La suite du rapport expose les renseignements et analyses qui ont amené le Comité à présenter les recommandations qui précèdent.
Le Canada est-il menacé ?
En général, les Canadiens ne forment pas un peuple belliqueux et pour nombre d’entre eux, l’un des principaux atouts du Canada, c’est d’avoir toujours été un refuge contre le tumulte et les troubles dans le reste du monde. C’est sa relative tranquillité qui a le plus attiré les immigrants ayant contribué à bâtir le Canada peu à peu. Bon nombre d’entre eux ont choisi de venir ici à cause du calme relatif dans lequel la plupart des Canadiens ont eu le privilège de vivre.
Pourtant, ce grand bienfait recèle aussi un grand danger, puisque le pacifisme peut se muer en passivité. Il y a presque 60 ans qu’Adolf Hitler a forcé les Canadiens à admettre qu’il n’est pas toujours possible d’apaiser ceux qui sont déterminés à détruire notre mode de vie. Même après les événements du 11 septembre 2001 aux États-Unis, bien des Canadiens ont continué de croire que " cela ne pouvait pas arriver chez nous ", tout comme de nombreux Canadiens (et dirigeants politiques canadiens) avaient cru que la Première Guerre mondiale était la dernière des guerres et qu’il n’y aurait jamais de Deuxième Guerre mondiale.
Malheureusement, ils se trompaient et on aurait bien tort de croire que le Canada ne sera jamais la cible de terroristes. Notre mode de vie, qu’abhorrent les extrémistes de la même mouture que Ben Laden, ressemble à celui des Américains. Nos économies sont indissociables. Depuis à peine plus de dix ans, nos deux pays ont combattu deux fois pour une cause commune : dans le golfe Persique et en Afghanistan. Le Canada n’est peut-être pas au cœur de la cible de la plupart des extrémistes, mais les États-Unis le sont certainement et le Canada, qui n’en est pas très loin, s’en rapprochera dès qu’il donnera l’impression d’être plus facile à infiltrer que les États-Unis.
La passivité engendre deux grands risques pour la survie et la souveraineté du Canada : le premier, c’est que les terroristes nous considèrent comme le talon d’Achille de l’Amérique du Nord et qu’ils s’attaquent à nous en visant les États-Unis.
Le second risque, c’est que les États-Unis agissent unilatéralement pour défendre leur périmètre de sécurité - qu’ils définissent principalement comme l’Amérique du Nord - sans le consentement du Canada et même à son insu.
La défense de l’Amérique du Nord doit avoir autant d’importance pour les Canadiens qu’elle en a pour les Américains.
Le modèle du NORAD
Le succès du NORAD montre incontestablement que la coopération continentale n’a pas compromis la souveraineté du Canada et ne va pas nécessairement le faire.
Comme l’a expliqué M. Kenneth J. Calder, sous-ministre adjoint (Politiques), ministère de la Défense nationale, quand il a témoigné devant le Comité :
... à notre avis, un arrangement avec les États-Unis ou tout autre pays, qui nous permettrait de travailler ensemble sans pour autant nous obliger à le faire à chaque crise[...]ni nous empêcher d’agir indépendamment, n’aurait aucune incidence sur la souveraineté du Canada. Nous sommes convaincus que c’est le cas du NORAD, le mécanisme qui permet à nos deux pays d’agir conjointement lorsqu’ils conviennent de le faire. Il ne prive ni l’un ni l’autre du droit d’agir individuellement et séparément dans le même domaine, celui de la défense aérospatiale. D’ailleurs, le NORAD n’intervient que si les deux pays y consentent. Par conséquent, on peut dire qu’en fait NORAD ne réduit en rien notre souveraineté et qu’en participant à une opération du NORAD, on exerce notre souveraineté.
Le NORAD est chargé de la surveillance et du contrôle de l’espace aérien de l’Amérique du Nord. Au départ, il a été établi pour détecter et détruire les bombardiers pilotés par des soviétiques qui survoleraient le pôle Nord pour venir attaquer l’Amérique du Nord, mais son rôle a considérablement évolué depuis sa création en 1958.
