Deux éléments sont à prendre en compte à ce sujet :la conception restrictive de la sanction par l’administration pénitentiaire ne permet d’appliquer la procédure prévue en matière disciplinaire qu’à un nombre réduit de décisions ; la procédure même prévue en matière disciplinaire comporte de graves lacunes en matière de droits de la défense.
S’agissant de la conception restrictive de la sanction, il faut rappeler que le droit de la prison est un droit conditionnel ; comme cela a déjà été dit, de nombreuses décisions peuvent ainsi être prises par la direction au nom d’un impératif de sécurité, et vécues comme des sanctions par les détenus. Parmi ces décisions, les mises à l’isolement ou les transferts imposés d’établissement exigeraient sans nul doute de meilleures garanties dans l’information et le droit de réponse du détenu.
S’agissant de la procédure même de la sanction disciplinaire, il faut en premier lieu reconnaître que la discipline, et la sanction qui accompagne cette discipline sont indispensables à la bonne marche d’un établissement pénitentiaire :
" On ne peut faire l’économie, en prison, d’un lieu disciplinaire. Il ne faut pas avoir des prisons une vision angélique : c’est un lieu de tension, de violence et d’affrontement où la loi du plus fort, parce qu’il s’agit d’un lieu cloisonné avec des jeunes hommes, est menaçante à tous moments. Il faut donc qu’il y existe un système disciplinaire. " (Robert Badinter)
Convaincu de l’utilité de la sanction disciplinaire, il faut dès lors plaider pour un aménagement des procédures. Le décret du 2 avril 1996 a, en l’occurrence, permis des avancées essentielles. A ainsi pu être instituée, en premier lieu une échelle des peines en fonction de la gravité de la sanction. Une procédure devant la commission de discipline a également été instaurée, permettant au détenu d’obtenir un délai minimum de trois heures avant son audience afin de préparer sa défense.
Bien qu’ayant été considérablement améliorée, cette procédure souffre encore de graves manquements en matière de garantie des droits de la défense, de respect d’un procès équitable et d’indépendance et d’impartialité de l’instance disciplinaire.
Comme l’a rappelé le Président Canivet dans son rapport, " l’autorité de poursuite est en même temps celle qui décide de la sanction, au mépris de la séparation des fonctions. De même, la commission est composée de deux assesseurs, avec voix consultative, désignés par le directeur président, sous l’autorité hiérarchique duquel ils sont placés. Plus encore, l’exercice des droits de la défense apparaît méconnu, tant par l’absence de défenseur que par le délai trop court laissé au détenu pour la préparation de sa défense et par la non-consultation du dossier, alors que le respect des droits de la défense est un principe à valeur constitutionnelle. "
La présence d’un avocat assistant le détenu lors de la commission de discipline, le " prétoire " dans le langage pénitentiaire, a été une question vivement discutée par la commission d’enquête. Elle pose en effet le problème de l’égalité des détenus en matière de sanction, les plus démunis ne pouvant obtenir les mêmes garanties que les détenus assistés d’un avocat. Elle devrait donc se traduire par un accroissement conséquent de l’aide juridictionnelle, afin de pouvoir désigner des avocats commis d’office. La présence de l’avocat au prétoire suscite également de vives inquiétudes chez les surveillants qui craignent une procédure inéquitable plaçant le surveillant ayant vécu l’incident dans une situation plus défavorable que le détenu.
La solution pourrait résider dans l’institution de médiateurs indépendants et neutres qui examineraient en toute impartialité les dossiers de sanction.
Le débat entre avocat ou médiateur semble toutefois être dépassé par l’adoption de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations. L’article 24 de la loi dispose en effet que toute personne ayant fait l’objet d’une décision devant être motivée en application de la loi du 11 juillet 1979 - à savoir une décision individuelle défavorable - peut demander à présenter des observations écrites ou orales ; elle peut également se faire assister du conseil de son choix.
La loi du 12 avril 2000 s’applique à toutes les autorités administratives, y compris les établissements pénitentiaires ; le rapport de Mme Ledoux, députée, lors de la première lecture du texte, est très explicite sur ce champ d’application. Appliqué aux prisons, l’article 24 permet donc l’assistance du détenu en commission de discipline par un conseil de son choix, quel qu’il soit, détenu, avocat, interprète ou autre intervenant.
L’administration pénitentiaire paraît contester cette interprétation au motif qu’il existe déjà dans le code de procédure pénale des procédures contradictoires. Celles-ci sont effectivement prévues, mais par voie réglementaire ; on saisit mal, de plus, comment une norme antérieure, qu’elle soit de niveau équivalent ou a fortiori inférieur, pourrait être invoquée pour justifier l’inapplicabilité d’une norme postérieure.
S’il faut se féliciter de cette avancée du droit, on peut regretter néanmoins qu’une réforme de telle ampleur n’ait été faite que par le biais d’une loi de portée très générale, et sans qu’à aucun moment la question des établissements pénitentiaires n’ait été clairement soulevée à l’occasion des débats. Il n’est pas question ici de plaider pour que des lois spécifiques soient votées pour les établissements pénitentiaires ; il faut tout au contraire se féliciter qu’un apport aussi fondamental soit adopté dans une loi concernant l’ensemble des citoyens ; il aurait peut-être cependant été souhaitable que l’administration pénitentiaire soit davantage impliquée dans cette réforme. Mise devant le fait accompli, elle ne peut accepter que de mauvaise grâce une réforme qui aurait effectivement nécessité davantage de consultations.
Ajoutons pour conclure que les visites effectuées dans les établissements pénitentiaires ont permis de montrer un consensus des directeurs d’établissement pour une procédure disciplinaire plus respectueuse des droits des détenus. Certains directeurs ont même plaidé pour être déchargés de l’ensemble du contentieux disciplinaire, qui serait désormais confié à l’autorité judiciaire.
Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr
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