La Principauté de Monaco n’a pas adhéré à la Convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959.
La coopération judiciaire avec Monaco passe donc par l’existence d’un accord conclu avec la Principauté sur cette question.
Monaco ne connaît ainsi que les commissions rogatoires internationales dont l’exécution se fonde sur une coopération bilatérale.
En absence d’une telle convention, il n’y a donc en principe aucune commission rogatoire recevable.
Actuellement douze accords ont été signés avec Monaco, le plus ancien passé avec l’Italie date de 1866.
La France pour sa part a signé en 1949 une convention sur l’aide judiciaire. Monaco a également conclu des accords similaires avec l’Allemagne, l’Australie et la Suisse.
Alors que Monaco souhaite entrer dans le champ européen, qu’il s’agisse de l’application de l’euro à Monaco ou de son adhésion au Conseil de l’Europe, la Mission s’interroge sur la nécessité d’exiger parallèlement, sur le plan de la coopération judiciaire, l’application par les Monégasques des dispositions de la Convention européenne d’entraide judiciaire du 20 avril 1959 et des principes énoncés à Tampere en octobre 1999, par les Etats membres de l’Union.
Plusieurs affaires récentes illustrent les difficultés qu’il y a actuellement à obtenir sur le plan judiciaire la coopération de la Principauté de Monaco.
Homme d’affaire bien vu au Palais, M. Herbert Leiduck est inculpé à Monaco et placé en détention provisoire d’octobre 1993 à mars 1995. Accusé d’escroquerie M. Herbert Leiduck sera renvoyé devant le tribunal correctionnel de Monaco, au terme d’une enquête très succincte. Il sera condamné à trente mois d’emprisonnement pour trafic d’armes illégal, l’instruction ayant mis à jour cette activité.
Dans cette affaire le Parquet général a refusé le réquisitoire supplétif demandé par le juge d’instruction et le Procureur Général s’est lui-même livré aux lieu et place du juge d’instruction à une enquête préliminaire comme aurait pu le faire un juge d’instruction.
M. Herbert Leiduck intéressait par ailleurs la justice allemande et en 1995 le Parquet de Stuttgart devait diligenter une enquête judiciaire.
Il est reproché à l’homme d’affaires de s’être fait remettre en juillet 1993, une somme de 20 millions de dollars afin de permettre à Mercedes Benz de vendre 10 000 Mercedes à la Russie pour un montant d’environ 750 millions de dollars. L’affaire n’ayant pas été conclue, la firme Mercedes se retourne contre M. Herbert Leiduck pour récupérer les 20 millions de dollars. Sachant que M. Herbert Leiduck est incarcéré à Monaco, le Parquet de Stuttgart devait solliciter le concours des autorités judiciaires monégasques.
Vu sous l’angle de la coopération judiciaire, l’affaire Leiduck témoigne de façon exemplaire des difficultés éprouvées par la justice allemande dans la coopération judiciaire avec Monaco.
Parcours d’obstacles pour la justice allemande à Monaco
(lettre adressée à la mission le 16 décembre 1999)
" (...) Les investigations ont permis à la Justice allemande de retrouver sa trace à Monaco, où LEIDUCK a été incarcéré par un juge d’instruction à compter de décembre 1993, pour escroquerie et trafic d’armes.
" Fort de ces renseignements, le Parquet de Stuttgart sollicitait le concours des autorités judiciaires de Monaco via une demande d’entraide, formalisée le 25.3.96 et transmise par la voie hiérarchique prescrite. Il était demandé l’envoi de copies des actes en cours au cabinet du juge d’instruction monégasque, dont la disposition était déterminante pour la poursuite et l’aboutissement de l’enquête allemande.
" Le 30.5.96, le Parquet allemand de Stuttgart essuyait un refus formel opposé par la direction des services judiciaires de Monaco, au motif " que cette requête paraît, en l’état, sans objet, des poursuites étant toujours en cours à Monaco ".
" Le 12.7.96, le Parquet allemand persistait une nouvelle fois dans sa demande d’entraide, insistant gravement sur l’intérêt décisif lié au recueil des données monégasques. Cette requête restait alors lettre morte, malgré trois relances officielles du ministère fédéral de la justice à Bonn (en date des 29.1.97, 22.8.97 & 17.2.98). En raison des réticences observées, les autorités allemandes modifiaient, dans leurs derniers courriers, leur demande initiale pour solliciter le droit de prendre connaissance, sur place, des pièces de procédure en cours en Principauté.
" Ce n’est qu’à la suite de la parution d’articles de presse, dans des journaux allemands, mais aussi français, que le Procureur Général de Monaco a fini par donner un accord téléphonique au transport de Justice allemand. Cet accord ne sera confirmé dans aucun courrier, contrairement aux usages habituels en matière de coopération judiciaire internationale. Il doit être précisé ici que le Parquet de Stuttgart ne s’était pas privé de faire savoir, via son correspondant de presse (9), que les investigations allemandes " étaient bloquées " par le refus de coopération judiciaire émanant de la Principauté.
" Ce transport a été effectué du 1er au 3 avril 1998 par le substitut du procureur de Stuttgart (Mme Ritzert) et un fonctionnaire de police du Land de Bade-Wurttemberg. Les conditions, pour le moins épiques, du déroulement de ce transport ont donné lieu à un rapport du magistrat précité (en date du 9.4.98), dont je résume ci-après la substance :
" Les autorités monégasques ont, d’emblée, soutenu ne jamais avoir reçu les demandes d’entraide réitérées (rappelées ci-dessus) ;
" Malgré le souhait formulé par les autorités allemandes, la justice monégasque s’est volontairement abstenue d’indiquer, avant le déplacement, l’ampleur des documents à consulter sur place, précision dont dépendait la durée du séjour à prévoir ; il s’avérera que l’enquête monégasque comportait alors déjà 8 classeurs Leitz ;
" Monaco s’est refusé, par ailleurs, à fournir le moindre concours local pour la traduction, ce qui a induit un retard supplémentaire dans le démarrage du transport de Justice ;
" Sur place, le substitut a dû solliciter l’autorisation individuelle du Procureur Général de Monaco, acte par acte, pour obtenir copie des pièces maîtresses du dossier local. En raison de l’ampleur des faits, le magistrat allemand a finalement décidé qu’il serait indispensable de pouvoir disposer, en copie, de l’intégralité des pièces judiciaires monégasques. Il s’est vu signifier que le volume de ces pièces (8 classeurs) nécessiterait un délai supplémentaire de 3 à 4 semaines pour réaliser les photocopies. Cette précision était donnée au magistrat allemand, alors même que celui-ci s’était proposé, au préalable, de participer personnellement aux tâches matérielles liées à la réalisation des copies, en concours d’ailleurs avec le policier ;
" Lors d’un entretien, sur place, avec le Procureur Général de Monaco, le substitut de Stuttgart apprenait avec stupéfaction de la bouche du haut magistrat que M. Leiduck avait produit, en Principauté, de faux bilans sociaux, pourtant validés par son conseiller fiscal (M. Palermo), ce dernier étant le fils du conseiller économique du Prince. De ce fait, le Procureur Général estimait inopportun d’attacher tant d’importance à cette affaire, " qui ne vaudrait à M. Palermo qu’une peine d’amende et qui ne contribuerait qu’à indisposer inutilement le Prince ". De plus, le Procureur Général déconseillait aux visiteurs allemands d’entrer en contact avec le juge d’instruction (M. Duchaîne), au motif que c’était " un français venu de l’extérieur ".
" En dépit de ce v_u pressant, Mme Ritzert persistait dans son souhait de rencontre le juge d’instruction ; cette entrevue n’eut lieu qu’à la faveur d’un " arrangement " monté par la traductrice qui accompagnait la délégation d’outre-Rhin et qui connaissait personnellement M. Duchaîne. De multiples précautions ont d’ailleurs dû être déployées (passage par des portes de sortie arrières...) pour éviter d’indisposer davantage encore le Parquet général dans cette entreprise ;
" Lors de l’entretien, M. Duchaîne fit état des nombreuses difficultés procédurales rencontrées dans le traitement de cette affaire, qui était devenue entre temps " une affaire politique " pour la Principauté. En particulier, l’annulation d’une partie de la procédure par la Cour d’appel de Monaco l’avait obligé à reprendre " presque à zéro " de nombreuses investigations jugées déterminantes ;
" Ce n’est que fin juin 1998 que les photocopies des pièces judiciaires monégasques sont parvenues au Parquet de Stuttgart. Mais Monaco ayant refusé tant l’envoi postal que le transfert par voie diplomatique, c’est un fonctionnaire de police allemand qui a dû se transporter, à cette fin, en Principauté pour y recevoir livraison des pièces. (...) "
Lettre adressée à la Mission par le magistrat français de liaison en Allemagne le 16 décembre 1999.
La Mission a fait état de ce document, qu’elle a transmis à Monaco, aux magistrats qu’elle a rencontrés.
L’évocation de cette affaire a suscité de la part du Procureur Général M. Daniel Serdet une réaction assez vive, dont voici la teneur.
Réactions des magistrats de Monaco
" M. Arnaud MONTEBOURG, Rapporteur :(...) Notre magistrat de liaison à Berlin (...) a enquêté sur les conditions d’exécution de commissions rogatoires internationales, demandées par le Parquet de Stuttgart.
" Il a directement pris contact avec les autorités judiciaires de Stuttgart pour l’exécution de deux commissions rogatoires, dont une demande d’assistance qui a eu lieu et qui, d’après les Allemands qui sont venus à Monaco, se serait très mal passée.
" M. Philippe NARMINO : Cela ne concerne certainement pas l’affaire que j’ai connue en tant que président du tribunal correctionnel, qui a jugé M. Leiduck pour trafic d’armes et l’a condamné à deux ans d’emprisonnement.
" M. Daniel SERDET : Actuellement, il est vrai que M. Leiduck intéresse également la justice allemande, car il apparaîtrait comme l’un des instruments de l’évasion de capitaux de Mercedes. La presse s’en est emparée. Je ne sais pas si c’est le Parquet de Stuttgart ou un autre qui traite l’affaire. S’agissant des commissions rogatoires sur cette affaire, je n’ai pas souvenir d’incidents particuliers.
" M.Arnaud MONTEBOURG, Rapporteur : Le magistrat de liaison, monsieur le Procureur Général, a mis en cause la courtoisie des autorités monégasques. (...)
" M. Philippe NARMINO : Cette affaire n’est pas encore jugée. Elle le sera, comme beaucoup d’autres l’ont été, par le tribunal. Je ne comprends pas comment on peut affirmer ainsi, à moins de rapporter les propos de M. Duchaîne, que cette affaire est devenue politique. C’est gratuit. Je trouve cela un peu désolant car il est facile de dire que Monaco n’exécute pas... Nombre de sous-entendus sont fatigants pour le Monégasque que je suis.
" M.Arnaud MONTEBOURG, Rapporteur : Transmettez cela aux Allemands. La Mission fait office d’intermédiaire en cette matière.
" M. Philippe NARMINO : Mais vous le reprenez à votre compte...
" M.Arnaud MONTEBOURG, Rapporteur : Non, pas du tout ! Je vous transmets le document en toute sincérité pour que vous puissiez, éventuellement, lever le doute.
" M. Daniel SERDET : C’est un événement que je découvre. Il faut peut-être remettre tout cela dans un certain contexte.
" M. Vincent PEILLON, président : Je comprends votre agacement.
" M. Philippe NARMINO : Le jour où l’on m’amène l’affaire Leiduck, en ma qualité de président du tribunal de Monaco, je la juge. J’ai appris, fin novembre ou début décembre, qu’un pourvoi en cour de cassation ayant été rejeté, cette ordonnance de renvoi était devenue définitive. S’il y a des charges, le tribunal condamnera M. Leiduck...
" M.Arnaud MONTEBOURG, Rapporteur : Le siège n’est pas en cause.
" M. Vincent PEILLON, président : Nous sommes sur le chapitre des commissions rogatoires.
" M. Philippe NARMINO : Le dossier, à l’heure actuelle, est en état d’être jugé. Est-ce le nôtre qui est en question ou celui instruit par les Allemands, qui n’est pas en état ? La commission rogatoire concernait-elle un autre dossier monégasque ?
" M. Arnaud MONTEBOURG, Rapporteur : Ce sont des poursuites qui ont lieu à Stuttgart.
" M. Philippe NARMINO : Comment peut-on faire le lien entre une affaire Leiduck dite politique à Monaco, qui est jugée, avec la non-exécution d’une commission rogatoire en Allemagne ?
" M. Arnaud MONTEBOURG, Rapporteur : Stuttgart se plaint, selon la narration faite par ce magistrat de liaison, des mauvais traitements apportés à l’exécution d’une commission rogatoire internationale à Monaco. Il n’y a pas lieu de s’offusquer. Le siège, d’ailleurs, n’est nullement concerné. C’est le juge d’instruction qui a ou non exécuté et le Parquet général qui s’est mis en travers ou non. Que le Parquet de Stuttgart ait cette perception de la coopération monégasque ne me parait qu’être intéressante pour vous, car cela vous permettra de progresser pour éviter, à l’avenir, des remarques de cette nature. "
Extrait de l’audition de MM. Philippe Narmino, Président du tribunal de première instance, et Daniel Serdet, Procureur Général du tribunal d’instance de Monaco.
Cette dernière affaire n’est qu’une illustration parmi beaucoup d’autres.
En mars 1996 une commission rogatoire en provenance du Parquet de Milan est transmise au doyen des juges d’instruction M. Charles Duchaîne. Elle concerne un magistrat italien auquel il est reproché des actes de corruption. La justice italienne cherche à savoir si M. Attilio Pacifico a engagé des fonds au casino, et s’il en a retiré des gains, elle souhaite connaître le circuit emprunté par ces fonds parvenus au casino. Le juge Charles Duchaîne charge les policiers de l’exécution de cette demande et la retourne au Procureur Général. Un mois plus tard le magistrat instructeur reçoit du Procureur Général cette même commission rogatoire pour exécution sans plus de précision.
Interrogé sur les raisons d’une re-exécution de cette demande de commission rogatoire, le Procureur Général indique que le Directeur des services judiciaires estime que les réponses et les éléments fournis aux juges italiens vont au delà de ce qu’ils ont demandé.
Ainsi le juge d’instruction avait-il précisé que la Société Monégasque d’Avance et de Recouvrement (SMAR), organisme financier de la SBM, avait reçu de la banque Sogenal, située en Suisse à Lugano, deux virements correspondant à des fonds déposés par M. Attilio Pacifico et que ces sommes avaient été accueillies sur les comptes de la SMAR ouverts à la Société Générale de Monte Carlo.
Estimant que l’exécution de la commission rogatoire initialement transmise n’excédait pas la demande des juges italiens, le juge Charles Duchaîne a refusé de reexécuter la commission rogatoire dans un sens qui satisfaisait le Procureur Général et le Directeur des services judiciaires.
" Il convenait de ne pas donner aux italiens la manière dont les fonds étaient parvenus à la Société des Bains de mer "
" M. Charles DUCHAÎNE : Oui. Je pourrais vous citer l’affaire Attilio Pacifico que j’ai d’ailleurs mieux connue, puisque c’est moi qui l’ai traitée.
" M. Arnaud MONTEBOURG : Vous étiez requis par quel Parquet ou quel juge ?
" M. Charles DUCHAÎNE : La commission rogatoire émanait du Parquet de Milan.
" M. Arnaud MONTEBOURG : En quelle année avait-elle été formulée ?
" M. Charles DUCHAÎNE : Elle m’a été transmise le 18 mars 1996. Elle concernait un magistrat italien - je crois qu’il était en fonction à la cour d’appel de Rome - auquel il était reproché sa participation à des actes de corruption, contraires aux devoirs de sa fonction. Ce dossier concernait également le nommé Squilante, avocat.
" La demande adressée par les autorités italiennes avait pour objet de rechercher les sommes qui avaient pu être jouées au casino par ces individus et les gains dont ils avaient pu bénéficier. Les Italiens souhaitaient notamment savoir quel circuit avaient pu emprunter les fonds qui étaient parvenus au casino. J’ai subdélégué aux policiers l’exécution de cette demande qui a été retournée au Procureur Général le 13 mai 1996. Or, le 13 juin 1996, je me suis aperçu que le Procureur Général m’adressait à nouveau cette même commission rogatoire pour exécution. Dans la mesure où le Procureur Général ne m’avait pas prévenu du retour de cette commission rogatoire...
" M. Arnaud MONTEBOURG : ...vers l’Italie ?
" M. Charles DUCHAÎNE : ...vers moi, pour ré-exécution, j’ai compris qu’il essayait de me la faire ré-exécuter.
" M. Arnaud MONTEBOURG : Qu’est-ce qui ne convenait pas dans la première exécution ?
" M. Charles DUCHAÎNE : Le Procureur Général que j’ai interrogé m’a indiqué que j’aurais excédé, au moment de l’exécution, les termes de la demande qui nous était adressée par les Italiens et il m’a d’ailleurs exhibé un courrier du directeur des services judiciaires par lequel son auteur indiquait : " Je constate que les diligences effectuées vont bien au-delà de celles demandées ".
" Le procureur m’a alors demandé si j’acceptais de ré exécuter cette commission rogatoire. Je n’ai pas voulu lui opposer abruptement un refus et je lui ai indiqué que j’allais reprendre le dossier pour apprécier si l’exécution était allée au-delà de la demande qui nous avait été présentée.
" J’ai également adressé un appel téléphonique aux fonctionnaires qui avaient exécuté cette demande qui m’ont alors indiqué qu’ils avaient été eux-mêmes contactés par le Procureur Général qui leur avait annoncé qu’il convenait de ré-exécuter cette Mission, mais en donnant moins d’éléments aux autorités italiennes.
" M. Arnaud MONTEBOURG : Sur quel sujet notamment fallait-il donner moins d’éléments ?
" M. Charles DUCHAÎNE : Pour le Procureur Général, il convenait de ne pas donner aux Italiens un certain nombre d’indications concernant la manière dont les fonds étaient parvenus à la Société des Bains de Mer.
" M. Arnaud MONTEBOURG : Vous souvenez-vous de l’enjeu financier de cette affaire et des montants incriminés les Italiens ?
" M. Charles DUCHAÎNE : Je n’ai aucun souvenir de l’importance des sommes ; je sais qu’il apparaissait dans l’exécution de cette demande que, depuis mai 1995, la SMAR n’avait plus d’agent intermédiaire et qu’il appartenait donc aux clients de payer directement.
" M. Arnaud MONTEBOURG : Pouvez-vous nous expliquer cela ? Ce n’est pas très clair. La société des Bains de Mer a une filiale qui s’appelle la SMAR. En quoi était-elle utilisée ? La société des Bains de Mer gère le casino ?
" M. Charles DUCHAÎNE : La société des Bains de Mer gère le casino et la SMAR est l’organisme financier de la SBM.
" M. Arnaud MONTEBOURG : Le casino est utilisé pour blanchir l’argent de la corruption italienne ?
" M. Charles DUCHAÎNE : Le procès-verbal révélait que Pacifico n’avait pas rentré des valises contenant de l’argent en Principauté, mais qu’il s’était rendu en Suisse à Lugano où il avait déposé des fonds à la banque Sogenal, laquelle avait ensuite effectué 2 virements sur les comptes de la SMAR à la Société Générale de Monte Carlo. (...)
" M. Arnaud MONTEBOURG : Vous n’avez donc pas refait la commission rogatoire et les Italiens ont obtenu les informations qu’ils voulaient ?
" M. Charles DUCHAÎNE : J’ai répondu au Procureur Général par soit transmis du 29 août 1996, que je pensais avoir fait exécuter complètement et convenablement cette mission et qu’après nouvel examen des pièces d’exécution, je n’arrivais pas à percevoir les raisons pour lesquelles il m’était demandé d’y procéder à nouveau. Je ne sais pas quel sort a été réservé à cette commission rogatoire internationale. Il est possible qu’elle ait été refaite par d’autre (...). "
Extrait de l’audition par le Rapporteur, de M. Charles Duchaîne, ancien doyen des juges d’instruction à Monaco.
Face à l’insuccès de ces pressions répétées sur les juges, le gouvernement monégasque a décidé d’instaurer par la loi ce que le Parquet général n’avait pu obtenir par la force.
C’est ainsi que la loi du 13 janvier 1998 portant modification des dispositions relatives à l’instruction (loi n°1 200) consacré juridiquement le contrôle politique du Parquet sur l’exécution des commissions rogatoires internationales.
Cette législation s’inscrit à contre courant d’un mouvement législatif général observé dans l’ensemble des pays européens, consistant à supprimer les obstacles dans l’action investigatrice des juges ou des policiers à la demande d’un Etat étranger.
Le nouvel article 203 du code de procédure pénale monégasque précise lorsqu’il s’agit d’une demande que le juge d’instruction de Monaco adresse aux Etats étrangers, que les commissions rogatoires internationales sont transmises à l’Etat requis par l’intermédiaire du Parquet général.
Inversement, l’article 204 du code de procédure pénale monégasque prévoit désormais que les demandes d’entraide formulées par les Etats étrangers sont exécutées par le juge d’instruction " sur les réquisitions du Ministère public ".
Loi n° 1200 du 13 janvier 1998 portant modification des dispositions relatives à l’instruction
" Art.21.
" Les articles 203 et 204 du Code de procédure pénale sont modifiés ainsi qu’il suit :
" Article 203. - Lorsqu’il est nécessaire de faire procéder à des actes d’information dans un Etat étranger, le juge d’instruction ou la juridiction saisie adresse à cet effet, par l’intermédiaire du Parquet général, une commission rogatoire à l’autorité étrangère compétente.
" Article 204. - Réciproquement, la juridiction compétente ou le juge d’instruction de la Principauté exécute sur les réquisitions du ministère public les commissions rogatoires qui leur sont régulièrement adressées, relativement aux informations ouvertes dans un Etat étranger ".
Cette évolution législative qui vient en point d’orgue pour régulariser a posteriori les interventions du Procureur Général dans les affaires précitées, constitue une grave régression par rapport au principe de transmission directe de juge à juge défendue par les pays de l’Union européenne. De surcroit ce texte ne respecte nullement l’esprit et la lettre des stipulations de l’article 12 de la Convention franco-monégasque du 21 septembre 1949 entrée en vigueur le 22 décembre 1952.
Convention du 21 septembre 1949 sur l’aide judiciaire entre la France et Monaco (extrait)
Titre IV Transmission et exécution des commissions rogatoires
Article 11.
" Les commissions rogatoires en matière civile et commerciale à exécuter sur le territoire de l’une des deux Hautes Parties Contractantes seront exécutées par les autorités judiciaires.
" Elles seront adressées directement de Parquet à Parquet.
" Les dispositions du présent article n’excluent pas la faculté, pour les Hautes Parties Contractantes, de faire exécuter directement les commissions rogatoires par leurs agents diplomatiques ou consulaires.
Article 12.
" Les commissions rogatoires en matière pénale à exécuter sur le territoire de l’une des deux Hautes Parties Contractantes seront exécutées par les autorités judiciaires.
" Elles pourront être adressées directement par l’autorité requérante à l’autorité requise, à charge par l’autorité requérante d’en adresser un double, pour information, au département de la justice dont elle relève.
" Le renvoi de ces commissions rogatoires s’effectuera par la voie diplomatique.
Article 13.
" Si l’autorité requise est incompétente, elle transmettra d’office la commission rogatoire à l’autorité compétente et en informera immédiatement l’autorité requérante.
Article 14.
" L’autorité requise pourra refuser d’exécuter une commission rogatoire si l’exécution de la mesure demandée ne rentre pas, d’après la loi de son pays, dans ses attributions ou est de nature à porter atteinte à la souveraineté ou à la sécurité du pays où elle doit avoir lieu. "
La Convention de 1949 distingue nettement les commissions rogatoires en matière civile et commerciale, " adressées directement de Parquet à Parquet ", des commissions rogatoires en matière pénale qui " pourront être adressées directement par l’autorité requérante à l’autorité requise ".
En pratique et compte tenu des évolutions intervenues en matière de coopération pénale internationale, notamment avec l’adoption de la Convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale de 1959, la transmission directe de juge à juge prévue par la convention franco-monégasque aurait dû avec le temps devenir systématique et ne souffrir plus aucune exception.
L’adoption de la loi n° 1200 n’a pas seulement pour effet d’aller à l’encontre d’une politique européenne visant à faciliter l’exécution des commissions rogatoires internationales, elle exclut désormais toute possibilité de transmission directe, prévue par la Convention franco-monégasque de 1949 dans son article 12.
Sur ce point il n’est pas interdit de considérer que la législation monégasque ne respecte plus la Convention franco-monégasque, même si comme l’a indiqué à la Mission le Directeur des services judiciaires M. Patrice Davost " dans les relations France-Monaco, il y a une transmission directe de Parquet à Parquet ", lequel dispose aujourd’hui plus qu’avant l’intervention de la loi 1200 , de facultés de contrôle politique sur les commissions rogatoires internationales.
A l’heure actuelle la loi n° 1200 bloque l’exécution de certaines commissions rogatoires internationales comme en témoignent les difficultés rencontrées par les magistrats espagnols.
Tout récemment, ceux-ci ont été contraints de renouveler leur demande à propos d’une commission rogatoire que la Principauté s’était refusée à exécuter en totalité notamment en ne fournissant aucune information sur les comptes bancaires et les opérations bancaires qu’avaient pu mener deux sociétés intéressant la justice espagnole à Monaco. La Principauté a opposé un raisonnement, similaire à celui que les autorités du Liechtenstein utilisent pour refuser d’exécuter les commissions rogatoires internationales qui leur sont envoyées. Le Procureur Général monégasque M. Daniel Serdet a ainsi estimé qu’il appartenait au magistrat demandeur d’apporter la preuve que les comptes bancaires recherchés se trouvaient bien à Monaco, ce qui démontre avec vigueur l’ampleur de la régression judiciaire dans les exigences de coopération internationale.
Lettre du Parquet anticorruption de madrid a la mission parlementaire
" Suite à la réunion qui s’est tenue le 10 mai dernier à Madrid, avec M. le Député Arnaud Montebourg, je vous transmets les informations complémentaires relatives aux commissions rogatoires adressées à Monaco et au Luxembourg dans le cadre des procédures dans lesquelles intervient ce Parquet chargé des affaires de corruption.
" Mesures d’enquête 181/96 du tribunal central d’instruction n° 5, affaire EXPO-92 :
" - Commission rogatoire adressée à Monaco, le 16/04/98.
" Elle avait pour objet :
" 1) de citer Wolfgang Stein à comparaître le 28/05/98, en qualité de mis en examen, devant le tribunal central d’instruction n° 5 de juridiction nationale ;
" 2) de se faire délivrer une attestation légale de l’acte de constitution et de désignation du conseil d’administration de Telemundi S.A.M. ;
" 3) d’obtenir des informations sur les comptes bancaires de ladite société et sur les opérations bancaires qu’elle aurait pu effectuer avec la société d’Etat Expo 92, S.A. ou avec toute autre société espagnole ou de toute autre nationalité, depuis le 27/07/1987 jusqu’à maintenant, dans le cadre des activités liées à l’Exposition universelle de Séville (Espagne) 1992, et en particulier sur :
" a) tout compte que cette société aurait pu avoir ou qu’elle aurait pu ouvrir directement ou indirectement, par personnes interposées, fondés de pouvoir, fiduciaires ou ayants cause, même si ces comptes sont actuellement fermés,
" b) la liste des personnes physiques ou morales de nationalité espagnole, qui auraient été bénéficiaires d’un quelconque versement réalisé par les titulaires de ces comptes,
" c) les sociétés ou les comptes auxquels ces fonds auraient été transférés.
" Cette commission rogatoire a été exécutée en date du 28/08/98 par l’Ambassade de Monaco en Espagne, mais pas en totalité.
" - Commission rogatoire adressée à Monaco, le 12/04/99.
" Elle avait pour objet de faire exécuter la totalité de la précédente commission rogatoire émise le 16/04/98, puisque celle-ci avait été exécutée sans apporter d’information sur les comptes bancaires de la société Telemundi S.A.M. ni sur les opérations bancaires qu’elle aurait pu effectuer avec la société d’Etat Expo 92, S.A. ou avec toute autre société espagnole ou de toute autre nationalité, depuis le 27/07/87 jusqu’à maintenant, dans le cadre des activités liées à l’Exposition universelle de Séville (Espagne) en 1992.
" En date du 01/06/99, le tribunal a reçu par l’intermédiaire du service d’Interpol, une télécopie provenant d’Interpol Monaco par laquelle les autorités judiciaires de ladite Principauté expliquaient pourquoi il n’était pas possible d’exécuter la commission rogatoire et informaient des conditions nécessaires à son exécution.
" À l’occasion de cette commission rogatoire, le Procureur Général de la juridiction de la Principauté de Monaco exposait comme suit :
" " la Mission confiée est trop générale et il incombe au magistrat mandant d’apporter des éléments permettant de supposer que les comptes bancaires en question existent bien à Monaco et d’en préciser les références et les intitulés, ainsi que les établissements financiers dépositaires, afin de délimiter le champ des investigations demandées ".
" Ces conditions faisaient clairement obstacle à l’exécution de la commission rogatoire, puisqu’il paraît évident qu’il était impossible depuis l’Espagne de connaître les comptes bancaires que la société Telemundi aurait pu avoir à Monaco. "
Lettre adressée à la Mission le 12 mai 2000.
Il existe donc bien une première étape préalable d’appréciation de la recevabilité de la commission rogatoire qui permet au Procureur Général de prononcer un refus d’exécution fondé sur des motifs autres que ceux généralement admis d’atteinte à la sécurité ou à la souveraineté du pays requis.
Cette procédure contestable a néanmoins été confirmée et soutenue par le Procureur Général M. Daniel Serdet devant la Mission au cours de son voyage à Monaco.
" Nous n’admettons pas les transmissions des commissions rogatoires de cabinet d’instruction à cabinet d’instruction "
" M. Daniel SERDET : Je peux vous énoncer les principes selon lesquels une commission rogatoire n’est pas toujours exécutée, dès sa réception : soit l’organe d’où elle émane n’est pas un organe judiciaire, soit il manque des précisions de la législation du pays étranger nous permettant de comprendre la situation. Par ailleurs, dans le cadre de nos conventions bilatérales avec certains pays, nous réclamons un acheminement exclusivement par la voie diplomatique.
" Nous n’admettons pas les transmissions de fax à fax, de cabinet d’instruction à cabinet d’instruction, faisant fi des frontières nationales. Les commissions rogatoires doivent être acheminées par un circuit, notamment la voie diplomatique dans la plupart des cas. Telle que la loi monégasque l’impose, il y a obligatoirement ouverture par le Parquet. L’esprit était déjà le même avant, mais il a fallu le préciser. "
Extrait de l’audition de M. Daniel Serdet, Procureur Général au Tribunal d’instance de Monaco
Par ailleurs le Procureur Général M. Daniel Serdet considère que toute demande de commission rogatoire qui porterait atteinte à la souveraineté de la Principauté doit être rejetée, réservant au Parquet le droit d’interpréter cette exception.
" L’atteinte à l’ordre public justifie l’inexécution des commissions rogatoires "
" M. Daniel SERDET : Sur les commissions rogatoires, je souhaite répéter, avec beaucoup de conviction, qu’il est hors de question de ne pas exécuter des commissions rogatoires venant de l’extérieur, à moins qu’elles ne portent atteinte à la souveraineté de la Principauté. Dans ce cas, il est évident qu’elles seraient bloquées, non exécutées et renvoyées.
" M. Arnaud MONTEBOURG, Rapporteur : Vous comprenez, monsieur le Procureur Général, que la dérogation que vous faites à ce principe de portée générale, est problématique.
" M. Daniel SERDET : Oui, mais le juge d’instruction qui lance la commission rogatoire n’est peut-être pas plus qualifié qu’un autre magistrat, même du Parquet, pour apprécier l’atteinte à l’ordre public d’un pays étranger.
" M. Arnaud MONTEBOURG, Rapporteur : Vous comprenez que cette exception puisse nuire au développement, en matière de délinquance économique et financière, avec les pays qui sollicitent votre coopération.
" M. Daniel SERDET : Le Parquet est très ouvert et ne fait aucune obstruction systématique.
Extrait de l’audition M. Daniel Serdet, Procureur Général au Tribunal d’instance de Monaco.
Au début de l’année 2000, les statistiques de traitement des commissions rogatoires internationales présentées par la Principauté, montraient que pour l’année 1998 sur 80 commissions rogatoires internationales adressées à Monaco, 75 d’entre elles avaient été exécutées, 2 étaient en cours d’exécution et 3 n’avaient pas été exécutées.
En 1999, le nombre de commissions rogatoires internationales était en légère augmentation et sur les 89 commissions rogatoires internationales reçues par la Principauté 64 étaient exécutées, 22 d’entre elles pour la plupart arrivées en fin d’année étaient en cours d’exécution et 3 restaient non exécutées.
Sur l’ensemble de ces commissions rogatoires internationales, 10 d’entre elles concernaient en 1998 le blanchiment d’argent contre 13 en 1999.
A l’exception d’un cas ne donnant aucune précision sur l’existence de comptes bancaires éventuels, les commissions rogatoires ont été exécutées.
Ces résultats semblent témoigner d’un changement de politique que l’actuel directeur des services judiciaires M. Patrice Davost, souhaitant rompre avec les pratiques interventionnistes de ces dernières années, a désiré mettre en _uvre.
" Les commissions rogatoires internationales sont éxécutées dans un délai de trois à quatre mois "
" M.Arnaud MONTEBOURG, Rapporteur : La conception sélective que la direction des services judiciaires de l’époque avait du traitement des commissions rogatoires internationales a-t-elle changé depuis le départ l’ancien Procureur Général ?
" M. Dominique AUTER : Il me semble que oui. Aujourd’hui, M. Patrice Davost les transmet à l’autorité diplomatique dès leur exécution. Cela se fait dans des délais tout à fait corrects. On les exécute entre trois et quatre mois. Ce sont deux époques totalement différentes.
" Depuis l’arrivée de M. Davost, on fonctionne dans un climat plus transparent et de confiance. Je ne dis pas que tout est parfait car tous ces anciens problèmes remontent de temps à autre. Il y a une nette crispation avec un sentiment nationaliste exacerbé.
Extrait de l’audition de M. Dominique Auter, Substitut du Procureur Général Tribunal d’instance de Monaco
L’ensemble de ces difficultés placent toutefois les magistrats français dans une situation délicate.
Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr
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