Avant le 11 septembre, le NORAD s’occupait principalement des cibles qui pénétraient dans l’espace aérien de l’Amérique du Nord et de la surveillance de certains vols intérieurs particuliers comme ceux du Premier ministre du Canada et du Président des États-Unis. Il assurait aussi la détection des missiles balistiques sur le continent nord-américain et donnait l’alerte. Pendant la guerre du Golfe, il s’est occupé de détecter les missiles SCUD et courte portée et d’en avertir les forces de la coalition sur le terrain.
Depuis le 11 septembre, le NORAD joue un rôle plus actif en coopérant avec la Federal Aviation Administration aux États-Unis et Transports Canada pour surveiller et intercepter les vols suspects au-dessus du continent nord-américain. Le commandant du NORAD est américain et le commandant adjoint, canadien. Les deux nominations doivent être approuvées par l’autorité nationale de commandement des deux pays : le Premier ministre du Canada et le Président des États-Unis. Le commandant et le commandant adjoint ne peuvent être du même pays.
Toutes les régions du NORAD en Amérique du Nord ont la même structure de commandement : le commandant est du pays dont la région fait partie et le commandant adjoint, de l’autre pays.
L’Accord du NORAD prévoit un contact constant entre l’autorité nationale de commandement du Canada et celle des États-Unis. Si une menace survient, les centres nationaux de contrôle des deux pays sont informés simultanément. Il incombe alors à chacun de vérifier si l’autorité nationale de commandement est disponible pour prendre des décisions touchant l’ensemble de son pays. Normalement, l’autorisation de changer le statut d’alerte exige l’approbation des deux autorités nationales. Les deux pays ont des scénarios préétablis qui prévoient des délais impératifs et selon lesquels l’autorité nationale a reçu d’avance l’autorisation de hausser le degré d’alerte pour assurer une intervention rapide.
Le Canada fournit 20 pour cent environ des effectifs du NORAD tout en y étant un partenaire à part entière.
Le Canada y trouve notamment l’avantage d’avoir accès aux ressources américaines, telles que le système de satellites, les réseaux de commandement, les services de renseignement, en plus des ressources du U.S. Space Command qui est situé à côté du NORAD à Colorado Springs. Pour plus de renseignements sur le NORAD, se reporter à l’annexe I.
Utiliser intelligemment l’Amérique pour défendre le Canada
En ce qui concerne nos relations politiques et militaires avec les États-Unis, les Canadiens doivent bien entendu agir avec circonspection parce qu’ils ne veulent pas soutenir aveuglément la politique internationale ou militaire des États-Unis.
Le truc pour les Canadiens consiste - comme toujours - à avoir la finesse d’utiliser l’Amérique sans se laisse submerger par elle. Jusqu’à présent, les leaders canadiens ont généralement eu l’intelligence de profiter nettement de la puissance militaire et économique des Américains sans céder notre indépendance politique ni notre identité culturelle. La prudence est la seule manière de traiter avec les États-Unis si le Canada veut rester a) lui-même ; b) sûr et c) prospère. Or, tout porte à croire que les Canadiens ne veulent renoncer à aucun de ces trois éléments.
Les implications pour la sécurité
Le Canada et les États-Unis ont, au niveau bilatéral, signé 80 traités et 250 protocoles d’accord sur des questions de défense. Dans aucun de ces documents le Canada ne renonce à son droit de refuser de participer à une opération militaire qui, selon les autorités américaines, serait dans l’intérêt des deux pays ou de l’un d’eux, et jamais il ne devrait y renoncer. Les Canadiens doivent soigneusement protéger leur souveraineté et ils le font.
Mais nous devons aussi protéger notre souveraineté d’une façon responsable. Le Canada ne saurait abdiquer sa responsabilité de se défendre lui-même et de contribuer à la défense de l’Amérique du Nord. Si nous ne sommes pas prêts à être partie à la solution, les décideurs américains sont susceptibles de commencer à nous considérer comme une partie du problème et, très franchement, ils auraient raison. Du seul point de vue moral, le Canada doit s’engager plus à fond dans la défense de l’Amérique du Nord, mais en pratique, s’il ne montre pas sa volonté de défendre le continent, il n’aura plus voix au chapitre.
En réalité, un refroidissement des rapports entre les forces canadiennes et américaines au sol, conjugué au fait qu’elles ne coordonnent pas leurs opérations de renseignement sur les diverses menaces d’attaques contre nos côtes, met en péril la souveraineté du Canada et la sécurité des Canadiens.
