Chef de bataillon du cadre de réserve PATRY du Centre de recherche et de documentation du CDES : Une question plus spécialement destinée au colonel Potts. Pouvez-vous, mon Colonel, s’il vous plaît, développer un peu plus ce que vous entendez par leadership dans l’exercice des Peace support operations d’une manière un peu plus concrète, s’il vous plaît ? Merci.

Colonel POTTS : Je ne sais pas ce que vous voulez dire exactement par "expliquer plus clairement". Est-ce que vous voulez un exemple de leadership en opération de soutien de la paix ? Est-ce que vous voulez que je vous parle des principes qui sous-tendent les opérations de soutien de la paix ? Je ne sais pas.

Je pense que ce que vous voulez est un exemple personnel, une indication qui donne une idée de l’importance de la personnalité du chef et l’impact qu’il a sur la situation. Ce pourrait être le leadership du général Jackson lors de la campagne du Kosovo, au cours de laquelle les relations personnelles qu’il avait établies grâce à son leadership ont eu un impact sur l’attitude des forces russes à l’aéroport de Pristina. Cela est dû à ses capacités personnelles de leadership, à sa capacité à créer des relations personnelles. C’est totalement en dehors de la dimension du combat, où on parle simplement de l’action centralisée sur le commandement de ses propres forces, et où il s’agit de donner des instructions à ses subordonnés qui, à leur tour, vont donner des directives à leurs propres subordonnés pour mener les actions à bien. Le leadership en termes d’opérations de soutien de la paix prend un aspect totalement différent. Il y a la nécessité de faire passer ce leadership à des organisations qui n’ont pas l’habitude de ce commandement militaire. Il ne faut donc pas un système trop simple qui suffit aux soldats dans un environnement militaire. Je pense qu’il est également nécessaire de reconnaître la nature du leadership, il faut voir qu’elle change avec la nature des opérations.

Elle change aussi en fonction du niveau de commandement. Un type de commandement qui est adapté à des bas niveaux est très différent des qualités requises aux niveaux les plus élevés. Il y a des différences dans les pratiques. On voit çà dans toutes les guerres :

Eisenhower avait un talent correspondant à son niveau. Il avait le talent diplomatique de réunir ensemble des chefs politiques un peu têtus, et il a réussi à créer une culture et un contexte politico-militaires qui ont permis à ses forces d’être efficaces. De manière similaire, Montgomery y est parvenu, à son niveau. Lord Mountbatten est parvenu, grâce à son intelligence politique, à réunir des subordonnés et des chefs militaires pour coopérer ensemble.

Je pense donc qu’il y a différentes compétences nécessaires pour être efficace dans une opération de soutien de la paix, mais le plus important, c’est la capacité à exercer un leadership. Cela peut s’appliquer en fait à tous les types d’opération et ces qualités sont trans-nationales.

Général LEBOURG : Autre question ?

Général de DINECHIN : Je voudrais demander au général Jung, s’il y a un apparentement entre les actions civilo-militaires et le néo-colonialisme.

Général JUNG : Je pense que c’est une question extrêmement dangereuse ! Cela dépend de ce que vous en faites, en fait. Il y a une chose tout à fait certaine : les gens qui sont dans les Balkans, en première ligne, ont besoin d’aide. Je pense que c’est très clairement la vérité et nous n’avons pas envie de les dominer. Nous ne faisons pas le travail nous-mêmes, nous voulons les aider en leur apportant notre aide pour qu’ils puissent s’aider eux-mêmes. Donc je ne pense pas que nous allons dans le sens que vous indiquez. Mais vous m’indiquez avec votre question qu’il y a un autre fait important à prendre en compte, mentionné à plusieurs reprises par le docteur Reinhardt * lorsqu’il est revenu. Nous, les soldats, nous avons fait notre devoir : nous maintenons la paix, nous apportons la paix, nous gardons la paix. Mais où sont les civils qui représentent le politique ? Ils doivent être là ! L’ensemble des adminis-trateurs financiers, les gens de l’administration, la police, les douaniers doivent être là pour assurer une vie normale. De mon de point de vue, je crois que c’est l’un des problèmes les plus fondamentaux, c’est que nos soldats font énormément de choses qu’en fait ils n’auraient pas l’autorisation de faire dans leur propre pays. Ce que vous avez fait ici, de la même façon, les Américains ne permettraient pas aux forces américaines de le faire chez eux. Nous gérons des prisons à Pristina ! Ce serait incroyable de faire cela en Allemagne, évidemment. C’est une difficulté que les soldats fassent des choses qu’ils n’auraient jamais l’autorisation de faire chez eux. Maintenant, c’est une deuxième étape pour que l’étape civile puisse se mettre en place et consolider la paix. J’espère que j’ai pu répondre à votre question.

Général LEBOURG : Le général Jung a évoqué "l’absence" des civils, des policiers, etc.. Ces deux sujets seront traités tout à l’heure par monsieur Chevallier et par le colonel Dolo ! Mais c’est la perception du général Jung. Autre question ?

Lieutenant-Colonel CHAUVANCY Etat-major des armées, Centre opérationnel interarmées, chef de la cellule action civile et militaire : Ma question s’adresse au général Jung, en fait, il y en a deux : Quelle est la source du financement des opérations ACM ou CIMIC des Allemands dans la SFOR, dans la KFOR, comment l’obtenez-vous ? Autre question : comment travaillez-vous avec les ONG et autres acteurs privés pouvant servir les intérêts nationaux sur les théâtres d’opérations extérieures ?

Général JUNG : C’est très simple de répondre à la première question. Il y a très peu d’aide du gouvernement mais il y a beaucoup de donations d’ordre privé provenant d’organisations non gouvernementales. Elles rassemblent de l’argent et le transmettent aux personnes. C’est une partie de l’argent que nous pouvons utiliser dans ces opérations de type ACM. La plupart de cet argent ne vient pas du gouvernement mais résulte en fait de dons privés. C’est très important à savoir. Quant à votre deuxième question, nous travaillons ensemble avec les organisations gouvernementales et aussi non gouvernementales, et cela dépend essentiellement du choix entre les deux sur le leadership. Il y a des phases où il n’est simplement pas efficace de travailler ensemble, mais il y a d’autres domaines où existe une coopération absolument excellente avec ces organisations et avec les militaires. Mais cela peut être un problème typiquement allemand. Certaines organisations collectent de l’argent, mais n’investissent pas tout cet argent en tant que dons aux personnes concernées. Ils paient en fait leur propre structure avec cet argent et lorsque les militaires arrivent, ils font tout cela moins cher et de meilleure qualité. Nous avons en fait aussi la capacité de donner trois repas par jour à nos réfugiés ! Donc vous voyez la situation est parfois assez tendue et le résultat est peut-être dépendant du leadership dans les deux cas.

Général LEBOURG : Merci mon Général. Le phénomène que vous évoquez dans la dernière partie de votre intervention peut se retrouver dans d’autres régions du monde, et chacun d’entre nous le sait bien. Je pense qu’on va arrêter, pour respecter l’horaire, les questions sur ces deux premiers sujets et passer au thème suivant. Le thème suivant, ce sont les problèmes juridiques et le maintien de la paix publique. Les expériences récentes au Kosovo et en Bosnie nous ont appris l’importance des problèmes juridiques sur le théâtre d’opérations extérieures, en l’absence d’un corpus juridique commun, adapté à ces situations délicates et spécifiques. En effet, se juxtaposent :
 Les droits nationaux des Etats intervenants.
 Le droit humanitaire international.
 Le droit du pays où stationnent les forces.
 Et puis bien sûr les règles d’engagement qui ont été évoquées ce matin par différents orateurs.
Tout cela risque de générer et génère en fait bien souvent des conflits de compétences et des divergences d’interprétation qui peuvent être paralysantes. Par exemple, les concepts de légitime défense, de responsabilité pénale, de réglementation d’usage de la force ne s’appliquent pas - et on l’a très bien vu ce matin avec la remarque du général Barry pour la protection des biens - ne s’appliquent pas de la même manière suivant les contingents, alors même que les missions sont souvent communes.


Source : Forum de doctrine militaire 2001 : Vers une vision européenne d’emploi des forces terrestres, CDES, Ministère de la Défense http://www.cdes.terre.defense.gouv.fr