– LE GOUVERNEMENT
La constitution monégasque du 17 décembre 1962 prévoit que " le Gouvernement est exercé, sous la haute autorité du Prince, par un Ministre d’Etat, assisté d’un Conseil de Gouvernement " (article 43).
Le Ministre d’Etat " représente le Prince. Il exerce la direction des services exécutifs. Il dispose de la force publique. Il préside, avec voix prépondérante, le Conseil de Gouvernement " (article 44).
En vertu des accords franco-monégasques, le Ministre d’Etat est de nationalité française. Il est choisi par le Prince, auquel il prête allégeance, sur une liste de trois noms proposée par la France. Il reste en fonction aussi longtemps que le souhaite le Souverain.
Le Ministre d’Etat est actuellement issu du corps diplomatique mais ce ne fut pas toujours le cas notamment en 1962 où Emile Pelletier, après avoir effectué une carrière préfectorale et occupé le portefeuille du ministère de l’intérieur en 1958, s’était vu offrir cette délicate fonction qu’il occupait depuis 1959.
En 1962, le journal Le Monde sous la plume de Jean Couvreur évoquait " le Ministre d’Etat cet inconnu ". Près de quarante ans plus tard, les attributions et les conditions de nomination de ce haut personnage de l’Etat monégasque n’ont pas changé.
" L’agent du semi-protectorat que la République française exerce sur Monaco "
" Les attributions du Ministre d’Etat de Monaco sont généralement mal connues. On a dit de lui qu’il était le Maître Jacques de la Principauté. C’est un peu vrai. (...) Un des anciens titulaires de ce haut poste (...) définit (...) ce rôle ingrat.
" " C’est un haut fonctionnaire détaché des cadres de l’administration. A la fois le Premier ministre du Prince et son Ministre des affaires étrangères, il préside le Conseil du Gouvernement composé de trois conseillers : un pour l’intérieur, la sûreté, le culte, les hôpitaux, l’instruction publique ; un autre pour les finances, le budget, les domaines, la trésorerie ; un troisième pour les travaux publics, la voirie, les affaires diverses, l’hygiène, la salubrité publique. L’un des ces conseillers doit être Français. Le Gouvernement princier comprend ainsi trois voix françaises (le ministre ayant voix prépondérante) pour deux voix monégasques. Le ministre d’Etat est au service du Prince qui le nomme et peut le révoquer à son gré, mais il est aussi l’agent du semi-protectorat que la République exerce sur Monaco. Un poste difficile, très difficile qui requiert beaucoup de souplesse et de fermeté. " "
Jean Couvreur, Le Monde du 9 mars 1962.
Actuellement et ce depuis quelques années, les deux Conseillers chargés d’une part des travaux publics, des affaires sociales et de la santé, d’autre part de l’économie et des finances sont de nationalité monégasque.
En revanche le Conseiller pour l’intérieur également chargé des questions de police, d’administration générale et des cultes, est traditionnellement un fonctionnaire français du corps préfectoral.
Constitutionnellement, le Gouvernement n’est responsable que devant le Prince et le Ministre d’Etat qui dépend directement de lui ne peut être mis en minorité par le Conseil national, c’est à dire le Parlement.
Pour autant, la confiance du Souverain ne suffit pas toujours à garantir à elle seule le maintien, dans ses fonctions, du Ministre d’Etat qui doit également bénéficier de la faveur des familles monégasques influentes et du soutien des autorités judiciaires.
A la fin de l’année 1994, le Prince Rainier préoccupé par la mauvaise image que pourraient donner à Monaco les divers scandales financiers qui avaient récemment éclaté dans la Principauté (affaire Jurado, affaire du Casino...), souhaita que l’on y fit procéder à une remise en ordre.
Le Souverain décida de confier à son Ministre d’Etat, Monsieur Paul Dijoud, le soin de mener à bien cette tâche. Dans le cadre de cette mission qui lui était assignée par le Prince, le Ministre d’Etat se heurta à la résistance de l’entourage du souverain, de certaines familles monégasques influentes ainsi que de certains représentants de l’autorité judiciaire.
Après avoir surmonté une première crise qui s’était soldée par le départ du directeur du cabinet du Prince, à son service depuis de très longues années, le ministre d’Etat fut contraint quelques mois plus tard de démissionner, forcé de constater qu’à défaut du soutien des autorités locales, il ne lui était pas possible d’accomplir l’assainissement de la situation monégasque.
B) L’AUTORITE JUDICIAIRE
En janvier 1999, Son Altesse Sérénissime le Prince Rainier publiait un message sous la forme d’un Livre blanc destiné à répondre aux multiples critiques adressées de plus en plus fréquemment à la Principauté par la presse internationale.
Parmi celles-ci figure la question de l’indépendance de la justice posée en ces termes (1).
" Message de Son Altesse Sérénissime le Prince souverain "
" Une justice sous influence ?
" Certains médias peu soucieux d’objectivité, tirent argument du fait que la justice à Monaco est rendue au nom du Prince pour laisser entendre qu’elle serait " sous influence ".
" C’est le contraire qui correspond à la vérité : la justice, dans ce pays, n’a aucun lien de subordination avec le Gouvernement et le Prince est le garant de son indépendance. "
Extrait du Livre blanc sur Monaco Mythes et Réalités, publié le 4 janvier 1999
A Monaco, la justice obéit à deux particularités, elle est d’une part déléguée par le Prince, elle est d’autre part rendue par des magistrats monégasques et français auxquels sont réservés, en vertu de la Convention du 28 juillet 1930, la majorité des sièges.
L’article 88 de la Constitution de la Principauté dispose que " le pouvoir judiciaire appartient au Prince qui, par la présente Constitution, en délègue le plein exercice aux cours et tribunaux. Les tribunaux rendent la justice au nom du Prince. L’indépendance des juges est garantie... "
Ainsi en application de ce principe, l’ensemble des magistrats prêtent serment au Prince et s’engagent à faire appliquer loyalement la législation monégasque. Le Prince garantit l’indépendance des juges.
Cet équilibre théorique se retrouve-t-il dans la pratique de la justice à Monaco ? D’aucuns n’hésitent pas à considérer que cette justice déléguée est avant tout une justice retenue comme en attestent certains témoignages recueillis par la Mission, faisant entendre une toute autre réalité.
A Monaco, la justice est retenue
" M. Arnaud MONTEBOURG, Rapporteur : (...).Pourriez-vous nous parler du statut particulier de Monaco dont nous ne pouvons nous désintéresser puisque la France a des liens avec la Principauté, (...).
" M. Jean-Claude MARIN, Procureur de la République adjoint au tribunal de grande instance de Paris : La question devrait sans doute être posée aux parquets de Nice ou de Grasse parce qu’ils ont une expérience continue. Néanmoins, nous avons, pour notre part, un certain nombre d’affaires avec Monaco. J’ai eu un jour la surprise de voir un magistrat de la Principauté arriver dans mon bureau pour savoir comment fonctionnait un pôle financier. J’ai trouvé que la situation ne manquait pas d’humour.
" A Monaco, il y a les affaires pour lesquelles le Gouvernement monégasque, pour ne pas dire le Prince, tolère l’investigation et celles pour lesquelles il ne la tolère pas ; comme je le disais, la justice est retenue.
" M. Arnaud MONTEBOURG, Rapporteur : Elle obéit aux injonctions du pouvoir exécutif et monarchique ?
" M. Jean-Claude MARIN : Tout à fait. Cependant, la loi bancaire française est applicable à Monaco et la Commission bancaire française est habilitée à y vérifier l’application de la réglementation bancaire. C’est ainsi que nous avons eu une ou deux affaires monégasques pour lesquelles, en vertu d’une convention internationale qui donnait accès à la justice française à Monaco - et encore avons-nous dû énormément batailler sur le protocole de 1945 - nous avons pu avoir accès à un certain nombre de données notamment dans l’affaire de la Banque industrielle de Monaco, la BIM, qui était présidée par Mme de Bourbon-Parme. L’affaire a commencé par une transmission de fausses informations sur les ratios prudentiels à la Commission bancaire. Ce dossier a abouti à une condamnation et nous avons pu, à cette occasion, apprendre l’existence de comptes à numéros, dits de gestion de patrimoines.
" Mais, lorsque nous avons ouvert une autre information sur ces comptes à numéro, nous n’avons rien obtenu.
" M. Arnaud MONTEBOURG, Rapporteur : C’est une affaire enlisée ?
" M. Jean-Claude MARIN : C’est une affaire qui est sortie " par le petit bout ", car des bénéficiaires économiques finaux sont apparus comme ayant été en France à un moment précis et nous avons découvert un certain nombre d’infractions - abus de biens sociaux et infractions à la gestion de patrimoine -, en France. Mais ces comptes étaient des comptes pyramidaux. Vous aviez un compte de passage et, dessous, quarante à quarante-cinq comptes de bénéficiaires. Nous avons pu, sur trois cent cinquante comptes, élucider l’origine et l’usage des fonds pour cinq à dix d’entre eux, mais, sur le reste, nous n’avons obtenu aucune coopération. "
Extraits de l’audition de M. Jean-Claude Marin, Procureur de la République adjoint au tribunal de grande instance de Paris
En vertu des accords franco-monégasques, la justice monégasque est rendue par des magistrats tant monégasques que français.
Le Directeur des services judiciaires, en quelque sorte le ministre de la Justice, est un magistrat français mais ne fait pas partie du Gouvernement en application des principes de séparation des pouvoirs et d’indépendance de la justice.
Actuellement, parmi les dix neuf magistrats qui sont en fonction à Monaco, six sont monégasques.
Les magistrats français détachés sont mis à la disposition de la Principauté de Monaco et intègrent les cadres de la justice monégasque le temps que dure leur détachement. Ils prêtent serment de fidélité et d’obéissance au Prince, et aux lois de la Principauté.
Leur situation matérielle est plus confortable - ils sont rémunérés par Monaco ce qui se traduit par une augmentation d’environ 30 à 40 % de leur pouvoir d’achat -, leurs conditions de travail sont également plus agréables puisqu’à un volume de dossiers relativement moins important à traiter s’ajoute le fait qu’il ne semble pas exister à Monaco de contraintes budgétaires semblables à celles que connaît en France le fonctionnement de la justice.
" Ici, je n’ai jamais vu un tel luxe de moyens pour l’activité judiciaire "
" M. Jean-Christophe HULLIN, juge d’instruction au tribunal d’instance à Monaco : J’ai été juge d’instruction en Saône-et-Loire. L’indigence des moyens à notre disposition m’a littéralement désespéré. J’en ai été totalement découragé. Ici, je n’ai jamais vu un tel luxe de moyens pour l’activité judiciaire. Est-ce purement de la parade, je n’en sais rien, mais nous disposons quand même de moyens de faire. Par exemple, j’ai deux greffiers en permanence. De 8 heures à 20 heures, je suis assuré d’avoir des gens disponibles. Nous n’avons aucune limite en matière de frais de justice.
" La pression que nous mettons, en France, sur nos magistrats, le Parquet et la chancellerie, pour restreindre l’hémorragie budgétaire que cela représente, n’existe pas ici. Vous pouvez dépenser pratiquement sans compter, notamment dans les frais d’interprétariat. Hier, par exemple, j’essayais de contacter un magistrat suédois pour une commission rogatoire internationale et lui faire part des divers obstacles qu’il allait rencontrer sur le terrain. Je n’ai pu le faire car il ne s’exprimait pas en français. Je lui ai donc envoyé une lettre en français, de toute urgence, qui a été traduite et puis tout s’est arrangé. "
Extrait de l’audition de M. Jean-Christophe Hullin, Juge d’instruction au Tribunal d’instance de Monaco
Détachés pour un période de cinq ans renouvelables, certains magistrats français se sont de ce fait installés dans la Principauté pendant plus d’une dizaine d’années. Or, une aussi longue présence dans un si petit territoire ne peut qu’aboutir à terme à créer une certaine " accoutumance " à la réalité locale, impropre à garantir le recul nécessaire à l’exercice d’une justice indépendante.
Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr
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