42. Les pays européens demeurent très partagés sur la question du projet de défense antimissile. D’un côté, les Français et les Allemands ont dès le départ marqué beaucoup de méfiance à l’égard du projet NMD, mais ont quelque peu modéré leurs propos ces derniers mois, depuis qu’ils ont la certitude que l’administration Bush ne le développera pas de manière unilatérale. D’un autre côté, les Britanniques se sont montrés beaucoup plus conciliants vis-à-vis des Américains, allant même jusqu’à proposer leur aide ou leur collaboration. Mais, même s’il n’existe pas de position européenne unique sur la défense antimissile, et que les données du problème ont beaucoup évolué au cours de ces deux dernières années, il est tout de même possible d’identifier plusieurs facteurs communs dominants.
43. Avant toute chose, l’Europe reproche au projet américain de défense antimissile d’aller à l’encontre des régimes de contrôle des armes nucléaires et de désarmement, et de stimuler une nouvelle course aux armements. Les Européens souhaitent, au même titre que la Russie et la Chine, préserver le Traité ABM car ils le considèrent comme un élément clé de la stabilité stratégique. Par conséquent, ils tentent actuellement d’inciter les Américains à signer un accord avec les Russes, avant tout déploiement de leur système antimissile. L’objectif est de soutenir la politique de défense antimissile américaine tout en conservant le principe de prévention d’une course aux armements défensive ou offensive, afin d’éviter que les Américains ne se retirent du Traité ABM unilatéralement, au risque d’une réaction violente de la part des Russes et des Chinois.
44. Un autre point sur lequel les Européens ne s’entendent pas avec les Américains est la justification d’un tel système. Les Européens doutent en effet de l’existence d’une réelle menace balistique en provenance des "Etats voyous" - Iran, Irak, Libye et Corée du Nord - avec lesquels ils entretiennent des relations plus coopératives et moins conflictuelles que les Américains. Ils ne pensent pas que ces pays soient réellement capables de doter leurs missiles longue portée de têtes nucléaires dans un futur proche. Selon certains spécialistes français des questions de défense, la menace la plus importante pour les Etats-Unis serait en fait constituée par le terrorisme, notamment chimique ou biologique. Or, la défense antimissile n’y répond pas. Il est, de plus, techniquement tout à fait possible de saturer par un système de leurrage tout dispositif de défense antibalistique. Sauf à penser qu’elle ait été inspirée par des intérêts industriels ou qu’elle a pour objet d’entraîner certains Etats dans une course aux armements épuisante, sa pertinence paraît donc peu évidente.
45. Les Européens sont en outre très sceptiques quant à la faisabilité des défenses antibalistiques, étant donné les échecs successifs en 2000 des essais d’interception dans le cadre du plan américain ; ils s’interrogent notamment sur la pertinence d’une démarche qui demanderait dix ans de délai pour répondre à une menace définie comme imminente. Ceci explique la faiblesse de l’engagement dans cette voie en Europe. Les études auxquelles participent les Européens se concentrent en effet sur la défense de théâtre (TMD), et sont conduites pour la majorité d’entre elles en coopération avec les Etats-Unis. Ainsi, l’Allemagne et les Pays-Bas ont par exemple décidé de se procurer le système Patriot Advanced Capability 3 (PAC-3) des Etats-Unis. L’Allemagne travaille également avec l’Italie et les Etats-Unis sur le système antimissile mobile MEADS - Medium Extended Air Defence System. De plus, la France, l’Italie et le Royaume-Uni travaillent sur le "Principal Anti-Air-Missile System" (PAAMS, système de missile anti-aérien embarqué sur des frégates, et qui pourrait être amélioré pour lui donner une capacité antibalistique de théâtre). Les alliés européens participent également aux études de faisabilité de l’OTAN sur le développement de systèmes TMD de basse et haute altitudes comprenant des stations terrestres, des navires, des avions et des satellites15.
46. Pour conclure, notons que les analyses américaines et européennes en matière de défense antimissile tendent à diverger fortement. Les Européens sont globalement sceptiques quant à la réalité de la menace que feraient peser les "Etats voyous" sur le modèle actuel de dissuasion. Ils ne sont pas certains que les armes antimissiles constituent un complément nécessaire à la dissuasion, du fait qu’elles doteraient leurs détenteurs de possibilités de réaction stratégique plus nombreuses. Ils craignent cependant que la défense antimissile américaine soit un facteur de découplage, ce qui en ferait un élément central de leurs relations avec les Etats-Unis. Les Européens se posent également des questions sur les coûts d’opportunité de ce mode de défense, en particulier quant aux relations avec la Russie, à l’impact sur la stratégie chinoise et aux choix militaires et budgétaires qu’il implique. Il n’en demeure pas moins que des zones de convergence entre intérêts européens et américains existent en matière de défenses terminales et de satellites d’alerte et que des architectures en vue d’une défense antimissile européenne sont possibles.
15 Ces développements technologiques sont présentés plus en détail dans la partie VI du présent rapport.
Source : Assemblée parlementaire de l’Union de l’Europe Occidentale (UEO) http://www.assemblee-ueo.org/
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