14. La question des missions à attribuer au Centre soulève un problème quasi existentiel, qui est celui de sa nature propre. La mise en place de moyens militaires européens centralisés implique-t-elle la création d’un outil de gestion satellitaire militaire, permet-elle le maintien d’une structure duale, civilo-militaire, ou autorise-t-elle l’existence d’un système essentiellement civil, ponctuellement soumis à l’autorité militaire de l’Europe ? Il s’agit là d’une question à la fois fondamentale et particulièrement complexe. Les trois options ont chacune leur mérite, et doivent être examinées dans le cadre des missions futures du Centre, ainsi que des moyens que l’Europe voudra bien leur accorder, et des réponses que le marché civil est en mesure d’offrir aux problèmes intrinsèquement militaires.

Vers une militarisation du Centre satellitaire

15. La mise en place d’un Etat-major européen implique, dans une perspective traditionnelle, la mise en ?uvre d’un système satellitaire militaire. Jusqu’à présent, il était inconcevable d’attribuer une fonction de renseignement purement militaire à un organe civil, même si la coexistence de services de renseignement civils et militaires est parfaitement admise depuis une cinquantaine d’années. L’existence d’un Etat-major européen semble devoir impliquer la création d’un centre de données satellitaires de nature militaire, dans la droite ligne des organes de renseignement traditionnels. Les avantages d’une telle solution sont évidents et pourraient s’articuler sur une amélioration des structures préexistantes établies entre le Centre satellitaire et les trois pays contractants d’Helios.

16. Les exigences militaires dans le domaine satellitaire sont finalement assez simples :
 un accès parfaitement sécurisé aux données ;
 un traitement des données effectué par un personnel accrédité, compétent, utilisable sans considérations horaires ou salariales en temps de crise et spécifiquement formé aux tâches d’interprétation (et éventuellement de communication et d’écoute électronique) de nature militaire ;
 un tri et une retransmission des données vers les divers utilisateurs, depuis le plus haut niveau stratégique (EM ou COPS) jusqu’aux éléments tactiques (plan de frappe, de navigation, etc.) ;
 une possibilité de programmation des zones à reconnaître en temps de paix, permettant au COPS de formuler ses demandes et de mettre en place les éléments d’une politique de sécurité ;
 à terme, au-delà de la section de renseignement existante, la création d’un véritable service de renseignement européen, dans lequel le Centre satellitaire serait intégré, et, éventuellement, la création d’un outil de gestion du champ de bataille.

17. Dans l’optique traditionnelle d’une intégration militaire des organes ayant une vocation de renseignement stratégique, le statut du Centre devrait considérablement évoluer. Que l’on décide de militariser radicalement le Centre, ou qu’une dichotomie militaire/civile soit maintenue en l’état, l’affectation de missions à caractère de renseignement implique non seulement que le Centre modifie la composition de ses personnels, mais surtout qu’il envisage une participation à des programmes satellites, afin de permettre de disposer en pleine autonomie des instruments nécessaires à la réalisation de ses missions6. Se pose alors la question des programmes à retenir, des ressources financières disponibles, des clefs de répartition entre les différents membres de l’UE et de l’accession de ces derniers au Centre pour des missions nationales.

18. Les deux derniers problèmes peuvent être réglés relativement facilement, en fonction de protocoles financiers préalablement établis et de systèmes d’accès en temps de paix et en temps de crise. Si un système de répartition de type Helios ne paraît pas envisageable7, on peut supposer que l’UE sera à même de mettre en place des flux de financement permettant une gestion globale du Centre et des satellites dont celui-ci disposerait au pro rata des financements nationaux et de l’importance géostratégique des divers membres. En temps de paix, les membres de l’UE devraient pouvoir demander des missions spécifiques au Centre, mais il importera de savoir si ces demandes devront obligatoirement passer par le Conseil permanent. Si le Centre satellitaire est appelé à devenir un outil intégré à la défense européenne, relevant directement des organes appliquant la PECSD, il n’est peut-être pas souhaitable que les pays membres aient des accès particuliers, le maintien de missions à caractère national étant peu compatible avec l’idée d’une défense européenne unitaire. Cependant, compte tenu des investissements réalisés, il est probable que les différents pays membres pourraient souhaiter bénéficier d’accès particuliers. En effet, dans l’attente d’une PECSD véritablement effective, la justification des investissements réalisés dans un Centre satellitaire renforcé ne sera possible que si les pays européens dépourvus de moyens spatiaux trouvent un accès à l’espace satisfaisant leurs besoins propres, autant que ceux de l’Europe. Forcer les pays de l’Union à financer des activités spatiales de nature militaire sans leur donner la possibilité d’en profiter autrement que dans le cadre de la PECSD n’est pas de nature à les inciter à consentir aux sacrifices financiers nécessaires à la réalisation d’un Centre spatial européen digne de ce nom. Dans ce cadre, la création d’un système équilibré, dépendant de l’Union mais remplissant les demandes individuelles des membres, serait probablement plus profitable.

19. Toutefois, la militarisation de tout ou partie du Centre soulève un certain nombre d’incertitudes. Les premières d’entre elles sont bien entendu de nature financière. En admettant que l’Europe fixe une politique spatiale qui permette de déterminer précisément les satellites sur lesquels le Centre devrait avoir à exercer un contrôle effectif, l’Union disposera-t-elle des moyens pour garantir un accès à des programmes suffisamment nombreux, avancés et évolutifs pour que le Centre dispose des meilleurs outils pour ses missions ? Dans l’état actuel des choses, le financement d’un centre satellitaire de nature militaire pourrait se faire dans le cadre du deuxième pilier, même s’il est vraisemblable que le Parlement européen sera finalement appelé à sanctionner les budgets futurs. Il faut donc tenir compte du volume global des financements spatiaux des pays membres pour avoir une idée du volume éventuel du financement futur. Sur les six milliards d’euros que l’Europe investit dans ce domaine (contre 30 milliards de dollars aux Etats-Unis), quelle part pourrait aller au Centre satellitaire ? En admettant arbitrairement que l’Europe investisse 5 % de ses budgets spatiaux nationaux dans le Centre satellitaire, soit 300 millions d’euros, le budget du Centre (8,7 millions d’euros) se verrait multiplié par 34, ce qui à première vue laisse une marge évolutive confortable. Les chiffres sont néanmoins trompeurs. Si l’on se cantonne à la seule imagerie spatiale, le coût de mise en ?uvre et d’exploitation des satellites est proprement prohibitif. En son temps, Helios I (A et B) avait demandé à la France un investissement de 10 milliards de francs, la mise en ?uvre des satellites ayant exigé 1,2 milliard par an. Helios II (deux satellites) devrait coûter 11 milliards de francs8.

20. Le prix des images est quant à lui plus difficile à évaluer. Commercialement, le coût d’une image se calcule au kilomètre carré de couverture, Landsat 7 demandant 0,02 dollar au kilomètre, Spot de 0,5 à 1 dollar au kilomètre, Ikonos de 20 à 300 dollars pour une couverture de 2,5 km_. A la connaissance de votre rapporteur, le prix payé par le Centre satellitaire pour une image Helios est supérieur à 200 000 FF (par image et sans précision de taille)9. Si l’on admet, dans une perspective militaire, que le fonctionnement du Centre requerrait la juxtaposition de satellites optiques et de satellites SAR, soit en constellation (type SkyMED Cosmo optique/SAR), soit par juxtaposition de satellites lourds (type Helios ou Horus), il est plus que probable que les fonds attribués au fonctionnement du Centre seront largement insuffisants pour permettre une utilisation évolutive des technologies d’observation actuellement mises à disposition sur le marché. Le simple coût des images Helios, au regard des prix affichés dans les milieux civils, risque d’avoir un effet particulièrement dissuasif sur les pays de l’Union européenne et de soulever des interrogations sur le bien-fondé de la politique spatiale de l’Union dans le domaine de la défense.

21. En fait, si l’on en croit les Américains, à niveau de performance égal, le secteur strictement militaire est désormais bien incapable de suivre le secteur civil en termes de compétitivité. Les Etats-Unis, dont les budgets militaires spatiaux sont sans comparaison avec ceux de l’Union européenne, sont déjà confrontés au problème : "Le secteur commercial est à la fois le plus vaste et le plus dynamique des trois secteurs américains d’activités spatiales. Le programme spatial civil - qui correspond pour l’essentiel à celui de la NASA - bénéficie actuellement d’un financement de l’ordre de 14 milliards de dollars par an, chiffre qui a diminué de quelques milliards de dollars depuis la fin de la guerre froide. La taille précise du secteur de la sécurité nationale est plus difficile à évaluer, en raison de problèmes de définition et de classification des sources. D’après toutes les données comptables, les activités spatiales de sécurité nationale disposent d’un budget annuel sûrement inférieur à 20 milliards de dollars, certaines estimations donnant même un chiffre inférieur à celui du budget de la NASA ; en tout état de cause, ces chiffres représentent une réduction substantielle par rapport au niveau plafond atteint au milieu des années 1980 pendant la guerre froide. L’ampleur exacte du secteur spatial commercial est encore plus difficile à évaluer, mais selon presque toutes les définitions qui en sont données, ce secteur est au moins aussi vaste que chacun des deux autres et, d’après certaines estimations, beaucoup plus important que les deux réunis. Fortes d’un taux moyen annuel de croissance d’environ 10 % ces vingt dernières années, les activités spatiales commerciales ont été propulsées au premier rang des priorités spatiales américaines sous l’effet d’une miraculeuse conjonction d’intérêts"10.

22. L’Europe doit donc avoir conscience que le financement d’un système satellitaire militaire performant demanderait de lourds sacrifices financiers, à un moment où ses membres les plus riches ne sont pas prêts à les consentir. En effet, si la politique française se montre particulièrement volontariste, il n’en va pas de même en Allemagne, où le gouvernement fédéral n’entend pas subventionner les programmes militaires au-delà du strict nécessaire. Lors du sommet spatial de Berlin, le 8 novembre 1999, les plaintes de l’industrie aérospatiale allemande portant sur le faible investissement fédéral et sur ses répercussions négatives sur les échéances des programmes SAR Lupe, RapidEye et TerraSAR se sont vu opposer une fin de non-recevoir par la ministre de la recherche Edelgard Bulmahn. Celle-ci a d’ailleurs incité les industriels à "développer d’avantage l’aspect commercial" de leurs programmes11.

