A) L’ACCES AUX SOINS EN MILIEU HOSPITALIER
Une difficulté majeure de l’organisation des soins réside dans l’accès aux soins en milieu hospitalier.
La loi du 18 janvier 1994 comporte deux volets, l’un relatif aux soins dans les établissements pénitentiaires, l’autre à l’accès à l’hôpital tant pour les hospitalisations que pour les consultations externes qui repose sur l’élaboration d’un schéma national d’hospitalisation des détenus. Celui-ci n’a toujours pas vu le jour et son horizon apparaît encore lointain.
L’objectif de ce schéma est d’améliorer les conditions d’hospitalisation, tout en rationalisant les moyens consacrés à la garde et à l’escorte des détenus.
Les services médicaux se heurtent constamment, et partout, à ces deux problèmes qui suscitent des querelles incessantes entre l’administration pénitentiaire et les services de police ou de gendarmerie.
" Les textes prévoient que les escortes pour consultation sont de la compétence de la pénitentiaire, excepté dans les petits établissements qui ne disposent pas du personnel et de l’équipement en véhicules nécessaires. Ces escortes sont alors de la compétence de la police ou de la gendarmerie. Ce qui a fonctionné correctement pendant un certain nombre d’années ne fonctionne plus parce que les hospitalisations sont de plus en plus nombreuses, dans la mesure où la médecine est de mieux en mieux implantée en détention.
S’ajoute le problème de la garde que vous souligniez, qui revient à la police ou à la gendarmerie, mais qu’elles n’aiment guère assurer, car une telle fonction mobilise longtemps des effectifs élevés. " (Mme Martine Viallet, directrice de l’administration pénitentiaire)
" Faire sortir un malade, faire une " extraction " - quel terme ! - pour motifs de santé est un parcours du combattant. Il faut remonter la filière jusqu’au directeur de l’établissement, lequel entretient avec les forces de police, le commissariat ou la gendarmerie selon les cas, des rapports qui peuvent être plus ou moins bons. La gendarmerie traîne un peu les pieds, elle maugrée... mais elle y va ! La police ? Il arrive assez fréquemment qu’un responsable rétorque que tel n’est pas son métier, qu’il y a d’autres urgences... Ce sont des palabres sans fin ! Certaines situations sont alors très difficiles surtout quand il y a réellement urgence !
Il me semble que sur ce sujet, des textes précis, ne prêtant pas à interprétation locale, pour commodité personnelle ou autre, doivent voir le jour et donner sans équivoque la conduite à tenir. " (M. Pierre Pradier)
Les consultations médicales en milieu hospitalier posent d’ailleurs aussi la question du respect du secret médical.
" Il y a un tel cirque autour de la sécurité que le médecin de l’hôpital, qui n’est pas habitué - mais les médecins le sont de plus en plus - à recevoir quelqu’un entravé, menotté, entouré de surveillants, peut avoir peur et demander que le surveillant reste à l’intérieur de la pièce pendant la consultation ; il en résulte une violation du secret médical. " (Docteur Véronique Vasseur)
Un arbitrage interministériel est intervenu lors du conseil de sécurité intérieure du 6 décembre 1999 qui doit se mettre en place à l’horizon 2002, répartissant la charge des escortes et de la garde.
Il a été décidé que les services pénitentiaires assumeraient intégralement la charge des escortes des détenus aux consultations externes en milieu hospitalier, sauf s’agissant des détenus dangereux, alors qu’actuellement ils n’en assurent que 75 %.
Pour assurer cette couverture, l’administration a évalué ses besoins à 415 emplois de personnels de surveillance supplémentaires. Trois emplois ont été créés en 1999 pour assurer les escortes et 33 en 2000 (il en manque donc encore 379).
Les services pénitentiaires assureront également, dans les cas d’hospitalisation, la surveillance du malade détenu dans les unités hospitalières spécialisées interrégionales (UHSI) prévues par le schéma national.
Il reviendra par contre aux forces de l’ordre d’assurer l’escorte depuis l’établissement vers l’unité d’hospitalisation, la garde externe (la porte d’entrée) et les accompagnements dans l’hôpital vers les plateaux techniques.
Pour autant, tous les points de ce schéma, déjà complexe, ne sont pas réglés, en particulier celui des hospitalisations d’urgence, de nuit et de jour.
Cette nouvelle répartition de la charge des escortes suppose aussi une mise en place effective des UHSI.
