Une position réservée des autorités françaises sur la NMD
La France, par la voix notamment du Président de la République, s’est inquiétée du risque d’éventuelle remise en cause du traité ABM qui serait de nature à conduire à une rupture des équilibres stratégiques et à une relance de la course aux armements.
Elle a donc développé un certain nombre d’interrogations et de réserves portant :
– sur l’évaluation de la menace, en fonction de l’évolution des programmes balistiques et de la prolifération des armes de destruction massive, mais aussi compte tenu de degré de détermination des " rogue states " à réellement vouloir tenter de menacer les Etats-Unis,
– sur les effets d’une remise en cause du traité ABM en matière de contrôle des armements stratégiques,
– sur la réaction de la Russie, de la Chine et des pays proliférants au déploiement de la NMD,
– sur la perte de crédibilité qui pourrait résulter de ce déploiement pour les instruments de lutte contre la prolifération.
Les incidences sur nos concepts de défense
La France considère que la garantie ultime de la protection de son territoire national réside dans la dissuasion nucléaire. Sans nier l’expansion des capacités balistiques dans certaines régions du monde, elle se refuse à effectuer un lien automatique entre l’existence de ces capacités et celle d’une menace, qui suppose une intention agressive. Elle estime que la réduction des tensions régionales et la conclusion d’accords de désarmement et de non-prolifération constituent le meilleur moyen de réduire d’éventuelles menaces qu’en tout état de cause, nos forces nucléaires seraient en mesure de dissuader si elles se portaient sur notre territoire national.
Dans ces conditions, le déploiement de la NMD affecterait-il la crédibilité et l’efficacité de notre dissuasion nucléaire ?
On peut affirmer que la NMD n’entraînera pas d’impact direct sur la crédibilité de notre dissuasion nucléaire. Le projet américain en lui-même ne pourrait arrêter que quelques dizaines de têtes nucléaires, soit un niveau nettement inférieur à celui des forces nucléaires françaises, et si son déploiement provoquait un relèvement du niveau des défenses antimissiles russes, celui-ci ne serait pas non plus de nature à remettre en cause l’efficacité de nos missiles stratégiques.
En revanche, il n’est pas douteux que le déploiement de la NMD, a fortiori si le système devait ultérieurement dépasser les capacités limitées jusqu’à présent envisagées par les Etats-Unis, affecterait indirectement le concept même de dissuasion qui verrait son champ en partie rétréci. Il ouvrirait la voie à une évolution prenant plus largement en compte les moyens défensifs aux côtés des armes offensives.
La défense antimissiles apparaîtrait alors comme un complément nécessaire à la dissuasion nucléaire, apportant une réponse à des menaces non couvertes par cette dernière.
Un tel contexte ne remettrait pas en cause l’utilité de notre dissuasion nucléaire, toujours pertinente pour la garantie de nos intérêts vitaux, mais il impliquerait néanmoins une réflexion sur l’adaptation éventuelle de notre doctrine.
L’implication de la France dans les programmes de défense antimissiles
Le livre blanc sur la défense de 1994 mentionne la menace balistique en ces termes : " dans le domaine de la lutte antimissiles, l’étude des défenses possibles concerne à ce stade les capacités de défense aérienne et de détection, notamment spatiale... le développement de certains systèmes de défense aérienne dont les programmes sont en cours, en systèmes antimissiles est aussi à l’étude et sera envisagé(...) priorité sera donnée dans ce domaine à l’étude d’un concept et des moyens d’une défense aérienne élargie ", cette dernière consistant à élargir la capacité de l’actuelle défense aérienne pour faire face aux menaces nouvelles, en particulier les missiles balistiques.
Cette reconnaissance de l’intérêt de disposer de défenses actives capables d’intercepter des missiles assaillants ne concerne pas la protection du territoire national puisqu’à moyen terme, la France estime ne pas pouvoir être atteinte par les missiles de portée intermédiaire développés en Asie, seules les quatre puissances nucléaires reconnues possédant des missiles capables d’atteindre le sol français. Elle s’applique en revanche à la protection des troupes déployées sur les théâtres extérieurs susceptibles d’être menacés par des missiles à courte portée.
