Comme on l’a vu, les maisons d’arrêt sont théoriquement faites pour accueillir les prévenus. En pratique, elles accueillent non seulement ceux-ci, mais aussi les condamnés à de courtes peines et de plus en plus de condamnés en attente prolongée d’affectation. Ce dévoiement des règles s’explique simplement par l’importance du nombre d’entrées et de sorties en maison d’arrêt, qui permet de moins redouter des actions collectives de détenus qu’en maison centrale ou en centre de détention.

Compte tenu de cette " politique " constante, il est possible de citer quelques chiffres rendant compte de la situation de certaines maisons d’arrêt :

Taux d’occupation des maisons d’arrêt au 1er janvier 2000 (en %)
Meaux 266,0 %
Evreux 160,3 %
Béziers 220,0 %
Bayonne 198,6 %
Le Mans 198,5 %
Loos 184,3 %
Poitiers 184,2 %
La Roche sur Yon 192,7 %
Toulon 181,8 %
Laval 181,0 %
Orléans 176,7 %
Amiens 176,0 %
Nîmes 173,1 %
Montauban 164,4 %
Toulouse 163,4 %
Béthune 163,3 %
Evreux 163,0 %
Belfort 162,5 %
Lyon St Paul 162,5 %
Perpignan 162,4 %
Foix 162,2 %
Coutances 158,0 %
Angers 157,5 %
Carcassonne 156,5 %
Nice 156,1 %
Lons le Saunier 153,1 %
Albi 152,4 %
Grenoble 151,9 %
Bonneville 151,5 %
Montbéliard 150,0 %
Cherbourg 147,6 %
Laon 144,0 %
Limoges 142,1 %
Longuenesse 141,3 %
Beauvais 141,0 %
Douai 140,7 %
St Brieuc 138,9 %
Chambéry 137,3 %
Valence 137,1 %
Lorient 135,0 %
Bordeaux 133,1 %
Reims 133,1 %
Fresnes 130,7 %
Bois d’Arcy 130,1 %
Melun 129,8 %
Alençon 129,4 %
Dijon 127,4 %
Saint-Etienne 126,9 %
Auxerre 124,0 %
Tarbes 123,5 %
Strasbourg 123,3 %
Draguignan 122,9 %
Tulle 122,7 %
Montluçon 122,2 %
Le Puy 121,4 %
Metz 121,4 %
Guéret 120,8 %
Périgueux 120,4 %
Moulins 119,5 %
Agen 118,8

58 maisons d’arrêt, dans la seule métropole, présentent ainsi un taux d’occupation supérieur à 120 %.

A l’inverse, les centres de détention connaissent rarement ce phénomène de surpopulation : seuls deux d’entre eux avoisineraient ou dépasseraient très légèrement la barre des 100 %.

Taux d’occupation des centres de détention au 1er janvier 2000 :

St Mihiel
69,8 %
121 places disponibles

St Sulpice de la Pointe
70,6 %
30 places disponibles

Neuvic
74,8 %
101 places disponibles

MC St Maur
75,4 %
82 places disponibles

Uzerche
77,8 %
133 places disponibles

Villenauxe
77,8 %
86 places disponibles

Chateaudun
79,8 %
121 places disponibles

Joux-la-Ville
81,1 %
114 places disponibles

CP Chateauroux (QCD)
81,4 %
49 places disponibles

Aiton
84,0 %
32 places disponibles

Salon
84,5 %
93 places disponibles

Loos
84,6 %
57 places disponibles

CP Rennes (QCD)
85,5 %
35 places disponibles

Argentan
87,5 %
72 places disponibles

CP Lannemezan
87,5 (MC) %
23 places disponibles
100 %
0 places disponibles

CP Laon (QCD)
88,0 %
24 places disponibles

Oermingen
88,3 %
24 places disponibles

Liancourt
88,7 %
24 places disponibles

CP Varennes le Grand (QCD)
89,1 %
21 places disponibles

CP Maubeuge (QCD)
89,5 %
21 places disponibles

Val de Reuil
89,6 %
87 places disponibles

CP Clairvaux
90,0 (CD) %
11 places disponibles
77,8 (MC) %
47 places disponibles

Tarascon
90,5 %
57 places disponibles

CP Longuenesse (QCD)
92,5 %
30 places disponibles

Bédenac
93,3 %
8 places disponibles

Eysses
94,3 %
33 places disponibles

Bapaume
94,3 %
34 places disponibles

MC Saint Martin de Ré
95,4 %
26 places disponibles

Ecrouves
95,6 %
12 places disponibles

MC Ensisheim
95,7 %
10 places disponibles

St Quentin Fallavier
95,8 %
8 places disponibles

Mauzac
96,1 %
13 places disponibles

Melun
96,2 %
12 places disponibles

MC Moulins
96,3 %
5 places disponibles

Muret
96,3 %
24 places disponibles

Caen
96,5 %
15 places disponibles

Arles
96,7 %
7 places disponibles

Montmédy
97,4 %
8 places disponibles

Toul
97,6 %
9 places disponibles

MC Poissy
97,8 %
5 places disponibles

Casabianda
98,1 %
4 places disponibles

CP Nantes
98,7 %
6 places disponibles

MC Riom
98,8 %
2 places disponibles

Lorient
100,0 %
0 places disponibles

Perpignan
100,3 %
- 1 places disponibles

TOTAL DES PLACES DISPONIBLES
1.735

Il y aurait ainsi entre 1.700 et 1.800 places disponibles en centres de détention et en maisons centrales.