" La solution réside à l’évidence dans la mise en _uvre prochaine du schéma national d’hospitalisation par la construction et la mise en service d’unités sécurisées au sein de centres hospitaliers universitaires. Aujourd’hui encore, les problèmes que pose ce projet ne semblent pas avoir été tous résolus : l’articulation interne de ces unités d’hospitalisation avec le plateau technique central, le statut et l’organe de rattachement des personnels de surveillance, le degré de coopération de la structure hospitalière restent encore " brumeuses " mais la décision de principe est prise et il faut aller vite. " (Rapport précité de M. Pierre Pradier)
Le schéma national d’hospitalisation, qui ne concerne pas les hospitalisations psychiatriques, a été défini. Il est organisé autour de huit pôles répartis sur le territoire, qui assureront les hospitalisations programmées à partir de l’ensemble des établissements pénitentiaires, au sein des UHSI.
Les hospitalisations d’urgence et celles de très courte durée (24 heures) se feront sur l’hôpital de proximité de l’établissement pénitentiaire.
Les implantations des sept pôles (Lille, Rennes, Bordeaux, Toulouse, Marseille, Lyon, Strasbourg), en plus de l’établissement public de sécurité de Fresnes (EPSNF) font l’objet d’une programmation qui s’intègre dans les schémas de restructuration des centres hospitaliers concernés. Compte tenu de l’importance des travaux nécessaires, l’administration pénitentiaire estime que la montée en charge de ce schéma national d’hospitalisation ne pourra guère débuter avant début 2003 et qu’il devrait être en place pour 2005.
A ce jour, le ministère de l’Intérieur et le ministère de la Défense ont été saisis du projet d’arrêté interministériel créant ces UHSI.
L’administration pénitentiaire indique que, sitôt la signature de cet arrêté, un groupe de travail interministériel sera constitué pour redéfinir dans ce cadre les nouvelles procédures de consultations externes et d’hospitalisations des personnes détenues. Ce groupe de travail aura aussi à rechercher les solutions possibles pour optimiser la situation actuelle en attente de l’ouverture des UHSI.
L’accueil des détenus dans des centres hospitaliers répartis sur tout le territoire devrait mettre un terme à la situation actuelle qui impose d’envoyer à l’hôpital de Fresnes tout détenu nécessitant une hospitalisation de plus de quelques jours, quel que soit le lieu de sa détention. Or beaucoup de détenus rencontrés lors des visites ont exprimé leurs réticences à l’idée de devoir être hospitalisés à Fresnes car ce type de transfert les contraint généralement, une fois l’hospitalisation terminée, à être incarcérés dans une prison de la région parisienne, parfois plusieurs mois avant de pouvoir être reconduits dans l’établissement d’origine. Les transports de détenus sont en effet regroupés et sont, de ce fait, espacés dans le temps. Les détenus perdent ainsi, pendant de longs mois, les activités - travail, formation - qu’ils suivaient dans leur centre de détention.
B) LA PRISE EN CHARGE INEGALE DE LA TOXICOMANIE
LA FORTE PRESENCE DES DETENUS TOXICOMANES DANS LES ETABLISSEMENTS PENITENTIAIRES A DEJA ETE EVOQUEE.
Leur prise en charge soulève deux problèmes principaux : d’une part, l’inégalité d’accès aux traitements de substitution, d’autre part l’organisation et la coordination des soins.
" Alors qu’une circulaire de la direction générale de la santé, déjà ancienne, invite les services médicaux à offrir aux détenus une offre de soins équivalente à celle de l’extérieur, nous nous sommes rendu compte que la substitution ne concerne qu’un détenu héroïnomane sur sept dans les établissements pénitentiaires alors qu’à l’extérieur elle concerne un héroïnomane sur trois. On s’est donc véritablement heurté davantage à une difficulté de caractère idéologique qu’à une difficulté de moyens. En effet, un certain nombre de médecins à l’intérieur des établissements pénitentiaires considèrent pour les raisons éthiques, morales, idéologiques que la substitution n’est pas une bonne chose pour les détenus qu’ils ont en charge.
Ce débat à l’intérieur des établissements pénitentiaires entre médecins favorables et médecins non favorables aux traitements de substitution, a été très vif entre les médecins qui prenaient en charge les toxicomanes à l’extérieur. A l’extérieur, ce débat est désormais totalement pacifié parce que personne ne revendique les traitements de substitution comme seule réponse à la toxicomanie. Tout le monde est d’accord pour dire que c’est une aide considérable pour prendre en charge et conduire un toxicomane à une vie plus normale mais qu’évidemment cela ne peut pas être tout le traitement et que, notamment, l’accompagnement social et psychologique est fondamental. Il existe donc un déficit de prise en charge des héroïnomanes dans les établissements. Même si la situation s’améliore, elle est néanmoins encore préoccupante. " (Mme Nicole Maestracci, présidente de la MILDT)
De véritables situations de blocage peuvent exister dans les établissements où il n’y a qu’un seul psychiatre et que celui-ci refuse la délivrance de produits de substitution qui n’est pas effectuée par ailleurs par les médecins de l’UCSA. Il en résulte une vraie difficulté dans la mesure où les détenus n’ont, de fait, pas le choix de leur médecin traitant.
Cela a été le cas à la maison d’arrêt de Bois-d’Arcy jusqu’à ce qu’un nouveau psychiatre assure les vacations. Or en plus de l’inégalité d’accès aux soins que le refus des traitements de substitution implique, leur nécessité a été rappelée par la présidente de la MILDT : " Il est absolument indispensable de permettre à tous les usagers de drogue de bénéficier des traitements de substitution à l’intérieur. Le sevrage peut être un traitement efficace. Néanmoins, avant que le traitement de substitution ne soit mis en _uvre, à peine 20 % des héroïnomanes arrivaient à s’en sortir avec le sevrage. Aujourd’hui, environ 70 000 personnes à l’extérieur sont sous traitement de substitution, sur un effectif proche de 150 000 héroïnomanes. Le résultat de cette situation est tout de même que l’on a une moins grande prévalence du VIH à l’extérieur, une baisse d’un certain type de délinquance. "
Ces traitements de substitution posent un problème annexe qui est celui du trafic qu’ils engendrent. Celui-ci s’est développé avec l’usage du subutex qui, à la différence de la méthadone, n’est pas conditionné sous forme de fiole.
Enfin, des problèmes sanitaires demeurent malgré la distribution systématique d’eau de Javel par l’administration pénitentiaire, pour désinfecter les seringues dans le cadre de la réduction des risques.
LA QUESTION DE L’ALCOOLISME reste, elle, très sous-estimée et sa prise en charge très insuffisante. Environ un tiers des entrants en prison déclarent une consommation dite problématique selon les normes de l’OMS. De plus, il y a souvent recoupement entre les consommateurs de drogues et d’alcool.
" Pour ce qui concerne l’alcool, le dispositif est totalement indigent. En effet, les questions d’alcool ont été extrêmement sous-estimées à l’intérieur des établissements pénitentiaires, comme à l’extérieur d’ailleurs, et aucune prise en charge spécifique n’a été organisée. En 1997, l’intervention des consultations spécialisées pour alcoolo-dépendants ne concernaient que deux établissements sur l’ensemble des établissements. Il n’y avait donc pas de consultation spécialisée concernant l’alcool alors qu’on sait par ailleurs qu’un grand nombre d’actes de délinquance sont commis sous l’emprise d’un état alcoolique, notamment des conduites en état alcoolique ou surtout des faits de violence, soit familiale, soit extra familiale. " (Mme Nicole Maestracci, présidente de la MILDT)
Il n’y a d’ailleurs pas de médecin-alcoologue dans les maisons centrales, à l’exception de celle de Poissy, au motif que le sevrage a eu lieu en maison d’arrêt alors que, bien souvent, ces personnes restent alcoolo-dépendantes pendant leur détention.
Une méthodologie de repérage reconnue internationalement, qui est en train d’être élaborée, devrait permettre de mieux identifier les consommations problématiques, préalable essentiel à l’amélioration indispensable de la prise en charge de la dépendance alcoolique.
Outre les inégalités relevées, LA PRISE EN CHARGE DES TOXICOMANIES soulève également la question de son organisation et de son adaptation à l’évolution des toxicomanies.
