3.1 Les limites de la construction européenne

Le bilan positif des coopérations engagées ne doit pas masquer les points faibles.

La coopération policière européenne reste à construire : Amsterdam vient d’être ratifié par la France - Europol n’existe pas encore - La mise au point de fichiers reste limitée aux outils Schengen (SIS).

La coopération policière reste trop sectorielle. Les trafics s’entrecroisent, l’argent de la drogue alimente le terrorisme et réciproquement.

Des difficultés juridiques existent, en particulier, dans les pays de droit anglo-saxons et qui se sont révélées au cours des enquêtes sur les attentats de l’été 1995. Les procédures d’extradition doivent, en particulier, être améliorées et ne pas durer jusqu’à 2 ans au sein de l’union européenne.

3.1.1 Des cultures différentes entravent la coopération européenne

On sait que, pour protéger leurs ressortissants, les Etats peuvent avoir une attitude peu active face à des groupes de terroristes, lorsque les attentats sont commis dans un autre état membre alors que la base logistique terroriste est située sur leur propre territoire.

Mais, de manière plus générale, face à la présence du terrorisme sur leur territoire, les différents pays européens ne réagissent pas du tout de la même façon. Certains ont été confrontés pendant très longtemps au phénomène du terrorisme " ultra-gauche " : Brigades Rouges et années de plomb en Italie, Fractions Armées Rouges en Allemagne, Action Directe en France, GRAPO et ETA en Espagne, IRA en Angleterre. Cette menace européenne au quotidien a engendré des réflexes opérationnels non codifiés entre certains pays.

 En Grande-Bretagne, de nombreux groupuscules islamistes et notamment algériens, ont élu domicile à Londres et jouissent d’une liberté d’expression pratiquement totale accompagnée d’une tradition d’asile politique. On peut penser que les Anglais privilégient la collecte du renseignement par rapport à la répression policière. Il n’existe pas de parquet et aucune volonté politique de très haut niveau n’est capable de faire accélérer un dossier. Ainsi malgré des requêtes françaises à répétition, Rachid Ramda, un des financiers présumés des attentats de 1995, n’a toujours pas été extradé vers la France. La Grande Bretagne axe son action dans la seule lutte contre l’IRA .

 En Allemagne, l’histoire pèse lourd : les moyens juridiques et policiers restent insuffisants. La relative faiblesse de la police fédérale par rapport aux très ombrageuses polices des Länder peut ralentir la lutte antiterroriste. Néanmoins, ces derniers temps, la coopération s’est améliorée notamment pour démanteler les réseaux qui approvisionnent en armes les maquis algériens.

 L’Italie est un cas particulier. Juges et policiers sont très mobilisés contre le terrorisme. Néanmoins la législation italienne freine leurs efforts. Seuls les groupes planifiant des actions en Italie répondent à la définition légale de "terroristes". A l’inverse, le code pénal italien punit la simple participation à une action mafieuse, alors que le code pénal français définit le délit d’association de malfaiteurs par la participation à une entente en vue d’un ou plusieurs crimes contre les personnes ou les biens ; cela implique que la justice française ne peut retenir la participation en Italie à une association mafieuse comme base d’une extradition. Il en est de même avec d’autres pays européens. En outre, l’extrême décentralisation judiciaire aboutit à des dossiers écartelés entre plusieurs parquets (par exemple, Naples, Bologne et Milan) aux préoccupations parfois très divergentes.

 Selon les autorités françaises, la Belgique pourrait mieux faire. La Sûreté d’Etat est respectée par les services de renseignements, mais la police et la justice sont trop engluées dans divers scandales pour se consacrer efficacement au terrorisme.

 Selon ces mêmes sources, la palme du laxisme revient aux Pays-Bas qui demeurerait un asile pour les terroristes. Cela a déjà posé problème pour l’application des mesures de libre circulation : à la différence de la France, les Pays Bas ont une politique libérale dans le domaine des produits dérivés du cannabis, ce qui a conduit notre pays à rétablir le contrôle aux frontières (clause de sauvegarde).

