Depuis l’entrée dans l’âge nucléaire, la dissuasion représente l’élément principal de la posture stratégique des Etats-Unis. Cette solution est cependant vécue comme un pis-aller qui heurte la conscience morale américaine. Déjà, en 1983, le Président Reagan avait promis au peuple américain que la défense antimissile leur permettrait de sortir du nucléaire en rendant ces armes " impuissantes et obsolètes ". Si cette approche radicale a échoué, les Etats-Unis n’en restent pas moins attachés à une marginalisation de l’arme nucléaire qui, en plus de sa nature immorale, souffre aujourd’hui d’un handicap majeur dans une Amérique qui veut tourner la page de la guerre froide : représenter le symbole de l’affrontement Est-Ouest.
L’arme nucléaire en question : guerre sale contre guerre propre
En vertu d’une directive présidentielle secrète, et conformément à ses engagements de campagne, le Président Bush a ordonné le lancement d’une révision stratégique, et spécifiquement d’une révision nucléaire (Nuclear Review) visant à établir l’opportunité d’une réduction des têtes nucléaires américaines de 7 500 à 2 500. A Washington, cette revue nucléaire est expressément reliée à la défense antimissile : les responsables veulent croire qu’un " paquet " réduction des arsenaux nucléaires - défense antimissile est susceptible de séduire les Russes, dont la réduction des arsenaux nucléaires est inéluctable, dans le cadre d’une négociation sur le traité ABM. Ils insistent d’emblée sur le fait que, si les Russes refusaient une telle offre, ils poursuivraient néanmoins dans cette voie en vertu d’un rééquilibrage global entre leurs moyens défensifs et leurs armes offensives. Le projet de budget présenté par les Républicains pour 2001 souligne ainsi que " si le Président cherche à persuader la Russie de nous rejoindre dans une réduction supplémentaire des arsenaux nucléaires, il est également préparé à prendre l’initiative en donnant l’exemple ".
Cette revue stratégique ne se limite pas à une approche quantitative puisqu’elle doit également établir si une telle réduction doit s’inscrire dans un cadre bilatéral, dans la lignée de toutes les mesures de désarmement nucléaire mises en _uvre par les Etats-Unis depuis le lancement du processus START, ou si elle doit être effectuée de manière unilatérale. Aucune information sur les orientations de la révision nucléaire n’est aujourd’hui disponible. Si l’on en croit cependant quelques publications récentes, l’heure est, une fois encore, à des remises en cause radicales des choix passés. Dans un rapport de janvier 2001 rédigé sous l’égide du NIPP, dont deux auteurs, Stephen Hadley et Stephen Cambone, occupent aujourd’hui des postes de responsabilité, le premier au Conseil de sécurité nationale, le second auprès du Secrétaire d’État à la défense, l’accent est mis sur la nécessaire flexibilité de l’outil nucléaire américain. Aujourd’hui, les Etats-Unis peuvent se permettre de réduire leurs arsenaux, mais rien n’exclut à moyen terme que le contexte stratégique les conduisent à l’accroître. D’où, aux yeux des auteurs, la nécessité de ne pas s’enfermer dans des traités bilatéraux qui sont incompatibles avec la réversibilité du processus : " La capacité d’ajustement de la posture américaine entre les forces offensives et les forces défensives à un environnement stratégique évolutif est essentielle ".
En l’absence d’indications officielles, il est difficile de préjuger du résultat de cet examen stratégique, qui n’est pas dénué d’un certain effet d’affichage dans la mesure où les Etats-Unis se sont d’ores et déjà engagés à réduire leurs arsenaux à 3 500 têtes dans le traité START II, dont la mise ne _uvre est, il est vrai, incertaine. Il n’en reste pas moins que plusieurs facteurs plaident en faveur de choix radicaux aux yeux des Etats-Unis. Sans revenir sur le facteur moral déjà évoqué, traditionnel dans le débat américain, des éléments nouveaux sont venus renforcer cet a priori négatif. En premier lieu, la prééminence de l’arme nucléaire est contestée au titre d’une remise en cause globale des héritages de la guerre froide. En second lieu, elle heurte de plein fouet les principes de la révolution dans les affaires militaires (RMA) lancée aux Etats-Unis depuis 1993 : l’heure est à la guerre propre, c’est-à-dire aux armes de précision et non plus aux frappes massives. Dans cette perspective, les armes nucléaires subissent une dévaluation stratégique.
La dissuasion en débat : vers une nouvelle formulation de la doctrine américaine ?
Très logiquement, la remise en cause de l’arme nucléaire s’accompagne d’une contestation du rôle structurant de la doctrine nucléaire elle-même, au profit d’un rééquilibrage entre dissuasion et défense. Tel est en effet le sens des propos les plus récents des dirigeants américains, comme l’atteste l’audition devant le Sénat, le 27 février dernier de Paul Wolfowitz, Secrétaire d’Etat adjoint à la défense : " nous devons façonner et soutenir une nouvelle forme de dissuasion appropriée au nouvel environnement stratégique. Nous avons besoin de nouveaux concepts et de nouvelles formes de dissuasion pour y faire face. Nous avons besoin d’une dissuasion fondée sur moins de niveaux massifs de punition ou de représailles, et de davantage de moyens offensifs et défensifs ". D’où la conduite simultanée d’une double réflexion sur la configuration optimale d’un système de défense antimissile et sur la politique nucléaire américaine, qui fait s’interroger certains sur le fait de savoir si NMD ne signifie pas en réalité No More Deterrence (plus de dissuasion).
Le rôle prééminent de la dissuasion et le principe de la destruction mutuelle assurée (MAD) sont aujourd’hui considérés à Washington comme les vestiges d’une époque révolue. C’est donc également la parité stratégique avec la Russie qui est remise en cause, au profit de la constitution d’une relation stratégique dite coopérative et non antagonique entre les deux pays. Considérée comme périmée vis-à-vis de la Russie, la dissuasion est en outre jugée inefficace ou du moins incertaine quand il s’agit des Etats proliférants. Cette doctrine postule en effet la rationalité de l’adversaire qui, si elle existait dans le cas de l’URSS, ne prime pas nécessairement chez certains dirigeants aux instincts suicidaires. Selon ce raisonnement, s’en tenir à la dissuasion signifie laisser les villes américaines exposées aux missiles de dirigeants fous : il ne suffit plus que, dans une telle hypothèse, l’Etat qui s’attaquerait aux Etats-Unis soit rayé de la carte ; il faut encore qu’aucune vie américaine ne soit exposée. La défense antimissile revient en réalité à appliquer aux populations civiles le principe du zéro mort déjà en vigueur s’agissant des troupes envoyées à l’extérieur.
Source : Assemblée nationale (France) : http://www.assemblee-nationale.fr
Restez en contact
Suivez-nous sur les réseaux sociaux
Subscribe to weekly newsletter