" On a affaire de plus en plus souvent à des polyconsommations qui associent plusieurs produits, des produits licites et des produits illicites, des médicaments, des produits de synthèse. Contrairement à ce qui se passait il y a une dizaine ou une quinzaine d’années, les éléments en notre possession démontrent qu’il y a de moins en moins ou presque plus d’usagers d’opiacés purs, c’est-à-dire des héroïnomanes qui entrent en prison avec souvent des faits de délinquance violente à leur actif. On observe au contraire une diversité des comportements de consommation et une population qui devient extrêmement hétérogène. Cette diversité et cette hétérogénéité rendent assez difficile la prise en charge et exigent une adaptation du dispositif, d’ailleurs à l’extérieur comme à l’intérieur. " (Mme Nicole Maestracci, présidente de la MILDT)
Il existe, dans les établissements pénitentiaires, des centres de soins aux toxicomanes (16 centres). Là où il n’y en a pas, les SMPR interviennent ou les UCSA. Dans 40 établissements, opèrent aussi des centres de soins extérieurs sous forme d’un protocole.
" ... je dirai aujourd’hui que ce n’est pas une question de moyens parce que finalement, dans les établissements pénitentiaires, il y a plutôt parfois pléthore de services concernés par cette question plutôt que déficit. En présence d’une UCSA, d’un SMPR, d’une antenne toxicomanie, d’un service pénitentiaire d’insertion et de probation, plus deux ou trois associations qui interviennent de l’extérieur, la vraie question est celle de la coordination et de savoir qui fait quoi.
Certaines situations sont même assez absurdes. Dans certains établissements, le psychiatre s’intéresse à tout ce qui concerne la tête, c’est-à-dire tous les médicaments psycho-actifs qui agissent sur le système nerveux central : les traitements de la tête sont de l’ordre de psychiatres. " En dessous de la tête ", c’est le médecin de l’UCSA. Le service socio-éducatif, lui, s’occupe du social. On retrouve ainsi à l’intérieur de l’établissement toute une série de cloisonnements institutionnels, disciplinaires qu’on est en train de régler dans les prises en charge sanitaires et sociales à l’extérieur. Au fond, c’est comme si la prise en charge dans les établissements pénitentiaires avait pris cinq ou six ans de retard par rapport à ce qui se passe à l’extérieur. Ce point est très préoccupant.
En outre, les centres de soins aux toxicomanes sont restés beaucoup trop longtemps figés sur la prise en charge d’une seule population, celle des héroïnomanes injecteurs qui ne prennent qu’un seul produit, alors que se sont développées bien d’autres formes de consommation qu’ils n’ont pas vu venir et pour lesquelles ils n’ont pas développé de savoir-faire adapté. " (Mme Nicole Maestracci, présidente de la MILDT)
Pour y remédier : " Nous sommes en train de redéfinir entièrement les missions des antennes toxicomanie, à partir de l’expérience que nous avons dans les services hospitaliers de l’alcoologie de liaison ou de la toxicomanie de liaison. Au fond, ce dont on a besoin ce n’est pas d’un service spécialisé mais de deux ou trois personnes assez mobiles et assez compétentes qui permettent aux autres services de prendre en charge correctement cette population-là.
Nous sommes donc plutôt en train de réorganiser le dispositif dans ce sens, en donnant la responsabilité à l’un des services (SMPR ou UCSA) de remplir cette mission de liaison qui n’est plus une mission de service spécialisé. L’idée est que l’on doit préparer la sortie, avec des objectifs évidemment sanitaires mais également sociaux, et que l’on ne peut pas " saucissonner " les détenus, comme on l’a fait par le passé.
Nous sommes en train de travailler sur un nouveau cahier des charges qui refond entièrement le dispositif en intégrant également la question de l’alcool. Il s’agit d’avoir une petite équipe qui soit capable de répondre à l’ensemble des questions posées par toutes les dépendances (drogues, alcool, médicaments.) " (Mme Nicole Maestracci, présidente de la MILDT)
C) L’INSUFFISANCE DE LA PRISE EN CHARGE PSYCHIATRIQUE
Un nombre croissant de personnes souffrant de troubles psychologiques ou psychiatriques, à des degrés divers, sont incarcérées ou développent ces troubles en prison. Cela tient, notamment, à la fois à l’évolution des pratiques en matière d’expertise psychiatrique et à la diminution des capacités d’hospitalisation psychiatrique (Cf. I, évolution de la population pénale)
" Il s’agit là d’une régression, d’un retour à une confusion des institutions et des fonctions sociales : placement dans un même lieu de malades mentaux et de délinquants, comme cela se faisait à La Bastille, par exemple, avant la distinction entre la prison républicaine et la psychiatrie moderne. Il ne faudrait pas que la présence des dispositifs de soins psychiatriques dans les établissements pénitentiaires en vienne à cautionner le retour à une fonction asilaire de la prison. " (M. Evry Archer, médecin psychiatre, association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire)
Ces patients très perturbés sont en grande difficulté dans les maisons d’arrêt ou les centres de détention. Ils posent aussi d’énormes problèmes au personnel de surveillance et aux autres détenus. La question de leur place en prison, pour les plus gravement atteints d’entre eux, a été soulevée par pratiquement tous les intervenants devant la commission d’enquête. Elle sera traitée plus loin (Cf. V, limiter les incarcérations).
