Avec le réchauffement de la campagne pour révoquer ou confirmer le mandat présidentiel du président Hugo Chávez, des sondages d’opinion sont publiés de façon quasi-quotidienne. Certes, plutôt que de donner une indication quant au résultat du referendum du 15 août, ils renforcent chacun des deux camps dans la certitude de leur victoire.
Selon l’entreprise vénézuélienne de sondage Consultores 21, par exemple, le soutien à la révocation du président Chávez était de 65,8% en mars, bien que soit indiqué qu’il est maintenant tombé à 54,5% [1].
En mai une autre entreprise de sondage vénézuélienne Datanálisis donnait 57,4% de soutien à la révocation (un vote « oui »), et 43,6% contre (un vote « non »). [2]
Contredisant directement Consultores 21 et Datanálisis, North American Opinion Research Inc. a récemment publié les chiffres presque rigoureusement inverses d’un sondage réalisé en juin : 57% de « non » à la révocation, 41% de « oui ». “ [3]
Corroborant ces chiffres, l’entreprise de sondage vénézuélienne Indaga a publié les chiffres de 55% pour le « non » et 42% pour le « oui ». [4]
Dans deux éditoriaux publiés à une semaine d’écart dans le quotidien le plus diffusé du Venezuela Ultimas Noticias, Eleazar Díaz Rangel a évoqué l’inconsistance historique des entreprises de sondage au Venezuela. Díaz Rangel note qu’en 1968, la première fois qu’il y a eu des sondages pour une élection présidentielle, les projections n’avaient aucune ressemblance avec le résultat effectif. La seule entreprise qui ait prévu la victoire du candidat de Copei [le parti démocrate-crétien, ndlr], Rafael Caldera, s’était trompé de 12%. Un autre sondage avait prévu que le candidat de Action Démocratique [le parti social-démocrate, ndlr], Gonzalo Barrios, et Caldera seraient au coude à coude. [5]
Selon Díaz Rangel le problème est que l’industrie des sondages au Venezuela est complètement dérégulée. Il n’y a pas de liste d’entreprises produisant des sondages. De plus, « la situation est compliquée par le fait qu’il n’y a aucun mécanisme de régulation de la qualité, ainsi prolifèrent des firmes factices qui se mêlent aux organisations sérieuses et légitimes ». [6]
Alors qu’il existe des normes internationalement reconnues pour les sondages, elles n’ont pas été appliquées au Venezuela. La World Association of Public Opinion Research (WAPOR) prévoit des modalités qui garantissent professionnalisme et objectivité dans les sondages d’opinion. Selon WAPOR, « le respect de ce code est jugé nécessaire pour avoir la certitude que les enquêteurs sur le terrain sont guidés par un ensemble de principes basés sur l’expérience acquise pendant de nombreuses années. » [7]
Conscient de l’existence d’organisations non qualifiées et non certifiées qui font des enquêtes d’opinion dans le monde, la World Association of Opinion and Marketing Research Professionals (ESOMAR), en collaboration avec WAPOR, a indiqué que : « Beaucoup trop souvent l’expression ‘sondage d’opinion’ est employée de façon erronée pour parler de mesures non scientifiques et non représentatives de l’opinion publique. La représentativité signifie l’obtention de mesures qui peuvent être généralisées pour s’appliquer sans biais statistique à l’ensemble de la population considérée ». [8]
Díaz Rangel offre quelques exemples significatifs de l’inconsistance et de la non véracité des sondages d’opinion au Venezuela, illustrant à quel point ils sont loin de parvenir aux critères internationaux d’études de l’opinion. Plus haut nous avons vu comment les projections étaient éloignées des résultats lors de la victoire de Rafael Caldera à la présidentielle de 1968. Mais c’était la première fois que les entreprises de sondage vénézuéliennes abordaient le marché de l’élection présidentielle, leurs erreurs de calcul pourraient donc peut-être être excusées. Malheureusement, elles ne semblent pas avoir avancé beaucoup depuis.
