Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d’enquête et fait prêter serment à Mme Domingo.

M. Roland du LUART, Président. - Je vous demanderai de vous exprimer devant notre commission d’enquête pendant dix à quinze minutes, selon le sujet qui vous a été transmis par notre rapporteur, après quoi notre rapporteur vous posera un certain nombre de questions ainsi que les membres de la commission.

Mme Catherine DOMINGO. - Je vous remercie.

Je suis magistrat au Tribunal de grande instance de Bayonne, qui est particulièrement concerné par le phénomène des drogues illicites de par sa situation géographique. Nous sommes en effet en présence d’une zone à la fois frontalière et touristique et nous nous trouvons confrontés à une masse importante de dossiers liés à ce contentieux, à une masse d’importation tout à fait colossale ainsi qu’à un nombre de dossiers relatifs à l’usage des stupéfiants également très important.

L’action menée par le parquet de Bayonne s’effectue dans deux directions :

une action sur l’offre de stupéfiants, pour tenter de résorber le trafic ;

une action sur la demande des stupéfiants, c’est-à-dire en direction des consommateurs.

S’agissant tout d’abord de l’action sur l’offre des stupéfiants, qui vise à tenter de résorber les réseaux de trafiquants, la tâche s’avère immense eu égard à l’ampleur de ces trafics qui se manifestent tant au plan international qu’au plan local.

Au plan international, le ressort de Bayonne, de par sa géographie, est une des zones clés de passage des stupéfiants, que ce soit sur l’axe nord-sud, avec la descente de produits tels que l’ecstasy ou l’héroïne, ou sur l’axe sud-nord, avec la remontée, depuis le Maroc, via l’Espagne, de la résine de cannabis.

Les chiffres relatifs aux saisies effectuées par les douanes au cours de ces dernières années témoignent de l’ampleur de ce phénomène. Au cours de l’année 2002, en effet, les douanes ont interpellé sur notre ressort pas moins de 152 personnes qui se trouvaient en possession d’un total de 1 506 kg de résine de cannabis, 29,219 kg d’amphétamines, 13,549 kg d’héroïne, 7,717 kg d’ecstasy, 6,612 kg d’herbe, 3,038 kg de cocaïne et 2 grammes de LSD.

Le début de l’année 2003, alors que nous ne sommes que sur une période extrêmement courte de deux mois, est déjà marqué par une augmentation très significative de ces produits stupéfiants saisis, puisque nous en sommes à 3 504 kg de résine de cannabis, 21 kg d’héroïne, 20,340 kg de cocaïne et 41 500 cachets d’ecstasy. Pour que l’actualisation soit parfaite, je dois y ajouter 6,100 kg d’ecstasy ainsi que 120 000 comprimés d’anabolisants.

Ces chiffres témoignent, certes, de l’action particulièrement efficace des douanes mais aussi de la perméabilité de nos frontières. Cette réalité, qui revêt un caractère international, est également présente au plan local.

Certes, nous avons à faire face à peu de trafics locaux liés à l’usage à proprement parler, puisqu’il est extrêmement facile, pour les habitants du Pays Basque, d’aller directement s’approvisionner en Espagne, la frontière étant distance d’une cinquantaine de kilomètres quand on parle de Bayonne, et donc beaucoup plus près pour les personnes habitant sur la côte. Cependant, les trafics locaux, lorsqu’ils existent, sont importants parce qu’ils sont découverts par les autorités de police ou de gendarmerie, de par la nature des produits et les quantités mais également de par les connexions avec des ressortissants espagnols qui profitent de notre territoire pour mettre en parallèle des réseaux transfrontaliers.