Se pose, de façon plus générale, la question à la fois de la prise en charge psychiatrique dans les établissements pénitentiaires et de son articulation avec les structures extérieures, dans la perspective d’un suivi post-pénal.
OR LA PRISE EN CHARGE PSYCHIATRIQUE N’EST PAS ASSUREE PARTOUT COMME ELLE LE DEVRAIT.
Interviennent dans les établissements pénitentiaires, soit des médecins psychiatres et une équipe pluridisciplinaire dans le cadre d’un service médico-psychologique régional (SMPR) implanté dans l’établissement et qui peut assurer des hospitalisations volontaires, soit des médecins vacataires relevant du secteur de psychiatrie générale où est implanté l’établissement pénitentiaire.
Dans le deuxième cas, le centre pénitentiaire est rattaché au SMPR d’un autre établissement vers lequel des transferts seront possibles pour l’hospitalisation volontaire.
On observe, tout d’abord, que certains secteurs de psychiatrie ayant de nombreux postes vacants, ceci a des répercussions sur les interventions en milieu pénitentiaire en termes de suivi ambulatoire. Ce suivi est, en outre, difficilement assuré quand les médecins vacataires sont multiples et fréquemment renouvelés.
" Le premier aspect est la disparité des moyens. Il existe en France vingt-six SMPR. Ils sont bien dotés, font du très bon travail dans les établissements où ils sont situés. Mais quand j’étais responsable du SMPR de Rouen et des établissements autour - la maison d’arrêt du Havre, la maison d’arrêt d’Evreux et le centre de détention de Val-de-Reuil -, j’avais 19 personnes pour 600 détenus, alors que l’établissement du Havre n’avait que deux heures de psychiatrie par semaine pour 200 détenus. La disparité est considérable ! Il convient toutefois de préciser que la loi de 1994, prévoyant notamment une amélioration du suivi psychiatrique, a été suivie d’effets suivant le bon vouloir des médecins chefs de psychiatrie. Dans certains cas, comme celui du Havre, il n’y avait pas un souhait très marqué de mettre en place beaucoup d’heures dans la maison d’arrêt, eu égard au manque de moyens dans le secteur lui-même. Le médecin chef du secteur de psychiatrie étant lui-même en grande difficulté pour gérer son secteur, il ne voyait pas l’utilité d’enlever encore des moyens supplémentaires sur le quotidien de son secteur pour les affecter à une maison d’arrêt. " (Docteur Betty Brahmy, responsable du SMPR de Fleury-Mérogis)
Il existe vingt-six SMPR. Cinq d’entre eux n’ont toujours pas de lits d’hospitalisation, soit parce que les travaux ne sont pas terminés, soit parce que le personnel médical nécessaire n’est pas encore affecté, soit parce que les postes de personnel pénitentiaire que suppose l’organisation du SMPR ne sont pas encore pourvus. Il s’agit des SMPR de Bois-d’Arcy, de Châlons-en-Champagne, de Châteauroux, de Nice et de Rouen. Ces SMPR non encore pourvus de lits assurent les consultations et les traitements ambulatoires et sollicitent le SMPR de rattachement temporairement prévu pour les hospitalisations.
Même si ce n’est pas un cas général, le SMPR de Lyon a un taux d’occupation qui ne lui permet pas de répondre aux hospitalisations d’urgence. Le programme initial prévoyait 32 lits à la création, mais il n’y a jamais eu que 24 lits pour des raisons qui tiennent aux locaux. Cette unité d’hospitalisation correspond à une zone d’intervention qui comprend 2 600 personnes détenues. Les besoins d’hospitalisation sont particulièrement importants du fait de la présence de personnes exécutant des longues peines à la maison centrale de Moulins, ainsi que de nombreuses petites maisons d’arrêt sur ce secteur. Il est arrivé que l’impossibilité d’hospitalisation sur l’un des SMPR de la région ait pour conséquence une hospitalisation d’office.
