42. Adhérente au Traité ABM, la Russie a jusqu’à présent été la seule puissance à déployer des armes antimissiles stratégiques. Quoique s’inscrivant dans la lettre du traité (avec quelques violations), la perception soviétique du rôle de ces armes a longtemps été différente de celle des puissances de l’Ouest, dans le sens où la survie à la guerre nucléaire fut l’une des grandes préoccupations des responsables politiques et militaires soviétiques. Jusqu’à l’arrivée de M. Gorbatchev, l’Union soviétique a tenté d’échapper à la logique de dissuasion offensive et s’est attachée à protéger son territoire par des moyens actifs (doctrine de frappe préventive, ABM et politique de contrôle des armements) et passifs (défense civile).
43. La position de la Russie a évolué depuis, non tant de sa propre volonté que sous la pression des événements. Dès la fin des années 1980, l’Union soviétique s’est révélée incapable de suivre le programme de réarmement américain, en particulier l’Initiative de défense stratégique. La rupture de l’équilibre stratégique occasionnée par l’adoption unilatérale d’un programme ABM majeur, sans équivalent à l’Est, a conduit le pays à faire évoluer son approche de la dissuasion et à se rapprocher des normes occidentales, articulées autour d’une dissuasion offensive garantie par le Traité ABM et renforcée par les accords SALT (Pourparlers sur la limitation des armements stratégiques) puis START (Traité sur la réduction des armements stratégiques).
44. Ainsi, si la Russie continue à disposer des systèmes ABM autorisés par le traité, elle demeure désormais très attachée à sa pérennité, garante de la survie de son arsenal offensif. De ce point de vue, l’Europe et la Russie sont assez proches en dépit de la disproportion entre leurs arsenaux et de la disparité des menaces auxquelles elles sont confrontées.
45. Toutefois, plus que l’Europe, la Russie se trouve exposée aux dangers balistiques tactiques. Chine, Iran, Pakistan et à moindre égard Corée du Nord, représentent des menaces potentielles, en particulier envers l’étranger proche que le pays estime devoir contrôler. Les problèmes ethniques et religieux récurrents auxquels tout l’arc sud de la Russie est soumis risquent d’ailleurs de les accentuer. Comme il a été dit précédemment, d’un point de vue stratégique, la crédibilité de ces menaces est discutable. On peut en effet s’interroger sur la rationalité d’une frappe nucléaire/chimique de l’un de ces pays contre la Russie, ou même de l’attaque conventionnelle d’une grande ville de Russie blanche. Toutefois, l’irruption de pays disposant d’IRBM (missiles balistiques à portée intermédiaire) longue portée sur le pourtour sud de la Fédération pose un problème politique évident, dans le sens où le poids et l’autorité de la Russie à l’égard de ces pays s’en trouvent diminués, les capacités d’intervention russes vers l’étranger proche perdant, quant à elles, le caractère unilatéral qu’elles ont pu avoir.
46. En fait, bien plus que les Etats-Unis ou l’Europe, qui disposent ensemble de forces conventionnelles et de moyens de protection importants, la Russie risque de se trouver confrontée au phénomène de " sanctuarisation agressive " face à des pays dotés de vecteurs balistiques (conventionnels, nucléaires ou chimiques) suffisamment performants pour inhiber sa capacité d’action directe et limiter son influence sur ses alliés.
47. Par ailleurs, des frappes conventionnelles contre des troupes russes engagées sur un théâtre limitrophe demeurent plausibles, en particulier si des missiles balistiques peuvent être transférés vers des lieux de guérillas, permettant ces frappes sans même engager des pays tiers. Dans ce sens, même si la Russie compte sur des mesures diplomatiques actives dans ces régions pour prévenir toute prolifération balistique, il est probable que le renforcement des capacités ATBM des armées ne peut apparaître que profitable.
48. La Russie, comme la plupart des pays occidentaux, a entamé un programme de modernisation de ses systèmes anti-aériens, afin de leur donner une capacité antimissile terminale. Toutefois, elle dispose aussi de systèmes spécifiquement conçus pour la lutte antimissile. Au niveau stratégique, dans le cadre du Traité ABM, la zone de Moscou est protégée par une centaine d’intercepteurs SH-08 et SH-11. Au niveau tactique, la Russie déploie des missiles SA-10 et SA-12 aux performances comparables, selon Moscou, au Patriot PAC-3 américain (11).
49. D’un point de vue technique, il est envisageable de proposer un contrat d’association entre l’Europe et la Russie pour la production de systèmes du type SA-10 et SA-12 et de leurs évolutions. Une telle coopération pourrait se faire initialement dans le domaine de la mise aux normes occidentales des modèles russes, dans un but d’acquisition ou d’exportation vers les marchés européens, asiatiques et du Moyen-Orient. De telles associations, qui existent déjà entre l’Allemagne et la Russie, portent sur des programmes tels que le retrofit et la mise aux normes des MiG-29, lesquels sont ensuite proposés aux pays alliés, souvent dans le cadre de la mise à niveau des appareils existants. Dans un même ordre d’idées, la société franco-russe Starsem propose des lanceurs d’origine russe sur les marchés mondiaux. Ces deux démarches, encore inimaginables il y a une décennie, portent sur des matériels sensibles et pourraient être reproduites également dans le secteur des missiles ou des satellites. Une fois encore, la mise en place d’un lien organique permanent entre le GAEO et la Russie permettrait de faciliter de telles réalisations.
