Général CRENE : Mesdames et messieurs, bonjour.
Je suis très heureux de dire quelques mots pour la clôture de ce forum de doctrine et j’ai plaisir à constater, ne serait-ce que par la vue de cette salle, que l’auditoire est largement diversifié, avec des uniformes français, des uniformes étrangers et des personnes sans uniforme, ce qui prouve qu’elles n’appartiennent pas d’évidence à l’armée de terre d’active. Je me félicite également de la présence d’officiers français des autres armées, qu’ils soient encore dans la salle ou déjà partis. C’était l’un des buts de ce forum que de s’ouvrir à un certain nombre de contributions extérieures. Donc merci pour votre présence, merci pour la richesse des témoignages qui ont dû être donnés et la qualité, je n’en doute pas, des réflexions, même si je n’ai pas pu y participer, parce que vous savez que dans la vie d’un ministère, il y a parfois des semaines et des journées un petit peu chargées. Votre participation à ce forum montre bien notre volonté commune d’inscrire ces travaux de réflexion dans une dimension interarmées et internationale, et ces deux aspects me semblent dorénavant totalement incontournables comme on dit. Je dirai aussi, en tout cas je l’espère et je n’en doute pas, qu’il fallait que ce forum se déroule dans une liberté d’expression que je souhaite, car elle est absolument nécessaire.
Au cours de cette brève intervention qui n’excédera pas 15 minutes, je vous rassure tout de suite, je développerai :
– Tout d’abord les raisons de ce qu’on peut appeler le renouveau doctrinal au sein de l’armée de terre française,
– deuxièmement, le dispositif qui permet d’y arriver progressivement, et puis enfin la vision française de l’emploi des forces terrestres dans un cadre multinational.
Le besoin d’un renouveau doctrinal s’est progressivement imposé dès le début, bien entendu, des années 1990
En effet, le bouleversement géostratégique et puis l’émergence de nombreux foyers de crise ont progressivement mais profondément modifiés le contexte traditionnel d’engagement des forces terrestres.
Vous savez que dorénavant, elles sont désormais amenées à participer à la réalisation de crises que l’on peut sans exagérer qualifier de complexes et de durables. Elles doivent également simultanément, et c’est là l’une des difficultés, conserver leurs capacités à faire face à un conflit de haute intensité, toujours possible, même si c’est avec des volumes plus réduits et, bien entendu, elles continueront comme les autres armées à être sollicitées pour des opérations de service public sur le territoire national.
Donc, après le relatif immobilisme, mais immobilisme parce que situation immobile, le relatif immobilisme de la guerre froide, le retour à une stratégie d’action oblige les armées de terre à s’adapter dorénavant en permanence à ce contexte. Cette adaptation concerne :
– les structures,
– la formation du personnel,
– les programmes d’équipement,
– et bien entendu les doctrines.
L’environnement des forces terrestres a également évolué. Il est dorénavant et désormais systématiquement interarmées, et presque toujours multinational, que ce soit dans le cadre de l’OTAN ou dans la perspective de la création d’une identité européenne de défense.
Le besoin d’interopérabilité s’en trouve accru. Alors bien entendu, on parle beaucoup de l’interopérabilité et depuis longtemps, mais je voudrais insister sur le fait que dans mon esprit, cela va bien au-delà de procédures communes : cela suppose une convergence des références et cela demande surtout une connaissance mutuelle. Par ailleurs, de nouvelles contraintes apparaissent, partagées finalement par toutes les armées de terre. Elles ont vu leur format se réduire, les formations qui les composent deviennent souvent, pour ne pas dire la plupart du temps, professionnelles, leur niveau d’engagement en opération reste élevé et donc finalement, ce qu’on pourrait appeler une certaine obligation de productivité - c’est un vilain mot mais il a le mérite d’être clair - émerge. Et donc cela pose une réflexion permanente sur le meilleur emploi des forces terrestres disponibles. J’ajoute qu’enfin la France et les armées françaises ont la volonté de disposer de la capacité d’être nation-cadre, au même titre que d’autres, et je dirai même comme beaucoup d’autres, et de renforcer ainsi le pilier européen au sein de l’Alliance atlantique. Cela nous donne le devoir d’être une force de propositions dans le cadre de cette réflexion.
Quel dispositif a été mis en place pour faciliter, permettre ce nécessaire renouveau doctrinal ?
Eh bien l’armée de terre a imaginé une nouvelle approche de sa doctrine et elle repose désormais sur ce que j’appellerai un principe ou un constat sur un commandement dédié, qui vous reçoit aujourd’hui, et puis sur un fonctionnement optimisé. Le principe, qui est quand même un petit peu nouveau, mais qui s’impose, est celui d’échanges permanents entre la réflexion doctrinale, l’emploi des forces en opération, la formation du personnel et l’entraînement, et ce dans un cadre interarmées et si possible multinational. C’est la logique finalement du retour d’expérience qui vient d’être organisé, codifié par l’état-major des armées et auquel nous adhérons totalement.
Le nouveau commandement dédié à cette fonction s’inscrit directement dans le processus de transformation de l’armée de terre française. Il s’appuie sur la synergie finalement tout à fait naturelle entre la doctrine et l’enseignement militaire supérieur. Donc ce commandement, le Commandement de la doctrine et de l’enseignement supérieur a été créé le 1er janvier 1999, à partir de la fusion de l’ancienne Direction de l’enseignement militaire supérieur de l’armée de terre et puis du Commandement de la doctrine de l’entraînement qui, à l’époque, était à Metz. Le Commandement de la doctrine et de l’enseignement supérieur, dont le chef est le général Soubirou, est au coeur d’un réseau. Il assure la cohérence des travaux qui sont conduits, il diffuse aussi la doctrine de l’armée de terre et pratique une politique d’ouverture vers les alliés, les autres armées, le monde civil.
Pour les dimensions interarmées, interalliées et européennes, ces principaux correspondants sont donc bien entendu l’état-major des armées, l’OTAN, l’Union européenne et les comités Finabel.
La cohérence des choix est vérifiée avec l’état-major de l’armée de terre et dans le domaine de l’emploi des forces, le CDES est en liaison étroite avec les commandements de forces de la nouvelle armée de terre, celui de Lille, force d’action terrestre, et celui de Montléry, force logistique terrestre.
Les questions relatives à la formation et aux expérimentations tactiques sont traitées avec le Commandement de la formation ainsi que les directions d’études et de prospective, qui ont été mises en place dans chacune des écoles d’armes et qui jouent un rôle tout à fait déterminant dans ce réseau.
Enfin, le CDES dispose de relations privilégiées avec des universités et des instituts de recherche sur les relations internationales et la stratégie, tant français qu’étrangers.
Un fonctionnement interne amélioré anime cette architecture. En amont, il y a donc au sein du CDES le Centre le recherche et de documentation qui initie les travaux de doctrine. Il contribue à leur rayonnement à travers le réseau des centres de réflexion français. Il anime enfin des séminaires de défense. Le Centre de recherche et d’études de doctrine de l’armée de terre, le CREDAT est, si j’ose dire, sans faire d’ombre aux autres structures du CDES, le moteur principal de cette doctrine, puisqu’il la conçoit et il la diffuse. Il est ainsi en relation permanente, en en réalisant la synthèse, avec les travaux des différentes Directions d’études prospectives des écoles d’armes et l’échange des données se fait grâce à un système particulier, mis sur pied spécialement qui s’appelle Géode.
En aval, un Centre d’évaluation et de retour d’expérience vérifie, je dirai, en continu, l’adéquation de nos modes opératoires et de nos moyens aux exigences de l’action terrestre, à travers notamment tous les bilans qu’il s’agisse des comptes-rendus, par exemple des différents généraux qui reviennent d’opérations, ou bien la synthèse des exercices d’entraînement, etc.
En appui, le Centre de recherche opérationnelle et de simulation de l’armée de terre qui fait donc dorénavant partie du CDES, le CROSAT, assez connu, je suppose, apporte son expertise dans son domaine de compétences. Et donc la formation des stagiaires français et étrangers de l’Enseignement militaire supérieur de l’armée de terre est ainsi placé à la source de la doctrine, puisque ceux qui l’élaborent sont ceux qui sont chargés de les renseigner.
Enfin, la diffusion de la doctrine est élargie et c’est tout à fait essentiel dans une armée qui a érigé en principe fondamental la modularité. Il est important qu’une doctrine solide constitue le ciment qui est indispensable à la constitution de nos forces. Donc la doctrine, nous la considérons comme un bien de consommation et tous les supports de communication doivent donc concourir à la diffuser et à la faire partager. Et à ce titre, les nouvelles technologies de l’information sont de plus en plus utilisées : Internet, Intranet sur les réseaux de l’armée de terre, Géode que j’ai évoqué, les CD-Rom remplaçant dorénavant les bibliothèques entières et jamais actualisées de documents réglementaires. Et donc tous les ans, un CD-Rom fait le point pour l’année en cours de l’ensemble de la doctrine de l’armée de terre, qui l’actualise. La presse militaire consacre de nombreuses pages au sujet, et notamment la revue du CDES qui s’appelle Objectif doctrine, et qui est depuis le début de cette année éditée systématiquement en version bilingue, anglais et français, ce qui permet à tous les officiers français dont je suis de vérifier le niveau de leur connaissance de l’enjeu militaire. Nous privilégions enfin les rencontres comme ce forum et nous participons, bien entendu, à nombre de séminaires ou de réunions avec nos alliés.
La vision française de l’emploi des forces terrestres dans une réalité multinationale
Je dirai que pour l’armée de terre cette réalité multinationale est déjà bien ancienne. En effet, depuis de nombreuses années, à des degrés divers, l’armée de terre participe à de nombreuses structures de défense communes. Permettez-moi de rappeler quelques dates, quelques repères :
– la brigade franco-allemande a été créée en 1989,
– le Corps européen est monté en puissance à partir de 1989,
– l’EUROFOR a été créé en 1995.
Donc voilà trois structures permanentes multinationales, auxquelles contribue donc l’armée de terre. La dernière est en cours de montée en puissance, c’est l’état-major de l’Union européenne à Bruxelles, créé dans l’année 2000.
Par ailleurs, au-delà de ce dispositif, je dirais, permanent, il existe et perdure la participation à des opérations multinationales aux côtés de nos alliés européens et c’est une réalité quotidienne depuis notamment l’engagement dans les Balkans. Je rappelle donc qu’en Bosnie-Herzégovine, au sein de la SFOR, il existe une division multinationale sud-est, avec un contingent français, une division multinationale, depuis 1996, et depuis 1999, au sein du Kosovo nous participons à la KFOR et nous exerçons le commandement d’une brigade multinationale nord. J’aperçois d’ailleurs le général Cuche dans la salle qui a été l’un de ses premiers commandants.
Il faut enfin souligner, même si c’est un petit peu connexe, la coopération européenne dans le domaine de l’armement qui s’exerce de plus en plus dans le domaine de l’OCCAR pour des programmes majeurs, comme le radar Cobra le Tigre et le NH 90 par exemple.
Je voudrais insister par ailleurs sur le fait que la réorganisation, conduite par l’armée de terre, lui confère, à mon avis, et d’ailleurs on l’a fait un peu dans cet esprit, une aptitude toute particulière à satisfaire une contribution européenne. En effet, tout d’abord, nous avons rapidement abandonné, réalité oblige, le concept d’emploi de forces principalement orientées vers un conflit de haute intensité, sans toutefois bien entendu y renoncer, je le disais tout à l’heure.
Un effort complémentaire, parce qu’il était déjà amorcé, d’adaptation de l’armée de terre à la gestion des crises a été prononcé, et nous disposons aujourd’hui, du moins je le pense, d’une capacité réelle aux actions de maîtrise de la violence, tout en conservant une aptitude, certes réajustée, aux actions de coercition.
Ensuite, nous avons choisi - et ça a été une nouveauté à l’époque - de supprimer les niveaux de corps d’armée et de division en tant que structures permanentes. Nous leur avons substitué une organisation modulaire que j’évoquais il y a quelques instants. Elle vise - parce que c’est de ça qu’il s’agit - à fournir une réponse adaptée à chaque type de crise. Les structures de commandement adaptées aux forces projetées sont constituées à la demande, c’est-à-dire en quelque sorte sur mesures.
Enfin, les forces intermédiaires, vous le savez vaste sujet dans de nombreuses armées de terre (medium forces) - sont, je le pense, une réalité dans l’armée de terre française, puisque le ratio entre forces lourdes et forces que l’on pourrait qualifier de légères est d’environ 50/50. Le noyau des forces lourdes, des forces de coercition est donc resserré, mais les forces légères sont chez nous depuis plusieurs années bien protégées, ce qui les rend effectivement engageables dans de nombreuses circonstances.
Cette organisation d’ensemble s’inscrit, je tiens à le souligner et je me félicite de la présence d’officiers étrangers pour le dire avec force, dans une recherche d’interopérabilité optimale avec l’Alliance. Elle se traduit par la participation active, que j’évoquais à un certain nombre de groupes de travail, mais elle se concrétise au sein de l’armée de terre surtout par la mise en oeuvre de plans d’action et de directives. Je considère que l’armée de terre a accompli en ce domaine essentiel des progrès importants. Ceci dit, les efforts ne doivent en aucun cas se relâcher car il nous reste du chemin à parcourir.
Pour conclure cette brève intervention, nous avons donc toutes les raisons de nous montrer satisfaits du travail accompli depuis trois ans. Ceci ne doit pas nous faire oublier qu’il reste beaucoup à faire, mais le renouveau doctrinal de l’armée de terre est pour moi patent, concret. Il exige désormais une remise en cause permanente. Cette démarche n’a de sens aujourd’hui que si elle s’inscrit dans une mise en commun, voire une fusion de nos travaux de doctrine. Elle suppose une nécessaire coordination avec l’état-major des armées et les autres armées. Ceci me semble être la condition de l’efficacité de nos armées françaises, mais aussi la condition de l’efficacité des forces terrestres de nos différents pays demain. Mesdames, messieurs, je vous remercie de votre attention. (applaudissements).
Source : Forum de doctrine militaire 2001 : Vers une vision européenne d’emploi des forces terrestres, CDES, Ministère de la Défense http://www.cdes.terre.defense.gouv.fr
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