23. De ce fait, dans la définition du futur statut du Centre, l’UE devrait prendre en considération les orientations économiques et industrielles retenues par les divers pays membres dans le domaine spatial. A l’instar de l’Allemagne, si la majorité des pays membres n’est pas prête à investir dans le domaine militaire et préfère se concentrer sur la compétitivité industrielle, il sera inutile de créer une structure militaire dont les assises financières seront instables. La désillusion du programme Horus, finalement négligé par l’Allemagne en dépit d’engagements contractés auprès des Français, illustre bien les risques qu’il y aurait à vouloir imposer une politique de défense à laquelle les pays membres ne souhaitent pas subvenir.

24. Le volume de l’investissement industriel et la multiplicité de l’offre civile a une autre incidence capitale sur le secteur spatial militaire : le rythme des cycles d’acquisition entre les systèmes militaires et civils se creuse au point que les systèmes militaires apparaissent de moins en moins compétitifs. Alors qu’il faut entre dix et quinze ans pour développer et mettre en service un satellite militaire, il faut moins de cinq ans à l’industrie civile pour faire de même. Ce différentiel prend un relief particulier quand on sait qu’il est admis que dans le domaine spatial, l’innovation technologique est désormais le fait du secteur civil, qui non seulement comble son retard sur les technologies militaires, mais offre aussi de nouvelles opportunités de développement que le secteur militaire n’est plus en mesure de développer en temps et en heure. Cette substitution du leadership technologique est désormais admise par tous, y compris par les pays disposant des plus importants budgets spatiaux militaires, et doit à son tour être prise en compte par les Européens.

25. Tenter d’établir une architecture satellitaire articulée autour de systèmes militaires expose le futur Centre à subir des délais de livraison tels que le matériel qu’il mettra en ?uvre sera soumis à la concurrence directe (et défavorable) des matériels civils, autant en termes de technologie qu’en termes de coût. Les membres les moins enthousiastes de l’Union ne tarderaient pas à contester l’intérêt intrinsèque d’un Centre satellitaire exagérément onéreux et incapable d’offrir les mêmes services techniques que n’importe quel opérateur civil concurrent.

26. Par ailleurs, un centre satellitaire à vocation trop expressément militaire pourrait occasionner des problèmes de financement quelque peu inattendus. Il faut envisager que le financement du Centre satellitaire dans l’UE en vienne à relever, d’une manière ou d’une autre, du Parlement européen. Au sein de cette assemblée, un certain nombre de délégations demeure très sceptique - pour dire le moins - sur l’opportunité des services de renseignement, le mythe de la diplomatie ouverte restant très présent dans l’inconscient politique de bon nombre de parlementaires. Dans ce sens, il n’est certainement pas opportun de présenter le Centre comme un organe de renseignement militaire, et il serait plus judicieux d’insister sur son caractère civil. La lutte contre la pollution, contre la famine, l’élévation du niveau de vie des pays en voie de développement sont des thèmes porteurs d’idéaux, qui généreront probablement plus de crédits budgétaires que la réalisation d’un NRO (National Reconnaissance Office) ou d’une NSA (National Security Agency) destinés à permettre la projection des forces européennes à travers le monde. Le vote d’une ligne de crédit pour un Centre satellitaire à vocation civilo-militaire, avec des attributions budgétaires volontairement opaques, permettrait à ce dernier de développer des capacités duales, utiles à tous, sans provoquer d’oppositions systématiques au sein des organes représentatifs de l’UE.

27. Dans ce contexte, il sera important de faire comprendre à l’ensemble des membres de l’Union qu’un certain nombre de fonctions militaires vitales doivent être établies, même si elles n’apparaissent pas comme prioritaires. La redondance des systèmes de communication et d’observation est par exemple impérative, les opérateurs commerciaux pouvant toujours faire défaut, soit parce que leurs accès ne sont pas suffisamment sécurisés, soit parce que l’exploitation commerciale ne permet pas un accès suffisant pour les militaires12.

28. Quelle que soit la nature future du Centre (civile, militaire ou mixte), il serait totalement inconséquent de ne se reposer que sur le secteur commercial pour assurer des missions à caractère stratégique. L’observation à très haute résolution (décimétrique), l’alerte avancée, l’écoute électronique et les communications en ambiance nucléaire par exemple sont encore inaccessibles au secteur commercial. Tant que cet état de fait subsistera, il ne sera pas possible d’établir un système de commandement et d’observation spatial sans s’engager dans des programmes à finalité strictement militaire. Dans ce sens, l’Europe devrait se montrer prête à favoriser la mise en ?uvre de programmes militaires, ou de programmes civils à capacité duale. Restera à définir quels systèmes devront être d’origine militaire et si le Centre y participera.

Une option économiquement viable : un Centre satellitaire à nature duale, ouvert sur le marché

29. Les problèmes budgétaires liés à la faiblesse structurelle de l’Europe dans les affaires militaires doivent conduire les Européens à envisager des solutions alternatives dans leur conception d’une architecture spatiale à vocation militaire. En fait, de nombreuses pistes sont offertes par les Etats-Unis, qui disposent dans ce domaine d’une longue expérience. L’Air Command and Staff College de l’US Air Force a produit un certain nombre de rapports qui présentent un intérêt réel pour les Européens, en raison de leur approche très novatrice des relations entre les secteurs civils et militaires. Ainsi, selon l’un de ses membres, "le DoD [Department of Defense] n’a pas d’autre choix que de faire largement appel au secteur spatial commercial et il ne peut être sûr de pouvoir répondre aux besoins des militaires en temps de crise qu’en mettant en ?uvre des approches appropriées en matière d’acquisition. [Plusieurs éléments incitent les militaires à faire appel au secteur spatial commercial]. Tout d’abord, la conception militaire américaine du combat du futur nécessite d’obtenir la maîtrise de l’information en exploitant l’infrastructure mondiale de l’information. A partir de cette infrastructure sont proposés à l’échelle planétaire des services de téléphonie, de transmission de données, d’information et des services interactifs. Il s’ensuit qu’une partie des besoins militaires doivent être assurés par des sources commerciales, l’essentiel de cette infrastructure reposant sur des systèmes spatiaux commerciaux, et que les militaires sont tenus de l’utiliser s’ils veulent disposer d’un réseau bénéficiant de la maîtrise de l’information. Parmi les exemples de besoins militaires couverts par le secteur spatial commercial figurent les services de réseaux, les transmissions et la collecte de renseignements. Un deuxième élément est la réforme de l’acquisition. Les initiatives prises dans ce domaine visent à exploiter les capacités du secteur commercial pour permettre au DoD de faire des économies, de réduire le cycle d’acquisition des systèmes militaires, et de fournir de meilleurs systèmes aux utilisateurs. De fait, tous les responsables de l’acquisition doivent examiner les possibilités d’achat, voire de modification de systèmes ou d’équipements disponibles dans le secteur commercial avant de lancer un nouveau programme13. La croissance explosive du secteur spatial commercial constitue un troisième élément, qui a une double incidence sur le secteur militaire. D’une part, elle a provoqué le transfert du leadership technologique des militaires au profit des industriels. Cette prépondérance du secteur commercial se reflète dans plusieurs percées techniques réalisées par sa recherche-développement dans les domaines de l’imagerie spatiale, des transmissions mondiales, et des réseaux mondiaux. Le secteur militaire doit en tirer parti pour maintenir son avance technique. D’autre part, la demande croissante de services spatiaux conduit le secteur spatial commercial à construire des constellations satellitaires complètes. L’emploi de moyens spatiaux est donc, à l’évidence, sorti du domaine strictement militaire pour devenir commun aux militaires et aux industriels. L’influence exercée par le DoD sur les systèmes commerciaux s’atténuera à mesure que le marché se développera car ce ne sont pas les intérêts de sécurité nationale qui régissent les systèmes commerciaux mais la recherche du profit. On ne saurait faire abstraction de cette nouvelle donne : l’industrie est désormais leader au plan technologique, et c’est elle qui construit aujourd’hui l’infrastructure mondiale de l’information. En dépit du déclin de leur influence, les militaires doivent saisir cette occasion et exploiter cette infrastructure pour parvenir véritablement à la maîtrise de l’information."14

30. Partant de cette constatation, l’auteur estime qu’il est dans l’intérêt direct du DoD de se servir du dynamisme du secteur civil pour remplir ses obligations spatiales militaires. Denker souligne un certain nombre d’avantages évidents pour le DoD et pour l’industrie spatiale américaine :
 En s’associant au secteur civil, le gouvernement offre des débouchés à ses industriels. En misant sur des petites sociétés type Start-Up, très avides de commandes gouvernementales, le DoD peut imposer certaines spécifications sur les programmes satellitaires à venir, obtenant des produits adaptés à ses besoins (en particulier au niveau des MUR)15, lui permettant d’exercer un contrôle sur le produit et sa gestion et favorisant la naissance de nouveaux compétiteurs sur le marché.
 En acquérant des produits déjà finis, ou en établissant des accords de coopération avec les entreprises commerciales, le DoD s’épargne tout ou partie du coût de recherche et développement.
 En devenant client des sociétés commerciales, le DoD bénéficie, à moindre coût, des dernières innovations technologiques 16 .
 En devenant client privilégié des grandes sociétés, le DoD peut exploiter du matériel de pointe, redondant et disponible en quantité, tout en obtenant des accès privilégiés en temps de crise. Ce type de service est particulièrement prisé dans les communications, où les capacités militaires sont insuffisantes en temps de crise, mais aussi pour l’imagerie, où la combinaison d’images civiles et militaires offre des possibilités d’exploitation souples, autant au niveau géographique qu’au niveau des temps de traitement et de la disponibilité des images.

31. Ces orientations peuvent utilement servir d’exemple aux Européens. Pourquoi impliquer le Centre satellitaire dans des programmes militaires onéreux et insuffisants en termes de couverture et de souplesse d’emploi, si le secteur commercial permet d’obtenir à moindre coût des performances similaires ? Au regard des capacités financières de l’Europe, la solution de la prestation de services à vocation commerciale et militaire semble une solution parfaitement acceptable. Barry Blaydes, Directeur du Centre satellitaire en 1995, reconnaissait d’ailleurs que si la meilleure solution consistait à donner au Centre des moyens satellitaires propres, les contraintes budgétaires et opérationnelles pressaient plutôt vers une solution intermédiaire : "(...) un centre d’interprétation demande à ses sources d’image d’offrir un compromis acceptable entre des exigences contradictoires : couverture géographique, délais de réponse, date d’interruption de données et qualité d’image. Tandis que la souplesse augmente avec la multiplicité des sources, le principal besoin consiste souvent à obtenir des images dans des délais extrêmement courts, c’est-à-dire des images se trouvant probablement déjà dans les archives du Centre d’interprétation. Si cette exigence n’est pas réaliste à l’échelle mondiale, elle doit pouvoir être respectée pour les zones géographiques d’intérêt primordial pour l’UEO. De cette façon, il est possible d’entamer une interprétation parallèlement à l’acquisition des images les plus récentes, ce qui permet une réponse facile dans l’ensemble. De même, le Centre doit avoir rapidement et facilement accès aux archives des images antérieurement obtenues auprès de tous les fournisseurs et à des informations à jour sur les possibilités de nouvelles programmations. Ainsi, le Centre peut décider promptement de répondre avec succès, par des solutions réalistes, aux demandes d’images que comporte chaque nouvel ordre de travail". Par ce biais, le Centre satellitaire disposerait ainsi des outils lui permettant une évaluation précise des images, essentiellement par recoupement des sources, sans devoir investir dans des moyens propres17.

32. Dans ce sens, le statut de prestataire de services actuellement retenu par le Centre est parfaitement compatible avec les futures missions que l’Europe pourrait lui attribuer dans le cadre des missions de Petersberg. Le caractère civil et commercial du Centre offre en effet deux avantages majeurs.

33. D’abord, il lui permet de disposer d’une marge de financement importante qui pourra suppléer efficacement les éventuelles carences de l’UE dans le domaine. Selon un rapport d’Eucosat18, le marché satellitaire devrait générer des profits substantiels dans les années à venir. Le tableau suivant permet de se faire une idée du volume global du marché potentiel.

Evolution historique et perspectives à dix ans pour le marché civil mondial des produits et services basés sur l’information satellitaire, en millions de dollars

- 1987 1992 1998 2002 2008
Revenus d’opérateurs 30 60 100 150-180 300-400
Fourniture de services 320 510 950 1 200-1 500 2 000-3 000
Marché total 350 570 1 050 1 350-1 680 2 300-3 400

34. S’il est évident que les prestataires de services devront se partager ce marché, il n’en demeure pas moins que le potentiel de développement financier du secteur est suffisant pour justifier que le Centre satellitaire s’y intéresse et tente d’étendre ses activités à l’ensemble du marché, dès lors que celui-ci est rentable. D’un strict point de vue financier, il serait souhaitable que le Centre soit à même de participer à des prestations de services dans les télécommunications, la météo ou dans le positionnement (GNSS/GPS), tout en perpétuant ses activités de télédétection19.

35. Les domaines d’application sont relativement étendus (cartographie, ressources naturelles, catastrophes, données économiques, aides à la navigation et communications de tous ordres) et ont souvent des retombées militaires induites. La cartographie et l’exploitation des ressources naturelles permettent un archivage militairement exploitable, tout en accentuant les opportunités technologiques. Dans le domaine des images radar (SAR), les grands programmes civils de lutte contre les catastrophes ou de sismographie ont permis des avancées déterminantes, rendant les actuels satellites radars commerciaux de plus en plus militairement exploitables.

36. Ensuite, au regard des exigences militaires potentielles de l’Europe, le secteur civil suffit amplement à fournir la majorité des services que les militaires sont en droit d’attendre. La résolution maximale des satellites d’observation actuels est de 80 centimètres (Ikonos, Eros), ce qui est probablement suffisant pour toute opération de maintien de la paix. De surcroît, les outils disponibles tendent à se multiplier. L’entrée en service d’Ikonos (Space Imaging) ou des Eros israéliens (issus des satellites espions Ofeq), satellites commerciaux d’une résolution d’un mètre, et à brève échéance des constellations SkyMed Cosmo (mixte optique/radar)20 et EagleEye/RapidEye permettra au Centre satellitaire d’augmenter considérablement ses capacités, les deux derniers programmes pouvant probablement offrir des capacités d’accès sécurisées.

37. On peut certes arguer que ces satellites sont très insuffisants pour établir un plan de frappe tactique, mais, dans l’état actuel des choses, l’Europe ne dispose ni des systèmes de gestion du champ de bataille, ni du stock d’armes de précision nécessaires pour entamer une campagne de frappe exigeant de telles images. Quant aux frappes ponctuelles, telles que sporadiquement pratiquées par les Américains en Irak, nul besoin de satellites décimétriques : les systèmes de reconnaissance aéroportés classiques fournissent une solution alternative plus souple et nettement plus économique.

38. En fait, le statut civil du Centre offre une remarquable souplesse, si tant est que l’Union se déclare prête à s’investir politiquement et financièrement dans une véritable agence satellitaire européenne. En multipliant les contrats avec les opérateurs satellitaires, le Centre peut bénéficier d’une zone de couverture maximale, aussi bien au niveau des images que des communications. Les Etats-Unis offrent d’ailleurs un bon exemple des possibilités offertes par les systèmes commerciaux avec le projet Eagle Vision : "Le 23 septembre 1996, le chef d’état-major général des armées a défini, du point de vue militaire, des orientations invitant expressément à utiliser les données de télédétection commerciale. Dans un mémorandum adressé au Secrétaire à la défense à propos d’une évaluation interagences du groupe d’étude du Defense Science Board sur l’amélioration des applications du renseignement au champ de bataille, le chef d’état-major appuie nombre de recommandations concernant les moyens d’accroître les capacités actuelles et nouvelles offertes par l’ère de l’information. Particulièrement intéressante est la recommandation du Defense Science Board préconisant l’acquisition et l’utilisation d’images commerciales/internationales afin de combler en priorité les lacunes existant en matière de surveillance du théâtre dans le domaine de la détection des changements. Ce rapport recommande en particulier de confier cette tâche au projet Eagle Vision. Eagle Vision est un système mobile de réception et de traitement au sol de données satellitaires, en cours de développement par l’USAF/CV. Il porte actuellement sur l’imagerie de larges zones et l’imagerie multispectrale. Concrètement, il se compose d’une antenne réceptrice et de deux petites unités mobiles d’acquisition et de synthèse des données, transportables en C-130. Le projet, qui a commencé après l’opération Tempête du désert, a beaucoup progressé lors de l’opération Joint Endeavor dans les Balkans. En 1992, des images Spot ont été achetées par l’US Air Force et utilisées en Bosnie. Cette zone a de nouveau fait l’objet d’opérations d’imagerie en 1994, 1995 et 1996 (pour disposer d’images de la région en hiver) dont les données ont été traitées dans le cadre du projet Eagle Vision. L’intérêt de ces opérations était là encore de fournir aux sections militaires de renseignement et aux commandants sur le terrain des données actualisées et non classifiées sur de larges zones. Dans l’avenir, on prévoit de perfectionner le projet Eagle Vision de façon à ce qu’il puisse traiter des données Radarsat, et celles fournies par les satellites European Remote Sensing (ERS) et Indian Remote Sensing (IRS). En outre, le bureau du projet a reçu 12 millions de dollars du National Reconnaissance Office pour acheter un deuxième système et intégrer les données de certains systèmes nationaux ainsi que celles des satellites EarthWatch (Early Bird et Quick Bird), Commercial Remote Satellite System (CRSS), Orbview, et Resource 21 dans un système perfectionné, Eagle Vision II. Ce projet témoigne d’une volonté nationale durable d’exploiter ces moyens commerciaux pour le soutien en temps réel sur le champ de bataille"21.

39. En s’accordant avec les gouvernements respectifs de ces opérateurs, le Centre peut garantir une certaine sécurité dans les accès, et compenser les restrictions que certains gouvernements nationaux édictent. A titre d’exemple, les restrictions posées par les Etats-Unis sur l’observation de certains pays, ou le transfert de données vers certains clients peuvent aisément être contournées en s’adressant à des sociétés européennes, israéliennes, russes ou indiennes. Il appartient seulement au Centre de s’assurer que ces contractants n’opèrent pas sous des licences américaines, et qu’ils disposent d’une marge d’indépendance suffisante pour que leurs services soient accessibles même en temps de crise.

40. Ce qui est vrai dans le domaine de l’imagerie l’est a fortiori dans le domaine des communications. Une fois de plus, les Américains montrent l’exemple en reconnaissant l’intérêt militaire évident que représentent les constellations de satellites actuellement mises en place. En temps de crise de forte intensité, l’un des principaux problèmes des communications satellitaires militaires est que le volume de communications demandé par les troupes excède largement les capacités des satellites militaires affectés. Il est donc nécessaire de passer par les opérateurs civils, d’obtenir des priorités d’accès et des garanties de sécurité. Les constellations commerciales qui assurent une couverture mondiale reposent généralement sur plus d’une trentaine de satellites, ce qui représente en soi un investissement conséquent22.

41. L’intérêt militaire des satellites commerciaux de communication dépend essentiellement du type d’informations à véhiculer (temps réel ou non, générales ou non, plus ou moins sécurisées, à destinataires uniques ou multiples, etc.), de la survivabilité du système et de la sécurité des accès. Prenant l’exemple de la presque défunte constellation Iridium, qui aurait dû offrir des services de communication généraux, un expert américain pouvait ainsi écrire : "Iridium est conçue pour des services de téléphonie mobile et de transmission de données. A la différence d’Orbcomm et de Globalstar, ses satellites sont en orbite polaire et peuvent communiquer entre eux par liaisons radio. Cette architecture de pointe offre plusieurs avantages décisifs. Tout d’abord, il n’existe pratiquement aucun point du globe, pas même aux pôles, qui ne bénéficie d’une couverture continue. Cela peut être un atout pour certaines forces, comme les forces sous-marines, qui peuvent avoir à se rendre dans les régions les plus septentrionales. Ensuite, il est possible de téléphoner aux Etats-Unis depuis n’importe quel point du globe sans avoir à utiliser une infrastructure étrangère. Ainsi, à moins que l’ennemi puisse intercepter l’appel au moment où il est effectué ou sur le territoire américain lui-même, l’appel reste inaccessible. Il n’existe pas sur le théâtre de portails de communication à surveiller ou à détruire. Il n’est donc pas nécessaire de disposer de moyens connexes de soutien sur le théâtre, si ce n’est de terminaux/téléphones mobiles de rechange. La constellation et les liaisons intersatellites offrent aussi une survivabilité exceptionnelle au système de communication. Une étude de modélisation réalisée par l’Air Force Institute of Technology concernant Iridium indique que la constellation pourrait perdre 36 de ses 66 satellites et continuer d’envoyer des données en moins de 200 millisecondes en moyenne23. Iridium constitue un excellent choix de réseau de communication puisqu’il est opérationnel instantanément depuis n’importe quel point du globe. Toutefois, ce n’est pas un système protégé et il doit être associé à des dispositifs de cryptage pour des communications sécurisées (non contrôlées)24. Il permet d’accéder en temps réel au monde entier et offre une robustesse qui en fait un système mondial de communication exceptionnel pour la téléphonie et la transmission de données à bas débit25".

42. Les constellations futures, de type Teledesic et Celestri, devraient offrir des potentialités supérieures, et permettraient, selon l’auteur de ce rapport, de remplir la majorité des besoins militaires par le biais d’un système unique si le gouvernement américain prend la peine de participer à leur élaboration, en particulier au niveau des MUR26. Dans une perspective européenne, la reproduction d’un tel schéma d’utilisation exigera toutefois que les dessertes commerciales soient partiellement doublées par des systèmes militaires, qui sont donc impératifs pour certains types de communications spécialisées, ainsi que pour une simple nécessité de redondance27.

43. Le maintien du statut essentiellement civil du Centre soulève toutefois deux questions épineuses : la sécurisation des accès, en particulier en termes d’indépendance, et l’accomplissement des tâches militaires spécialisées, relevant du renseignement tactique ou politique.

44. La sécurisation des accès répond à un double objectif : la protection des données, des émetteurs et des récepteurs, et la non-diffusion des données fournies. La protection des données, des émetteurs et des récepteurs est une question d’ordre technique. D’une manière générale, le cryptage des données, la création de formats spécifiques et compatibles entre eux et la nature des systèmes de transfert des données permettent de déterminer dans quelle mesure les informations peuvent être sécurisées. Il est couramment admis que des émetteurs/récepteurs correctement sécurisés et des algorithmes de cryptage/décryptage performants offrent un niveau de sécurité raisonnable, même si le récent scandale du réseau Echelon démontre que des progrès sont à faire au niveau commercial.

45. En ce qui concerne la protection physique des matériels, les militaires ont par contre un rôle essentiel à jouer en incitant l’industrie à se doter de systèmes satellitaires plus résistants aux brouillages, et aux aveuglements de tout type (laser ou impulsions électromagnétiques - EMP). Cette "sensibilisation" peut être optimisée si les agences spatiales ou le Centre satellitaire accompagnent le développement des systèmes commerciaux, finançant les systèmes MUR et incitant les industriels à accomplir le minimum nécessaire en matière de protection28. La loi du marché et la convoitise suscitée par les appels d’offres militaires devraient alors permettre une mise à niveau rapide des satellites commerciaux.

46. La question de la sécurisation est beaucoup plus délicate au niveau politique. Dans l’état actuel des choses, nul ne peut garantir qu’un opérateur satellitaire ne partagera pas les données recueillies avec ses autorités de tutelle avant de les retransmettre au Centre satellitaire. Le Centre devrait ainsi pouvoir exiger de ses fournisseurs qu’ils lui donnent les garanties techniques et politiques que les images qui lui sont transmises ne peuvent être légalement détournées par leurs autorités nationales. Dans l’état actuel de la législation américaine, par exemple, il est peu probable que les Européens puissent exiger de telles garanties de l’opérateur d’Ikonos, Space Imaging29.

47. Le Centre devrait donc prévoir des fournisseurs de substitution, quitte à favoriser l’émergence de nouveaux opérateurs ou exiger, par le biais de l’UE, certaines garanties de la part du gouvernement américain. Dans tous les cas de figure, il demeure dans l’intérêt du Centre satellitaire de consommer de l’image satellite et d’exiger une indépendance maximale dans l’accès aux données. Ce n’est que sous ces conditions que les lois du marché élimineront les sociétés transgressant les lois les plus élémentaires de la confidentialité des informations commerciales - en l’occurrence les sociétés américaines - et offriront à leurs concurrentes (européennes, indienne, russe) l’occasion de s’imposer et de se développer. Les actuelles déficiences des opérateurs satellitaires commerciaux en matière de sécurisation des transferts ne sauraient être un argument contre leur exploitation, sous peine de voir l’industrie européenne péricliter, faute de marchés.

48. Si l’on admet que le Centre peut demeurer un prestataire de services, ouvert sur l’exploitation commerciale de l’imagerie et des communications spatiales, quelles peuvent alors être ses missions générales ?

49. La première d’entre elles serait certainement de permettre aux industries européennes de se maintenir sur un pied d’égalité avec les sociétés étrangères, en particulier américaines. A l’instar du DoD et du DoC (Department of Commerce), le Centre doit impérativement mettre en place un système de participation ou d’association privilégiée avec les industries européennes, afin de favoriser le développement des sociétés les plus petites et de garantir des marchés à l’ensemble de la profession. Si l’on admet que le secteur commercial joue désormais un rôle de locomotive, ce n’est que par ce moyen que l’industrie européenne sera à même d’offrir des services de qualité comparable à ceux des sociétés américaines, autant dans le domaine militaire que civil30. En assurant des débouchés aux sociétés satellitaires européennes, en participant aux phases finales des programmes militairement significatifs, ou en se positionnant en tant que client privilégié, le Centre satellitaire peut élargir son assise militaire et civile, tout en servant de moteur aux industries européennes et extra-européennes. Il est donc vital d’associer les industriels à son évolution, afin de faire coïncider les demandes à caractère stratégique émises par l’Europe avec le savoir-faire disponible localement. Des organismes comme Eucosat pourraient ainsi utilement servir d’interface entre les deux milieux.

50. D’un autre côté, il n’est pas dans l’intérêt des Européens d’affronter les Américains mais plutôt de coopérer avec eux. L’ESA, l’EADS, Alenia ou BAe disposent de nombreux contrats d’association avec les Américains sur des projets ponctuels et l’affirmation d’une présence spatiale européenne unitaire ne doit pas les remettre en cause. Le lien transatlantique demeure, et les Etats-Unis se montreront systématiquement prêts à établir un partenariat avec des associés forts, d’autant plus qu’au-delà de la réduction des coûts, la coopération internationale permet la création de redondances militairement utiles, ainsi que l’élimination des duplications nuisibles générées par les programmes nationaux similaires mais incompatibles. Selon l’Office of Technology Assessment (OTA), la coopération internationale est essentielle, en dépit des désagréments qu’elle peut entraîner : "Les satellites de télédétection survolant de larges portions de la terre sans tenir compte des frontières politiques, la télédétection revêt un caractère intrinsèquement international. La coopération entre les pays offre l’occasion de réduire les coûts et d’améliorer l’efficacité des programmes de télédétection. Elle permet de réduire les coûts en éliminant les chevauchements inutiles entre programmes nationaux. Elle peut aussi améliorer l’efficacité en conjuguant les atouts complémentaires des programmes nationaux et en supprimant les lacunes éventuelles en matière de données. Toutefois, la coopération internationale comporte certains risques car elle entraîne une relative perte de maîtrise du type et de la qualité des données disponibles. Elle risque aussi d’occasionner la perte de certaines d’entre elles si l’on doit tabler sur les contributions d’autres pays, et de créer des contraintes supplémentaires découlant de la nécessité de répondre aux besoins des partenaires. Les échanges de données sont indispensables à la coopération internationale dans le domaine de la télédétection. Des échanges ouverts sont particulièrement importants concernant les prévisions météorologiques, la recherche sur le changement climatique mondial, la surveillance des océans, et d’autres applications exigeant des données à l’échelle mondiale. C’est la raison pour laquelle les Etats-Unis pratiquent depuis longtemps le partage des données satellitaires avec d’autres pays. Etant donné que certains gouvernements considèrent les données comme des produits d’une grande valeur commerciale alors que le gouvernement américain et d’autres avec lui les traitent comme des biens publics, la communauté internationale des spécialistes de la télédétection est confrontée à un problème de coordination des politiques en matière d’accès aux données et de tarification de celles-ci. L’impossibilité de coordonner les politiques d’accès et d’échanges de façon à parvenir à une véritable intégration dans ce domaine pourrait grandement compliquer l’accès aux données et compromettre l’efficacité des programmes de télédétection." Au strict niveau financier, l’OTA note : "Le troisième facteur déterminant qui influe sur les activités internationales de télédétection est l’intérêt mondial porté à la réduction des coûts. Cet objectif induit deux tendances antagonistes : d’une part, un intérêt croissant pour la coopération internationale dans le but d’accroître la rentabilité des programmes de télédétection, notamment en éliminant les chevauchements inutiles entre les différents programmes nationaux ; d’autre part, une tendance des agences gouvernementales à commercialiser les données en vue de récupérer les coûts de développement et d’exploitation des systèmes de télédétection. Ces deux tendances sont antagonistes car la coopération internationale suppose une relative ouverture dans les échanges de données, alors que la commercialisation implique de réserver l’accès aux données aux clients qui les paient. Cet antagonisme explique que les efforts visant à promouvoir la coopération internationale dans un contexte de fournisseurs multiples se soient attachés en priorité à coordonner les politiques en matière de données. L’élaboration de politiques efficaces en matière d’échanges de données sera déterminante pour l’avenir de la coopération internationale dans le domaine de la télédétection. Les trois facteurs évoqués ont débouché sur des programmes de coopération internationale et sur des projets visant à en poursuivre le développement. La portée et l’orientation de cette coopération seront fonction de plusieurs facteurs : la capacité de maintenir des mécanismes efficaces d’échanges de données ; la capacité de partager équitablement aussi bien les coûts de développement et d’exploitation des systèmes de télédétection que le contrôle de ces systèmes, sans introduire de pesantes dispositions administratives ; la confiance de tous les partenaires internationaux dans leur fiabilité réciproque (les Etats-Unis doivent donc évaluer la fiabilité de leurs partenaires et s’efforcer d’être eux-mêmes un partenaire fiable)."31

51. Cependant, le Centre n’a pas besoin de se soumettre aux mêmes règles que celles édictées à Washington. A titre d’exemple, les limitations établies par les Américains et les Russes sur la précision de l’observation spatiale de la terre (80 cm de résolution maximale pour les satellites non militaires) ne sont pas forcément aussi pertinentes pour l’Europe que pour les Etats-Unis. Le Centre aurait peut-être intérêt à inciter au développement commercial de moyens d’observation décimétriques, favorisant ainsi les entreprises européennes sur les marchés commerciaux et permettant la mise en service d’outils ayant des applications militaires directes. Evidemment, en termes de sécurité, les conséquences de telles décisions doivent être soigneusement évaluées. De même, les Européens devront veiller à ce que les limitations que le gouvernement américain envisage d’instaurer au niveau des évolutions techniques permises dans le domaine civil (images radar type XSAR et hyperspectrales) n’aient pas de répercussions sur leurs propres développements civils.

52. Il est en effet envisagé de limiter les développements de ce type sur les satellites, même si plusieurs sociétés américaines ou canadiennes envisagent déjà de mettre de tels systèmes en ?uvre (Radarsat 2 - SAR - et OrbView 4 - hyperspectral à 8 mètres de résolution)32. Par le biais des licences commerciales, les Américains pourraient être tentés de restreindre le potentiel technologique des satellites civils, amoindrissant par ricochet les capacités futures des sociétés prestataires de services, ou même essayer de contrôler purement et simplement la diffusion des données issues des instruments satellitaires sous licence. Des cas similaires ont déjà été vus, Washington ayant par exemple insisté pour contrôler les données issues de la plate-forme européenne METOP mise en ?uvre par Eumetsat, arguant que certains instruments de mesure étaient américains33. De même lors de la vente de systèmes SAR à la société canadienne MacDonald Dettwiler (MDA) pour Radarsat 2, MDA a finalement fait appel à la technologie italienne, les contractants américains initiaux étant sujets à d’importantes contraintes de la part de leur propre gouvernement34. Le développement de capacités alternatives non américaines, qu’elles soient privées ou militaires, devrait donc être encouragé par l’Europe, alors que l’emploi de technologies américaines devra être soigneusement étudié, y compris lorsqu’elles seront issues de sociétés privées les exportant dans un but commercial.

53. D’une manière générale, il est dans l’intérêt du Centre de garantir un niveau de qualité supérieur dans le domaine de l’interprétation des images satellitaires. Le marché étant en expansion, la commercialisation des images auprès des industries et des gouvernements étrangers devrait permettre de générer un flux financier appréciable, pouvant être utilement réinvesti. Il faut toutefois remarquer que l’ouverture au marché risque de poser un certain nombre de problèmes politiques et commerciaux. D’une part, elle suppose que l’UE accepte que le Centre ait une finalité commerciale. D’autre part, elle implique que l’Europe se dote des moyens de sélection des clientèles, que ces dernières soient strictements privées ou qu’elles représentent des gouvernements clients demandant un accès à l’information spatiale par le biais du Centre. Enfin, elle nécessite que les modalités de fonctionnement du Centre soient revues. Actuellement, l’UEO demeure propriétaire des images traitées par le Centre, et l’accès aux données traitées est garanti à tous les membres (à l’exception des images Helios, qui font l’objet d’accords particuliers entre l’UEO et les trois maîtres d’ ?uvre). Il est probable que l’UE disposerait des mêmes droits et devoirs si elle devait intégrer le Centre à la PECSD. D’un point de vue strictement commercial, cette égalité de traitement n’est pas forcément recommandée.

54. En effet, si le Centre ne peut garantir à sa clientèle (privée ou étatique) la confidentialité du traitement de ses données, il en résultera inévitablement d’importantes pertes de parts de marché. Les entreprises européennes elles-mêmes, qui sont en compétition, hésiteront à recourir à ses services, alors que les seuls Etats étrangers susceptibles de demander des images seront ceux qui, ayant passé des accords de défense avec certains pays européens, accepteront que ces pays aient un droit de regard sur leur politique de défense et de sécurité. A l’inverse, la clientèle gouvernementale financièrement intéressante, représentée par les pays riches dotés d’infrastructures de sécurité indépendantes et souhaitant avoir un accès à l’espace, risque de dédaigner les services offerts par l’Europe, l’indépendance des données fournies n’étant nullement garantie. De telles perspectives sont peu acceptables si l’Europe escompte trouver des flux financiers importants sur le marché de l’image satellitaire - mais aussi sur celui de la communication ou du GPS. Si un contrôle peut se faire dans le choix des clients, comme cela se fait déjà sur le marché de la vente d’armements, les règles élémentaires de la compétitivité imposent de faire confiance à ces clients, une fois ceux-ci retenus.

55. Enfin, il sera nécessaire que l’Europe s’attelle rapidement au problème de la mise à disposition de l’information commerciale sensible - c’est-à-dire issue des systèmes de renseignement militaires - auprès des grands groupes industriels du continent. Depuis plus d’une dizaine d’années, les Etats-Unis utilisent leurs systèmes d’écoute (type Echelon) et d’observation pour servir, quand le besoin se fait réellement sentir, les intérêts économiques des grandes entreprises nationales, étant admis que la santé de ces dernières influe directement sur la prospérité du pays, et donc sur sa sécurité. Les Américains disposent ainsi de moyens particulièrement "efficaces" pour éliminer la concurrence à leur profit. Il serait suicidaire que l’Europe se désintéresse du problème, prétextant de l’amoralité du principe, ou de l’impossibilité de mettre en ?uvre une relation stratégique entre ses moyens de renseignement et les grandes entreprises de l’Union. D’une part, parce que seule la mise en place d’un système européen identique permettrait d’obtenir de Washington l’établissement de règles de bonne conduite minimales. Mais aussi parce que, aujourd’hui, la technologie ne permet plus de se passer de tels systèmes, un nombre croissant de grandes entreprises pouvant y avoir accès partout à travers le monde. Or, les premiers pas vers une meilleure synergie entre les moyens d’observation et de renseignement européens et le monde industriel ne sont pas difficiles à entreprendre, une fois les postulats politiques acceptés par tous.

56. En effet, donner certains moyens d’accès vers le Centre aux entreprises privées est parfaitement envisageable et devrait être systématisé, d’autant que le caractère toujours plus multinational des entreprises européennes devrait permettre aux services d’interprétation ou de renseignement de collaborer, du moins dans certains cas. Là encore, il serait souhaitable qu’une coopération puisse s’instaurer entre les instances politiques responsables du Centre et les entreprises privées, selon des procédures entièrement sécurisées, l’utilisation de renseignements économiques provenant d’organes d’Etat et allant vers des organes privés demandant une grande discrétion. Par ailleurs, et ce n’est sans doute pas le moindre avantage d’une telle formule, le Centre trouverait là un excellent moyen de se financer et de se maintenir dans la compétition technologique avec les autres sociétés et agences ayant les mêmes attributions que lui.

La place des missions militaires dans un système à finalité commerciale

57. L’orientation commerciale potentielle du Centre satellitaire n’implique cependant pas une renonciation aux missions militaires. En fait, le principal intérêt d’une telle orientation est de permettre à l’Europe de se doter d’un système à capacité militaire à moindres frais35. Toutefois, l’intégration de missions militaires dans un système orienté vers la compétitivité et le marché risque d’être ardue.

58. De ces deux options examinées précédemment (un Centre satellitaire essentiellement militaire, ou un Centre satellitaire essentiellement civil), la première est la plus simple. Un Centre satellitaire explicitement tourné vers le traitement d’informations militaires, mettant en ?uvre des programmes gouvernementaux auxquels il est partie, gérera naturellement les questions militaires. Seule la répartition des postes en son sein, les droits d’accès et la redistribution des données seraient sujets à examen, et pourraient probablement être réglés par des accords politiques.

59. A l’inverse, le maintien d’une structure civilo-commerciale, articulée autour de la prestation de services, pose le délicat problème de l’utilisation de satellites militaires par un organe qui, au premier abord, n’est pas compétent pour ce faire. La solution à ce dilemme suppose que l’Europe adopte une double démarche : d’une part, qu’elle incite ses membres à développer une architecture militaire minimale, telle que celle actuellement développée par la France et, d’autre part, qu’elle se dote des instruments juridiques permettant la réquisition des satellites militaires des pays membres.

60. Développer un système européen de satellites militaires est une nécessité. En dépit de l’échec d’Horus, symptomatique des difficultés à réaliser des programmes concertés avec des partenaires ayant des stratégies spatiales différentes, la création d’outils militaires complémentaires entre les membres de l’Union doit être mise en ?uvre et encouragée. Il est impératif que ces systèmes satellitaires présentent, pour chaque pays, un intérêt national et, pour l’Europe, un intérêt global. De ce fait, l’Union pourrait aider au financement de ces projets, incitant les pays membres à développer de manière autonome leurs capacités militaires. Dans ce cas, pourquoi ne pas faire passer ce financement par le Centre, qui deviendrait ainsi un opérateur direct ? La réponse est que l’utilisation de ces systèmes par le Centre restera marginale pour la dizaine d’années à venir et qu’il serait incohérent de lui faire supporter le poids de projets qui lui apporteraient peu en termes techniques, et n’auraient d’utilité qu’en temps de crise, lorsque des outils sécurisés doivent impérativement être mis en ?uvre. Tout au plus pourrait-il, en tant qu’organisme commercial dégageant des marges financières, offrir des compensations financières lorsqu’il aura recours à ces systèmes. A l’inverse, l’Union, qui a l’ambition d’établir un véritable outil de défense commun, pourrait financer une partie des systèmes satellitaires actuellement développés en Europe, au même titre qu’elle favorise le développement de systèmes GNSS. Les programmes Skymed Cosmo/3S, Ishtar RapidEagle/RapidEye pourraient ainsi être candidats à un financement communautaire, en partenariat avec les industriels et éventuellement les gouvernements nationaux. L’Union serait ainsi fondée à demander aux opérateurs de ces programmes de les mettre à disposition en cas de besoin, selon des protocoles d’accord établis.

61. Dans cette double optique, il est nécessaire que le Centre et l’Union s’accordent sur la création d’un fonds commun d’utilisation permettant le dédommagement des pays mettant leurs matériels à disposition. Parallèlement, à l’exemple des Américains (dans le cadre de PDD 23), l’Europe doit se donner les moyens d’établir des priorités d’utilisation, voire de réquisitionner les satellites militaires de ses membres en cas de besoin. Des accords pourraient être établis pour que le Centre puisse avoir des accès ponctuels à la programmation des satellites militaires des différentes nations européennes, afin de traiter les objectifs que le secteur civil n’est pas apte à couvrir, pour des questions de temps ou de précision. Ceci implique une renonciation à une partie de la souveraineté des Etats possesseurs, sachant que l’exploitation de leurs satellites ne se fera probablement que lorsque la menace se portera autant sur leurs intérêts propres que sur ceux de l’Union.

62. Il faut insister sur le fait que ces réquisitions ne seront acceptables que si des compensations financières sont offertes, mais aussi si l’Europe accepte de participer au développement des systèmes satellitaires potentiellement militaires. Si l’Union ne parvenait pas à inciter au développement de capacités nationales complémentaires et à se donner les moyens légaux de les utiliser en cas de crise, le statut du Centre devrait impérativement s’orienter vers une structure gouvernementale, largement déconnectée des lois du marché et articulée sur la participation financière du Centre à des programmes militaires européens. Le coût en serait alors nettement plus élevé36.

63. Demeure le problème de l’exploitation des données militaires issues de ces satellites. Par nature, les missions militaires s’opposent totalement aux missions commerciales dans le sens où l’accent est mis sur la sécurisation, la non-diffusion et l’étanchéité des systèmes et des données. Par ailleurs, les missions militaires demandées au Centre auront une orientation vers le renseignement extrêmement prononcée, ce qui suppose l’acceptation d’un certain nombre de procédures restrictives, et sa confrontation à un milieu auprès duquel son statut multinational pourrait se révéler inadapté. La constitution d’un service de renseignement européen risque en effet de soulever un certain nombre de problèmes d’organisation difficiles à gérer, et peut-être même une compétition entre les pays membres. Dans une telle perspective, s’il est acquis que le Centre satellitaire doit jouer un rôle effectif, il est peu souhaitable de le confronter aux problèmes politico-militaires que la gestion en commun d’un service de renseignement européen est amenée à générer.

64. Le rapport de l’Assemblée de l’UEO portant sur les missions des forces européennes dans le cadre des accords d’Helsinki exprime les exigences minimales pour une politique européenne de renseignement, à savoir la création d’une structure de renseignement détachée auprès du Centre et dotée de personnels qualifiés, la création de moyens de communication performants entre le Centre, l’EM et l’OTAN (type BICES), la possibilité de programmer des missions de renseignement à long et court terme et les financements idoines pour développer les capacités d’observation et de traitement de l’information37. En somme, il s’agit d’une capacité ISR (Intelligence, Surveillance, Reconnaissance) classique, basée d’abord sur la mise en ?uvre de matériel adéquat, puis sur le traitement spécifique de l’information recueillie.

65. Les demandes formulées dans ce rapport peuvent aisément être gérées dans le cadre d’une structure à vocation essentiellement civile. La délégation d’officiers représentant les pays membres au sein d’une cellule sécurisée du Centre ne pose pas de problèmes particuliers et pourrait s’inspirer du système déjà en place pour Helios. De même, l’amélioration des systèmes de communication entre le Centre et les organes de décision, ainsi que l’augmentation du personnel disponible pour traiter les images devraient être réalisées sans difficultés majeures38. Il sera par contre plus délicat de déterminer à quels systèmes satellitaires les militaires auront accès, et quel type d’accès leur sera réservé. Il va de soi que si le Centre satellitaire met en ?uvre ses propres satellites militaires, un accès exclusif sera offert à l’EM, au COPS et éventuellement aux membres individuels de l’Union. Les clefs de répartition seront alors fixées par les gouvernements, en fonction des participations budgétaires ou d’accords de coopération établis.

66. La question est plus épineuse pour les satellites civils, à l’égard desquels le Centre ne sera que prestataire de services. Le traitement des données par les militaires ne pose pas de problèmes en tant que tel, mais il sera nécessaire de déterminer quelles données pourront être ordinairement traitées par les civils, et quelles sont celles qui seront traitées par les militaires, sachant qu’il est douteux que les Européens mettent à disposition un personnel militaire suffisamment nombreux pour traiter l’ensemble de l’information disponible. Il est probable que seul l’usage permettra de déterminer quelle part revient à chacun. Surtout, le traitement de données d’origine commerciale par les militaires soulèverait probablement d’importantes incertitudes, en termes de sécurisation bien sûr, mais aussi en termes d’indépendance. L’exploitation militaire d’images commerciales implique, dans l’état actuel des choses, que l’Europe accepte de ne pas être totalement autonome dans l’acquisition de ses renseignements, en particulier à l’égard des Etats-Unis, sachant que la capacité d’exploitation souveraine des données prime sur la souveraineté de la capacité d’acquisition.

67. Il est important de noter que dans une telle architecture, le Centre ne deviendrait pas un organe de renseignement militaire, mais un organe civil offrant des disponibilités militaires. La nuance est de taille car elle suppose que le Centre ne sera pas intégré aux structures de l’EM en tant que partie d’un service de renseignement (SR) européen, mais représentera une interface entre les opérateurs satellitaires et le SR européen, disponible sur réquisition, mais nullement soumis à l’autorité ordinaire de l’EM. 

68. En effet, dans son immense majorité, le secteur militaire opérationnel est un consommateur de données et non un producteur. Ce qui lui importe est d’obtenir en temps opportun le maximum d’informations fiables et sécurisées, quel que soit le canal retenu pour ce faire. Les besoins des militaires impliquent que les informations qui leur sont destinées soient parfaitement calibrées, et donc traitées par des spécialistes, mais à l’inverse, il n’est nullement nécessaire d’avoir une intégration militaire verticale, de la production à la consommation, pour satisfaire à leurs demandes. Il en découle une rupture dans la chaîne, la collecte de l’information pouvant être partiellement civile, et son traitement, puis sa redistribution, militaires.

69. Parallèlement à ce circuit, les données issues de satellites militaires peuvent transiter par le Centre dès lors que leur intérêt est européen, pour ensuite être traitées par la cellule militaire dédiée au Centre et en relation avec le SR. La coexistence entre le Centre et le SR européen pourrait donc être établie de sorte que le premier garde son indépendance en temps de paix, et que le second dispose d’accès prioritaires et sécurisés en cas de crise. Il serait cependant souhaitable que le Centre dispose de la capacité légale d’entreprendre des études à son propre compte (capacité de pre-request), sans devoir attendre un mandat explicite du Conseil. Cette autonomie relative lui permettrait d’accumuler des données potentiellement utiles sur des zones à risques, lui donnant une capacité latente de renseignement et le délivrant des astreintes nées d’une subordination trop étroite à ses autorités de tutelle.

70. Par ailleurs, un Centre axé sur une architecture civile présente un intérêt évident dans une structure intergouvernementale telle que celle mise en ?uvre dans le cadre de la défense européenne. Une telle architecture permet en effet la mise en place de structures décentralisées. Il faut tenir compte du fait que les Etats participant au financement du Centre satellitaire exigeront un retour sur investissement minimal. Sans que la future structure soit aussi contraignante que l’ESA, où le principe de réciprocité industrielle est une règle politique, il est douteux que les membres de l’Union acceptent de financer un centre satellitaire sans en percevoir les avantages quotidiens. Dans ce sens, la création d’un centre satellitaire à orientation militaire risque de générer certaines désillusions. Les priorités militaires donneront au Centre une structure centralisée, étanche, axée sur le commandement, avec une prise d’ordre verticale, passant de l’autorité supérieure - COPS ou EM - et transitant vers le Centre. Dans cette perspective, l’accent serait mis sur des systèmes satellitaires restreints, car devant répondre à des exigences spécifiques de sécurité, de performance, de robustesse et de fiabilité. Hors des réquisitions de l’EM, les demandes des Etats membres ne feraient pas l’objet d’un traitement optimal, le nombre de satellites/sociétés satellitaires agréés étant volontairement restreint, et les impératifs de sécurité rigidifiant les accès. Le retour sur investissement offert aux pays membres serait faible, en particulier en temps de paix, sachant qu’en Europe, les périodes de non-crise sont nettement plus longues que les périodes d’intervention.

71. Si l’on admet que le financement du Centre sera facilité si les pays membres en perçoivent véritablement l’utilité, et si le Centre est à même de générer des profits, à la fois pour lui-même mais aussi pour les sociétés satellitaires des divers pays membres, il est nécessaire de l’orienter vers une structure axée sur la réponse à la demande. Les avantages financiers et technologiques ont déjà été évoqués, mais il est utile que le type d’architecture permise par un tel système convienne à une organisation multinationale des financements, des services et des industries. C’est précisément le cas puisque l’architecture commerciale permet de répondre plus facilement aux exigences individuelles des pays membres et autorise l’instauration d’une structure de commandement plus décentralisée.