Face à cette situation qui revêt une ampleur importante, la politique pénale qui est menée à Bayonne contre ces trafics internationaux et locaux diverge selon les quantités de produits qui sont saisis et les investigations qui sont diligentées. C’est ainsi qu’aujourd’hui, lorsque sont saisies des quantités inférieures à 40 kg de résine de cannabis et lorsque la personne qui transporte ces produits ne souhaite pas ou n’est pas en mesure de nous communiquer l’identité de son fournisseur ou du commanditaire de ce trafic, c’est la procédure de comparution immédiate qui est envisagée, avec un passage extrêmement rapide devant le tribunal correctionnel sur le fondement du délit douanier d’importation de marchandises prohibées. Depuis la récente loi du 9 septembre 2002, y sont associés les délits du code pénal de détention, d’importation et de transport de produits stupéfiants.

Lorsque nous nous trouvons en présence de personnes qui fournissent des indications soit sur les commanditaires, soit sur les fournisseurs, soit sur les autres participants au réseau ou qui présentent une situation qui nécessite des investigations sur leur situation bancaire ou personnelle ou sur leur mode de communication (puisque les transporteurs sont souvent en possession de plusieurs téléphones portables), c’est la voie de l’ouverture d’information et de la saisine du juge d’instruction qui est privilégiée, avec des commissions rogatoires ordonnées par ce magistrat instructeur.

Nous rencontrons quelques difficultés en la matière dans la lutte contre ce trafic de stupéfiants, puisque ces commissions rogatoires qui sont adressées aux autorités judiciaires de nos pays frontaliers européens ont des délais d’exécution extrêmement longs, de six à dix-huit mois, pour un résultat quelquefois décevant, puisque les missions sont incomplètement remplies. Ce n’est donc pas sans poser problème pour ces dossiers dans lesquels, généralement, des personnes sont en détention provisoire et dont les conseils des personnes mises en examen posent des demandes de mise en liberté répétées en arguant du fait que leurs clients n’ont pas à pâtir des délais d’exécution de ces commissions rogatoires internationales, eu égard notamment aux règle de la Convention européenne des droits de l’homme.

Cette politique pénale est actuellement en cours de réflexion quant à d’éventuels aménagements, puisque la loi du 9 septembre 2002 permet désormais de poursuivre des personnes pour des délits dont les peines encourues dépassent sept ans. C’est ainsi qu’au regard des difficultés rencontrées sur ces commissions rogatoires internationales et sur ces nouvelles procédures, une réflexion est actuellement menée et qu’une prochaine réunion de concertation avec les juges d’instruction et les juges correctionnels aura lieu afin d’aboutir à un passage devant le tribunal correctionnel, dans le cadre des comparutions immédiates, de dossiers portant sur des quantités supérieures aux 40 kg dont je viens de faire état.

Quant à l’action qui est menée sur la demande, beaucoup plus en direction des consommateurs, elle répond à un contexte local très particulier. Il s’agit d’essayer de prendre en considération ces consommateurs qui encourent une peine d’un an d’emprisonnement et 3 750 $ d’amende sur la base de l’article L 3421-1 du code de la santé publique et qui se présentent aujourd’hui dans le ressort du tribunal correctionnel de Bayonne selon une situation particulière. Là encore, la particularité du ressort de Bayonne fait que nous sommes en présence d’une consommation transfrontalière importante avec la proximité de l’Espagne et des particularités patentes : des consommateurs qui peuvent se rendre dans des lieux festifs et des discothèques dont les coûts d’accès sont bien inférieurs à ceux pratiqués en France et consommer des produits dont l’usage est dépénalisé, ce qui permet un accès beaucoup plus facile à un moindre coût.

Le ressort du tribunal de Bayonne est également marqué par le fait que de nombreux élèves espagnols étudient dans nos établissements scolaires, que ce soit sur la côte ou à l’intérieur du Pays Basque, et ce sont des jeunes qui, de par la législation en vigueur dans leur pays, sont beaucoup plus enclins à la consommation et à l’apport sur notre ressort de produits illicites.

Il s’y ajoute le contexte touristique du Pays Basque, qui draine des mouvements de population et qui génère des usages de stupéfiants.

