Une analyse théorique de la législation anti-blanchiment du Liechtenstein peut faire illusion. Les responsables politiques de la Principauté ne cessent de répéter qu’ils ne sauraient tolérer sur leur sol la présence de criminels venant réaliser des opérations douteuses au motif que la notoriété et la respectabilité de la place en seraient définitivement affectées.
En réalité, la délinquance financière abritée par le Liechtenstein emprunte des voies très sophistiquées et malgré les engagements pris officiellement par les autorités de ce pays, notamment en matière de coopération judiciaire, la Mission estime qu’il n’y aura pas de changement véritable tant que des moyens substantiels, permettant d’obtenir des résultats significatifs n’auront pas été affectés à la lutte contre le blanchiment et tant que les procédures d’identification des ayants droit économiques réels n’auront pas été améliorées ce qui suppose une modification en profondeur du droit des sociétés.
A) UNE ABSENCE DE RESULTATS
Entre le 1er janvier 1997 et le 14 décembre 1999, 55 déclarations de soupçons ont été établies dont 45 ont été transmises au Parquet. Parmi ces dernières, 25 ont été classées sans suite et aucune condamnation n’avait été encore prononcée au moment où la Mission s’est rendue au Liechtenstein.
Ces résultats sont dérisoires eu égard à la vitalité et à l’importance de cette place financière.
Alors que les banquiers ou les intermédiaires financiers ont été alertés et dûment sensibilisés sur les risques de blanchiment et que pèsent sur eux des obligations légales de diligence, alors que le total des bilans bancaires a été multiplié par trois de 1986 à 1998, alors que 13 banques, 4 sociétés financières et 11 fonds de placement sont désormais concernés, il n’est matériellement pas possible que le nombre de déclarations de soupçons reste en moyenne inférieur à deux par mois.
En réalité, sur les 50 déclarations précitées, 47 ont été faites au cours des deux premières années, ce qui signifie que 3 déclarations seulement ont eu lieu en 1999.
A l’évidence, des opérations qui auraient dû être signalées se sont déroulées sans la moindre difficulté, il y a là un silence coupable.
La confusion des genres entre opérations légales et illégales, soulignée par le rapport du BND, montre à quel point le recours à des services financiers spécifiques ou l’utilisation de structures juridiques " sur mesure " permettent d’échapper aux obligations légales de diligence ou de déclaration.
Le dispositif anti-blanchiment mis en place en 1997 se révèle totalement hors de proportion face aux mécanismes que font fonctionner banquiers et avocats dans le cadre de leurs activités.
" Un lien très lucratif avec l’illégalité.
(Rapport du BND en date du 08.04.1999.)
Les avocats et les conseillers au Liechtenstein traitent, pour une grande partie des opérations parfaitement légales, mais entretiennent aussi souvent un lien très lucratif avec l’illégalité. Des contacts, des relations, des possibilités d’influence - même dans l’exercice de leur profession - ainsi que leur réputation elle-même, sont mis à la disposition d’organisations criminelles, contre rémunération correspondante. Du fait de cette association d’activités légales et illégales, il est très difficile d’établir si les liens sont utilisés à des fins criminelles et à quel moment. (...)
Des " services financiers " spécifiques sont conçus pour les organisations criminelles. L’éventail de ces services comporte l’ouverture de compte anonyme, l’assistance pour l’introduction de valeurs patrimoniales illégales dans le circuit financier, la création de sociétés-écran ou fictives, l’opération de blanchiment sur mesure, par exemple en procurant des possibilités d’influence sur la direction des banques.