Il y a vraiment un risque que l’administration américaine juge inutile le rôle joué par les forces armées canadiennes dans la mission de défense du continent. Le Canada n’a pas du tout intérêt à perdre de sa pertinence aux yeux de Washington, non plus que ses forces armées deviennent de moins en moins capables d’agir de concert avec ses alliés, en particulier son allié et partenaire économique le plus puissant.
Il est essentiel au bien-être tant des Canadiens que des Américains de comprendre leur importance réciproque qui transcende l’amitié et surmonte les antagonismes passagers. Notre relation comporte de nets avantages économiques et il y va de l’intérêt des deux pays d’être prêts à défendre ensemble le continent en cas d’attaques terroristes ou d’autres types de crises. Comme le lgén Macdonald l’a fait remarquer au Comité :
... il y a toutes sortes d’attaques terroristes contre les États-Unis qui auraient un effet aussi terrible sur le Canada. Une attaque radiologique ou nucléaire contre Détroit se répercuterait sur Windsor. Si le virus de la variole - ou toute autre arme biologique - était répandu aux États-Unis, il ne s’arrêterait pas à la frontière.
Le Comité croit que, dans l’intérêt de tous les Canadiens, le Canada devrait être prêt à participer à la défense du continent nord-américain dans les airs, sur terre et sur mer.
Défendre deux grands pays et une gigantesque économie
Les chiffres les plus récents rassemblés par Statistique Canada, le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international et Industrie Canada présentent une image claire de l’interdépendance des économies canadienne et américaine. Le Canada vient au sixième rang des exportateurs de biens dans le monde, sa part étant de 4 p. 100 des exportations mondiales, et il est au sixième rang des importateurs. Le Canada et les États-Unis ont les échanges commerciaux les plus importants et les plus complets sur la planète. Tous les jours, quelque 2 milliards de dollars en marchandises et services traversent la frontière. Les deux pays sont réciproquement leur meilleur client et leur plus gros fournisseur. 86 p. 100 des marchandises exportées par le Canada ont les États-Unis comme destination, tandis que 23 p. 100 des marchandises importées par les États-Unis proviennent du Canada.
En 2000, les Canadiens ont acheté plus de marchandises américaines que le Mexique et le Japon conjugués. D’ailleurs, le Canada est un marché plus important pour les produits américains que tous les pays de l’Union européenne confondus et que toute l’Amérique latine. Le Canada est le principal partenaire commercial de 38 États ; ainsi, le commerce avec l’Ohio dépasse la somme des échanges commerciaux entre les États-Unis et la Chine, tandis que l’État de Géorgie vend davantage au Canada que l’ensemble des États-Unis à l’Italie ou à la France.
Les exportations aux États-Unis sont primordiales pour la création d’emplois au Canada. Le commerce bilatéral a doublé depuis 1993, à un taux moyen d’environ 12 p. 100. Les exportations de biens et services canadiens représentaient 39 p. 100 du produit intérieur brut du Canada en 2000, alors que les biens et services exportés par les États-Unis vers le Canada correspondent à 2 p. 100 de la production américaine. Ce dernier pourcentage ne semble pas très élevé, mais la prospérité de nombreuses entreprises américaines dépend de leurs liens très étroits avec des fournisseurs canadiens.
Ces relations économiques, extrêmement avantageuses pour les deux pays, exigent que les marchandises traversent facilement cette frontière qui, bien que réputée être la plus longue non défendue au monde, a de plus en plus besoin d’être défendue.
Comme le lgén Macdonald l’a rappelé au Comité :
On ne peut pas présumer que ce qui arrive au sud de nos frontières ne nous regarde pas et ne nous intéresse pas. L’effetpeut aisément se répercuter sur nous, comme on a pu le constater le 11 septembre. Ce n’est pas le Canada qui a été attaqué ce jour-là, mais nous avons été à même d’observer l’impact sur notre économie et sur tout ce qui traverse la frontière.
Il est essentiel que deux pays dont la compatibilité économique est si grande soient tout autant compatible sur le plan militaire pour défendre les deux sociétés dont les économies fonctionnent en majeure partie comme si elles en formaient une seule. Il est incompréhensible que les armées chargées de défendre cette économie - et ces deux sociétés très libres et démocratiques - aient cessé de mener des opérations conjointes contre une nette menace commune.
Source : Sénat du Canada : http://www.parl.gc.ca
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