37. Les armes biologiques peuvent être considérées, à l’image des armes chimiques, comme des armes de terreur, avec des effets plus redoutables. Ceux-ci sont d’autant plus préoccupants qu’ils peuvent se propager parmi toute une population humaine ou dans l’écosystème animal et végétal, à partir d’un seul foyer d’infection, avec des périodes d’incubation et d’action assez rapides et pour une longue durée. Un exemple passé d’utilisation involontaire d’agents biologiques ayant eu des effets dévastateurs a été l’introduction sur le continent américain de maladies originaires de l’Europe et de leurs causes pour les populations indigènes américaines. Aujourd’hui, nous connaissons des " agressions " biologiques présentant des perspectives inquiétantes en termes de santé publique et de démographie à moyen et long terme (qui ont aussi des incidences en matière de sécurité et de défense), comme c’est le cas, par exemple, avec le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) ou l’apparition de nouvelles souches de tuberculose résistant aux antibiotiques existants.

38. Contrairement à l’arme chimique, ces armes n’ont pas été utilisées à grande échelle dans les conflits du XXe siècle, mais elles ont fait l’objet de recherches intenses et ont connu un degré de développement et de sophistication élevé. On ne dispose guère d’éléments de vérification et d’information sur ce qui existe réellement dans ce domaine. Le régime de contrôle des armes biologiques a vu le jour dès 1925, avec le Protocole de Genève, cité à propos des armes chimiques21, qui comporte aussi un volet sur l’usage de méthodes de guerre bactériologique.

39. Les décennies 1920 et 1930 ont été aussi des périodes de développement des connaissances et de la recherche dans le domaine de la biologie et de l’industrie pharmaceutique, dont les découvertes étaient susceptibles d’avoir des applications sur le plan militaire. Parmi les puissances d’alors, c’est le Japon qui a déployé des efforts importants dans la recherche sur les agents biologiques et leur capacité militaire. Dès 1932, des expériences ont eu lieu dans la Manchourie occupée et, en 1936, fut créée une unité spéciale chargée de la " purification de l’eau ", l’unité 731, commandée par un officier médecin, le général Shiro Ishii. A l’extérieur de la ville de Harbin, a été construit un centre d’expérimentations comportant plus d’une centaine de bâtiments, sur une surface de six kilomètres carrés, où, de 1936 à 1945, furent conduites des expériences de guerre biologique sur des milliers de civils et de prisonniers de guerre22 (dont des Anglais et des Américains). En Europe, l’Allemagne et le Royaume-Uni ont aussi développé des programmes de recherche sur les armes biologiques. Des expériences médicales ont été effectuées durant la guerre par l’Allemagne sur des prisonniers des camps de concentration, pour observer les réactions de l’organisme humain face à des agents biologiques (choléra, typhus), mais l’exemple le plus frappant de la dangerosité de ces armes est " l’héritage " que représente aujourd’hui l’île de Gruinard, au large de l’Ecosse, encore contaminée par des résidus d’anthrax utilisés dans des expériences pendant les années 1930 et 1940.

40. A la fin de la Seconde guerre mondiale, les recherches se sont poursuivies, avec l’apport des données recueillies auprès des vaincus. La priorité donnée par les puissances de l’après-guerre à l’obtention et à l’amélioration des armes nucléaires a relégué au second plan le développement des armes biologiques, dont les programmes se sont poursuivis, mais orientés davantage vers la création de défenses (vaccins) contre l’usage des agents biologiques connus. A la fin des années 1960, les expériences et simulations dans ce domaine ont démontré que cet aspect était le plus important, mais que l’usage d’armes biologiques de manière offensive aurait des conséquences imprévisibles et difficiles à contrôler à terme. Ce constat a conduit le Président américain Richard Nixon à déclarer, le 25 novembre 1969, que les Etats-Unis renonçaient sans conditions à l’usage et à la production d’armes biologiques.

41. Cette annonce, suivie par des déclarations analogues d’autres Etats, notamment le Canada, le Royaume-Uni et la Suède, a contribué de manière décisive à la relance des discussions sur la nécessité d’établir une convention d’interdiction des armes biologiques, au sein de la Conférence du Comité du désarmement des Nations unies. Le 5 août 1971, les Etats-Unis et l’URSS ont soumis pour approbation deux textes séparés mais identiques. Ce texte a été adopté par l’Assemblée générale et, le 10 avril 1972, la Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication et du stockage des armes bactériologiques (biologiques) ou à toxines et sur leur destruction a été ouverte à signature, à Londres, Moscou et Washington. Le 26 mars 1975, la Convention sur les armes biologiques (CAB) est entrée en vigueur23. Le nombre d’Etats signataires est aujourd’hui de 144 (46 en 1972).

42. Au long de ses vingt-six années d’existence, la CAB a eu une application plus ou moins suivie, marquée par un cas prouvé de violation évidente de ses dispositions (par l’URSS) et une prolifération plus ou moins clandestine de programmes de recherche et de développement contraires à ses objectifs, notamment en Afrique du Sud (durant l’époque du régime de l’apartheid) et en Irak (dont le programme a été mis à jour en détail après la guerre du Golfe). La recherche à des fins de défense se poursuit, et l’avènement de nouvelles technologies en matière de biologie, bio-ingénierie et génétique est aussi porteur de nouvelles possibilités dans ce domaine. L’échec récent des discussions sur un projet de protocole portant sur la création d’un régime de vérification et d’inspections, destiné à renforcer la CAB, est aussi symptomatique des faiblesses du régime actuel de contrôle des armes biologiques.


NOTES

21 Le titre complet est "Protocole concernant la prohibition d’emploi à la guerre de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires et de moyens bactériologiques".

22 Dans leur grande majorité des Chinois. Le nombre de victimes est estimé à des dizaines de milliers ; http://www.cnd.org

23 Après le dépôt des instruments de ratification des 22 Etats requis pour l’entrée en vigueur.


Source : Assemblée parlementaire de l’Union de l’Europe Occidentale (UEO) http://www.assemblee-ueo.org/