Au bout du compte, les prévenus sont, sans discussion possible, les détenus les plus mal traités de France :

 en maison d’arrêt, les activités proposées sont infiniment moins nombreuses qu’en établissement pour peine. Une telle réalité peut se comprendre, dès lors que la maison d’arrêt n’a pas pour vocation première la réinsertion, puisqu’elle accueille des personnes présumées innocentes ;

 en maison d’arrêt, l’encellulement individuel n’est pratiquement jamais assuré alors qu’il tend à l’être dans les établissements pour peines. Cette situation est beaucoup moins compréhensible. En effet, en établissement pour peine, les détenus passent l’essentiel de la journée hors de la cellule, soit qu’ils travaillent, soit qu’ils soient en formation, soit qu’ils fassent du sport... En fait, les détenus sont dans leurs cellules pendant la nuit. Au contraire, en maison d’arrêt, le temps cellulaire est fréquemment de 22 heures par jour, n’étant rompu que par deux promenades d’une durée d’une heure chacune ;

 en maison d’arrêt, les prévenus ne bénéficient plus de ces quelques " privilèges " qui les ont longtemps distingués des autres détenus. Pendant longtemps, seuls les prévenus ont pu conserver leurs vêtements personnels ; de même, seuls les prévenus n’étaient pas obligés de travailler. Aujourd’hui, par une évolution tout à fait positive, ces droits ont été étendus à l’ensemble de la population pénale. Le seul privilège que conservent les prévenus est celui de parloirs supplémentaires chaque semaine.

Si on met en balance ce privilège et les conditions de vie dans les maisons d’arrêt, il apparaît clairement que les prévenus subissent les conditions de détention les plus difficiles. Rappelons que, chaque année, 3 % d’entre eux bénéficient d’un non-lieu, d’une relaxe ou d’un acquittement.
*
La loi renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes du 15 juin 2000 prévoit que, trois ans après sa publication, les prévenus devront bénéficier d’une cellule individuelle. La distribution intérieure des maisons d’arrêt ne pourra plus justifier qu’il soit fait une exception à cette règle.

Tout doit être mis en oeuvre dès à présent pour que cette disposition puisse être appliquée en temps voulu, soit 138 ans après la loi de 1875 qui prévoyait déjà l’encellulement individuel.

B. LES CONSÉQUENCES DE LA SURPOPULATION DES MAISONS D’ARRÊT

La surpopulation des maisons d’arrêt, cette " première violence de la prison"37(*), celle qui consiste à mettre deux détenus, voire trois ou quatre dans 9 m2, a les conséquences les plus graves sur les conditions de détention.

Les détenus placés en maison d’arrêt ne disposent pas du même " régime " que celui appliqué dans les établissements pour peine : " le régime appliqué dans les maisons d’arrêt est celui de l’emprisonnement individuel de jour et de nuit dans toute la mesure où la distribution des lieux le permet et sauf contre-indication médicale " (art. D. 83 du code de procédure pénale), alors que " le régime des maisons centrales et des centres de détention comporte [seulement] l’isolement de nuit " (art. D. 95 du code de procédure pénale).

Pour autant, le " régime maison d’arrêt " ne fait pas obstacle, selon les propres termes de l’article D. 83, à ce que " soient organisées des activités collectives ou des activités dirigées " : sport, formation, activités socioculturelles. De fait, le code de procédure pénale -en dehors des articles précités- ne fait pas de différence, lorsqu’il aborde tel ou tel élément de la vie en détention, entre les maisons d’arrêt et les établissements pour peine.

La commission a constaté que la réalité était tout autre : en maison d’arrêt, le détenu peut rester 22 à 23 heures sur 24 dans sa cellule. La télévision reste ainsi constamment allumée, parfois avec le son coupé, les détenus écoutant de la musique tout en laissant défiler sur l’écran des images privées de sens.

Les rares maisons d’arrêt qui proposent toute la palette des activités collectives (travail, sport, formation) sont celles qui disposent de locaux et de terrains adaptés.

Mais avant toute chose, la vétusté des bâtiments, conjuguée à la surpopulation, explique que les conditions de détention dans les maisons d’arrêt ne sont pas dignes de notre pays.


Source : Assemblée nationale. http://www.senat.fr