3.1.2 Les législations sont donc très différentes :

La divergence des législations est un élément des plus irréductibles du problème dans la mesure où coexistent sur le territoire de l’Union Européenne trois écoles juridiques fondamentalement différentes ( droit romain, droit anglo-saxon et droit scandinave ) qui conduisent à des notions différentes en ce qui concerne le droit, les procédures et l’ordre public.
Ainsi, pour un Britannique, une police privée comme celle intervenant dans un moyen de transport est considérée comme une force de police au plein sens du terme, ce que n’admet pas la France. De même pour les Italiens, il n’y a pas, sur le fond, de distinction entre l’activité des douanes et le reste de l’action de police.
De même, en matière de lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme, l’absence d’unification du droit et de la procédure pénale constitue un handicap majeur...
La lutte contre le terrorisme international demande une capacité de réaction rapide pour tirer profit d’une opportunité ou d’un renseignement : la poursuite d’une personne s’accommode mal des délais administratifs qu’impose, quoi qu’on fasse, l’instruction d’une demande internationale. La recherche d’informations perd tant en discrétion qu’en efficacité quand il faut la faire réaliser par d’autres. Or il s’agit indéniablement d’une mission régalienne qui n’admet, sur un territoire donné, qu’une seule autorité.
Les terroristes ont vu au sein de l’espace Schengen les frontières disparaître. Mais, pour ceux qui ont la charge de faire respecter le droit, elles ont gardé toute leur valeur administrative et contraignante.
Comment obtenir une extradition pour des faits qui ne sont pas qualifiés de la même façon dans les deux pays ?
Ainsi, par exemple, la France et la Grande-Bretagne n’ont pas les mêmes limites pour les actes terroristes. Notre pays considère comme terroriste le fait de participer à une entente établie en vue de la préparation d’actes de terrorisme. Ce n’est pas seulement l’acte consommé, ni même sa préparation, qui est un acte de terrorisme mais déjà l’intention de le préparer. Nos voisins sont loin d’avoir cette appréciation.
Autre exemple, en France une personne mise en cause pour terrorisme peut être mise au secret ce qui est a priori exclu par la législation germanique. Les Italiens ont sur ce point une approche voisine de la nôtre.

Ces domaines sont particulièrement sensibles dans la mesure où l’action de l’Etat se trouve, suivant les cas, soit ouverte à la prévention soit cantonnée dans la répression.
Dans les pays démocratiques, l’équilibre n’est pas aisé à trouver entre prévention et répression. En effet, il peut sembler abusif de pouvoir impunément mettre en examen une personne sur un simple faisceau de présomptions sous le chef " d’association de malfaiteurs " en droit pénal français.

3.1.3 Une harmonisation souhaitable dans l’absolu mais utopique.

Si la souveraineté reste entière pour chacun des Etats de l’Union Européenne, l’uniformisation restera une utopie, essentiellement du fait que l’équilibre acceptable est différent pour chaque pays car indissociablement lié à son histoire et ses traumatismes culturels. Une solution pour sortir de cette impasse consisterait à définir une législation européenne. Il faudra auparavant définir une menace ou un type de menace unique, uniformément pris en compte par l’ensemble des pays de l’Union Européenne. Une unification législative à l’échelle de l’Union européenne supprimerait ce type de difficulté qui ne permet pas une lutte efficace face à des réseaux criminels internationaux.

Il reste que toute réglementation autorisant les forces de police ou de gendarmerie d’un pays étranger à poursuivre sur le territoire national une action commencée ailleurs, ne pourra qu’être conçue comme dérogatoire à la règle générale et de ce fait encadrée et surveillée quand bien même ce serait au prix d’une perte d’efficacité

C’est pour ces raisons que l’adoption de règles communes pour continuer une poursuite engagée sur un autre territoire, même à l’intérieur de l’espace Schengen, n’a pu se faire : aucune des conventions prévues n’a pu être appliquée, ni même ratifiée, que ce soit celle sur le franchissement des frontières ou celle sur la détermination du pays responsable de l’examen d’une demande de droit d’asile ou même celle sur le Système d’Information Européen, celle sur l’extradition et même l’extradition simplifiée.

