27. Quoique non signataire du Traité ABM, l’Europe le considère comme l’une des pierres angulaires de sa sécurité. Elle se soumet donc à ses clauses et l’on peut s’attendre à ce qu’elle respecte les développements ultérieurs, pour autant que ceux-ci fassent l’objet d’un consensus entre Russes et Américains. Cependant, les fondements du Traité ont sensiblement évolué depuis 1972, puisqu’en 1997, les deux puissances signataires se sont entendues sur une réforme partielle du texte, autorisant une plus grande latitude dans les déploiements d’armes antimissiles tactiques et l’allégement des contraintes portant sur le développement d’armes antimissiles stratégiques.

28. Le texte, qui prohibait certaines catégories de vecteurs antimissiles et limitait le déploiement de ces armes à une centaine d’intercepteurs, tend maintenant, par le biais des amendements adoptés, à codifier leur développement, de manière à permettre un déploiement sans restrictions des systèmes tactiques et à encadrer un hypothétique déploiement de systèmes stratégiques de nouvelle génération.

29. L’accord (généralement référencé comme " accords de démarcation ") autorise en effet le déploiement d’antimissiles de théâtre à basse vélocité (8). Le déploiement des intercepteurs à plus grande vélocité devra faire l’objet de négociations ultérieures, ceux-ci entrant nettement dans le champ du Traité ABM, sur lequel Russes et Américains s’opposent désormais.

30. Les accords de démarcation ont donc une importance double. Ils donnent une nouvelle codification aux armes dites tactiques ou stratégiques, excluant les premières du champ d’application du traité et aménageant les contrôles exercés sur les secondes. Surtout, ils sortent la défense ATBM du cadre juridique incertain dans lequel elle était jusqu’alors classée, la dissociant des interdictions liées au traité. La reconnaissance implicite de la réalité des ATBM explicite la menace des vecteurs balistiques, autant pour les Européens que pour les pays émergents, les deux systèmes d’armes se trouvant légitimés. Elle rationalise ainsi les efforts qui devront être faits dans la recherche de l’adoption d’ATBM performants, ainsi que les efforts de diversification qui seront effectués dans le domaine balistique.

31. Pour l’Europe, ces nouvelles normes ont plusieurs significations. D’un point de vue politique, elles ne remettent pas en cause la pérennité du Traité ABM en tant que garant du système de dissuasion offensive. Si bon nombre d’assouplissements ont été opérés dans le domaine des recherches sur les intercepteurs stratégiques, y compris sur les intercepteurs spatiaux (EKV : Exo-atmospheric Kill Vehicle), le déploiement reste soumis à un accord préalable, que la Russie ne semble pas encore disposée à admettre.

32. D’un point de vue technique, elles sont suffisamment élevées pour permettre le déploiement de systèmes ATBM répondant à un large éventail de dangers contre lesquels le continent n’était jusqu’alors pas préservé. En effet, sa situation géographique est telle que bon nombre de vecteurs désormais classés comme tactiques peuvent présenter un caractère de menace stratégique, en particulier pour les Etats méditerranéens, menace contre laquelle des mesures défensives actives pourront désormais être prises. A l’inverse, la légalisation des ATBM risque d’accélérer le processus de modernisation des vecteurs, dans le sens d’un accroissement des capacités d’emport, incitant les pays balistiques émergents à se doter de systèmes de troisième génération contre lesquels l’efficacité des ATBM reste à prouver.


(8) Ces missiles permettent d’intercepter des cibles dotées d’une vitesse inférieure à 5 km/s et d’une portée inférieure à 3 500 km. La vitesse de l’intercepteur, quant à elle, ne peut excéder 3 km/s, avec une tolérance de 5 km/s en phase ascendante. Le texte autorise un déploiement sans consultations ultérieures pour tout système correspondant à ces critères maximaux, lesquels sont considérés comme les normes limites pour la définition d’un système ATBM. Par conséquent, les vecteurs balistiques tactiques se trouvent eux aussi définis comme des systèmes d’armes d’une portée inférieure à 3 500 km dont l’ogive a une vitesse de pénétration ne dépassant pas 5 km/s.


Source : Assemblée parlementaire de l’Union de l’Europe Occidentale (UEO) http://www.assemblee-ueo.org/