D’autres SMPR ont plutôt des difficultés en termes de capacité de suivi ambulatoire et de consultations. C’est le cas, par exemple, du SMPR de Fresnes qui prend en charge un nombre important de détenus venant du Centre National d’Observation et qui sont en attente d’affectation en établissement pour peine. C’est le cas aussi du SMPR de Caen dont l’unité d’hospitalisation ouverte en février 2000 n’est pas occupée en totalité, et qui ne peut répondre à toutes les demandes de consultations, notamment du fait que 70 % des détenus affectés sur le centre de détention sont condamnés pour infraction sexuelle.
Reste le cas de la Guyane. L’établissement de Remire a pour SMPR de rattachement celui de Ducos en Martinique. Ce rattachement n’est que fictif. En effet, le transfert d’un détenu de la Guyane à la Martinique entraînerait une rupture des liens familiaux, qui conduit les détenus à refuser l’hospitalisation. Lorsque le psychiatre estime l’hospitalisation nécessaire, il procède alors à une demande d’hospitalisation d’office. Cette situation n’est pas satisfaisante et la création d’un SMPR à Remire devrait intervenir très prochainement. Les lits existent depuis l’ouverture de l’établissement car la création de ce service était envisagée. Mais, à la suite de la grave émeute de juillet 1999, les mineurs occupent les locaux prévus pour le SMPR pendant les travaux de réfection (et les femmes ceux du centre de semi-liberté)
Ces disparités posent un problème majeur pour l’application de la loi relative à la prise en charge des auteurs d’agressions sexuelles.
" J’appelle votre attention sur ce point important, parce qu’il va nous causer des problèmes sérieux quant à l’application de la loi du 18 juin 1998 relative à la prise en charge des auteurs d’agressions sexuelles. Cette loi vise à inciter fortement les détenus à être suivis pendant leur incarcération. Encore faut-il que, lorsqu’ils écrivent pour demander à être suivis, il y ait la possibilité de les suivre. Je ne sais pas quel recours ils pourront introduire pour l’application des mesures d’aménagement de peine prévues dans cette loi en cas de refus de répondre à leur demande de soins faute de moyens. C’est un vrai problème de déni de justice dans la mesure où cette loi ne sera pas applicable dans quelques établissements. Je précise que ce n’est pas du tout le cas de Fleury-Mérogis. " (Mme Betty Brahmy, médecin psychiatre)
Le renforcement des équipes de soins psychiatriques apparaît donc comme une nécessité.
LA POSSIBILITE DE PROCEDER A DES HOSPITALISATIONS D’OFFICE EN HOPITAL PSYCHIATRIQUE se heurte à l’évolution de ces hôpitaux, qui mettent en avant leur ouverture pour justifier leur réticence à l’accueil de ces détenus, car ils ne sont pas équipés pour répondre au risque d’évasion.
" Tous les psychiatres de SMPR ont beaucoup de difficulté à placer leurs patients en hôpital psychiatrique. En effet, ces établissements ont humanisé leurs services, les ont ouverts. Ils ont un personnel souvent moindre qu’il y a quelques années. Ils ont fermé un nombre de lits assez important. Ils ne souhaitent pas fermer un pavillon de vingt-cinq places pour un détenu. Je rappelle qu’en psychiatrie, il n’y a pas de garde statique de policiers, contrairement aux services de médecine, chirurgie et obstétrique. Par conséquent, l’équipe de psychiatrie a la charge non seulement des soins du patient, mais également de sa sécurité, ce qui les fait un peu réfléchir. Ils ont peur des conséquences. Quand il s’agit de quelqu’un qui encourt une peine d’un mois de prison, ils ne sont pas trop inquiets, mais quand le détenu est incarcéré pour des faits beaucoup plus graves, ils se sentent à juste titre très concernés par les questions de sécurité. " (Mme Betty Brahmy, médecin psychiatre)
Il en résulte aussi que, bien souvent, ces hospitalisations ne sont pas d’une durée suffisante pour être efficaces, ce qui conduit parfois d’ailleurs à renoncer à les demander quand on sait que quelques jours plus tard le détenu sera de retour :
" Le projet des psychiatres intervenant en milieu carcéral est bien sûr de soigner en prison, mais lorsque les symptômes de la maladie mentale l’exigent, les détenus doivent être hospitalisés sans leur consentement sous le régime de l’hospitalisation d’office. Ces hospitalisations se révèlent malheureusement toujours trop brèves et ont lieu dans des conditions de séjour souvent pires que celles de la détention. Pourtant, le maintien en prison de ces malades mentaux avérés ne cesse de poser de graves problèmes éthiques et techniques aux psychiatres exerçant en milieu carcéral. " (M. Evry Archer, médecin psychiatre)
L’HOSPITALISATION D’OFFICE AVEC ORIENTATION EN UNITE POUR MALADE DIFFICILE (UMD) soulève, elle aussi, des difficultés en termes de capacités d’accueil et de délais.