L’utilisation de fondations du Liechtenstein pour l’acquisition de biens immobiliers dans des pays tiers constitue une variante très efficace du blanchiment de l’argent sale, difficile à reconstituer par les autorités chargées des poursuites pénales. Les fonds acquis illégalement sont ainsi transférés à un avocat du Liechtenstein afin qu’il en assure la gestion fiduciaire. Celui-ci apporte les fonds dans une fondation anonyme qu’il gère lui-même. Il charge ensuite, au nom de la fondation, un avocat de Suisse d’acquérir un immeuble dans un pays tiers, par exemple en Espagne. Au registre foncier espagnol, seule apparaît comme nouveau propriétaire la fondation du Liechtenstein, sans autre indication sur les ayants droit économiques. "
A une aussi petite échelle, les contacts et les échanges informels sont fréquents, comme l’a confirmé M. Näscher, l’un des responsables du service juridique du Gouvernement, en soulignant qu’à l’Office des services financiers : " Les contacts formels se doublent de nombreux contacts informels. (...) De plus, des rencontres régulières se tiennent entre les différentes associations économiques, les diverses autorités et le procureur général au niveau gouvernemental.(...)
En outre, les contacts bilatéraux avec la Suisse, en particulier entre les services suisses de déclaration de soupçon de blanchiment et l’Office des services financiers sont soigneusement entretenus. "
A l’évidence, le soupçon de blanchiment n’alimente pas les conversations.
Ces résultats troublants n’ont apparemment pas non plus inquiété le chef du Gouvernement, M. Mario Frick, dont dépend l’Office des services financiers, destinataire des déclarations de soupçons.
La modestie des moyens de l’Office, quatre personnes plus un stagiaire, est justifiée par les autorités locales par la petitesse du pays dont l’administration ne compterait au total que 500 personnes. Cet effectif, s’il est suffisant pour traiter trois déclarations par an, est en revanche très inadapté à un fonctionnement normal de la place qui connaît une situation florissante.
Outre qu’elles sont fort rares, les déclarations de soupçons n’ont donné lieu à aucun jugement. A l’heure actuelle, pour un blanchisseur admis au Liechtenstein, le risque d’être dénoncé est infime et celui d’être puni, nul.
Il est vrai que la législation ne sanctionne pas la négligence grossière. Il n’existe pas au Liechtenstein, même si des projets en ce sens sont évoqués, d’infraction de blanchiment par négligence comme c’est par exemple le cas en Suisse mais aussi en Andorre.
D’autre part, comme il a été dit, 25 déclarations ont été classées sans suite parce que l’élément intentionnel faisait défaut. Lorsqu’on sait l’extrême difficulté qu’il y a à prouver ce caractère intentionnel, on peut considérer comme lettre morte l’application de la disposition de l’article 165 du code pénal du Liechtenstein qui prévoit que celui qui, sciemment, conserve, place ou administre des éléments patrimoniaux appartenant à une organisation criminelle, est puni d’une peine de prison pouvant aller jusqu’à cinq ans si les sommes en cause dépassent 150 000 francs suisses.
En matière de confiscation, le bilan est tout aussi mince, comme l’a relevé le rapport d’évaluation du Comité européen pour les problèmes criminels du Conseil de l’Europe : " Aucune confiscation n’a été ordonnée à ce jour sur la base de l’Article 165 du Code Pénal. Etant donné la difficulté susmentionnée de prouver l’origine des biens, qui, dans la plupart de cas, sont soupçonnés de provenir d’infractions principales perpétrées en dehors du territoire, les évaluateurs estiment que le régime actuel de confiscation devrait être revu. La ratification prévue de la Convention de Strasbourg constituent une occasion unique d’apprécier dans quelle mesure le régime actuel de confiscation est satisfaisant et de lui apporter les ajustements nécessaires. Les évaluateurs recommandent en particulier dans ce contexte que le seuil de confiscation, actuellement fixé à 150 000 francs suisses (Article 20.a du Code Pénal) soit supprimé, et que la loi prévoie clairement l’application de la saisie et de la confiscation à tous les types de produits du crime, y compris aux biens immobiliers, aux instruments, aux biens de substitution et aux profits générés par les produits. "
A ce manque de volonté politique de faire fonctionner le dispositif législatif anti-blanchiment s’ajoutent les facilités qu’accorde la législation sur les sociétés que le Liechtenstein n’a pas l’intention de remettre fondamentalement en cause.
