La Principauté de Monaco attire, en raison du statut fiscal privilégié qu’elle offre aux non résidents, fortunes recherchant la discrétion, hommes d’affaires influents. Elle a conquis et conservé sur son sol une population qui s’attend à être traitée avec certains égards et qui n’hésitera pas en cas de difficultés avec la justice à faire jouer les relations de pouvoir, voire à faire remonter ses doléances de protection jusqu’au Palais princier.

Les Monégasques de souche et les résidents ont droit à un traitement judiciaire de faveur, ceux qui ne font qu’y passer sans pouvoir prétendre y vivre, y venir placer leur patrimoine ou y dépenser leur fortune aux jeux, sont traités différemment.


" Lors des permanences, on pratiquait une justice à deux vitesses "

" M. Jean-Philippe RIVAUD, ancien Substitut du Procureur Général à Monaco : J’ai été substitut du Procureur Général du 2 mai 1995 au 30 novembre 1995. Une période brève mais intense et très riche en événements. (...) " J’ai été affecté, en remplacement d’un magistrat décédé un an auparavant, au service général du Parquet en tant que substitut (...).

" Lors des permanences que font tous les magistrats du Parquet et qui concernent tout ce qui peut se passer dans un ressort, je me suis vite rendu compte - au travers des comptes rendus des services de police, pour les personnes gardées à vue - que prévalaient les ordres - seulement oraux et donnés sur un ton badin, paternaliste - donnés par le Procureur Général de l’époque, M. Gaston Carrasco. En un mot, on pratiquait une justice à deux vitesses. (...)

" Là où cela devenait choquant, c’est [que] les gens de la jet-society, monégasques ou non mais très fortunés, apportant beaucoup d’argent à la Principauté et impliqués dans une affaire d’usage de cocaïne par exemple, étaient traités de manière quelque peu différente.

" On vous demandait de pratiquer un discernement dans la façon d’engager des poursuites. Il pouvait même arriver - ce que j’ai su après - que les services de police n’avisent même pas le magistrat du Parquet des affaires : c’était étouffé ab initio, au niveau de la police. Une première méthode consiste donc à ne pas tenir le Parquet informé. "

Extraits de l’audition par le Rapporteur de M. Jean-Philippe Rivaud, Ancien Substitut du Procureur à Monaco, avocat


A) LES PRESSIONS SUR LES JUGES INDEPENDANTS

La Mission a recueilli de nombreux témoignages concordants sur les conditions dans lesquelles la justice monégasque, dépendante du Prince à travers son Procureur Général, n’accepte pas l’exercice par ses juges d’instruction, d’investigations et de poursuites des pratiques de blanchiment pourtant parfois caractérisées. Ces pressions sur des juges du siège théoriquement indépendants permettent de conclure que le pouvoir politique monégasque, préfère l’instauration de telles pratiques plutôt qu’une réputation d’inflexibilité en matière de lutte contre le blanchiment.

Plusieurs affaires permettent de faire cette malheureuse démonstration qu’à Monaco, on semble peu apprécier le fait de poursuivre.

Le 5 juillet 1995 M. Moshe Binyamin est arrêté en possession de 5 533 300 dollars en coupures de 100 dollars repartis dans deux valises et quatre cartons.

Le 6 novembre 1998 M. Moshe Binyamin, qui a reconnu que ces fonds provenaient d’un trafic de stupéfiants et appartenaient au groupe de trafiquants israéliens dirigé par Eliaha Menashe, est condamné en appel à 100 000 francs d’amende et douze ans de réclusion, le Procureur Général M. Daniel Serdet, successeur de M. Gaston Carrasco avait requis quinze ans au motif que " la Principauté ne peut laisser impunément passer un trafiquant de drogue qui essaie de blanchir une grosse somme d’argent ".

De son côté, M. Georges Grinda, Chef de cabinet du Prince Rainier se plaisait également à souligner l’intransigeance de Monaco mais aussi le contrôle exercé alors par les autorités bancaires françaises.


" Les rapports de la banque de France sont extrêmement louangeurs "

Question à M. Georges Grinda, Chef de cabinet du Prince : " L’affaire Binyamin vous paraît-elle démontrer l’attrait exercé par la Principauté sur les blanchisseurs d’argent sale ? "

Réponse de M. Georges Grinda : " On ne transigera jamais sur la poursuite inflexible du blanchiment. Nous affichons la volonté la plus catégorique à ce sujet. Cela dit, la place bancaire de Monaco est sous le contrôle de la Banque de France. Il ne faut pas hésiter à le dire, car toute critique sur le fonctionnement et la gestion de la place bancaire monégasque est une critique contre la Banque de France, dont les rapports annuels sont toujours extrêmement louangeurs. "

Erich Inciyan, Le Monde du mardi 17 novembre 1998.


Il y aurait donc tout lieu de se réjouir de voir la Principauté de Monaco rendre une condamnation de blanchiment si les 40 mois de traitement de cette affaire n’avaient constitué l’occasion d’actes portant atteinte à l’indépendance des juges d’instruction chargés de ce dossier.

Il est avéré que profitant des vacances du magistrat instructeur Jacques Lefort, le Directeur des services judiciaires, c’est à dire en somme le Ministre de la justice monégasque, M. Noël Museux avait donné par écrit instruction au Directeur de la prison de lever les mesures d’isolement ordonnées par le juge d’instruction.

Un tel acte commis dans n’importe quelle démocratie serait purement et simplement qualifié de voie de fait et considéré comme une atteinte gravissime à l’indépendance des magistrats du siège.

Quoiqu’il en soit, M. Moshe Binyamin a pu, sur autorisation du directeur des services judiciaires, recevoir la visite dans sa cellule de deux personnes dont M. Shimon Tal policier attaché à l’Ambassade d’Israël. Il recevra également la visite du Procureur Général qui dira être venu pour exposer au détenu l’état de son dossier et la peine encourue...


Personne ne s’offusquerait si on laissait repartir Binyamin sans le placer sous mandat d’arrêt

" M. Charles DUCHAÎNE : (...) je vais vous expliquer dans quelles conditions cette affaire a démarré. A la suite d’une réunion présidée, sauf erreur de ma part, en tout cas à laquelle participait M. Dijoud, à l’époque ministre d’Etat, un certain nombre de banquiers ont été sensibilisés sur la nécessité de porter à la connaissance de l’autorité judiciaire ou du SICCFIN, équivalent du TRACFIN français, les comportements qui pourraient apparaître comme suspects par rapport au problème de blanchiment.

" A la suite de cette réunion, le directeur de la banque de gestion Edmond de Rothschild, voyant arriver le nommé Binyamin avec tout cet argent, a très vraisemblablement - parce que je n’en ai pas la preuve - prévenu le ministre d’Etat.

" Le ministre d’Etat, - il n’est pas inutile de le préciser - a en procédure pénale monégasque des pouvoirs de police judiciaire.

" M. Arnaud MONTEBOURG : Il peut ordonner une enquête préliminaire ?

" M. Charles DUCHAÎNE : Il peut ordonner une enquête. Le ministre d’Etat a donc porté ces éléments à la connaissance du directeur de la sûreté publique, de la façon la plus légale qui soit et c’est sur la base de ces informations que la sûreté publique, après avoir étudié la question et mis en place un dispositif d’interception, a interpellé Binyamin le 5 juillet.

" Immédiatement, le Procureur Général et - je pense - le directeur des services judiciaires ont considéré que la procédure était affectée d’une irrégularité parce qu’elle avait été mise en _uvre par le ministre d’Etat, lequel a maladroitement rétorqué qu’il avait des pouvoirs de police administrative qui le lui permettaient.

" M. Arnaud MONTEBOURG : Alors qu’il s’agissait de pouvoirs de police judiciaire ?

" M. Charles DUCHAÎNE : Alors qu’il avait les pouvoirs de police judiciaire de le faire. Cette affaire a donné lieu à un fort différend, et le Prince lui-même a été mis en situation d’arbitrer cette difficulté. Je me suis laissé dire qu’à cette occasion, il avait remis en place son directeur des services judiciaires en lui demandant de calmer son Procureur Général.

" Mon collègue Lefort m’a rapporté - je le crois sur parole - qu’il lui avait été dit lors de l’ouverture de cette information que pour la forme, on prenait des réquisitions de mandat d’arrêt - le mandat de dépôt n’existe pas à Monaco - mais que personne ne s’offusquerait s’il laissait repartir Binyamin sans le placer sous mandat d’arrêt. "

Extrait de l’audition par le Rapporteur, de M. Charles Duchaîne, ancien doyen des juges d’instruction à Monaco.


A l’évidence le Procureur Général M. Gaston Carrasco ne souhaitait pas, pour l’image de la Principauté, le passage en jugement à Monaco de M. Moshe Binyamin pour une affaire de blanchiment et a cherché à gagner du temps en demandant des informations supplémentaires, demande à laquelle le juge d’instruction répondra par un refus d’informer.


" On ne voulait pas juger quelqu’un à Monaco pour blanchiment "

" M. Charles DUCHAÎNE : (...) " En réalité, tout ce dossier a été jalonné de difficultés, la première consistant à lever les mesures de surveillance. C’est mon prédécesseur qui l’a vécu ; ce n’est pas moi. Par la suite, j’ai instruit sans grande difficulté ; on m’a laissé instruire sans rien me dire. Le dossier était communiqué régulièrement au Parquet lorsque c’était nécessaire. J’avais pris le soin à l’époque de compter le nombre de fois où ce dossier avait été communiqué au Parquet. (...). Peut-être 20 ou 30 fois. Le Procureur Général aurait dû avoir une connaissance parfaite de la procédure. Je me souviens qu’un jour, en me retournant le dossier, il m’avait collé un post-it avec un mot manuscrit disant : " Quand envisagez-vous de communiquer ce dossier au règlement ? ".

" Tout le monde semblait considérer - à juste titre d’ailleurs - que la détention commençait à être un peu longue et qu’il fallait boucler ce dossier. Je ne me souviens plus de la chronologie exacte, mais je peux peut-être la retrouver. (...) .../...

" Là où j’ai eu des difficultés réelles, c’est quand j’ai donné ce dossier au Parquet pour règlement parce que ce dossier ne me revenait pas. Il ne me revenait pas alors qu’il avait été réglé par le premier substitut de l’époque, M. Serdet, lequel avait pris des réquisitions qui allaient dans le sens du renvoi de l’intéressé devant le tribunal correctionnel pour blanchiment. Ce dossier ne me revenait pas. Je l’ai réclamé à plusieurs reprises, notamment par écrit, en indiquant au Procureur Général qu’on ne manquerait pas de nous reprocher, à lui comme à moi, de faire traîner un dossier de cette nature avec une personne incarcérée alors que nous avions tous les éléments nécessaires pour régler la procédure et la faire juger.

" Le Procureur Général a fini par me répondre que je n’avais pas d’injonction à donner au Parquet et qu’il me rendrait mon dossier quand bon lui semblerait.

" M. Arnaud MONTEBOURG : Combien de temps l’attente a-t-elle duré ?

" M. Charles DUCHAÎNE : De mémoire, 3 mois.

" M. Arnaud MONTEBOURG : Est-ce un délai anormal pour Monaco ?

" M. Charles DUCHAÎNE : C’est un délai tout à fait anormal puisque d’un point de vue légal, le délai est de 8 jours, sauf erreur. Je n’ai jamais imposé au Parquet de régler un dossier de cette importance dans un délai de 8 jours. Le Parquet de Monaco n’est pas débordé et un dossier de cette importance aurait dû être réglé dans le mois. Il l’avait d’ailleurs été. (...) le Procureur Général et le directeur des services judiciaires ne souhaitaient pas que ce dossier soit jugé.

" M. Arnaud MONTEBOURG : De quelle nature étaient les investigations supplémentaires que l’on vous demandait ?

" M. Charles DUCHAÎNE : De mémoire, le Procureur Général souhaitait que je mène des investigations tendant à établir la provenance des billets de banque, ce qui était une mission impossible. Comme je vous l’ai indiqué tout à l’heure, 4,85 % des billets étaient susceptibles d’être identifiés, - pas vraiment identifiés parce que les billets ne portaient pas de marques ou de numérotation qui auraient pu être relevées - par les mentions figurant sur des bandelettes dans lesquelles ils étaient enserrés. Je ne me souviens plus de ce que le Parquet demandait de plus, mais des choses sans grande utilité.

" M. Arnaud MONTEBOURG : Cela a-t-il retardé le jugement de cette affaire ?

" M. Charles DUCHAÎNE : Cela ne l’aurait pas beaucoup retardé s’il n’avait pas été fait appel de mon ordonnance de refus d’informer (...).

" M. Arnaud MONTEBOURG : Vous avez délivré une ordonnance de refus d’informer ?

" M. Charles DUCHAÎNE : Oui, de refus d’informer, en indiquant que les investigations sollicitées ne présentaient pas d’intérêt.

" Le seul mérite de ce réquisitoire est qu’il a quelque peu retardé l’affaire et qu’il m’a permis d’obtenir entre-temps le jugement rendu par le tribunal de La Paz qui, si j’ai bonne mémoire, n’existait pas au jour où j’ai communiqué le dossier pour règlement. Le dossier ne comportait plus seulement l’enquête de police et les actes de poursuite, mais un jugement de condamnation. (...)

" M. Arnaud MONTEBOURG : En clair, le Procureur Général soutenait la défense de Binyamin ?

" M. Charles DUCHAÎNE : Non. (...). Je pense que le Procureur Général, dans d’autres lieux, aurait demandé la condamnation de Binyamin. Simplement, le Procureur Général aurait souhaité ne pas avoir à faire juger Binyamin. Le meilleur moyen de ne pas faire juger Binyamin était de faire durer la procédure jusqu’à ce que la cour dise que l’on ne peut pas décemment maintenir aussi longtemps quelqu’un en prison, même pour des faits de cette gravité. Binyamin aurait été libéré et une fois Binyamin libéré, le dossier passait aux oubliettes puisque le Parquet n’avait plus aucune obligation d’audiencer dans un délai particulier. Le dossier n’aurait peut-être jamais été audiencé ou l’aurait été dans la plus grande discrétion des mois ou des années après, de façon à ce que la décision puisse être rendue sans que personne n’en ait connaissance.

" Je profite de ces explications sur le dossier Binyamin pour vous dire que le vrai problème de ce dossier est que l’on ne voulait pas juger quelqu’un à Monaco pour blanchiment parce que c’était de nature à effrayer un certain nombre d’investisseurs et à dissuader certaines personnes de continuer à amener leur argent à Monaco. Je pense que c’est la seule raison. Je ne crois pas qu’il y ait eu de volonté de qui que ce soit de protéger Binyamin lui-même, même si à une époque, au vu de l’intérêt manifesté par les autorités israéliennes, on a peut-être été enclin à beaucoup d’indulgence car on a pu imaginer qu’il avait été infiltré dans un réseau. "

Extrait de l’audition par le Rapporteur, de M. Charles Duchaîne, ancien doyen des juges d’instruction à Monaco.


Une autre affaire a paru significative à la Mission du refus placé au plus haut niveau de l’Etat monégasque de poursuivre des pratiques gravement illicites qui le compromettent d’ailleurs indirectement.

En 1996, le Procureur de la République d’Asti dans la région de Turin, se rend dans la Principauté où il s’intéresse à M. Franco Chiarolanza, résident monégasque et ressortissant italien, qui vient d’être arrêté en Italie pour escroquerie au détriment de l’Etat. Très rapidement l’enquête révèle que M. Franco Chiarolanza a donné la présidence de plusieurs de ses sociétés à M. Daniel Ducruet ex-époux de la Princesse Stéphanie, et qu’au-delà des escroqueries reprochées, des opérations de blanchiment auraient pu avoir lieu.

A la demande du magistrat italien, des perquisitions sont effectuées dans les bureaux de M. Daniel Ducruet et ses lignes téléphoniques mises sur écoute.

Le doyen des juges d’instruction adresse par écrit des instructions aux officiers de police judiciaire pour que soient effectuées sur ces écoutes des indexations particulières et ne soient retranscrites que les informations liées à l’enquête, laissant de côté les éléments relatifs à la vie privée qui n’intéressaient pas les autorités italiennes requérantes.

Le Procureur Général fera une nouvelle fois pression sur le juge d’instruction pour lui demander de modifier la transcription de certains passages sur écoutes et de réécrire certains éléments de la procédure afin que les mouvements de comptes en banque de M. Daniel Ducruet n’apparaissent pas.

En effet, alors même que son divorce avait été prononcé, M. Daniel Ducruet avait conservé un compte joint avec la Princesse Stéphanie sur lequel étaient apparus des mouvements de fonds suspects.

Le juge d’instruction refusera de procéder aux modifications demandées par le Procureur Général. Celui-ci saisira la Chambre du Conseil - équivalent de la Chambre d’accusation en France - qui le 21 juillet 1997 donnera raison au Procureur Général.

Les éléments d’exécution de la commission rogatoire concernant M. Daniel Ducruet notamment les écoutes et les relevés des opérations bancaires effectuées sur son compte joint avec son ex-épouse la Princesse Stéphanie seront annulés.


" Le procureur m’avait demandé de refaire un certain nombre d’actes "

" M. Charles DUCHAÎNE : L’affaire Chiarolanza correspond à des commissions rogatoires internationales en date des 26 septembre et 10 octobre 96. Ces demandes ne m’ont été transmises par le Procureur Général qu’après plusieurs jours, voire plusieurs semaines, de dialogue entre le Parquet de Monaco et le Parquet d’Asti.

" J’ai subdélégué l’exécution de ces commissions rogatoires aux policiers monégasques et me suis seulement déplacé à l’occasion d’une perquisition dans les locaux de la société dirigée par Ducruet. Je fais mention de ce déplacement parce qu’il m’a été reproché par la suite par le Procureur Général qui considérait qu’ayant délégué mes pouvoirs à la police, je n’avais pas à me déplacer et qu’à tout le moins, ce déplacement aurait dû être mentionné dans le procès verbal de police.

" Je me suis effectivement déplacé compte tenu de la personnalité de l’intéressé et de la crainte de voir son ex-épouse surgir dans les locaux de la société. Je n’ai personnellement établi aucun acte. (...)

" M. Arnaud MONTEBOURG : Vous avait-il demandé, comme dans d’autres affaires, de recommencer l’exécution de la commission rogatoire internationale ou de refaire certains actes ?

" M. Charles DUCHAÎNE : Effectivement, avant de saisir la chambre du conseil, équivalent de la chambre d’accusation en France, le procureur m’avait demandé si j’acceptais de refaire un certain nombre d’actes ou de les supprimer.

" M. Arnaud MONTEBOURG : Lesquels ?

" M. Charles DUCHAÎNE : Je ne me souviens pas précisément de quels actes il s’agissait. J’ai seulement le souvenir que ces documents mettaient en évidence la participation de Ducruet à des actions de blanchiment.

" M. Arnaud MONTEBOURG : Les informations dont la Mission dispose font état d’un compte joint détenu par M. Ducruet et un membre de la famille princière qui apportait la preuve du détournement par Ducruet d’un milliard de lires. Cela vous rappelle-t-il quelque chose ou ces informations vous paraissent-elles excessives ou erronées ?

" M. Charles DUCHAÎNE : Je ne me souviens pas si cette somme d’un milliard de lires qui correspondait à une escroquerie à l’assurance figurait sur le compte joint auquel vous faites allusion. En revanche, je peux vous confirmer qu’il existait bien un compte joint entre Ducruet et son ex-épouse sur lequel avaient transités des fonds dont l’origine était éminemment suspecte.

" M. Arnaud MONTEBOURG : Vous souvenez-vous de l’origine de ces fonds ?

" M. Charles DUCHAÎNE : Non.

" M. Arnaud MONTEBOURG : Ce sont ces morceaux d’exécution de la commission rogatoire que vous aviez fait exécuter qui ont été annulés ?

" M. Charles DUCHAÎNE : Je n’ai pas un souvenir précis de ce qui a été annulé, mais l’essentiel des pièces d’exécution de la commission rogatoire a été annulé sur des motifs peu sérieux.

" M. Arnaud MONTEBOURG : J’ai cru comprendre dans cette affaire que le Procureur Général ne contestait pas le principe des écoutes, mais la transcription dont il souhaitait qu’elle fasse l’objet de modifications. Est-ce exact ?

" M. Charles DUCHAÎNE : Le Procureur Général a été étroitement associé au déroulement des investigations. Je dois même avouer que compte tenu du caractère particulièrement sensible de l’affaire, mettant en cause l’ex-époux d’une personnalité, j’ai accepté qu’il soit étroitement lié et régulièrement informé de l’ensemble des investigations. (...)

" J’avais pris le soin de demander aux policiers de changer la cassette d’enregistrement à chaque fois que les propos échangés étaient susceptibles de porter atteinte à l’ex-épouse de l’intéressé de façon à pouvoir constituer des scellés séparés et de façon à n’avoir à communiquer aux Italiens que ce qui les concernait. J’avais donc pris toutes les précautions possibles et imaginables ; en tout cas beaucoup plus que ce que l’on peut attendre d’un juge d’instruction.

" M. Arnaud MONTEBOURG : Il semble que le réquisitoire qui a conduit à l’arrêt rendu en chambre du conseil par la cour d’appel de Monaco le 29 juillet qui annulait cette commission rogatoire ait été établi sur les instructions du cabinet princier. Avez-vous eu connaissance de cela ?

" M. Charles DUCHAÎNE : Je n’ai malheureusement jamais eu connaissance directement des réquisitions écrites qui ont pu être prises devant la chambre du conseil. (...)

" Toute velléité de modification a été immédiatement compromise lorsque j’ai appris par le procureur Sorbello que son homologue monégasque lui avait remis en copie la totalité de la procédure. Je pense que la demande du Procureur Général était tout autant destinée à me compromettre qu’à modifier la teneur de la commission rogatoire.

" Je m’explique : si j’avais accepté de modifier mes actes alors que les Italiens avaient déjà une copie de la première version, il aurait été extrêmement aisé de faire croire aux autorités italiennes qu’il n’y avait aucune réticence de la part du Parquet dans l’exécution des commissions rogatoires internationales, mais que c’était le juge d’instruction qui faisait obstacle à l’exécution de celles-ci. "

Extrait de l’audition par le Rapporteur, de M. Charles Duchaîne, ancien doyen des juges d’instruction à Monaco.


B) LE REFUS POLITIQUE DE SANCTIONNER LES PRATIQUES ILLICITES

La Principauté de Monaco, ayant fondé son développement économique sur la construction d’un paradis fiscal et législatif, tient, pour conserver sa prospérité, à garantir son image. Tout ce qui pourrait altérer cette vision de la Principauté perçue comme un Etat garantissant la discrétion, la sécurité des biens et la tranquillité des ressortissants et résidents monégasques triés sur le volet est systématiquement perçu comme menaçant gravement les intérêts de Monaco.

De même que les banquiers préfèrent ne pas ouvrir un compte plutôt que de faire une déclaration de soupçon, de même la justice monégasque préfère-t-elle se séparer au plus vite et le plus discrètement possible de tous ceux qui pourraient être lourdement condamnés pour blanchiment.

En somme soit les criminels financiers ne sont pas Monégasques et leur départ est vivement encouragé, soit ces derniers sont monégasques et il convient alors de les épargner. En tout état de cause rien ne paraît pire à Monaco qu’une affaire qui parvient au grand jour et vient ternir l’image rassurante de la Principauté, comme l’ont a confirmé à la Mission certains magistrats français en poste à Monaco.


" Il y a un courant traditionaliste qui n’aime pas qu’on évoque ces sujets "

" M. Dominique AUTER : Le problème, c’est qu’à Monaco, tout devient très vite une affaire d’Etat, même quand elle n’en vaut pas la peine. Il y avait alors une culture du mystère et une absence de transparence, qui leur a d’ailleurs fait énormément de tort. Cela a abouti à l’effet inverse de ce qu’ils souhaitaient et a annihilé certains de leurs efforts.

" Les Monégasques ont tout de même essayé de prendre des mesures contre le blanchiment par la loi de 1993 et la création du SICCFIN. Ces deux éléments fonctionnent à peu près. Toutefois, il y a aussi un courant traditionaliste qui n’aime pas que l’on évoque ces sujets, en raison des paillettes et de l’image de Monaco. C’est une réalité ici. "

Extrait de l’audition de M. Dominique Auter, Substitut du Procureur Général au Tribunal d’instance de Monaco



Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr