Le MTCR
10. Le Missile Technology Control Regime (MTCR) a déjà été étudié par notre commission à plusieurs reprises. En avril 1992, il a été examiné dans le Document 1305 sur "La politique d’exportation d’armements" (M. Aarts en était le rapporteur). Il a fait l’objet d’une nouvelle étude en 1994 dans la première partie du Document 1435 sur "La coopération transatlantique dans le domaine de la défense antimissile", puis, plus brièvement, dans la seconde partie du même rapport. Nous nous bornerons donc ici à rappeler quelques points.
11. Le MTCR a pour but de lutter contre la prolifération des missiles permettant de transporter des armes de destruction massive, et réglemente les transferts de matériels et de technologies liés aux missiles. Sa principale caractéristique est d’être non contraignant, puisque les véritables contrôles restent de la compétence des seuls pays signataires. Ce régime énonce des lignes de conduite communes en matière d’exportation qui s’appliquent à une liste précise de matériels et de technologies, énoncés dans les annexes I et II de l’accord. Cette liste comprend notamment les missiles capables de transporter une charge utile de 500 kg à une distance d’au moins 300 kilomètres. Dans l’évaluation des demandes relatives à ces transferts, les facteurs suivants sont ainsi pris en compte :
* la prévention de la prolifération d’armes de destruction massive ;
* les capacités et objectifs des programmes spatiaux et de missiles de l’Etat destinataire ;
* l’importance des transferts par rapport au développement éventuel de systèmes vecteurs d’armes de destruction massive ;
* l’étude de l’utilisation finale des transferts. Elle comprend la garantie de l’Etat destinataire que ces transferts seront utilisés uniquement dans le but préétabli, que leur utilisation ne sera pas modifiée, que les articles transférés ne seront ni modifiés ni reproduits sans le consentement préalable du gouvernement fournisseur et que ni les articles, ni les reproductions, ni les produits dérivés ne seront transférés sans le consentement du gouvernement fournisseur ;
* le respect d’éventuels accords multilatéraux.
12. Le MTCR est désormais composé de 32 pays membres : les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne, l’Italie, le Canada, le Japon, membres fondateurs, auxquels se sont ajoutés l’Afrique du Sud, l’Argentine, l’Australie, l’Autriche, la Belgique, le Brésil, le Danemark, l’Espagne, la Finlande, la Grèce, la Hongrie, l’Islande, l’Irlande, le Luxembourg, la Norvège, la Nouvelle-Zélande, la Pologne, le Portugal, les Pays-Bas, la République tchèque, la Russie, la Suède, la Suisse, la Turquie et l’Ukraine.
13. Le MTCR constitue un élément très important de la lutte contre la prolifération, car il permet d’éviter la prolifération des technologies les plus pointues. Le nombre d’Etats parties à cet accord ne cesse de croître, ce qui dénote une réelle prise de conscience, de la part d’un nombre croissant d’Etats, de la nécessité de limiter la prolifération des missiles. La présence de la Russie et de l’Ukraine est à ce titre particulièrement encourageante. En outre, le MTCR pourrait faire l’objet d’un éventuel approfondissement. En effet, il semble qu’il demeure un outil imparfait de lutte contre la prolifération des missiles. Plusieurs problèmes l’empêchent d’être vraiment efficace.
14. Tout d’abord, le MTCR n’est pas un traité international contraignant car il ne lie pas les pays membres et ne leur donne pas d’obligations sur la scène internationale. Le MTCr n’a donc qu’une valeur morale, et les contrôles demeurent le fait de chaque Etat.
15. Ensuite, les critères, en ce qui concerne notamment la portée des missiles et le poids de la charge utile, laissent une place assez large à l’interprétation, car il n’est pas toujours aisé d’évaluer les performances de façon très précise, celles-ci pouvant être influencées par de nombreux facteurs.
16. Cependant, il faut noter, pour finir sur ce point, que les membres du MTCR ont proposé d’adopter un projet de code de conduite sur la prolifération des missiles dans le cadre de leur réunion des 14 et 15 octobre à Helsinki. Ce code serait composé de principes assez larges afin de permettre aux pays non membres du TNP d’y adhérer. En outre, les pays non membres du MTCR pourraient être parties au code de conduite. L’objectif est en effet de convaincre les pays producteurs, comme la Chine et l’Inde, et les pays situés dans des régions sensibles (Moyen-Orient et Asie par exemple) de devenir parties au code, même s’ils ne sont pas membres du MTCR. L’essentiel de l’engagement consiste en mesures de confiance déclaratoires, chaque Etat devant, dans la limite de la confidentialité, expliquer sa politique balistique et spatiale, ainsi que ses programmes spatiaux civils. Par ailleurs, les pays membres devront s’engager à notifier aux autres pays les tirs ou essais balistiques.
Les Accords de Wassenaar
17. Les Accords dits de Wassenaar ont déjà fait l’objet d’une étude de la commission en 1997, dans la seconde partie du rapport sur "La coopération transatlantique dans le domaine de la défense antimissile européenne" (Document 1588). Nous ne procéderons donc ici qu’à quelques rappels et précisions.
18. Les Accords de Wassenaar sur les contrôles à l’exportation des armes conventionnelles et des produits et technologies à double usage (civil et militaire) ont été adoptés en juillet 1996 par 33 Etats (5). Selon ces accords, les pays membres doivent :
* être producteurs/exportateurs d’armements, de technologies ou de produits associés à double usage ;
* mener une politique nationale satisfaisante, notamment s’abstenir de vendre des armes ou des produits sensibles à double usage à des pays dont le comportement serait source de préoccupation ;
* respecter les règles et les normes internationales concernant la lutte contre la prolifération ;
* mettre en oeuvre un contrôle parfaitement efficace des exportations.
19. Ces accords encouragent la transparence et la consultation. En effet, pour éviter les accumulations déstabilisatrices d’armes et de produits et technologies à double usage, les Accords de Wassenaar prévoient que les gouvernements des pays membres échangent des informations sur les exportations des produits et technologies visés par ces accords en direction des Etats non membres. Cependant, la décision de transférer ou non certains produits demeure la prérogative de chaque Etat. En effet, les Accords de Wassenaar, comme le MTCR, reposent sur des contrôles nationaux, et ne sont pas dirigés contre un pays ou un groupe de pays. Ils n’interdisent donc en aucun cas les exportations.
20. Pour atteindre ces objectifs, les Etats membres doivent, deux fois par an, rendre un rapport sur les transferts des armes conventionnelles et des produits et technologies à double usage. Par ailleurs, les Etats membres se rencontrent périodiquement afin de discuter du fonctionnement du mécanisme et d’améliorer les efforts de contrôle des exportations. En outre, une réunion est prévue pour que les pays membres puissent évaluer collectivement les implications de certains transferts sur leurs intérêts internationaux ou régionaux. Enfin, même si aucun Etat n’est directement visé par le texte des Accords de Wassenaar, les Etats membres doivent être particulièrement attentifs vis-à-vis de certains pays (6).
21. Les Accords de Wassenaar forment un cadre très intéressant pour le contrôle des exportations d’un nombre très important de produits, et peuvent ainsi permettre de lutter contre la prolifération. Même s’il s’agit d’un instrument moins contraignant que le défunt COCOm (Comité de coordination pour le contrôle multilatéral des exportations), qui prévoyait une procédure d’approbation par consensus des exportations (connue sous le nom de veto), il est mieux adapté à la lutte actuelle contre la prolifération. En effet, le COCOM ne prévoyait des contrôles et des échanges d’informations que lorsque les exportations étaient destinées à l’Union soviétique ou à l’un des membres du Pacte de Varsovie. Cela n’aurait donc pas permis de prendre en compte les exportations vers les pays considérés aujourd’hui comme les plus actifs en matière de prolifération.
22. Bien que ces accords, auxquels ont notamment adhéré des pays auparavant membres du Pacte de Varsovie, aient permis de progresser dans la lutte contre la prolifération, cet instrument ne permet pas de lutter aussi efficacement qu’il le faudrait contre la prolifération. L’absence de la Chine des deux forums de discussion que sont les Accords de Wassenaar et le MTCR constitue à n’en pas douter un handicap de taille qu’il serait également important de combler. L’un des principaux défis pour ces organismes est donc de développer un consensus autour des principes qu’ils défendent, ce qui nécessite l’adhésion d’un nombre plus important de pays. En outre, les signataires des Accords de Wassenaar ont souvent répété, comme l’a récemment déclaré le Sous-secrétaire d’Etat américain William A. Reinsch, qu’ils n’accepteraient pas de soumettre leurs exportations à la procédure de consensus qui existait au sein du COCOM. Il est vrai que cette procédure serait extrêmement contraignante, et très difficile à mettre en oeuvre. Néanmoins, l’absence de contrainte dans le cadre des Accords de Wassenaar, comme dans le cadre du MTCR, empêche probablement cet instrument de jouer pleinement son rôle.
23. Malgré tout, il faut souligner que si ces accords internationaux ne sont pas contraignants, et ne lient pas les Etats sur la scène internationale, ils créent une obligation morale de comportement, selon le principe de droit international pacta sunt servanda (les accords signés doivent être respectés). Ils permettent également de mettre en évidence des comportements pouvant accroître la prolifération, et donc porter atteinte à la sécurité internationale. C’est également dans cette optique que les Européens ont adopté un code de bonne conduite en 1998.
Le Code de conduite européen
24. Le 8 juin 1998, le Conseil de l’Union européenne a adopté un Code de conduite sur les exportations d’armements. Ce code constitue une avancée majeure dans un domaine particulièrement sensible, et poursuit un double objectif :
* instaurer des normes communes strictes constituant une base minimale pour le contrôle par les Quinze des transferts d’armes conventionnelles relevant de leur responsabilité ;
* renforcer l’échange d’informations pertinentes dans ce domaine entre les Etats membres en vue d’assurer une plus grande transparence.
25. Il définit des principes communs applicables aux politiques nationales d’exportations d’armements à partir de huit critères adoptés lors des sommets européens de Luxembourg (juin 1991), et de Lisbonne (juin 1992). Il prévoit ainsi :
* le respect des engagements internationaux des Etats membres, notamment des sanctions décrétées par le Conseil de sécurité des Nations unies et par l’Union, des accords de non-prolifération et autres, ainsi que des autres obligations internationales ;
* le respect des droits de l’homme dans les pays de destination finale ;
* la prise en compte de la situation dans les pays de destination finale ;
* la préservation de la paix, de la sécurité et de la stabilité régionales ;
* le respect de la sécurité nationale des Etats membres et de leurs pays amis ou alliés ;
* la prise en compte du comportement du pays acheteur à l’égard de la communauté internationale et notamment son attitude envers le terrorisme, la nature de ses alliances et le respect du droit international ;
* la prise en compte d’un risque de détournement du matériel à l’intérieur du pays acheteur ou d’une réexportation dans des conditions non souhaitées ;
* la compatibilité des exportations d’armes avec la capacité technique et économique du pays bénéficiaire, afin que les Etats répondent à leurs besoins légitimes de sécurité et de défense en consacrant un minimum de ressources humaineset économiques aux armements.
26. Un rapport annuel à caractère confidentiel sur la mise en oeuvre du Code sera établi par chacun des membres de l’Union à ses partenaires ; ces rapports nationaux feront l’objet d’un examen annuel dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune. Un rapport de synthèse sera ensuite présenté au Conseil.
27. Pour faciliter une convergence dans l’application des critères, le Code crée un mécanisme de consultations bilatérales, déclenché par le refus d’exportation par un Etat membre. La procédure se déroule comme suit :
* chaque Etat refusant une licence d’exportation en informe ses partenaires par la voie diplomatique, en motivant sa décision ;
* un Etat qui entend accorder une licence pour une exportation "globalement identique" à une opération ayant été préalablement refusée par un autre membre au cours des trois dernières années doit au préalable consulter ce dernier ;
* si, après consultation, cet Etat persiste dans son intention d’exporter, il doit notifier sa décision et expliquer sa position à l’Etat membre (ou aux Etats membres) ayant émis le premier refus. La décision finale d’accorder ou de refuser l’autorisation reste du ressort du choix souverain de chaque Etat.
28. Pour finir, nous mettrons en évidence deux initiatives fort intéressantes en matière de lutte contre la prolifération, en particulier des missiles et des technologies liées aux missiles.
29. Le 16 mars 2000 s’est tenue à Moscou ce que les Russes ont appelé la première rencontre internationale d’experts sur la question de la création d’un système de contrôle global pour la non-prolifération des missiles et des technologies de missiles (International Meeting of Experts on the problem of the creation of a Global Control System for the Non-Proliferation of Missiles and Missiles Technology). Lors de cette réunion, les Russes ont proposé la création d’un nouveau mécanisme dénommé Système de contrôle global pour la non-prolifération des missiles et des technologies de missiles. Ce mécanisme serait basé sur la coopération volontaire des pays participants, et ne prévoirait donc aucune mesure coercitive ou sanction.
30. Le Système de contrôle global (GCS) pourrait ainsi mettre sur pied :
* un régime de transparence et d’informations mutuelles concernant les lancements de missiles, se traduirait par un échange d’informations sur les lancements de missiles et d’engins spatiaux et pourrait en outre être favorisé par la création d’un centre technique international dédié, notamment, à l’observation ;
* un mécanisme offrant des garanties de sécurité aux pays participant au GCS qui auront renoncé à posséder des missiles permettant de transporter des armes de destruction massive. Cela signifie que ces pays seraient protégés en cas d’atteinte à leur sécurité ;
* un mécanisme d’incitation pour les Etats ayant renoncé à posséder des missiles capables d’emporter des armes de destruction massive. Ce mécanisme pourrait prévoir des aides internationales à destination de ces Etats, pouvant par exemple prendre la forme d’une contribution au développement de programmes spatiaux nationaux ou d’une participation de ces Etats à l’activité spatiale sous une autre forme ;
* un mécanisme de consultations internationales afin de perfectionner les outilset régimes du GCS et de résoudre les problèmes qu’il rencontre. Ce mécanisme permettrait en outre de garantir le bon fonctionnement du système.
31. La seconde initiative qu’il convient de souligner, et qui est étroitement liée à la première, est encore plus récente. Il s’agit de la déclaration commune du Président Clinton et du Président Poutine (7). Dans cette déclaration, donnant naissance à l’Initiative de coopération en matière de stabilité stratégique (Strategic Stability Cooperation Initiative), les deux chefs d’Etat se déclarent déterminés à "rechercher de nouvelles formes de coopération dans le domaine de la non-prolifération de missiles et de technologies liées aux missiles en vue de renforcer la sécurité internationale et de maintenir la stabilité stratégique et ce, dans le cadre d’une Initiative de coopération en matière de stabilité stratégique entre les deux pays". En outre, les deux pays se disent également prêts à approfondir leur dialogue sur les questions liées à la menace due à la prolifération de missiles et de technologies de missiles. Il est ainsi prévu, pour faire échec à cette prolifération, de discuter et d’adopter des mesures diplomatiques et politiques, selon des mécanismes bilatéraux et multilatéraux.
32. Ceci prendra la forme d’un renforcement du Missile Technology Control Regime, mais aussi d’une mise en oeuvre de la proposition russe de système de contrôle global pour la non-prolifération des missiles et des technologies liées aux missiles et de la proposition américaine de code de conduite en matière de missiles.
33. Il ne s’agit certes ici que de déclarations, et il reste désormais à passer aux actes. Mais il semble néanmoins que la voie soit tracée.
(5) L’Argentine, l’Autriche, la Bulgarie, la République tchèque, la Finlande, la Hongrie, l’Allemagne, l’Italie, le Luxembourg, la Nouvelle-Zélande, la Pologne, la Russie, l’Espagne, la Suisse, l’Ukraine, les Etats-Unis, l’Australie, la Belgique, le Canada, le Danemark, la France, la Grèce, l’Irlande, le Japon, la Norvège, le Portugal, les Pays-Bas, la République de Corée, la Roumanie, le Royaume-Uni, la Slovaquie, la Suède et la Turquie.
(6) Il est communément admis qu’il s’agit essentiellement de l’Iran, de l’Irak, de la Corée du Nord et de la Libye.
(7) Cette déclaration date du 6 septembre 2000.
Source : Assemblée parlementaire de l’Union de l’Europe Occidentale (UEO) http://www.assemblee-ueo.org/
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