24. La mise en œuvre de la CAC, depuis 1997, s’est déroulée de manière satisfaisante, tant au niveau du respect par les Etats parties que du fonctionnement de l’OIAC dans sa tâche de coordination des efforts de destruction des armes et des installations. La Convention a ébranlé le mur du secret qui entourait la majorité des programmes d’armes chimiques et accru considérablement la transparence dans ce domaine.
25. Le système des déclarations, qui peut encore être amélioré, a permis de connaître " l’état du monde " en matière d’armes chimiques : quatre Etats se sont déclarés en possession d’armes chimiques - la Corée du Sud, les Etats-Unis, l’Inde et la Fédération de Russie - pour un total de 69 000 tonnes déclarées et 8 400 000 munitions et conteneurs ; onze Etats on déclaré posséder des installations de production (actuelles ou passées) - la Bosnie-Herzégovine, la République populaire de Chine (RPC), la Corée du Sud, les Etats-Unis, la France, l’Inde, l’Iran, le Japon, la Fédération de Russie, le Royaume-Uni et la Fédération de Yougoslavie.
26. Avec 143 Etats parties, dont les cinq membres du Conseil de sécurité des Nations unies, sur un total de 174 signataires, la CAC pourrait être considérée comme un succès complet dans le domaine des accords de contrôle des armements si ce n’était le fait que parmi les non-adhérents15, cinq Etats au moins ont des capacités en matière d’armes chimiques, dont deux se trouvent au Moyen-Orient (l’Egypte et la Syrie), le troisième sur la côte sud de la Méditerranée (la Libye) et le quatrième en Asie, en République populaire démocratique de Corée (RPDC). On peut ajouter aussi le cas de l’Irak, dont la destruction des armes et installations chimiques a été supervisée par la Commission spéciale des Nations unies pour le désarmement de l’Irak (mieux connue sous l’acronyme anglais de UNSCOM) jusqu’en décembre 1998. Depuis cette date, l’état des capacités irakiennes, même réduites, reste inconnu. La recherche de l’adhésion de ces Etats s’avère être un élément essentiel, non seulement pour faire disparaître la menace chimique, mais pour la sécurité en général dans ces régions.
27. Une fois identifiés les stocks et les installations, s’est posé le problème de leur destruction dans les délais requis. La situation la plus préoccupante est celle que connaît la Fédération de Russie, avec 40 000 tonnes déclarées, 24 installations de production et recherche et sept sites de stockage. Au moment de la signature de la CAC, la Russie disposait uniquement d’une installation mobile de destruction d’armes chimiques et d’un centre d’entraînement de personnels à cette fin. Les tentatives de construction d’installations de destruction fixes se sont heurtées, dans les zones prévues, à des oppositions locales qui ont empêché leur mise en place. Le 21 mars 1996, le gouvernement fédéral a approuvé un plan d’élimination des armes chimiques qui prévoyait leur destruction dans les sites de stockage. Ce plan, dans le contexte politique et économique d’alors, était condamné à l’échec, car il supposait la construction de sept installations dans six régions différentes.
28. Ce n’est qu’en avril 1997 que la loi sur l’élimination des armes chimiques, qui était un préalable à la ratification de la CAC par la Russie, a été adoptée, mais elle comportait néanmoins une clause qui s’est révélée une source de problèmes considérables par la suite. Pour s’assurer le soutien des pouvoirs locaux, la loi disposait que la construction d’installations de destruction des armes chimiques serait accompagnée de la mise en place de projets d’infrastructure sociale (hôpitaux, routes, électrification, maisons d’habitation). Le coût total de ce projet a été estimé à environ 6 milliards de dollars sur une période de 10 ans. Lors des débats sur la ratification de la CAC, trois questions ont été soulevées : la difficulté de supporter économiquement l’effort requis par l’application de la Convention, la nécessité de bénéficier d’une assistance financière internationale à la hauteur des besoins et le fait que la destruction des stocks et des installations coûterait moins cher à l’extérieur de la Convention que dans le cadre de celle-ci (du fait de la prise en charge des missions de vérification et de la contribution au budget de l’OIAC). La ratification a eu lieu le 31 octobre par la Douma et le 5 novembre par le Conseil de la Fédération.
29. La loi de ratification contient néanmoins une clause, l’article 4, qui prévoit que la Russie peut se retirer de la CAC si l’assistance internationale était insuffisante, si la destruction entraînait des dégâts sérieux pour l’environnement et si l’OIAC n’approuvait pas une extension du délai initial de deux ans pour la destruction de 1% du stock existant. Cette extension été accordée, mais cela s’avère encore plus problématique car cela oblige la Russie à détruire 20% de ses armes chimiques d’ici 2002. La crise économique et la dévaluation du rouble en 1998, l’insuffisance de l’assistance internationale, la difficulté à déterminer quelles seraient les autorités responsables du programme de destruction, ainsi que les changements politiques internes et externes qui ont eu lieu en 1999 et 2000 (crise politique, remplacement de Boris Eltsine par Vladimir Poutine, crise avec l’OTAN sur le Kosovo, guerre en Tchétchénie, mise en place d’un nouveau parlement et consolidation des nouvelles structures du pouvoir en Russie), ont retardé considérablement les efforts de destruction des armes chimiques par ce pays, avec les risques que cette situation comporte à l’intérieur (risques d’accidents et de contamination des personnels et des populations) et pour la sécurité internationale.
30. Le 5 juillet 2001, le gouvernement fédéral a publié une résolution (décret) qui porte sur la destruction des stocks d’armes chimiques dans la Fédération de Russie. Cette résolution met à jour le texte du programme spécial fédéral adopté en 1996 et prévoit16 :
– " la construction de deux complexes de destruction d’armes chimiques à grande échelle en dehors de la ville de Shchuch’ye (région de Kurgan) et de Kambarka (République des Oudmourtes) au lieu des sept précédemment prévus, et l’achèvement de la destruction des armes chimiques stockées dans ces installations d’ici 2011 ;
– l’achèvement de la construction de l’installation de destruction d’armes chimiques à l’extérieur du village de Gorny (région de Saratov) et de la destruction des armes qui y sont stockées d’ici 2005 ;
– la mise en place d’installations à petite échelle permettant de rendre non toxiques les armes chimiques stockées dans les dépôts du village de Maradykovsky (région de Kirov), dans la ville de Pochep (région de Bryansk) et dans le village de Leonidovka (région de Penza), en vue de détruire ou de se débarrasser des produits de détoxication dans les entreprises de l’industrie chimique d’ici 2012 " ;
Le gouvernement russe a établi aussi un calendrier qui prévoit la destruction d’1 % du stock en 2003, de 20 % en 2007, de 45 % en 2008 et de la totalité restante en 2012.
31. Aux Etats-Unis, si la destruction des armes et des installations se poursuit à un rythme satisfaisant (22% des stocks détruits en mars 2001), c’est la question de la vérification des activités de l’industrie chimique qui a posé problème et a, dans une certaine mesure, créé un précédent qui pourrait être invoqué par d’autres Etats pour contourner des dispositions de la Convention. L’extension de l’application des dispositions de la CAC aux activités " civiles " a nécessité l’adoption, dans la plupart des Etats, d’une législation particulière à ce sujet. La ratification par le Sénat des Etats-Unis a eu lieu le 24 avril 1997, par 74 voix pour et 26 contre. La mise en oeuvre législative des dispositions de la Convention a donné lieu à l’apparition de trois " exemptions " américaines : le Président des Etats-Unis peut refuser une inspection sur place en invoquant une menace pour la sécurité nationale, aucun échantillon recueilli aux Etats-Unis durant une inspection ne peut quitter le territoire national pour être analysé à l’extérieur, la liste des installations industrielles qui doivent déclarer l’utilisation de substances référencées dans les tableaux de produits chimiques établis par la CAC et qui constituent des risques de prolifération a été établie selon des critères assez restrictifs.
32. Si d’autres Etats invoquaient les mêmes dispositions, ceci aurait des conséquences politiques négatives pour l’avenir de l’application de la Convention, surtout dans un contexte où les Etats-Unis mènent de leur côté une politique anti-prolifération agressive, y compris par la menace du recours à l’action armée (dont on peut citer comme exemple l’Irak et le bombardement par missile d’une usine pharmaceutique au Soudan, en août 199817). L’analyse des échantillons par chaque Etat, sans recours à une analyse internationale " neutre ", peut aussi être sujette à contestation et mettre en question le respect des dispositions de la Convention par un Etat partie. Les critères en matière d’installations peuvent aussi être utilisés par d’autres Etats pour " camoufler " une partie de leurs activités exercées dans le domaine des armes chimiques au sein de sites industriels civils. La soumission d’une déclaration sur les installations industrielles chimiques civiles a aussi été retardée, pour des raisons de politique interne, jusqu’en mai 2000. L’absence de déclaration au-delà du délai imparti (30 jours après l’entrée en vigueur de la CAC, pour l’Etat concerné), qui est considérée comme une violation technique, a retardé les inspections dans l’industrie américaine, ce qui a soulevé des protestations de l’Allemagne, de la Chine, de la France et de l’Italie, entre autres Etats18.
33. Outre les difficultés rencontrées avec l’application de la CAC par la Russie et les Etats-Unis, d’autres se sont accumulées depuis 1997 qui affaiblissent son efficacité. Un nombre relativement élevé d’Etats parties (environ un tiers sur 143) n’ont pas déposé de déclarations sur les armes et les installations, ou ont déposé des déclarations incomplètes, la contribution des Etats parties au budget de l’OIAC et aux dépenses des missions de vérification effectuées par l’OIAC n’est pas toujours versée régulièrement et les arriérés de contributions limitent l’action de l’Organisation. Le recours aux sanctions prévues dans ces cas (perte du droit de vote, par exemple) n’a pas été appliqué à ce jour. De même, les Etats parties doivent se doter d’une Autorité nationale qui est le point de contact avec l’OIAC, ce que beaucoup d’Etats n’ont pas encore fait (106 déclarations à la fin de l’année 2000).
34. Le non-recours à des inspections par mise en demeure dans le cas de soupçons de l’existence d’activités contraires à la CAC affaiblit aussi le régime des inspections et crée des tensions entre Etats parties qui peuvent nuire à la cohérence de l’ensemble. C’est le cas avec les accusations portées par les Etats-Unis contre l’Iran, qui, selon des sources américaines, maintiendrait un programme secret de fabrication d’armes chimiques. La procédure des inspections par mise en demeure a précisément été envisagée pour désamorcer ce type de situation et éviter le recours à des actions unilatérales qui auraient des conséquences graves pour la sécurité et la stabilité internationales.
35. Un autre sujet de préoccupation qui n’est pas couvert par les dispositions de la Convention19 est le problème posé, à moyen et long terme, par les armes chimiques anciennes et abandonnées, qui ont été jetées dans les fonds marins, surtout après la Seconde guerre mondiale. Si cette pratique n’a pas posé de problèmes majeurs à ce jour, des cas de " pollution " due à la remontée en surface d’agents toxiques ont été recensés dans la mer Baltique et dans la mer du Japon, là où les eaux sont peu profondes. Certaines zones ont été interdites pour cette raison à la pêche. Avec les années, la corrosion naturelle des conteneurs augmente les risques et les cas de fuites et les courants peuvent transporter d’anciennes munitions vers les côtes et les plages. Parmi les agents chimiques offensifs, c’est le gaz moutarde qui pose le plus de problèmes car, contrairement aux agents innervants, il ne se dissout pas au contact de l’eau20. Cette question complexe est pour le moment sans solution, et les avis sont partagés sur les effets pour l’environnement marin ; cela est dû aussi au fait que des munitions et stocks d’agents chimiques offensifs ont été entreposés dans les océans et certains fleuves et lacs (en Russie et aux Etats-Unis par exemple), mais on ignore dans quelles proportions et où exactement.
36. La Conférence de révision de la CAC, qui doit se tenir en mai 2003, aura la lourde tâche d’examiner ces problèmes et de trouver des solutions qui renforcent l’efficacité de la Convention tout en s’assurant de l’adhésion des Etats parties à son application, surtout des " puissances " chimiques déclarées. Un effort doit aussi être fait pour obtenir l’adhésion des Etats non parties qui ont des capacités de production (et des stocks d’armes chimiques), notamment au Moyen-Orient, en Méditerranée et en Asie. Les avancées technologiques dans le domaine chimique doivent faire l’objet d’une surveillance accrue par l’OIAC, pour éviter l’apparition de substances non répertoriées qui échapperaient aux classifications des tableaux de produits chimiques établis par la CAC. La recherche d’une solution satisfaisante pour répondre aux besoins budgétaires de l’Organisation doit être poursuivie avec vigueur, notamment si on tient compte des besoins de certains Etats parties pour mener à bien leurs obligations de destruction d’armes et d’installations.
NOTES
15 Angola, Belize, République populaire démocratique de Corée, Egypte, Irak, Libye, Somalie et Syrie.
16 Résolution n° 510 du gouvernement fédéral : " On Making Amendments and Additions to the Resolution by the Government of the Russian Federation of March 21, 1996 (No. 305) on Approving the Federal Special Program "Chemical Weapons Stockpiles Destruction in the Russian Federation" " ; Moscou, 5 juillet 2001 ; http://www.armscontrol.org/pdf/russchemdemil.pdf .
17 Les Etats-Unis ont invoqué alors le fait que l’usine appartenait à Oussama Ben Laden, impliqué dans les attentats contre les ambassades des Etats-Unis au Kenya et en Tanzanie et que des échantillons prélevés dans l’usine ont révélé des traces d’un agent précurseur utilisé pour la fabrication de gaz innervants de type VX.
18 "The Chemical Weapons Convention : Implementation Challenges and Solutions", Jonathan B. Tucker ; "US implementation of the CWC", Amy E. Smithson ; avril 2001 ; Center for non-proliferation studies, Monterey Institute of International Affairs ; http://cns.miis.edu
19 La CAC interdit le recours à cette méthode d’élimination des armes chimiques.
20 " Coping with surplus weapons : a priority for conversion research and policy - Chapter 3 : The disposal of surplus chemical weapons " ; Maria Bowers, Bonn International Center for Conversion (BICC) ; 26 juin 2001, www.bicc.de .
Source : Assemblée parlementaire de l’Union de l’Europe Occidentale (UEO) http://www.assemblee-ueo.org/
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