Lors de l’élection présidentielle de 1988, Carlos Andrés Pérez (AD) a battu Eduardo Fernández (Copei) 54,6% à 41,7%, une différence de 13%, soit environ 1 300 000 électeurs. L’entreprise de sondage américaine Gallup avait justement prévu la victoire de Pérez, mais avait légèrement surévalué sa majorité, lui attribuant 25% d’avance sur Fernández, soit environ 2 500 000 voix. [9]
Plus récemment, lors des élections présidentielles de 2000, l’entreprise de sondage vénézuélienne Mercanálisis a publié les chiffres pour la grande Caracas -une zone comprenant Caracas et ses environs, en tout 1 219 696 inscrits, soit environ 10% de la population.
Mercanálisis prévoyait que Chávez et son plus proche concurrent Francisco Arías Cárdenas obtiendraient respectivement 48% et 46%, une victoire de Chávez par une différence de 2%. Malheureusement pour Mercanálisis, Chávez a largement battu Arías Cárdenas dans la grande Caracas, 61,38% à 33,90%, soit une différence de 27,5%. [10]
Díaz Rangel souligne que les entreprises vénézuéliennes de sondage ont échoué à prévoir les résultats de la majorité des élections pour lesquelles elles avaient effectué des sondages. En raison du manque de régulation et en l’absence de critères universels, il est impossible de faire la différence entre les entreprises dont les échecs sont le résultat d’une méthodologie inadéquate et celles qui manipulent délibérément les résultats pour satisfaire des personnalités politiques, des partis, ou les organisations qui les sponsorisent. La solution, selon Díaz Rangel, est un système de régulation national, de préférence géré par le Conseil national électoral (CNE). Cela signifierait transparence et supervision et donnerait des critères appliqués à l’échelle nationale, cela pourrait élever la valeur des sondages au-delà des niveaux de subjectivité et de non véracité où ils demeurent. Cependant, une telle solution dépend encore de l’honnêteté et de la coopération des entreprises de sondage qui ont elles-mêmes montrées la force de leurs partis pris intéressés. [11]
Dans un article publié dans NarcoNews Bulletin l’an passé, Justin Delacour [12]
signalait certaines des entraves les plus notables pour l’élaboration de sondages dans des conditions responsables au Venezuela. Dès le départ il y a un fort parti pris parmi les sondeurs. Il citait la déclaration du président de Datanálisis au Los Angeles Times selon laquelle la seule solution pour sortir de l’impasse politique actuelle au Venezuela c’est que Chávez soit tué.
Plus récemment, un analyste clé de Datanálisis, Luis León, était signalé comme un des conseillers de l’institution américaine Center for International Private Enterprise (CIPE) dans un document de la National Endowment for Democracy (NED), organisme américain également. Le CIPE et le CEDICE, institution vénézuélienne d’information économique, ont été des contributeurs clés à l’élaboration du programme Plan Consenso País de l’alliance d’opposition Coordination Démocratique (CD). C’est le programme, rendu public le vendredi 9 juillet 2004, de l’opposition pour l’après-Chávez. [13]
Le parti pris de León n’est pas toujours resté caché dans les documents classifiés de la NED. Ainsi lors d’une récente conférence de presse de Datanálisis, León a déclaré : « Chávez n’est pas complètement hors du jeu, mais il est en mauvaise posture ». « Si le vote se déroule légalement, a-t-il poursuivi, Chávez devrait perdre [14].
C’est une affirmation surprenante provenant d’un supposé sondeur professionnel, surtout à la lumière du fait, mentionné ci-dessus, qu’il y eu une myriade de sondages prévoyant les deux résultats possibles pour le referendum révocatoire du 15 août. De plus, à en juger par les résultats passés de Datanálisis dans la prédiction des élections, l’assurance de León est encore moins de mise.
Une forme de régulation nationale et de supervision est certainement nécessaire. Si, comme Díaz Rangel le suggère, certaines entreprises de sondage ont en fait biaisé leurs résultats pour complaire à leurs sponsors, ils devraient en théorie rendre des comptes à une autorité nationale. Cependant, la réalité est que même sans intention manipulatrice, pour les entreprises de sondages il y a de nombreuses façons d’obtenir les résultats qu’elles désirent. Mieux, si les sondages d’opinion continuent d’être cités par chacun des concurrents pour donner l’apparence qu’ils sont en avance, la tendance à produire des sondages plaisant aux sponsors continuera d’exister.
Même sans manipulation directe, les entreprises de sondage décident encore de l’échantillonnage sélectionné, puis élaborent et présentent les questions. Malheureusement, même pour le meilleur des futurs pour les sondages au Venezuela, aucune régulation ou supervision ne peut les débarrasser de cela.
Traduction : France - Amérique Latine (FAL).
[1] Alex Kennedy, “Venezuela’s Chavez Gains in Poll Ahead of August Vote (Update 2),” www.bloomberg.com, http://quote.bloomberg.com/apps/news ?pid=10000086&sid=aE0jcNiXPM2E&refer=latin_america (July 7, 2004).
[2] Peter Wilson, “Venezuela’s Chavez would lose Recall Vote, Poll Finds (Update 1),” bloomberg.com, http://quote.bloomberg.com/apps/news ?pid=10000086&sid=aKNvYA3oDmVM&refer=latin_america (June 23, 2004).
[3] Investigación de ‘North American Opinion Research’ indica que Chávez sería ratificado con 57% a favor,” elobservador online, http://elobservador.rctv.net/Noticias/VerNoticia.aspx ?NoticiaId=158555&Tipo=14 (3 July, 2004).
[4] Martín Sanchez, “Venezuela’s President has 57% Support Ahead of Recall, New Poll Says,” venezuelanalysis.com, http://www.venezuelanalysis.com/news.php ?newsno=1304 (July 3, 2004).
[5] “I : Historias de las Encuestas,” Ultimas Noticias,www.ultimasnoticias.com.ve, also available at : www.rnv.gov.ve/noticias/index.php ?act=ST&f=15&t=6489 (4 July, 2004).
[6] Eleazar Díaz Rangel, “II : Éxitos y Fracasos de las Encuestas,” Ultimas Noticias, www.ultimasnoticias.com.ve, also available at : www.rnv.gov.ve/noticias/index.php ?act=ST&f=15&t=6677 (11 July, 2004).
[7] “Code of Professional Ethics and Practices : Introduction,” World Association of Public Opinion Research, www.unl.edu/wapor/ethics.html.
[8] “ESOMAR/WAPOR Guide to Opinion Polls including the ESOMAR International code of Practice for the Publication of Opinion Poll Results : 3. Representativeness of Opinion Polls” World Association of Opinion and Marketing Research Professionals (ESOMAR)/World Association of Public Opinion Research (WAPOR), www.esomar.org (1998, reprinted in 2003).
[9] Rangel, “II : Éxitos...”
[10] Ibid.
[11] Ibid.
[12] Justin Delacour, “Can you Believe Venezuela’s Pollsters ?” NarcoNews Bulletin, www.zmag.org/content/showarticle.cfm ?SectionID=45&ItemID=2985 (6 February, 2003). Cet article a été traduit en francais et publié sur RISAL : http://risal.collectifs.net/article.php3 ?id_article=287 (ndlr)
[13] Martín Sanchez, “Venezuela’s Opposition Plan Promises Return to Free Market and Elimination of Referenda,” venezuelanalysis.com, www.venezuelanalysis.com/news.php ?newsno=1308 (13 July, 2004).
[14] » Peter Wilson, “Venezuela’s Chavez would lose Recall Vote, Poll Finds (Update 1),” bloomberg.com, http://quote.bloomberg.com/apps/news ?pid=10000086&sid=aKNvYA3oDmVM&refer=latin_america (June 23, 2004).
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