Enfin, il convient à mon sens d’indiquer que l’augmentation importante de ce type de délinquance et d’usage de stupéfiants est liée au discours ambiant qui est développé par les médias et alimenté par les personnalités publiques qui tentent de faire croire aux jeunes que cet usage de stupéfiants est assez banal, alors qu’on sait aujourd’hui (les médecins en parleraient sûrement mieux que moi) que c’est loin d’être le cas, y compris l’usage de résine de cannabis, avec des taux de nocivité extrêmement importants aujourd’hui.

Là aussi, la situation est particulière. En 2002, sur le ressort de Bayonne, on a recensé 194 usagers de stupéfiants et 350 détenteurs. Là encore, ce sont des statistiques dont la distinction est ténue puisque, très souvent, les détenteurs sont eux-mêmes usagers, mais on peut d’ores et déjà se rendre compte de la situation avec environ 550 personnes qui ont fait l’objet d’une procédure pénale sous le chef d’usage de stupéfiants.

Face à cette situation, la politique pénale qui est menée en direction des usagers va s’inscrire pleinement dans le programme départemental de prévention et de lutte contre les toxicomanies et il a été demandé à l’ensemble des services d’enquête (police et gendarmerie) de dresser systématiquement une procédure, même si elle est effectuée sur un mode simplifié, lorsque sont interpellés des usagers de stupéfiants, quelles que soient les quantités de produits qui sont saisies sur ces personnes.

Classiquement, l’usager, après audition, lorsqu’il réside sur le ressort du tribunal de Bayonne, se voit notifier une injonction à la rencontre, c’est-à-dire qu’une association d’orientation sanitaire et sociale doit le recevoir dans les huit jours qui suivent son interpellation, et le résultat de cette injonction qui est délivrée à la demande du parquet par l’officier de police judiciaire voit sa concrétisation dans le récépissé qui doit être remis au parquet par l’intéressé, qui doit respecter cette convocation.

Il est à noter que, dans la plupart des cas, très majoritairement, les personnes qui font l’objet de cette injonction de rencontre respectent cette mesure. Si telle n’était pas le cas, les poursuites seraient engagées sur un mode soit de composition pénale, soit de poursuite devant le tribunal.

Il convient de préciser que cette mesure d’injonction à la rencontre est effectuée dans des cas très précis, d’abord pour des personnes qui sont primo-délinquantes, qui sont interpellées avec de faibles quantités de produits stupéfiants, qui ne font pas l’objet d’une dépendance avérée à ces produit stupéfiants et qui, bien évidemment, sont interpellées dans des conditions qui ne relèvent que du strict usage et non pas d’un éventuel trafic ou revente.

Ce sont les conditions mêmes pour cette orientation sanitaire et sociale, avec une particularité un peu plus marquée pour les mineurs usagers, pour lesquels nous avons à coeur de coupler cette orientation vers cette structure avec la rencontre soit du substitut chargé des mineurs, soit du délégué du procureur, qui invite le mineur, en compagnie de ses parents ou des personnes qui en sont civilement responsables, à recevoir un rappel de la loi, des sanctions encourues et des dangers afin de sensibiliser cette population de jeunes qui constitue l’une des populations les plus touchées par ce type de délinquance.

Au-delà de ces faibles quantités qui sont saisies, il est bien évident que les quantités saisies de façon beaucoup plus importante sur des personnes récidivistes ou qui sont en train de trafiquer font l’objet de poursuites pénales, soit sous la forme de la composition pénale, soit sous celle d’une convocation devant le tribunal correctionnel.

Enfin, pour compléter mes propos, s’agissant des usagers qui sont interpellés avec une faible quantité de stupéfiants mais qui ne résident pas sur le ressort de Bayonne, en application de la circulaire du 17 juin 1999, les procédures sont systématiquement adressées au parquet du domicile de la personne concernée.

Dans le cadre de cette politique pénale qui est mise en oeuvre, nous avons également le souci de poursuivre les efforts de prévention qui se manifestent par des contacts étroits avec les chefs d’établissements scolaires, par des rencontres entre les magistrats du parquet, des parents d’élèves et les jeunes eux-mêmes, dans le cadre des débats sur ce type de sujet, et également par des formations destinées aux enseignants ou aux futurs enseignants des IUFM. 