B) UN SYSTEME D’IDENTIFICATION DES AYANTS DROIT DEFICIENT
Cette question de l’identification des ayants droit constitue le point névralgique du système.
L’existence au Liechtenstein de fondations ou d’Anstalt spécifiquement conçus pour protéger l’identité de leurs propriétaires s’oppose par nature aux principes de transparence et de traçabilité qui fondent la lutte anti-blanchiment.
Dans ces structures juridiques, les ayants droit économiques réels se font représenter par un avocat ou une personne exerçant des activités judiciaires, leurs noms n’apparaissant pas dans les registres publics.
Certes, les intermédiaires financiers ont obligation d’identifier l’ayant droit économique qu’ils représentent mais cette obligation n’existe pas notamment lorsque la représentation est effectuée par une personne elle-même soumise à la loi telle que les avocats ou fiduciaires effectuant des opérations pour le compte d’une fondation ou d’un Anstalt.
Le système mis en place reste donc parfaitement opaque et l’argument en vertu duquel, il est toujours possible d’obtenir la révélation de l’identité des ayants droit dans le cadre d’une procédure judiciaire, ne suffit pas à justifier un tel mécanisme, parfaitement adapté aux besoins des criminels financiers.
Le Ministre de la justice a bien du en convenir devant la Mission, sans pour autant remettre en cause le bien fondé de ces institutions, " Bien sûr, (...) nous ne pouvons pas exclure que des hommes de paille soient utilisés. Nous ne pouvons pas sous-estimer non plus le fait que l’on utilise parfois des actionnaires pour faire des affaires peu claires. Mais cela, ce n’est pas spécifique au Liechtenstein. "
Quant à M. Paul Vogt, parlementaire d’opposition, il a déclaré à la Mission de façon encore plus explicite " D’autre part, il faut dire que dans notre pays la société a beaucoup de mal à bien mesurer la situation. Ce n’est pas seulement un manque de volonté, mais les affaires sont très complexes, se font très discrètement et souvent les agents fiduciaires eux-mêmes ne savent pas ce qui se passe et ce qui est derrière les affaires qu’ils traitent. D’un côté, ils ne veulent pas le savoir, et de l’autre, ils ne peuvent pas le savoir. Souvent, ils reçoivent des informations d’une banque suisse qui appelle et dit qu’elle a un client pour lequel il conviendrait éventuellement de créer une fondation. Ce sont des imbrications, des mélanges, des relations entre différentes sociétés qui ont pour but de camoufler les choses telles qu’elles sont et de s’organiser au plan international. "
D’autre part, s’il n’existe pas au Liechtenstein de comptes totalement anonymes, il reste toujours possible d’ouvrir un compte en banque par l’intermédiaire d’un avocat, d’un gérant de fiduciaire etc.
Interrogé sur ce point par le Président de la Mission, le Ministre de la justice, M. Heinz Frommelt, a indiqué " ce qui est existe au Liechtenstein, c’est la possibilité pour des personnes (...) liées par le secret professionnel (...) d’ouvrir des comptes au nom de sociétés sans indiquer le nom de l’ayant droit. Mais, il est tout à fait possible, dans des cas d’entraide judiciaire ou dans le cadre de procédures pénales, de retracer et de connaître l’ayant droit. Nous arrivons donc au même résultat. Nous ne pensons pas, et je ne pense pas personnellement, qu’il soit nécessaire de modifier cette disposition légale. "
Lorsqu’on sait les difficultés rencontrées dans le cadre de la coopération judiciaire, une telle réponse est révélatrice. Elle confirme la réalité à laquelle les magistrats européens restent confrontés : les affaires qui aboutissent au Liechtenstein sont enlisées.
Des projets de modifications législatives existent bien au Liechtenstein et celles-ci sont nécessaires mais que l’on ne s’y trompe pas les changements radicaux qui feraient de la Principauté une place aux normes du GAFI ne sont pas à l’ordre du jour.
Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr
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