vienne ouvrir la cellule.

Il est encore plus incroyable qu’il n’y ait pas de surveillante de nuit dans les 73 quartiers de femmes. Elles sont d’astreinte à domicile. S’il y a un problème en cellule, la détenue appelle par un interphone le surveillant homme, qui téléphone à son gradé de permanence, qui à son tour, téléphone à la surveillante pour qu’elle se rende dans son établissement ! " (M. Serge Alberny, Syndicat national pénitentiaire FO des personnels de surveillance)

Le sous-effectif conduit également à renoncer à tout un ensemble de tâches pourtant essentielles à la sécurité : les fouilles des cellules ne sont faites qu’épisodiquement, voire jamais, les passages dans les chemins de ronde ne sont plus pratiqués régulièrement.

Il s’ensuit de façon très claire un sentiment d’insécurité croissant chez le personnel ; ce sentiment se conjugue avec celui de ne pas assurer efficacement la mission d’insertion qui lui est dévolue.

UNE CAPACITE D’ECOUTE RENDUE DIFFICILE

Il s’agit ici, une nouvelle fois, d’affirmer que le sous-effectif en personnel est un obstacle à toute évolution de la prison vers une mission d’insertion. Aucune réforme ne peut être valablement menée sans dégager auparavant les moyens budgétaires et humains adéquats. Dans des conditions de sous-effectif, il ne peut y avoir une écoute suffisante et une observation attentive des détenus. Les personnels, et bien entendu en premier lieu les surveillants, ont le sentiment qu’un grand nombre de réformes ont été initiées ces dernières années sans l’accompagnement adéquat en terme d’effectifs : l’autorisation d’une troisième douche par semaine, la nouvelle procédure disciplinaire ou le projet d’exécution de la peine ont été annoncés mais butent le plus souvent sur les moyens humains.

C’est donc l’ensemble des conditions de détention qui souffre de cette pénurie : les postes " découverts " sont en priorité pris sur ce qui est considéré comme accessoire au regard des missions de la prison, à savoir sa mission d’insertion.

DES CONSEQUENCES SUR LA FORMATION

Le sous effectif rend bien évidemment très difficiles les actions de formation du personnel ; il est en effet quasiment impossible de dégager un effectif suffisant permettant à un agent de partir en journées de formation. Il faut d’ailleurs se féliciter à ce sujet de l’expérience menée dans plusieurs directions régionales de mise en place d’équipes d’intérim, permettant le remplacement des agents dans leurs postes pendant leur durée de formation. Il conviendrait bien évidemment de généraliser cette procédure.

A l’heure actuelle, comme l’a indiqué M. Patrick Mounaud, directeur de l’ENAP, le surveillant n’a une chance raisonnable d’obtenir une formation de quelques jours que tous les huit ou dix ans.

Le sous-effectif a également des conséquences sur la formation initiale du personnel surveillant ; cette formation comprend actuellement quatre mois de stage et quatre mois d’enseignement à l’ENAP. La pénurie de personnel conduit à remplacer dans les organigrammes les effectifs absents par les élèves surveillants. Il ne s’agit donc plus qu’en théorie de stage ; placés directement en détention, exerçant les mêmes tâches que les surveillants, les élèves surveillants voient dès lors leur formation initiale quelque peu sacrifiée :

" On forme un gardien de la paix en un an et un surveillant pénitentiaire en huit mois. Il faut de plus soustraire de ces huit mois les quatre mois de stage pratique qui, actuellement, ne revêtent pas un caractère de formation mais sont une mise en situation professionnelle immédiate pour pallier le manque d’agents. Au centre de détention de Caen, des stagiaires de 21 ou 22 ans, censés effectuer un stage de formation, comblent en réalité le déficit en personnel ".(M. Jean-Louis Daumas, directeur du centre de détention de Caen).

L’ENSEMBLE DE L’ORGANIGRAMME DESORGANISE

La pénurie de personnel est bien évidemment d’abord une question de pénurie du personnel surveillant ; cependant, cette pénurie, on l’a vu, touche toutes les catégories de personnel pénitentiaire, avec des répercussions importantes sur la vie des établissements. Les vacances de postes d’encadrement ont pu être constatées sur l’ensemble des visites ; ainsi, par exemple, à Fontenay le Comte, le poste de directeur d’établissement est en souffrance depuis le départ du directeur en congé maladie. Aucun poste de sous-directeur n’est prévu ; la fonction est donc assurée depuis de longs mois par un chef de service pénitentiaire, lui-même en instance de départ à la retraite. Val-de-Reuil, centre de détention qui compte plus de 700 détenus, est dirigé par un directeur et un stagiaire, alors que quatre postes sont normalement prévus.

Mme Viallet, directrice de l’administration pénitentiaire, a rappelé devant la commission d’enquête les problèmes posés par la gestion du corps des directeurs : " Un départ [du poste de directeur] provoque donc des mouvements trop rapides. Vous avez cité Bois-d’Arcy ; il en va de même de la Santé qui a vu défiler rapidement de nombreux directeurs. C’est un vrai problème, compte tenu du poids des directeurs dans le mode de gestion actuelle qui n’est pas organisé, sauf exception, en équipe de direction, mais véritablement autour du directeur selon un dispositif très hiérarchisé ".

La pénurie d’effectifs techniques a des conséquences directes sur l’entretien des bâtiments et la vie quotidienne des établissements. En l’absence de personnel, on fait appel aux bonnes volontés, aux talents des uns ou des autres, surveillants ou détenus. Et en l’absence de talents, on improvise : à Privas, comme d’ailleurs dans de nombreux petits établissements, aucun personnel technique n’est affecté à la cuisine ; les détenus du service général se trouvent dès lors seuls pour préparer les repas. La qualité de la nourriture dépend donc des talents culinaires des détenus classés...

Concluons, pour finir, sur l’indigence des effectifs des conseillers d’insertion et de probation ; la norme retenue par l’administration pénitentiaire est de un travailleur social pour cent détenus en milieu fermé et un travailleur social pour soixante-dix personnes sous main de justice en milieu ouvert. Il faut ajouter que ces normes ne sont pas toujours respectées : " Ce quota est rarement respecté en particulier dans les grandes prisons. A Fleury-Mérogis, par exemple, où les problèmes sont multipliés, il devait normalement y avoir une soixantaine de travailleurs sociaux. Depuis quinze ans, seulement quarante agents y sont affectés, c’est-à-dire qu’il en manque vingt en permanence. " (M. Paul Pelegrin, conseiller d’insertion et de probation, délégué de l’Union syndicale pénitentiaire)

A titre de comparaison, la direction de la protection judiciaire de la jeunesse retient le chiffre de un éducateur pour un jeune dans les unités d’éducation renforcée. Ces normes parlent d’elles-mêmes et permettent de mieux appréhender la portion congrue qui est réservée à la mission d’insertion en prison.

Il convient de faire porter un effort décisif sur les moyens budgétaires impartis aux ressources humaines ; l’administration pénitentiaire ne doit pas se contenter de raisonner sur la gestion des organigrammes existants ; elle doit faire valoir les impératifs qui s’attachent à la sécurité et à l’insertion. Il est également indispensable de procéder à une véritable déconcentration de la gestion des ressources humaines au niveau des directions régionales : seule cette déconcentration permettra, établissement par établissement, d’évaluer au mieux les besoins en personnel.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr