La Banque mondiale est sous le feu des critiques. Pour les ONG rencontrées par la mission en France, aux Etats-Unis, au Tchad et au Cameroun, elle reste une structure contrôlée par les pays riches. Les projets sont approuvés par le Conseil d’administration de la Banque au sein duquel les principales puissances sont représentées par un administrateur qui reçoit ses instructions du ministère des Finances de son pays. Les droits de vote sont distribués en fonction de la contribution financière du pays. La France dispose de 5 %, les Etats-Unis de 15 %. L’Union européenne n’est pas représentée en tant que telle. Alors que les pays les plus riches détiennent 47 % de droits de vote, l’ensemble des Etats africains dispose de moins de 7 %.
Selon les ONG, la Banque mondiale finance de nombreux projets qui répondent moins aux besoins des populations locales qu’ils ne profitent aux entreprises des pays industrialisés. M. Bruno Rebelle, directeur de Greenpeace France, a d’ailleurs observé que "les principes d’action de la Banque mondiale sont intéressants, mais sont-ils appliqués concrètement sur le terrain, quand elle signe des accords avec des gouvernements eux-mêmes tenus par des intérêts industriels ? Le représentant de la Banque mondiale dans certains Etats tient dans la plupart des cas les cordons de la bourse ; il jouit donc d’une grande importance, notamment dans les pays d’Afrique sub-saharienne. A l’échelon local, la Banque mondiale apparaît moins neutre dès lors que ses représentants ont noué des liens politico-amicaux avec les industriels et les autorités locales. En outre, la Banque mondiale a intérêt à être remboursée de ses prêts. Entre des critères qui amoindrissent les possibilités de remboursement et d’autres qui le sécurisent, elle choisira l’option la plus sûre sur les investissements faits. Elle a parfois intérêt à faire alliance avec l’industriel qui lui garantira ce retour."
Certaines de ces critiques commencent semble-t-il à être prises en compte. Des divergences d’appréciations entre les membres du Conseil d’administration de la Banque mondiale ont été suffisantes pour induire le blocage du projet hydraulique chinois aux confins du Tibet, dont l’impact sur les droits de l’Homme était inquiétant. Un programme de réduction de la dette des pays les plus pauvres a été décidé à Cologne au sommet des chefs d’Etat du G8 en juin dernier. Les institutions de Bretton Woods le financent en partie. Le 26 septembre dernier, lors de l’Assemblée annuelle du FMI et de la Banque mondiale, il a été décidé pour la première fois de coopérer sur le terrain en concevant ensemble des programmes macro-économiques structurels et sociaux, et de lutte contre la corruption. Ces attitudes ouvrent de nouvelles perspectives quant au contrôle de la rente pétrolière dans le pays où intervient la Banque mondiale.
A) LE CONTROLE DE L’UTILISATION DE LA RENTE PETROLIERE
Quand la Banque mondiale finance un projet quel qu’en soit le secteur, elle peut certes poser des conditions, mais aussi exercer un contrôle de l’utilisation de fonds pour optimiser l’aide apportée.
Un rapport de la Banque mondiale paru en novembre 1998, intitulé "Evaluer l’aide" le démontre : "Les efforts pour "acheter" l’amélioration de la politique économique dans les pays qui ne sont pas engagés dans des réformes ont toujours échoué. La seule conditionnalité des aides ne suffit pas. Aucun prêteur n’ose reprendre l’argent promis." Ce rapport propose donc de renverser la logique en ne débloquant aucun fonds tant que le pays n’aura pas mis en place des réformes de base. Ce rapport implique donc la mise en œuvre de réformes dans les Etats qui reçoivent de l’aide et un suivi des projets.
Une évolution dans la pratique de la Banque mondiale semble se dessiner. Les positions prises par M. Joseph Stiglitz, vice-président de la Banque mondiale, en témoignent. Selon lui, "les économistes accordent aujourd’hui beaucoup plus d’importance aux institutions. La crise, en Asie mais surtout en Russie, a mis en lumière l’impact, sur le développement, de questions comme les institutions financières, la corruption, le droit des faillites."
Comme M. Joseph Stiglitz, chacun s’accorde pour estimer qu’une bonne politique économique ne suffit pas au développement d’un pays. Pour réduire la pauvreté, il faut parallèlement instaurer un cadre institutionnel stable, mettre en place un système judiciaire, lutter contre la corruption, promouvoir l’éducation. C’est pourquoi M. James Wolfensohn, président de la Banque mondiale, souhaite associer les ONG et les entreprises privées à la lutte contre le sous-développement.
La mission a entendu M. Jean-Claude Milleron, administrateur français à la Banque mondiale et au Fonds monétaire international, qui lui a donné les indications suivantes sur l’évolution des institutions financières internationales en matière de régulation de la rente pétrolière : "Les marchés ont des défaillances qui conduisent à des décisions peu acceptables au plan social et environnemental. Les politiques de développement doivent les pallier, ce qui a des effets sur le secteur énergétique. Le Président de la Banque mondiale, M. James Wolfensohn, a proposé un cadre de référence général visant d’une part à conférer plus de pouvoir à ceux qui travaillent sur le terrain et, d’autre part, à promouvoir l’idée que la croissance du produit intérieur brut n’est pas la seule composante du développement ; les aspects sociaux, éducatifs, la qualité de la vie, doivent aussi être pris en compte."
Il a d’ailleurs précisé que pour la Banque mondiale "L’environnement est devenu un aspect essentiel de la réflexion en matière énergétique. La plupart des projets de ce secteur ont des effets sur l’environnement. Les groupes pétroliers ne respectent pas toujours les normes en vigueur dans leur Etat d’origine quand ils opèrent ailleurs. Actuellement, dans les pays où elle intervient, la Banque mondiale juge insuffisante l’application de ces normes par les compagnies pétrolières."
"La Banque mondiale doit prêter assistance aux gouvernements pour qu’ils prennent en compte l’intérêt public en assurant la libre concurrence entre modes d’apport de l’énergie, une plus grande transparence et en luttant contre la corruption."
Selon lui, "De nouveaux instruments ont été développés. La Banque effectue des prêts pour l’apprentissage, l’éducation et l’innovation qui sont destinés à favoriser une capacité autonome institutionnelle d’innovation et de développement. Ils ont un rôle de catalyseur. Elle effectue des financements d’ajustement dans le temps pour encourager des concours financiers durables, ce qui est important dans le secteur de l’énergie. Les garanties du groupe de la Banque mondiale : Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD), Agence internationale pour le développement (AID) ou Agence multilatérale de garantie des investissements (AMGI) ont pour objet d’encourager l’investissement privé en garantissant des risques y compris "géopolitiques" à long terme (engagements contractuels de gouvernements envers les promoteurs privés, expropriations, risques de transferts...)."
Par ailleurs il a expliqué que "soucieuse de lutter contre la pauvreté, la Banque mondiale collaborait avec le PNUD sur le programme ESMAP (Energy Sector Management Assistant Program) pour obtenir des dons pour résoudre les problèmes énergétiques des pays les plus pauvres. Les coûts ont évolué favorablement."
La mission regrette toutefois que la question du respect des droits de l’Homme, en tant que facteur de bonne gouvernance, ne soit pas davantage prise en compte par la Banque mondiale. Ainsi M. François David, président directeur général de la Coface, a expliqué que "pour ce qui est de la conditionnalité de l’assurance-crédit, l’action de la Banque mondiale est positive, en particulier en matière d’environnement. La Banque mondiale est un bailleur de fonds très important pour la réalisation des grands contrats à l’étranger. Sa participation financière, même partielle dans un projet, est particulièrement appréciée par les autres bailleurs de fonds privés. Elle a donc un rôle important à jouer en sélectionnant les projets, en fonction, entre autres, des aspects environnementaux. En matière de respect des droits de l’Homme, son action demeure limitée."
La mission a pu mesurer en s’entretenant avec des représentants de la Banque mondiale, aux Etats-Unis, avec M. Serge Michailof, directeur du département Afrique, au Tchad avec Mme Mary Barton-Dock, représentante résidente, et M. Philippe Benoît, expert en développement du secteur privé, combien la pression des ONG préoccupe la Banque mondiale. Les critiques émises ont fait mouche.
Chacun s’accorde à reconnaître que les mécanismes d’intervention mis en place par la Banque mondiale dans le projet Tchad-Cameroun sont novateurs, même si le pays n’offre pas les garanties de stabilité et de bonne gouvernance nécessaires. En effet, la Banque est intervenue pour s’assurer de la budgétisation des ressources pétrolières, élaborer une loi pétrolière mettant en place un accord d’affectation de la rente par secteur et pour les générations futures (voir supra).
Si la situation au Tchad permettait véritablement un contrôle efficace de l’application de ces règles, on pourrait considérer que le mécanisme de contrôle de l’utilisation de la rente constitue un progrès. Il évite les détournements de la rente au profit personnel des dirigeants en place et interdit les préfinancements douteux gagés sur les futurs revenus pétroliers. La mission juge très intéressant ce mécanisme de contrôle, qui devrait prévenir tout gaspillage ; sa seule inquiétude est liée à la situation extrêmement instable du pays où pour la première fois il serait mis en œuvre.
On peut d’ailleurs se demander si un tel système ne serait pas transposable à d’autres Etats producteurs de pétrole dont le niveau d’endettement est tel qu’ils sont tenus d’avoir recours aux institutions de Bretton Woods.
Toutefois, la mission reconnaît que cette démarche soulève des difficultés car elle met en cause la souveraineté des Etats. Les institutions financières n’ont pas vocation à se substituer aux Etats et à gérer leur budget à leur place. Mais la lutte contre la grande pauvreté et le risque de détournements de la rente pétrolière à des fins militaires mérite que l’on aille au-delà des principes traditionnels.
B) LA SOUVERAINETE DES ETATS ET LES COMPAGNIES PETROLIERES : UNE LIMITE A LA PRESSION DES INSTITUTIONS FINANCIERES INTERNATIONALES
Le mécanisme de contrôle de l’utilisation de la rente pétrolière que se propose de mettre en place la Banque mondiale au Tchad est contraignant pour l’Etat qui en bénéficie et les compagnies qui opèrent. Même si celles-ci obtiennent des garanties financières non négligeables et des facilités de crédits plus intéressantes grâce à la présence de la Banque mondiale, les multinationales pétrolières ne cachent pas que la longueur des procédures et les contraintes environnementales très strictes qu’impose la Banque mondiale sont très lourdes et coûteuses.
Au Tchad, l’intervention de la Banque mondiale a été imposée par le consortium pétrolier qui a clairement fait savoir que la réalisation du projet dépendait de l’intervention de la Banque mondiale. Plusieurs raisons ont été évoquées : l’extrême pauvreté du Tchad déjà endetté, le coût de l’oléoduc mais également le risque politique et la crainte que les problèmes que connaît l’exploitation du pétrole dans le Delta du Niger ne se reproduisent au Sud du Tchad. En effet, les compagnies pétrolières opérant au Tchad, Exxon, Shell, Elf sont des groupes qui par leur visibilité et leurs déboires passés et présents n’ont plus droit à l’erreur en Afrique. Le souci d’image est important à leurs yeux et à ceux de leurs actionnaires ...
Le gouvernement tchadien a dû en quelque sorte se plier à cette conjoncture, mais d’autres pays producteurs de pétrole, endettés et sous-développés peuvent refuser la mise sous tutelle de leur rente pétrolière.
Rien n’empêche un Etat peu scrupuleux de traiter avec des compagnies pétrolières prêtes à faire du "dumping" social et écologique sans recourir à l’aide des institutions financières internationales.
La mission a ainsi appris, pendant sa visite au Tchad et au Cameroun, en février dernier, que les conditions dans lesquelles avait été construit au Soudan l’oléoduc reliant Heiglig à Port-Soudan étaient déplorables. Cet oléoduc a été inauguré en juin dernier ; l’opérateur principal "Greater Nile Petroleum operating company" est en grande partie géré par la Chine. Le site d’Heiglig est situé dans une zone de confrontations militaires entre l’armée soudanaise et les mouvements rebelles.
La mission estime toutefois que les institutions internationales qui ont su mettre en place des politiques d’ajustement structurel parfois excessivement volontaristes, peuvent aussi faire preuve de zèle dans la mise en place des mécanismes novateurs de lutte contre la pauvreté en imposant un certain nombre de règles. Mais elles doivent faire preuve de fermeté quant au respect des droits de l’Homme, lutte contre la corruption, budgétisation de la rente pétrolière.
Au niveau bilatéral également, l’application de certaines règles pourrait permettre de contrôler les flux financiers issus du pétrole.
Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr
Restez en contact
Suivez-nous sur les réseaux sociaux
Subscribe to weekly newsletter