50. Du reste, l’Europe aurait tout intérêt à parvenir à coopérer avec la Russie sur l’acquisition et la production commune de systèmes comparables au SA-12B/S-500. Ces systèmes combleraient le vide qui existe actuellement dans les programmes antimissiles du vieux continent, vide qui concerne essentiellement la couverture antimissile de zone haute. L’Aster, seul vecteur actuellement opérationnel, reste limité à l’interception contre les missiles balistiques courte portée, l’Aster 30 (en cours de validation opérationnelle) n’ayant pas de réelles perspectives de développement contre les missiles balistiques longue portée, si l’on en croit quelques experts indépendants consultés.
51. Par ailleurs, la mise en place d’une production commune d’intercepteurs de zone à grande vélocité pourrait présenter des avantages économiques certains, tels que des coûts de développement moindres et une arrivée rapide sur les marchés émergents. Enfin, l’association entre Européens et Russes pourrait permettre aux premiers d’éviter l’effet de ciseau qui existe déjà dans le secteur des missiles, où les matériels européens sont en concurrence avec les systèmes américains de qualité équivalente ou supérieure et avec les systèmes russes, généralement moins chers à l’exportation.
(11) En termes de coopération internationale, les systèmes SA-10 et SA-12 peuvent présenter un intérêt réel pour l’Europe. Le SA-10 a été développé en plusieurs versions depuis les années 1980. Les versions D/E actuellement mises sur le marché offrent une capacité d’interception d’une portée de 40 km, à une altitude maximale de 27 km. La vitesse maximale du SA-10 E (SA-300 PMU2 et missile 48 N6/2) serait de 2 km/s. Le radar d’engagement est un radar basculant à réseau en phase, opérant en bande E à une fréquence de 2 à 3 GHz, couplé à un radar de surveillance (Doppler à impulsions). Le système peut aussi être associé à un radar de détection basse altitude et est commandé par un poste de commande pouvant traiter une centaine de cibles et six interceptions simultanées.
Le SA-12 existe en deux2 versions distinctes, SA-12A Gladiator et SA-12B Giant, le second étant optimisé pour la lutte antimissile. La portée d’interception du SA-12B serait de 40 km, à une altitude maximale de 30 km. La vitesse de l’intercepteur serait suffisante pour engager des cibles allant jusqu’à 4,5 km/s, soit l’équivalent de missiles balistiques de 2 500 km de portée. Le SA-12B dispose d’une architecture de surveillance et de tir (radar de surveillance Bill Board et radar de suivi et d’engagement High Screen et Grill Pan) qui lui permet de suivre 16 menaces balistiques avec la possibilité de détecter des têtes en phase de rentrée à plus de 120 km de distance. Selon le Jane’s, le SA-12B aurait passé avec succès des tests d’interception portant sur des missiles de type Scud C, Al Hussein (550 km de portée), Virhazh 1B (120 km), SS-12 (900 km) et SS-4 (2 000-2 500 km).
La presse russe a aussi évoqué la possibilité d’une coopération avec les Etats-Unis sur les systèmes S-500, actuellement en cours de développement à partir du système S-400 (SA-20). Selon la "Fédération des savants américains", le système irait au delà des performances autorisées par les accords de démarcation. Cette ONG estime que le S-400 aurait les performances suivantes : une portée comprise entre 120 et 400 km (selon les modèles) et 35 km en altitude, une tête à guidage terminal pouvant intercepter des cibles allant à plus de 4,8 km/s. Ces informations doivent cependant être confirmées et validées.
A titre de comparaison, le système MIM-104 PAC-3 actuellement testé dans le cadre du programme de coopération MEADS semble offrir des performances encore en retrait. Si l’on escompte que le système sera basé sur un dérivé du Patriot PAC-3 (PAC-3 Erint), les performances attendues devraient donner une portée et une altitude de 15 km, pour une vitesse en vol de mach 5.
Bien entendu, ces données peuvent être sujettes à discussion. Il n’en demeure pas moins que la Russie met en oeuvre aujourd’hui des systèmes d’armes opérationnels et le plus important est sans doute ici qu’elle semble disposée à exporter sa technologie. La Grèce, par l’intermédiaire de Chypre, a aussi acquis des SA-10D (S-300 PMU1) tout comme la Chine (modèle non précisé), un certain nombre de pays d’Europe centrale, ou les Etats-Unis pour évaluation. La Russie s’est surtout montrée disposée à exporter son système SA-12A/B, lors d’une offre faite aux Emirats arabes unis en 1996. Par ailleurs, les difficultés financières liées aux budgets d’équipements de l’armée russe laissent présager que les systèmes S-400 seront sans doute proposés à l’exportation, ce qui, une fois encore, pourrait offrir des opportunités intéressantes pour les Européens.
Source : Assemblée parlementaire de l’Union de l’Europe Occidentale (UEO) http://www.assemblee-ueo.org/
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