Sur le plan des réalisations, l’implication de la France demeure modeste depuis son retrait du programme MEADS et l’arrêt des réflexions sur l’alerte avancée. Seul reste d’actualité le programme de missiles sol-air futurs au sein duquel pourraient être développées des capacités antibalistiques.
Le retrait du programme MEADS et l’abandon des réflexions sur l’alerte avancée
La France s’était associée à l’Allemagne et à l’Italie aux côtés des Etats-Unis en vue de coopérer au programme de missiles sol-air MEADS, destiné à assurer une défense aérienne élargie à moyenne portée à partir d’un système transportable et déployable avec les troupes projetées. Quelques mois à peine après la signature du mémorandum d’entente, la France, en mai 1995, déclarait qu’elle abandonnait le programme, officiellement pour des raisons budgétaires mais sans doute aussi en raison de divergences d’appréciation sur un programme qui prend un retard important et s’oriente vers une solution essentiellement américaine.
Les obstacles financiers ont également conduit à l’abandon des réflexions sur l’alerte avancée qui avaient mis en lumière l’intérêt d’un ou de plusieurs satellites géostationnaires dotés de détecteurs infrarouges capables de déceler la phase propulsive des missiles balistiques à moyenne et longue portée. Le coût d’un tel système dépasse les possibilités budgétaires françaises et supposerait une coopération européenne.
Le développement de capacités antibalistiques au sein de la famille de missiles sol-air futurs (FSAF)
Développé par Aérospatiale-Matra et Alenia, le missile Aster a été conçu dès l’origine pour intercepter des missiles balistiques tactiques et peut, moyennant des adaptations mineures, être doté de cette capacité si cette spécification est exigée. Ce missile constitue le coeur du programme franco-italien FSAF (Famille sol-air futur) destiné à la défense localisée contre tous types d’aéronefs et de missiles aérobies.
Trois versions de ce programme sont actuellement en cours de développement ou de fabrication :
– le système sol-air antimissiles (SAAM) qui équipera le porte-avions Charles de Gaulle très prochainement,
– le système sol-air moyenne portée-terrestre (SAMP/T) qui doterait l’armée de terre à partir de 2006 et l’armée de l’air à partir de 2008 . Le SAMP/T est un système aérotransportable monté sur véhicules composé d’un radar Arabel conçu par Thomson et de lanceurs permettant de tirer 8 missiles Aster 30 détruisant l’objectif par impact direct. Il pourrait être doté dès sa livraison d’une capacité contre les missiles tactiques de type SCUD (bloc 1) puis ultérieurement d’une capacité contre les missiles de portée supérieure à 1 000 km et de plus grande furtivité (bloc 2).
– le PAAMS (Principal anti-air missile system) développé en coopération franco-italo-britannique pour équiper les futures frégates antiaériennes Horizon.
La France ne peut se désintéresser de la défense antimissiles balistiques
Evoquée dans le livre blanc de 1994, l’implication de la France dans la défense antimissiles balistiques de théâtre aurait tout intérêt à être consolidée et renforcée dans le cadre de la prochaine loi de programmation militaire 2003-2008, et ce, pour trois raisons :
– tout d’abord, le développement des missiles à courte et moyenne portée peut représenter une menace réelle pour nos troupes déployées sur les théâtres extérieurs ; la protection de nos forces et de points sensibles lors des opérations extérieures justifie que nos moyens de défense antiaérienne soient dotés de capacités antibalistiques ;
– ensuite, il importe de conforter le savoir-faire industriel français en matière de défense contre les missiles balistiques tactiques, particulièrement pour permettre aux équipements qu’ils ont conçus de prendre rang sur des marchés à l’exportation qui iront en se développant ;
– enfin, sur le plan technologique, l’écart déjà considérable avec les capacités de recherche et de développement américaines irait grandissant si le domaine de la défense antimissiles balistiques, dans lequel notre pays n’est pas totalement démuni, était par trop délaissé.
Ces différents facteurs plaident en faveur de l’inscription dans la prochaine loi de programmation militaire, des décisions de lancement et de commande ainsi que des financements correspondant aux développement des capacités antibalistiques sur le missile Aster dans le cadre du programme FSAF, et tout particulièrement du système sol-air moyenne portée-terrestre (SAMP/T) dont les premières livraisons devront intervenir durant la période couverte par cette programmation.
Source : Sénat (France) : http://www.senat.fr
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