Par ailleurs, la collaboration est étroite avec le juge d’application des peines et les structures pénitentiaires pour établir un relais, lorsque des usagers revendeurs sont incarcérés, à l’intérieur de la maison d’arrêt et également à leur sortie, toujours dans la perspective de soins.

Pour conclure, je vous précise que la convention départementale d’objectifs a permis d’instaurer également des relations particulièrement efficaces avec la direction départementale de l’action sanitaire et sociale sur les objectifs à mener en coordination avec l’autorité judiciaire, de même que les échanges menés avec les associations de lutte contre les toxicomanies, qui ont compris les objectifs du parquet dans le cadre des mesures alternatives aux poursuites et de ces rendez-vous orientés vers ces structures pour les usagers.

Aujourd’hui, le travail est immense, compte tenu de l’ampleur du phénomène, qui touche, certes, toute la France, mais particulièrement notre ressort, et nous essayons également de développer cette politique de prévention associée à une politique de poursuites.

M. le Président. - Merci, madame, de votre témoignage extrêmement édifiant. En tout cas, je m’aperçois que le ressort du parquet de Bayonne n’est pas sans ouvrage par rapport au problème qui nous intéresse. Je vais demanderà notre rapporteur de bien vouloir vous poser les questions qu’il souhaite, après quoi nous engagerons la discussion.

M. Bernard PLASAIT, Rapporteur. - Je suis très intéressé par tout ce que vous nous avez dit, madame, parce quej’ai le sentiment, à vous entendre, que, finalement, la palette de réponses possibles aux différentes situations que vous offre la loi est beaucoup plus importante que celle que l’on pouvait imaginer en écoutant ce qui nous a été dit ici ou là, notamment à l’occasion de ces auditions.

Ma première question est donc la suivante : la législation telle qu’elle est vous donne-t-elle une possibilité de réponse suffisante ou, selon vous, pourrait-elle être améliorée ?

Par ailleurs, je souhaiterais bien comprendre la façon dont vous agissez dans le cas de l’usage. Y a-t-il, comme j’ai cru le comprendre, une réponse systématique dès qu’il y a interpellation pour détention ou usage ou bien, dans un certain nombre de cas, demandez-vous aux policiers de remettre en liberté ceux qu’ils ont interpellés pour détention ou usage ?

Mme Catherine DOMINGO. - La loi de 1970 et les lois complémentaires qui sont actuellement en vigueur me semblent présenter un panel de choix et de réponses qui semble tout à fait approprié. Il est vrai que cette loi de 1970 n’a pas été exploitée, jusqu’au milieu des années 80, à sa pleine valeur et il me semble aujourd’hui qu’au regard de la situation, il est important d’agir et d’apporter une réponse à l’ensemble des situations qui se présentent.

Les usagers, à mon sens, doivent faire l’objet d’une prise en compte. Certes, la réponse par le passage systématique devant le tribunal correctionnel ne s’impose nullement, mais, comme je vous l’ai indiqué, la réponse doit être graduée au regard de la situation de chacun. Il m’apparaît important que, lorsqu’une personne est interpellée par les services de police ou de gendarmerie, même si elle ressort libre des locaux de garde à vue, du commissariat ou de la brigade de gendarmerie, une orientation ait été donnée à cette infraction d’usage, quelle qu’elle soit, qu’il s’agisse d’une injonction à se rendre dans les structures sanitaires et sociales ou, en cas de quantités détenues plus importantes, d’une convocation devant le tribunal, dans les cas les plus graves.

En tout cas, la réponse doit intervenir, surtout pour les mineurs qui sont particulièrement touchés par ce phénomène et, d’une façon plus large, par une polytoxicomanie particulièrement importante.

M. le Rapporteur. - Lorsque les différentes possibilités que vous offre la loi ont été utilisées par vous ou par le tribunal, des peines de prison pour usage sont-elles prononcées ?