En matière de droit de poursuite ( bande des 10 km ), seules des conventions bilatérales ont pu être mises en place. Elles diffèrent d’un pays à l’autre et ne sont même pas toujours réciproques. Ainsi les Allemands ne limitent en rien le droit de poursuite de la part des Français. Par contre, les mêmes Français ne laissent pas les Allemands dans ce cadre procéder à des arrestations.

Cela étant, le souhait de voir lever rapidement ces différences relève de l’incantation ou de la naïveté. Surtout, on peut se demander, du fait de l’avance de la France dans la constitution de son arsenal répressif, si une volonté trop marquée d’harmonisation ne se traduirait pas par des négociations qui nous amèneraient à baisser notre garde. Selon toute probabilité, une telle négociation, devant tenir compte de trop de garanties demandées par les différents Etats, n’aboutira qu’à un dispositif probablement lourd et bureaucratique et en tout état de cause moins efficace pour la France. Dans ces conditions, l’harmonisation ne saurait constituer la seule solution.

Sans renoncer à cette voie, deux autres voies s’offrent à nous. La plus efficace est celle des accords bilatéraux qui, fondés sur la confiance, donnent une grande souplesse d’action. L’expérience est largement concluante avec des pays comme l’Espagne. De multiples progrès concrets peuvent être réalisés en coopération : une coopération judiciaire embryonnaire existe. La spécialisation et le dépaysement des juges et la collaboration étroite avec les services de police sont caractéristiques d’un modèle français déjà efficace qui peut servir de référence à l’Europe. La coopération reste trop souvent limitée à l’échange d’information, de formations et de personnels. Il faut réfléchir à des coopérations d’actions communes. L’autre voie est de faire avancer la législation communautaire de manière plus pragmatique, comme cela a été fait pour les diplômes, en visant moins l’uniformisation que la reconnaissance mutuelle.

3.2 Des limites structurelles et politiques continueront à rendre difficile la lutte contre le terrorisme

3.2.1. La surmédiatisation

Fondamentalement le terrorisme a besoin dans nos démocraties de la médiatisation des actions pour pouvoir faire pression sur les pouvoirs publics. Pour qu’on parle de lui mais aussi pour se faire oublier entre deux actions afin d’avoir sur un territoire les mains libres pour préparer des actions futures.

Dans ces conditions, il pourrait sembler souhaitable de limiter la presse dans la médiatisation des faits dont telle ou telle organisation terroriste s’est rendue coupable, mais ce serait entrer là dans un chemin extrêmement dangereux. Tant par éthique que par intérêt, l’ensemble de la presse ne souhaite pas s’engager dans cette voie. Il est vrai qu’il peut y avoir là une réelle tentation pour les Etats de qualifier un peu légèrement d’action terroriste, tout événement dont ils souhaitent ralentir la divulgation. Par ailleurs, les actes terroristes sont pour la presse une matière extrêmement " vendeuse " dans la mesure où, par conception, ces actions ont été conçues pour frapper les lecteurs spectateurs et auditeurs.

De plus, les journalistes divulguent des informations qu’ils recueillent soit par leur propres investigations soit par des indiscrétions. Ces informations se révèlent régulièrement nuisibles aux enquêtes que ce soit au niveau national ou au niveau européen. De fait, les média peuvent être un indéniable allié objectif des terroristes.

3.2.2 Les limites politiques et diplomatiques

Les actions terroristes sont souvent une modalité parmi d’autres du jeu politique et diplomatique. Par ailleurs, la lutte contre un mouvement terroriste est difficilement détachable de celle contre les causes qu’il défend. Sans aller jusqu’au terrorisme d’Etat qui a été le fait de pays comme la Libye ou l’Iran, il est ainsi difficile de demander à un Etat de lutter contre un terrorisme dont les objectifs sont conformes aux siens, en raison uniquement du caractère inacceptable des moyens employés. Et on voit tel pays fermer les yeux sur les activités menées sur ou à partir de son territoire par des mouvements pour ne pas interférer avec sa politique étrangère, en particulier commerciale, et changer brutalement de point de vue le jour où pour une raison une autre un attentat est commis chez lui.
Enfin parce que la lutte contre quelque menace que ce soit a un coût et que les moyens sont limités, les responsables de la lutte contre le terrorisme ne peuvent apporter leur aide à un pays étranger qu’en affaiblissant les moyens disponibles pour lutter contre leurs propres terrorismes. Le comportement qui en découle est souvent interprété comme relevant de l’égoïsme de la part des institutions nationales dans le déroulement des procédures. Il constitue une des limites majeures à la coopération internationale. Un pays sollicité réagira rapidement à une demande s’il est déjà concerné par l’affaire, beaucoup moins s’il ne l’est pas. Et dans le cas où sa collaboration risque de lui valoir des attentats, les réactions peuvent aller de l’extrême lenteur administrative, à l’extradition immédiate.
Porter au niveau européen les moyens d’investigation policière et judiciaire, suite à l’existence de menaces plus larges, devrait donc assouplir les rigidités structurelles inhérentes à ces égoïsmes nationaux.

3.2.3 Les limites financières

Enfin d’une façon générale, la volonté politique d’un Etat se marque par les efforts financiers qu’il consacre à ce domaine.
Ainsi, les demandes d’aide formulées par un pays étranger se voient parfois, par manque de crédits ( crédits budgétaires et fonds secrets), opposer une fin de non recevoir. Ce phénomène n’est pas négligeable, surtout en fin d’année budgétaire. Il touche plus certains pays que d’autres.

De la même façon, le financement des outils spécifiques pour les interceptions des réseaux de téléphonie sans fil rencontre en France des obstacles qui sont surtout d’ordre financier.

3.2.4 Le cyber-espace

Le " cyberespace " constitue une nouvelle arme du terrorisme et s’avère une zone internationale de non droit.
Le réseau informatique Internet relie plus de 20 millions d’ordinateurs individuels et se révèle un moyen de communication rapide qui échappe aux moyens traditionnels des gouvernements et rend très difficile sa surveillance par les services de renseignement.
L’arrivée sur Internet de réseaux terroristes, qui profitent du développement de serveurs pour diffuser leur propagande non seulement pour sensibiliser l’opinion publique à leur cause mais surtout pour communiquer des informations à leurs membres ou donner des instructions, s’avère préoccupante.
Des boîtes à lettres électroniques servent à conserver la confidentialité de leurs correspondances, via l’utilisation ( qui est en cours de libéralisation en France ) de moyens de cryptage inviolables. Par ailleurs, le développement de l’utilisation d’Internet comme ligne de téléphone par numérisation des voix empêche la détection et la surveillance de communications privées subversives.
Si, en bilatéral, il reste possible par une intervention diplomatique de demander l’arrêt de la diffusion d’un bulletin subversif ( du GIA par exemple ) sur l’un des sites d’un pays ami, il n’existe ni structure ni moyen dédié à l’échelle européenne pour lutter contre cette nouvelle menace.

3.3 la réponse au terrorisme reposera encore sur le traitement politique et militaire

3.3.1 la lutte contre le terrorisme : la place essentielle du renseignement

Traditionnellement, et de façon constante à travers l’histoire, la mission de renseignement et d’information a eu pour objet d’assurer l’information des autorités gouvernementales dans leur processus décisionnel, de déceler et de prévenir toute menace susceptible de porter atteinte à l’ordre public, aux institutions, et aux intérêts fondamentaux de la Nation ou à la souveraineté nationale.

La lutte contre le terrorisme relève par essence en priorité du domaine politique, et ensuite du domaine judiciaire car le gouvernement doit pouvoir bénéficier d’un pouvoir discrétionnaire dans le choix d’une méthode à privilégier pour résoudre le problème auquel il est confronté (méthode préventive ou répressive).

Cette appréciation se repose donc également au niveau européen, cadre d’intervention de plus en plus fréquent des services spécialisés face aux nouvelles menaces relevant davantage de menaces basées sur des revendications religieuses de type radical, plus diffuses, qui s’appuient sur des réseaux logistiques européens de type dormant, et pour lesquels le passage à l’acte dépend d’une situation politique et militaire préexistant dans d’autres pays.

Dans cette hypothèse, le renseignement évolue nécessairement par rapport au domaine traité (on passe du politique au religieux), mais également par rapport au cadre géographique dans lequel celui ci doit être apprécié.

Sur un plan analytique, il convient que les services s’échangent en temps réel les éléments d’information en leur possession afin de pouvoir analyser de façon commune et coordonnée un état de la menace clair et uniforme entraînant par la même, certaines mesures de type préventif : mesures administratives (expulsions, assignations à résidence, interdiction de séjourner sur le territoire, interdictions de publications subversives) ou mesures de surveillance renforcée à l’égard de certaines personnes.

Sur un plan opérationnel, et après passage à l’acte, il peut être décidé d’une intensification de la mission de renseignement sur des groupes d’individus qui sont en relation entre eux à partir de pays différents. Les services s’échangent alors le suivi de certains objectifs en temps réel, en fonction de leurs déplacements (surveillances opérationnelles). Ils procèdent à l’échange de données protégées obtenues de sources humaines ou techniques permettant de jauger la dangerosité des groupes surveillés, et empêcher la commission de nouvelles actions en accumulant des éléments de preuves qui serviront dans les procédures en cours (procédures nationales et commissions rogatoires internationales) après leurs interpellations décidées en commun.

Les échanges dans le domaine du renseignement se font de façon bilatérale, sur la base de la confiance et dans un état d’esprit largement partagé (échanges très pratiques en l’absence de tout souci protocolaire). Ils sont privilégiés par rapport aux réunions plenières et officielles et s’avèrent plus efficaces quant à la préparation des éléments " démarqués " qui seront versés dans les procédures judiciaires en cours, tout en respectant la partie opérationnelle et secrète de la fonction de renseignement.

3.3.2 Le traitement politique et militaire comme réponse de long-terme au terrorisme

Les démocraties doivent, on l’a vu, lutter pied à pied contre le terrorisme et mettre de manière coordonnée, tous leurs moyens dans la traque policière et la condamnation judiciaire des auteurs d’actes terroristes.

Pour autant, ce traitement " antibiotique " ne constitue qu’une partie de la réponse au phénomène terroriste. Les terrorismes naissent et meurent, se succèdent, sans que la lutte policière en soit la seule cause.

On peut avoir l’impression, qu’en dernière instance, la disparition finale d’un terrorisme tient moins aux moyens de lutte mis en ouvre qu’à des raisons politiques ou militaires. Il y a là un motif d’espoir : autant les démocraties peuvent paraître fragiles et toujours en retard dans les moyens de prévention face à l’imagination des forces du Mal, déterminées et imprévisibles, autant elles peuvent plus facilement créer les conditions d’une disparition naturelle des actes terroristes.

3.3.3.1 Comment s’éteint un phénomène terroriste :

 la négociation avec les terroristes où leurs commanditaires.

Cette méthode, jamais avouée, quoique parfois révélée ou soupçonnée, a été empruntée par les démocraties. Elle revêt plusieurs formes :

 la négociation directe avec contreparties actives : pour obtenir l’arrêt d’attentats, la libération d’otages, on libère un terroriste, ou on répond favorablement à des demandes (finances, livraisons d’armes...)

 la négociation directe avec contreparties passives : on achète sa tranquillité en fermant les yeux sur certaines activités terroristes afin qu’elles épargnent le sol national : on a pu interpréter ainsi le peu d’empressement de certains pays occidentaux à lutter contre l’islamisme. On a dit que ce fut pendant de longues années la politique menée à l’égard de groupes terroristes corses.

Il peut s’agir naturellement de négocier moins avec les groupes terroristes qu’avec leurs commanditaires (Iran, Syrie, Lybie à la grande époque du terrorisme arabe).

Cette méthode est évidemment immorale. Elle rencontre sa limite dès lors qu’une solidarité européenne se dessine et qu’il devient inadmissible de concevoir de se protéger au détriment du voisin. Il reste qu’elle ne disparaîtra sans doute pas et qu’étant par nature secrète, il y aura peu de moyens de vérifier qu’elle n’a pas disparu...

Elle peut être efficace mais seulement à court-terme .Son efficacité peut être surestimée. Il semble qu’en Corse, les amnisties n’aient pas conduit à une diminution des attentats. Autant de terroristes enfermés, autant d’attentats en moins dès lors que les criminels sont peu nombreux.

 La répression.

La répression policière peut atteindre son but complètement lorsqu’il s’agit de groupes limités et identifiés et du premier cercle des criminels. L’épisode Action directe s’arrête avec la mort des quatre ou cinq protagonistes. Elle est toujours la première prévention au moins parce qu’elle gêne la constitution des réseaux terroristes et la réalisation de leurs actions.

A plus grande échelle dans les pays en développement, la répression militaire, rarement exempte de débordements peu défendables, peut arriver à bout d’une guérilla ou d’un mouvement terroriste ou en tout cas le gêner considérablement. C’est la méthode pratiquée longtemps en Amérique Latine, en Turquie ou en Irak à l’égard des Kurdes, en Algérie. Au-delà de ses aspects sanglants, il peut arriver, à un prix élevé, que ce type de répression finisse par couper les bases des terroristes, et à épuiser les populations qui les soutiennent.

 L’effondrement providentiel.

Avec l’effondrement du communisme, ce sont des réseaux entiers de soutiens logistiques et financiers à des guérillas et surtout des raisons de les soutenir qui ont disparu. Les terroristes ont disparu d’eux-mêmes. Comme ont disparu au Larzac ou ailleurs, les militants pacifistes ou anti-nucléaires manipulés un moment par l’Union soviétique.

Des mouvements terroristes peuvent aussi disparaître presque d’eux mêmes : les militants vieillissent, les populations se lassent, le terreau qui a permis un soutien populaire a changé, les idéalistes sont devenus des criminels de droit commun et ont perdu la sympathie qu’ils ont pu inspirer...

 Le règlement politique.

Le règlement politique se distingue de la simple négociation avec des terroristes. Dans cet autre cas, on traite avec des criminels, sans les convertir pour simplement les acheter temporairement.

Il s’agit alors de traiter avec des terroristes ou leurs représentants politiques (Sinn Fein, OLP...) pour établir une sortie pacifique. Cette pacification ne concernera que les mouvements parties à la négociation : le Hamas et les mouvements palestiniens placés dans l’orbite syrienne conservent par exemple une capacité de nuisance et il reste des extrémistes en Irlande. C’est ce qui s’est passé dans beaucoup de pays d’Amérique latine, souvent sous l’égide de l’Eglise (Nicaragua, actuellement Colombie...). Ce type de négociations suppose des amnisties et des indulgences actuellement remises en cause sous la pression des victimes et de l’opinion publique internationale.

Il peut s’agir de traiter non pas avec des terroristes mais avec des représentants de la minorité ou du peuple en cause non liés à eux et à qui on accorde des facilités qui les renforcent par rapport aux factions violentes. Il s’agit de résoudre au fond la question nationale ou la revendication culturelle en s’appuyant sur les éléments modérés pour isoler dans la population les partisans de la violence et affaiblir leurs soutiens. C’est la solution sans doute la plus difficile, qui demande le plus d’habileté et de continuité d’esprit, mais qui semble moralement et rationnellement la plus recommandable.


Source : Institut des hautes études de la défense nationale (IHEDN) http://www.ihedn.fr