72. En effet, parallèlement aux instances européennes supérieures, les pays membres auraient la possibilité de demander des missions, de proposer des services et de dynamiser leurs propres industries par le biais du Centre. Dans une optique assez similaire à celle de l’ESA, une myriade de sociétés européennes sera donc intéressée au développement du Centre, même si la prise de décision et les grandes orientations resteront finalement centralisées au plus haut niveau européen.

73. On constate néanmoins que la deuxième option ne peut être réalisée sans un minimum de garde-fous. Une certaine rationalité doit être atteinte au niveau industriel, en particulier dans l’optique d’une union européenne parfaite, alors que des capacités militaires explicites doivent être maintenues. Dans ce sens, l’organisation du Centre demande une rigidité minimale, ainsi que l’élaboration de structures de commandement verticales permettant l’élaboration d’outils à finalité militaire et la redistribution spécifique des informations stratégiques ou sensibles. Il est donc impossible de laisser le Centre se reposer uniquement sur le marché durant sa transformation, celle-ci exigeant qu’une politique spatiale soit dûment explicitée par les instances européennes et que les contraintes nées des applications militaires des futures missions du Centre soient prises en compte39.

74. Les deux tableaux suivants permettent d’apprécier les différentes contraintes nées d’une structure centralisée, à vocation essentiellement militaire, et celles dérivant d’une structure commerciale, axée sur la flexibilité et la réponse à la demande.

75. Les deux tableaux illustrent assez bien les problèmes auxquels l’Europe sera confrontée dans chacun de ses choix. Une architecture orientée vers des fonctions militaires favorise la mise en place de satellites à hautes performances, particulièrement fiables, mais aussi la définition d’un environnement adapté à ses missions spécifiques. Les considérations de coûts ne sont pas prioritaires, pas plus que la flexibilité. A l’inverse, le secteur commercial offre de bonnes capacités en termes de performance, de fiabilité et de flexibilité, pour autant que cela cadre avec les grandes orientations retenues par les opérateurs. La filière des satellites lourds apparaît ainsi nettement moins intéressante que la filière des constellations en terme de performances. Toutefois, dans tous les cas, l’architecture civile l’emporte au niveau des coûts et des services offerts à l’utilisateur. En replaçant ces avantages et inconvénients dans le cadre d’une structure multinationale aux centres de décision éclatés, aux budgets réduits et très exigeante sur les capacités d’accès de ses membres ainsi que sur les retours industriels, il apparaît clairement que l’architecture de type militaire n’est certainement pas la plus appropriée en raison de ses coûts excessifs et de son manque relatif de flexibilité.


NOTES

6. Le renseignement en temps de crise impose en effet de pouvoir modifier les déplacements ou les axes des satellites afin de couvrir les zones sujettes à inspection. Seuls les opérateurs des satellites ont accès à la planification des missions.

7. Selon le Colonel Molard, ancien Directeur du Centre satellitaire, "la coopération à trois suppose déjà la mise en ?uvre de sept clés de codage pour garantir la confidentialité des images. A quatre, il en faudra davantage, mais en dépit de cette contrainte technique, la coopération peut être envisagée. Au-delà, le partage d’un système tel qu’Helios n’est pas envisageable. Seule une organisation comme, par exemple, l’UEO, qui programmerait le système au niveau européen, pourrait exploiter Helios". Chef d’escadron Jérôme Lockhart, L’Espace et la sécurité de l’Europe, mémoire de DESS de l’Université de Versailles Saint-Quentin, 1996-1997, p. 64.

8. Air & Cosmos Aviation Magazine International, no1726, 26 novembre 1999.

9. Ces chiffres ne tiennent compte ni de l’infrastructure nécessaire à la fourniture des images, ni de leur traitement particulier (dans le cas d’Helios), ni de la politique de dumping occasionnellement pratiquée par le gouvernement américain (dans le cas de Landsat 7).

10. "American Control of Outer Space in the Third Millennium", John Pike, novembre 1998, FAS, http://www.fas.org/spp/eprint/space9811.htm.

11. Anatol Johansen, "Berlin, un sommet spatial décevant", Air & Cosmos/Aviation Magazine International, no 1726, 26 novembre 1999, p. 9. Le budget spatial allemand s’élève à 818 millions d’euros, dont les deux tiers sont destinés à l’ESA. Le gouvernement allemand ne semble pas devoir accorder grande importance au domaine strictement militaire, mais reste réceptif aux conséquences économiques que la faiblesse des budgets spatiaux peut générer. L’accord sur l’innovation, l’investissement et l’efficacité économique passé avec les grands industriels tend à vouloir diminuer les coûts des acquisitions militaires par une diversification des sources d’approvisionnement et une accentuation des financements privés. Toutefois, les aides à la recherche accordées en janvier 2000 par le ministère de la recherche ne concernent ni la défense ni le milieu aérospatial (Michael A Taverna, "German Industry Decries Defense Cuts", Aviation Week & Space Technology, 28 février 2000, pp. 40-41. Cette volonté allemande de rentabiliser le secteur spatial se retrouve à l’identique au sein de l’ESA.

12. A titre d’anecdote, cette déclaration d’un responsable américain lors de l’opération en Somalie : "Inmarsat a sursouscrit et CNN nous a mis à la porte. Nous avons dû appeler tous les matins et laisser le canal ouvert toute la journée à seule fin de faire un appel de 10 minutes à midi". Stephen T. Denker (Major, USAF), "Trust Me, I ’ll Deliver" : Acquisition Approaches to Guarantee Commercial Companies Deliver Critical Space Products In Time of Crisis, AU/ACSC/071/1998-04, Air Command and Staff College, Air University, Maxwell AFB, Alabama, avril 1998, p. 24.

13. Directive du ministère américain de la défense (DoDD) 5000.1, Defense Acquisition, 15 mars 1996, 6.

14. Stephen T. Denker, "Trust Me, I’ll Deliver",...op. cit. p. 2 et pp. 3-4. Selon un autre rapport : "la politique spatiale nationale encourage la croissance économique du marché spatial, mais reconnaît aussi que le secteur public n’est pas en mesure de concurrencer efficacement le marché spatial commercial. L’essor des capacités spatiales commerciales, conjugué à la réduction des budgets de défense de l’après-guerre froide, contraint le DoD à évaluer avec soin quels systèmes spatiaux il a les moyens d’acheter, leur coût pouvant atteindre plusieurs milliards de dollars. Il est peu probable qu’il fasse l’acquisition de systèmes spatiaux militaires spécialisés s’il existe des systèmes commerciaux qui lui conviennent. Les futurs investissements dans des systèmes spécialisés devraient concerner le domaine des missions qui exige des capacités exclusivement militaires ou servir à assurer une redondance importante notamment en matière d’alerte avancée, de navigation, de capacité ISR (renseignement, surveillance et reconnaissance), et de communications stratégiques. En fait, les militaires dépendent déjà des capacités spatiales commerciales dans le domaine des missions de support aux forces, telles que les communications non stratégiques et la télédétection. On a vu cette tendance commencer à se dessiner durant la guerre du Golfe. En effet, lors des opérations Bouclier du désert/Tempête du désert, des satellites commerciaux comme Intelsat ont assuré 45 % de l’ensemble des communications entre le théâtre et le territoire des Etats-Unis. Joint Vision 2010 définit la vision stratégique militaire pour l’avenir. La supériorité en matière d’information, clé de la maîtrise de l’éventail complet des opérations spatiales, passe par ’la capacité de collecter, traiter et diffuser un flux ininterrompu d’informations’. Les systèmes spatiaux commerciaux seront indispensables pour acquérir et conserver la supériorité en matière d’information dans toutes les activités militaires futures, qu’il s’agisse de conflits de haute intensité ou de crises mineures. Comme il ressort de ce qui précède, c’est l’avenir qui décidera du degré de dépendance des militaires vis-à-vis du secteur spatial commercial." Charles H. Cynamon (commandant de l’US Air Force), Protecting Commercial Space Systems : A critical National Security Issue, AU/ACS/035/1999-04 Air Command and Staff College, Maxwell AFB, Alabama, pp.10-11 (les vues exprimées dans ce rapport n’engagent pas le gouvernement américain).

15. MUR : Military Unique Requirements - systèmes spécifiquement militaires (brouillages, protection etc.), qui ne sont pas ordinairement dédiés aux engins commerciaux.

16. "Si les militaires font appel au secteur commercial pour répondre à leurs besoins, c’est essentiellement pour tirer parti des innovations techniques de ce secteur. Le meilleur moyen d’y parvenir est d’adopter une approche souple qui permette d’intégrer ces technologies commerciales émergentes et de tirer parti des cycles courts d’acquisition. L’approche optimale est fondée sur un concept opérationnel permettant d’améliorer en permanence le système en adaptant de nouvelles technologies issues des innovations du marché et, ce faisant, de procurer aux militaires des technologies de pointe." Stephen T. Denker, Trust Me..., op. cit., p. 31.

17. Barry P. Blaydes, "Le Centre satellitaire de l’UEO de Torrejón", in Pour un système européen d’observation spatiale, Colloque de San Agustin, Grande Canarie, 24-25 mars 1995, 2e séance, p. 38.

18. La fin de l’observation de la terre par satellite en Europe, Rapport final d’Eucosat, mars 1999.

19. Eucosat précise le grand intérêt offert par un prestataire de services hautement qualifié. Selon le rapport de mars 1999, dans le domaine de la télédétection "[les] données brutes ou pré-traitées n’apparaissent que comme une matière première alimentant une chaîne de travaux complexes de traitement et d’interprétation permettant d’élaborer des informations à très forte valeur ajoutée. La valeur ajoutée des produits et des services de l’observation de la terre par satellite est liée à leur qualité informationnelle pour l’utilisateur final. Ce n’est qu’insérée dans le système d’information et de prise de décision de celui-ci que cette valeur devient réelle". La fin de..., ibid, p. 10.

20. Des discussions sont actuellement en cours pour associer SkyMed Cosmo et Spot 3S (Pléiade) dans un système commun franco-italien à vocation civilo-militaire.

21. Major Sue B. Carter, A Shot to Space Brain : The Vulnerability of Command and Control of Non-Military Space Systems, AU/ACSC/0266/97-03, Air Command and Staff College, Air University, Maxwell AFB, Alabama, mars 1997, pp.9-10. Les vues exprimées dans ce rapport n’engagent pas le gouvernement américain.

22. Les systèmes commerciaux sont aussi les seuls qui, par une évolution technique incessante, permettent de transférer des fichiers de plusieurs gigabits en quelques minutes, voire, à brève échéance, en quelques secondes. Ces capacités sont très appréciables pour la gestion des données en temps réel, en particulier quand il s’agit de transferts de fichiers cartographiques, relativement lourds.

23. Douglas Stenger, "Survivability Analysis of the Iridium Low Heart Orbit Satellite Network", (Dayton, Ohio : AFIT, juin 1996), résumé. En revanche, en cas de destruction d’un satellite géostationnaire desservant une zone donnée, son service de transmission vers cette zone n’est plus du tout assuré.

24. La Defense Information Systems Agency (DISA) a passé un contrat avec Iridium en vue de modifier le dispositif et de mettre en place une infrastructure lui permettant d’utiliser des communications compatibles STU-III. Le programme CONDOR de la National Security Agency (NSA) met actuellement au point la capacité de cryptage pour la téléphonie mobile ; se reporter au site Web de la NSA sur l’organisation de la sécurité des systèmes d’information http://www.nsa/gov:8080/programs/missi/condor.html.

25. Virginia B. Ashpole, Command & Control 2010 : The Impact of Emerging Commercial Satellite System Joint Operation, AU/ACSC/987/1998-008, Air Command and Staff College, Air University, Maxwell AFB, Alabama, pp. 10-11, avril 1998. Les vues exprimées dans ce rapport n’engagent pas le gouvernement américain. Noter que l’OTAN, dans le cadre de son programme de démonstration JWID 99 (Joint Warrior Interoperability Demonstration 99) envisage clairement l’utilisation des satellites de communications commerciaux à des fins militaires poussées : "Cette démonstration [projet de l’OTAN JWID 99] vise à étudier le recours à la diffusion de données haut débit fournies par des satellites commerciaux pour l’information des militaires sur le théâtre. A partir d’un site central, des volumes importants (plusieurs méga-octets) d’informations indispensables pour les missions (mises à jour des ordres de bataille, informations déclassifiées, images, cartes, etc.) seront régulièrement diffusés par un service satellitaire commercial. Sur deux, voire plusieurs sites JWID, ces données seront téléchargées sélectivement et intégrées de façon sécurisée dans le domaine classifié JWID." Sources provenant du site en ligne de l’OTAN http://www.shape.nato.int/JWID/JWID/NC2-Bcas-99.html.

26. Virginia B. Ashpole, Command & Control 2010 : The Impact of Emerging ...op.cit., p. 13.

27. Tout en s’appuyant sur le secteur commercial, les Etats-Unis continuent à améliorer leurs systèmes DSCS (Defense Satellite Communication System) et MILSTAR (Military Strategic and Tactical Relay), pour les communications très spécialisées ou stratégiques. Il s’agit en effet des seuls systèmes raisonnablement durcis (brouillages et EMP).

28. Les industriels américains sont déjà conscients de la nécessité de collaborer avec le Pentagone sur ces questions, afin d’optimiser leurs chances d’obtenir des contrats militaires pour leurs engins commerciaux. La définition d’un cahier des charges n’est pas encore établie, mais l’Europe aurait tout intérêt à faire de même. Voir Jeremy Singer, "Industry Seeks Guidance on Threats", Space News, 6 mars 2000, p. 17.

29. Le gouvernement américain, dans le cadre de PDD 23, du Land Remote Sensing Policy Act (1992 P.L. 102-555) et de l’U.S. Policy on Licensing and Operation Remote Sensing Systems (mars 1994, appendice F.), exige des sociétés commerciales qu’elles lui accordent un accès total sur l’ensemble des images prises, qu’elles exploitent des systèmes de cryptage de données connus des services gouvernementaux, utilisent des formats compatibles avec ceux de ces services et informent le gouvernement de tout accord significatif avec des clients étrangers. De fait, il est raisonnable de penser que Washington dispose des instruments légaux et techniques pour exploiter les produits des sociétés satellitaires privées, soit par mise à disposition directe des données, soit par filtrage des transmissions de données issues des satellites. Enfin, sachant que Space Imaging est essentiellement détenue par Lookheed Martin, l’indépendance intrinsèque de la société reste de toute façon sujette à caution.

30. "Dans ce contexte de mondialisation et de concurrence accrue, l’industrie spatiale européenne doit maintenir, et autant que possible développer sa compétitivité, avec l’objectif de capturer une part significative des nouveaux marchés, ce qui assurerait également le développement d’emplois hautement qualifiés en Europe. Les gouvernements européens et l’Union européenne pourraient avoir à jouer un rôle significatif pour créer les conditions permettant d’aboutir à ceci. En outre, il est important de développer les secteurs en aval, où le potentiel de création de nouveaux emplois est le plus significatif". Renforcer la cohérence de l’approche européenne de l’espace, SECC(1999)789, 7 juin 1999, rapport écrit en collaboration entre la Commission et l’Agence spatiale européenne.

31. Civilian Satellite Remote Sensing : A Strategic Approach, OTA-ISS-607, GPO, septembre 1994, p. 18 et p. 102. Sur les problèmes de compatibilité de format, qui sont d’une importance cruciale dans le domaine militaire, voir le même document pp. 106-107 et, plus spécifiquement, Data Format Standards for Civilian Remote Sensing Satellites, OTA-BP ISC-114, GPO, mai 1993.

32. Joseph C. Anselmo, "Shutter Controls : How Far Will Uncle Sam Go", Aviation Week & Space Technology, 31 janvier 2000, pp. 55-56.

33. A. Lawler, "Data Control Complicates Weather Merger", Space News, 20-26 juin 1994, p. 3.

34. Alenia Spazio, qui a obtenu le marché, développera pour MDA le même bus SAR que pour la constellation SkyMed Cosmo, autorisant une résolution de 3 mètres. Selon un article de presse, l’agence spatiale canadienne (CSA) aurait demandé à ses contractants de limiter au minimum l’emploi des technologies spatiales américaines par crainte des restrictions à l’exportation édictées par Washington, même si, paradoxalement, MDA, société canadienne, appartient en propre à Orbital Science (OSC), société américaine ! Voir "Alenia to Build Radarsat 2 Bus", Aviation Week & Space Technology, 1er janvier 2000 et Peter B. Selding "Alenia Wins Radarsat 2 Contract", Space News, 10 janvier 2000.

35. Les avantages militaires d’une structure basée sur des éléments commerciaux sont aussi patents, du moins selon les Américains. D’après la théorie de l’OODA Loop (Observe/orient-decide-act loop), il est dans l’intérêt des forces de recueillir le maximum de renseignements, de les exploiter et de redistribuer les ordres le plus rapidement possible, et de toujours précéder l’adversaire dans cette démarche dans une boucle incessante. Les systèmes commerciaux sont particulièrement adaptés à cette démarche en raison de leur couverture globale, de leur redondance et de la qualité des systèmes de communications qu’ils mettent en ?uvre. L’application de cette théorie nécessite néanmoins un personnel d’exploitation conséquent, et la création d’une synergie quasi parfaite entre les différentes armes et, dans le cas de l’Europe, entre les différentes nations. Tenter d’appliquer cette démarche au Centre revient à en faire un maillon d’un commandement interarmées, spécialisé dans le renseignement et le transfert des données, c’est-à-dire, in fine, un système complet de gestion du champ de bataille.

36. Le développement de programmes multinationaux, partiellement financés par l’Europe et ponctuellement utilisables par le Centre, pourrait se faire sans coûts excessifs. Matra Marconi Space estime qu’un système mixte optique/SAR/Sigint (écoute électronique) pourrait être développé en cinq ans avec un budget de 15 à 20 milliards de francs. Un tel programme, qui pourrait répondre aux besoins de plusieurs pays, pourrait recevoir une contribution européenne, être utilisable par le Centre et répondre aux demandes ordinaires des pays ayant contribué aux financements.

37. Les nouvelles missions des forces armées européennes et les capacités collectives nécessaires à leur accomplissement - Réponse au rapport annuel du Conseil, Document 1687, rapporteur, M. Rapson, 9 mai 2000. Dans l’état actuel des choses, les communications entre Bruxelles et le Centre se font par le biais du WEUNet, alors que l’OTAN, par le biais du BICES, semble intéressée par la création de moyens de communication réguliers.

38. Actuellement, avec une quinzaine de spécialistes en photo-interprétation, le Centre n’est pas en état d’assurer des missions militaires en temps réel. Il est donc évident que son effectif devra augmenter, même s’il reste à définir dans quelles proportions et quelle sera sa nature (civile ou militaire). Les coûts occasionnés par un accroissement qualitatif conséquent des capacités de traitement du Centre devraient être importants. Le gouvernement américain a débloqué 1,5 milliard de dollars sur cinq ans pour améliorer les capacités du NRO et de la NIMA dans ce domaine, et selon Pete Rustan, ancien responsable au NRO, le double de cette somme sera sans doute nécessaire (interview de Pete Rustan, Space News, 13 mars 2000, p. 22). Or, l’incertitude qui règne actuellement sur le statut du Centre et sur ses financements futurs place celui-ci dans une perpective inverse, le renouvellement des postes (pour ne pas parler de la création de nouveaux) n’est même plus assuré, réduisant encore un peu plus le personnel déjà limité dont il dispose.

39. Ceci est particulièrement vrai dans le domaine des communications (systèmes durcis, communications EHS) mais aussi dans celui du contrôle des traités et de la non-prolifération, où les satellites commerciaux sont totalement insuffisants. La dimension politique du contrôle des traités et de la non-prolifération pourrait être un puissant incitateur pour obtenir des pays membres de l’Union qu’ils financent des systèmes militaires propres.


Source : Assemblée parlementaire de l’Union de l’Europe Occidentale (UEO) http://www.assemblee-ueo.org/