52. La question qui se pose actuellement, surtout depuis les événements du 11 septembre dernier, est en fait de savoir si l’Europe participera à la protection de son territoire en adhérant au programme de défense antimissile américain ou russe, ou en développant sa propre stratégie. Si les points de vue européen et américain arrivent un jour à converger, établir un système transatlantique de défense antimissile qui soit réalisable à la fois politiquement, techniquement, diplomatiquement et financièrement, sera très difficile. Il existe néanmoins une stratégie qui permettrait de réaliser ces quatre objectifs. La première ligne de défense dans une architecture alliée pourrait être constituée de systèmes terrestres, navals ou aériens d’interception en phase propulsée (BPI), déployés en Turquie et en mer Noire. La seconde ligne pourrait comprendre des systèmes TMD navals opérant dans la partie extrême-orientale de la mer Méditerranée et dans les eaux territoriales des pays membres de l’OTAN. Enfin, la dernière ligne de défense pourrait consister en des plates-formes de TMD maritimes ou terrestres pour les défenses terminales des ports et des villes. Afin de maximiser l’efficacité de ces opérations, l’utilisation de divers systèmes mobiles d’interception de missiles à chacune des trois phases de leur vol permettrait de neutraliser une bonne partie des menaces balistiques provenant du Moyen-Orient. Une telle architecture serait, de plus, facilement réadaptable aux évolutions des technologies et des menaces.
53. Au plan politique et stratégique, les domaines de défenses terminales et d’alerte satellitaire ont donc une double vertu. D’une part, ils sont compatibles, voire "en synergie" avec la défense antimissile américaine, d’un côté, et avec la politique européenne de sécurité et de défense, de l’autre. D’autre part, l’alerte satellitaire n’exclut pas la mise en pool - soit technologique, soit en termes de données recueillies - entre les Etats-Unis, l’Europe et la Russie. Néanmoins, l’OTAN devra sans doute attendre des années avant qu’un consensus soit adopté par les Européens, et ce pour deux raisons. La première est qu’une défense antimissile européenne ne pourra être opérationnelle au plus tôt que dans une dizaine d’années. La seconde est que les Américains ne peuvent pas s’engager dans une architecture précise avant d’avoir achevé le développement et les essais de divers systèmes et technologies, ce qui prendra encore plusieurs années. De plus, la solution d’une répartition des coûts ne pourra être débattue qu’une fois les essais et les développements technologiques achevés24. Les problèmes budgétaires n’apparaîtront réellement qu’une fois que les systèmes retenus auront atteint leur stade de fabrication. Washington n’a donc aucun intérêt à presser ses alliés de prendre une décision précipitée.
54. Dans un tel contexte, il apparaît raisonnable d’adopter une stratégie de "différenciation" basée sur une architecture qui reflète les diverses conditions et contraintes auxquelles sont confrontés les pays membres de l’OTAN pour l’élaboration d’un système transatlantique commun. Les Etats-Unis et leurs alliés européens devraient ainsi envisager une approche de répartition des responsabilités. Au niveau opérationnel, les Etats-Unis pourraient par exemple prendre la responsabilité d’intercepter les missiles en phase propulsée et à mi-course. Cela correspondrait à la première ligne de défense dans une architecture à plusieurs couches. Les alliés européens accepteraient alors la responsabilité de la défense terminale, en particulier contre les missiles de courte portée. Si le principe de responsabilité des coûts est respecté, les Etats-Unis devraient assumer l’entière responsabilité du développement et du coût des systèmes d’interception navals, aériens et terrestres en phase propulsée et à mi-course. Les alliés se concentreraient alors sur l’élaboration ou l’acquisition d’intercepteurs et/ou de plates-formes de défenses terminales.
55. Finalement, le système le plus efficace serait celui qui permettrait à la fois d’atteindre les objectifs opérationnels de tous, tout en accordant à chaque pays allié la possibilité de choisir entre une série d’architectures et de technologies de défense à moindre coût. Il reste donc aux Européens à décider s’ils ont réellement besoin d’une défense antimissile et, si oui, quel prix ils sont prêts à payer. Or, tout cela dépendra en fait des priorités budgétaires de l’Union européenne dans les prochaines années25 et des architectures entre lesquelles les gouvernements européens auront la possibilité de choisir. Les implications pour l’industrie européenne d’une participation ou non à une défense antimissile ne pourront donc être évaluées que lorsque les Etats-Unis et la Russie auront eux-mêmes déterminé quelle défense antimissile ils souhaitent développer et proposer aux Européens.
24 Au lieu des 3,63 milliards de dollars de budget prévus pour l’exercice 2002, le Sénat a accordé 8,3 milliards de dollars au projet de bouclier antimissile, soit une hausse de 128% par rapport à la somme prévue initialement. Au total, entre 1997 et 2003, la BMDO prévoyait d’allouer un budget de 25,4 milliards de dollars à la BMD, dont 4,356 milliards pour l’exercice 2003. Etant donné les sommes accordées cette année, il est fort probable que le budget total sera largement dépassé. Rien ne permet non plus aujourd’hui de prévoir le montant alloué pour 2003. Source : BMDO, Communiqué de presse du Président sur le budget (exercice financier 1998) et site internet http://www.senate.gov/legislative
25 L’une des priorités budgétaires et politiques de l’Union européenne est actuellement l’élargissement à l’Est, ce qui rend improbable un engagement dans la coûteuse et incertaine MD. De plus, sous prétexte que les pays pouvant être la cible d’une réaction militaire européenne ne possèdent pas de capacité de missiles à longue portée, la modernisation des moyens militaires européens reste axée sur l’amélioration des capacités d’intervention interarmées et interalliées, avec notamment la création d’une force de réaction rapide de 60 000 hommes.
Source : Assemblée parlementaire de l’Union de l’Europe Occidentale (UEO) http://www.assemblee-ueo.org/
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