Mme Catherine DOMINGO. - Pratiquement jamais. Tout d’abord, il n’arrive quasiment jamais que l’on poursuive des personnes pour le simple usage ou sur la seule prévention d’usage de stupéfiants. En revanche, il est évident qu’une personne qui revend des produits stupéfiants ou qui en détient une quantité importante se verra convoquée devant le tribunal correctionnel pour la détention ou la cession et également pour l’usage.

Les poursuites du seul chef d’usage sont extrêmement rares. Elles pourront intervenir lorsqu’une personne n’aura pas respecté la mesure d’injonction thérapeutique à laquelle elle aura été soumise ou lorsqu’on est en présence d’un multirécidiviste, mais les peines de prison ferme sont très rarement prononcées, les magistrats s’orientant plutôt, en application de ce dispositif d’aide aux personnes malades, vers des mesures d’assistance, comme un sursis avec mise à l’épreuve et obligation de soins, qui permet à la personne d’être suivie par un juge d’application des peines et de se voir imposer des soins. A défaut, si la personne ne devait pas respecter cette mesure, elle encourrait la révocation et une peine d’emprisonnement ferme, mais il est vrai que, sur le ressort du tribunal de Bayonne, ces peines sont peu prononcées pour l’usager simple.

M. le Rapporteur. - Il est important pour nous de comprendre justement comment se fait la différence entre l’usage et le trafic. C’est un problème de seuil. Lorsque quelqu’un est interpellé avec une certaine quantité de résine de cannabis, à partir de quelle importance décide-t-on que c’est un usager simple ou un revendeur ?

Mme Catherine DOMINGO. - En ce qui concerne la différence entre l’usager et le revendeur, plusieurs critères vont entrer en ligne de compte et seront laissés à l’appréciation du magistrat de permanence au parquet : les quantités saisies et la nature du produit. On peut considérer que, lorsqu’on commence à approcher 50 ou 100 grammes de résine de cannabis, par exemple, on est en présence d’une personne qui trafique. Vont aussi être considérées comme autres indices les déclarations de la personne qui sera interpellée et des personnes qui l’accompagnent.

Il est également important de tenir compte des éléments factuels de l’interpellation : une personne qui se trouve en possession d’une importante somme d’argent sera tout de suite distinguée de l’usager simple et présenter potentiellement les caractéristiques d’un revendeur. Enfin, il convient de vérifier ses antécédents.

L’ensemble de ces éléments doit pouvoir nous faire estimer la présence d’un revendeur par rapport à un simple usager, ce qui va entraîner des choix de poursuites ou de décisions pénales différenciées sur la poursuite du chef de cession ou de revente, outre l’usage.

Il n’en reste pas moins que, s’agissant des poursuites qui peuvent être couplées à celles de l’usage, la détention peut être poursuivie alors même que la personne ne se trouve pas en position de revente. On peut considérer qu’à partir de 20 à 30 grammes de résine de cannabis, les personnes peuvent faire l’objet de poursuites, que ce soit en composition pénale, avec une sanction à la clef, ou dans le but d’une convocation devant le tribunal correctionnel, même si ces personnes ne sont pas en train de revendre.

M. le Rapporteur. - Pouvez-vous nous donner une idée de la part des infractions à la législation sur les stupéfiants dans la délinquance totale ?

Mme Catherine DOMINGO. - Nous avons répertorié environ 600 à 700 procédures en matière de stupéfiants, en comptant les trafics. En revanche, les ouvertures d’information sont importantes et nécessitent des investigations beaucoup plus longues, le tout étant ramené sur environ 12 000 à 13 000 procès-verbaux contre auteurs connus. Je sors de ce nombre les procès-verbaux contre X, pour lesquels les personnes ne sont pas identifiées.

Ce sont là les seuls procès-verbaux strictement enregistrés sous ce chef. Cela dit, il est bien évident que d’autres types d’infraction vont mettre à jour des consommations et des infractions connexes de trafics de stupéfiants. On connaît aujourd’hui les dégâts occasionnés par ce type d’infraction au sein des familles et le fait que la consommation de stupéfiants peut générer, de la part des jeunes, des vols ou des cambriolages, notamment chez leurs parents.