Les délais d’hospitalisation en UMD sont longs, tant du fait de la procédure à suivre qui met en jeu des institutions de départements différents, que de leurs faibles capacités d’accueil et des difficultés à organiser un transfert sur un trajet le plus souvent long.
Il existe quatre UMD pour l’ensemble du territoire, et celles-ci n’accueillent pas que des personnes détenues. En outre, le nombre de lits a été réduit depuis leur création.
Dans la pratique, cette procédure pouvant s’avérer assez longue, le détenu est d’abord hospitalisé dans le service de psychiatrie de l’hôpital de rattachement, lequel est d’autant plus réservé pour le recevoir qu’une orientation en UMD est déjà prévue. En effet, dès lors, il devra garder en hospitalisation d’office le détenu souvent plusieurs semaines ou plusieurs mois, ce qui majore les risques d’évasion ou d’agression.
L’unité de Cadillac a une capacité de 86 lits. Actuellement, le délai d’attente (notamment en raison de travaux) est d’environ un an. Dans les trois autres unités (Villejuif : 60 lits, Sarreguemines : 166 lits, Montfavet : 76 lits), les délais d’attente sont plus variables et permettent des hospitalisations en urgence.
Il faut préciser que le placement en UMD ne peut constituer dans tous les cas une solution ; en effet, ces unités sont faites pour des malades (détenus ou non) présentant une dangerosité majeure et son utilisation extensive poserait des problèmes de principe et des problèmes budgétaires.
DERNIERE DIFFICULTE : LA CONTINUITE DE LA PRISE EN CHARGE.
" Nous avons beaucoup de mal à mettre en place le suivi après l’incarcération, qui fait partie de nos missions et auquel nous tenons énormément. Nous avons la possibilité de suivre nos propres patients pendant un certain temps. C’est utile pour finir quelque chose qui a été commencé mais cela ne vaut en aucun cas pour des patients chroniques. Nous ne pouvons pas suivre un fou chronique à l’extérieur pendant des années. Il faut que le service de secteur compétent prenne la suite. Or nos collègues sont débordés, sont inquiets de l’étiquette ex-détenu. Cela se passe parfois bien, très souvent avec beaucoup de difficultés. " (Mme Betty Brahmy, médecin psychiatre)
Dans la pratique, la plupart des SMPR, créés avant la réforme de 1994, avaient mis en place un dispositif de suivi post-pénal et continuent de les utiliser. Ceux qui n’en ont pas projettent d’en créer un (il s’agit des SMPR de Châlons-en-Champagne et Dijon). Les praticiens des SMPR estiment que ce dispositif est souvent indispensable en raison du lien thérapeutique fort qui s’est instauré par un suivi intensif. Il est donc nécessaire, selon eux, de ménager un temps de transition pour que le passage du relais au secteur géographiquement compétent puisse se faire.
Dans l’ensemble, le suivi post-pénal s’exerce dans un cadre plus conforme aux exigences posées par la loi de 1994, puisque ces consultations ont lieu, pour l’essentiel, dans les locaux d’un centre médico-psychologique. Des difficultés peuvent cependant localement subsister. Le SMPR de Loos avait un lieu de suivi post-pénal dans un CMP à Haubourdin : ce CMP a été transformé en hôpital de jour et le SMPR ne peut plus y aller pour recevoir les détenus libérés. De ce fait, le SMPR n’a plus de lieu pour exercer ce suivi post-pénal et les entretiens ont lieu dans des conditions non satisfaisantes (bâtiment de l’accueil des familles, visites à domicile, voire entretien dans un véhicule sur le parking de la maison d’arrêt).
Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr
Restez en contact
Suivez-nous sur les réseaux sociaux
Subscribe to weekly newsletter