On retrouve dans d’autres contentieux, souvent d’atteinte aux biens, mais également d’atteinte aux personnes et dans des manifestations de violence, des personnes qui ont agi sous l’emprise de produits stupéfiants couplés avec une polytoxicomanie ou une prise d’alcool. Il n’est pas rare de constater qu’en matière de violence, se mêlent à la fois des problèmes d’ordre psychiatrique inhérents à la personne, mais aussi une polytoxicomanie à base de prises de résine de cannabis, d’ecstasy et d’alcool qui précèdent les instants de la commission des faits.

M. le Rapporteur. - Vu l’augmentation des saisies de différents produits, on peut prévoir l’augmentation du nombre de délits liés aux stupéfiants dans la délinquance générale. Est-ce le cas ?

Mme Catherine DOMINGO. - Pour le moment, c’est une augmentation que l’on constate sans pouvoir en comptabiliser les conséquences à l’avenir.

M. le Rapporteur. - Vous nous avez parlé tout à l’heure de l’utilisation de la procédure de comparution immédiate. L’usage qui est fait de cette possibilité par la loi de 1986 et les possibilités données par la loi de 1996 sur le proxénétisme de la drogue vous paraissent-ils bien exploités ?

Mme Catherine DOMINGO. - Ce sont des procédures peu fréquentes. Je ne sais pas si c’est lié au ressort du tribunal de Bayonne ou si, dans les autres ressorts, on arrive à mettre à jour ce type d’infraction, mais il est vrai que le ressort de Bayonne est marqué, en matière de trafic, par une zone de passage et que la notion même de proxénétisme liée à la drogue est difficile à mettre en oeuvre.

Cela étant dit, nous avons été en présence de plusieurs dossiers liés au blanchiment d’argent en lien avec un trafic de stupéfiants. Certes, il est difficile de démontrer un tel délit, mais il est arrivé que les douaniers interpellent des personnes en possession de sommes d’argent colossales non déclarées et, dans les véhicules, de caches avec destraces de stupéfiants, ce qui permettait, évidemment, d’obtenir des éléments tendant à penser que les sommes transportées étaient liées à un blanchiment et donc d’utiliser ce délit.

En revanche, le délit de proxénétisme n’a pas été bien identifié à ce jour.

M. le Rapporteur. - Faites-vous un bilan satisfaisant des conventions départementales d’objectifs justice/santé ?

Mme Catherine DOMINGO. - Oui. Nous sommes dans des situations extrêmement positives avec des liens particulièrement efficients, tant avec les associations qu’avec la DDASS.

M. le Rapporteur. - Quelle appréciation portez-vous sur la coordination des services de police, de gendarmerie et de douane ? Est-elle satisfaisante ?

Mme Catherine DOMINGO. - Oui, la coordination est satisfaisante. La plupart des dossiers liés au trafic de passage sont initiés par les douanes et trouvent un relais auprès de la police ou de la gendarmerie sans aucune difficulté. De même, la mise à jour de trafics au plan local s’effectue dans la concertation.

M. le Rapporteur. - Dans la foulée, je vous poserai la même question sur la coopération internationale, notamment avec l’Espagne, en vous demandant également quelles difficultés vous rencontrez du fait des différences de législation et des tendances à l’évolution de ces législations.

Mme Catherine DOMINGO. - La situation de la coopération internationale est extrêmement difficile à l’heure actuelle, et les juges d’instruction, en particulier, rencontrent de très nombreuses difficultés à obtenir le retour des commissions rogatoires qui sont lancées. Il faut savoir que ce type de dossier d’infraction en matière de stupéfiants génère un travail particulièrement important dans la rédaction de ces commissions rogatoires et de ces demandes d’enquêtes adressées aux autorités judiciaires étrangères.

A l’heure actuelle, comme je l’ai dit, les délais de retour sont extrêmement longs, de six à dix-huit mois, et les missions sont remplies de façon incomplète, certains pays ayant du mal à nous retourner les demandes de façon effective. L’Espagne en fait malheureusement partie, de même que la Grande-Bretagne. Le pays avec lequel nous avons les contacts les plus efficients est la Belgique, qui répond bien aux demandes. Il est possible que la langue facilite les choses, mais, de toute façon, les commissions rogatoires et les pièces de procédure sont toujours traduites.

Dans la lutte contre les drogues illicites, il me paraît effectivement important que l’efficacité de la coopération au planinternational soit accrue, parce que beaucoup de dossiers sont effectivement en souffrance actuellement, en l’attente du retour de ces commissions rogatoires internationales. Les personnes arrivent parfois à être jugées sans que les commissions rogatoires soient rentrées parce que les délais perdurent, dépassant même l’année. Dans ce cas, les personnes mises en examen préfèrent renoncer au retour de la commission rogatoire, ce qui n’est jamais satisfaisant pour la connaissance complète du dossier.

Il y aurait donc un important effort à faire en la matière pour améliorer cette situation.

M. le Rapporteur. - Je vous remercie de vos réponses. J’en ai terminé, monsieur le Président.

M. le Président. - M. Chabroux souhaite vous poser une question.

M. Gilbert CHABROUX. - Je vais reprendre une question posée par le rapporteur sur le problème des législations, car je ne sais pas si vous avez répondu de façon assez précise. Alors que vous avez des difficultés particulière, dans le ressort de Bayonne, du fait de la proximité avec l’Espagne et de cette zone transfrontalière, quels problèmes sont posés par les différences de législation ?

J’ai aussi une autre question pour mon information : le trafic des stupéfiants pourrait-il être lié à l’ETA ?Y a-t-il un lien ou non ?

Mme Catherine DOMINGO. - S’agissant de votre deuxième question, nous n’avons aucune information, en l’état, permettant de penser que le trafic de stupéfiants est lié à l’ETA. Nous n’avons pas eu de dossier en la matière permettant une telle connexion.

Par ailleurs, la difficulté générée par les commissions rogatoires internationales réside plus, à mon sens, dans les délais de réponse et les connexions que dans les législations. Il est vrai que certaines législations, comme celle de l’Espagne, peuvent générer quelques difficultés par rapport aux nôtres puisque, pour pouvoir entendre par exemple une personne qui est citée dans notre demande, la législation espagnole est extrêmement protectrice et que l’audition doit se faire en présence d’un avocat. Cela met quelque peu à mal nos investigations parce que les personnes doivent être prévenues à l’avance et convoquées.

Pour autant, la plupart du temps, les demandes que nous effectuons auprès de ces autorités sont moins liées à l’audition de certaines personnes qu’à des vérifications de cartes téléphoniques, d’abonnements ou de situations professionnelles, familiales et bancaires de certaines personnes, demandes qui, normalement, ne devraient pas entraîner de difficultés dans la législation du pays qui les reçoit. Il s’agit plus de délais de mise à exécution que de demandes liées à des problèmes de procédure.

M. le Président. - J’ai une question à vous poser en complément de ce qui vous a été demandé tout à l’heure. Nous avons été informés à plusieurs reprises que les trafiquants disposaient de voitures extrêmement rapides, que l’on appelle des "go fast", qui traversent les frontières à plusieurs et que l’on a énormément de mal à intercepter. Avez-vous eu connaissance de ces phénomènes et comment réagissent les autorités espagnoles sur ce problème ? Il s’agit de voitures qui roulent à 250 km/h et qui sont, paraît-il, généralement des Audi parce qu’elles ont des amortisseurs plus solides que d’autres et permettent de transporter des quantités de drogue plus importantes. Avez-vous des rapports de police ou de douane sur ce sujet ?

Mme Catherine DOMINGO. - Pas du tout. C’est un phénomène qui, sur le ressort de Bayonne, n’a pas donné lieu à des procédures ou à des informations du parquet.

M. le Président. - Il n’y a pas eu de retrait de permis pour excès de vitesse dans le ressort du parquet de Bayonne ?

Mme Catherine DOMINGO. - En tout cas, pas sur cet aspect...

M. le Rapporteur. - Comme je vois qu’il nous reste quelques minutes, pourriez-vous nous dire, madame, s’il existe une coopération satisfaisante entre l’Espagne et le Maroc en ce qui concerne le trafic de cannabis ?

Mme Catherine DOMINGO. - C’est une question qui peut se poser mais sur laquelle nous ne disposons que de très peu d’éléments. Cela dit, nous avons parfois du mal à avoir le retour de nos propres investigations et la coopération avec le Maroc me semble assez difficile en l’état du peu d’éléments dont je dispose. Il est vrai que ce problème de coopération internationale est crucial, à mon sens, pour résoudre ce problème des drogues illicites, tout autant que la lisibilité de la loi pour nos concitoyens, puisque c’est une difficulté qui se pose également à nous.

M. le Rapporteur. - J’ai une dernière question. Lorsque des petits dealers, ceux qui organisent le marché de la drogue sur les trottoirs des cités ou des agglomérations, ne sont pas interpellés, la police nous dit souvent qu’elle ne les interpelle pas, soit parce qu’ils ne l’intéressent pas beaucoup étant donné que ce sont de trop petits dealers et qu’elle veut les observer pour remonter les filières et procéder à des arrestations plus importantes dans les réseaux (une raison que nous pouvons comprendre et qui a sa logique), soit parce qu’il ne sert pas à grand-chose de les arrêter parce que, en fonction de circulaires du garde des sceaux, ils vont se prétendre non pas revendeurs mais usagers détenteurs de la petite quantité destinée à leur usage personnel, auquel cas le procureur demandera de les remettre en liberté.

Si je vous ai bien compris, cette réponse ne peut pas être donnée dans le ressort de Bayonne.

Mme Catherine DOMINGO. - Non, sauf sur le premier aspect où, dans un premier temps, avant de pouvoir interpeller les trafiquants, il peut arriver que des dealers ou des revendeurs soient laissés dans une forme d’impunité toute relative aux fins d’arriver à la tête du trafic, qui est l’un des aspects particulièrement satisfaisants.

Quant au deuxième aspect de votre question, il y a une réponse pénale et, à partir de quantités que j’ai évoquées précédemment, des poursuites, même si celles-ci ne sont pas toujours très bien comprises de la part des personnes qui sont convoquées et de leurs conseils. En effet, lorsque nous nous retrouvons en salle d’audience, en termes de lisibilité de la loi, nous nous voyons opposer, alors que nous représentons cette société et que nous requérons des peines en ce sens, un argumentaire selon lequel les "puissants" ou, en tout cas, les personnes connues qui s’affichent dans les médias pour avoir consommé des produits stupéfiants ne sont pas poursuivies. C’est l’un des argumentaires qui nous sont opposés.

M. le Rapporteur. - C’est l’argument du "deux poids deux mesures".

Mme Catherine DOMINGO. - Exactement. Il y a effectivement un problème de lisibilité, pour le public et nos concitoyens, dans la démarche qui est menée alors même que les poursuites font partie, à mon sens, de ce travail qui est couplé au travail de prévention.

M. le Rapporteur. - Il faudrait donc davantage d’interventions de la justice dans le domaine de l’incitation à usage.

Mme Catherine DOMINGO. - Oui. Il faudrait aussi que les acteurs sociaux qui interviennent au vu et au su de tout le monde et qui, par définition, ont une image extrêmement positive auprès des jeunes, qu’il s’agisse de sportifs ou d’écrivains, fassent preuve de plus de responsabilité. Cela génère une forme d’incompréhension chez ces jeunes qui est parfois difficile à rétablir dans leur esprit, même si le travail de prévention doit être poursuivi en ce sens.

M. le Rapporteur. - Je vous remercie beaucoup, madame.

M. le Président. - Je vous remercie, madame, de votre déposition extrêmement intéressante, en vous priant de nous excuser de l’avoir cadrée dans un horaire assez rigide.


Source : Sénat français