L’ancien sénateur des États-Unis, Jim Abourezk, réagit à la longue étude de Jeffrey Blankfort sur la pensée de Noam Chomsky, que nous avons publiée en épisode cet été. Il confirme par son témoignage l’analyse selon laquelle le soutien du Congrès à Israël ne sert pas les intérêts des États-Unis, mais répond aux pressions du lobby officiel pro-israélien.
Je viens de finir de lire votre critique des positions de Noam Chomsky.
Jusqu’ici, je n’avais pas apporté d’attention particulière aux écrits de Chomsky, car j’avais toujours considéré que c’était quelqu’un d’honnête, et qu’il avait des positions appropriées sur le conflit arabo-israélien.
En revanche, maintenant, venant d’apprendre que son hypothèse de départ serait qu’Israël ne ferait qu’appliquer les ordres des dirigeants impériaux des États-Unis, je suis d’accord avec vous : cette supposition est totalement fausse.
Mon expérience vécue me permet de vous dire que le soutien dont Israël jouit, en tous cas au Congrès, (ailleurs, je ne sais pas…) est entièrement dû à une peur politique – la peur de perdre les élections, qui habite quiconque ne voudrait pas que la volonté d’Israël soit faite. Je peux aussi vous dire que les membres du Congrès – tout au moins durant la période où j’y étais – qui en pincent sincèrement pour Israël ou pour son lobby se comptent sur les doigts d’une seule main… Ce que les parlementaires ressentent, au plus profond d’eux-mêmes, vis-à-vis d’Israël et de son lobby, c’est un insondable mépris. Mais ce mépris est étouffé par leur peur que leurs véritables sentiments ne soient percés au jour. Si vous saviez… j’ai surpris tellement de conversations de vestiaire, dans lesquelles des sénateurs exprimaient sans fard l’amertume que leur cause le fait d’être menés par le bout du nez par ce lobby… En privé, on peut entendre le dégoût que leur inspirent Israël et les manœuvres tacticiennes de son Lobby, mais aucun sénateur ne prendre jamais le risque de se mettre ce lobby à dos en rendant public ce qu’il pense réellement…
Aussi, je ne peux imaginer qu’il y ait, de la part de membres du Congrès, une quelconque volonté de promouvoir un quelconque rêve impérialiste états-unien en se servant d’Israël comme pitbull. Les seules exceptions à cette règle, ce sont les sentiments de membres juifs du Congrès, lesquels, à mon avis, sont sincères, dans les efforts qu’ils déploient afin que l’argent des États-Unis continue à se déverser à flots en Israël. Mais c’est une petite minorité, bien incapable de décider de la politique impériale des États-Unis…
Ensuite, ce lobby est très clair, dans ses efforts visant à éradiquer au sein du Congrès toute opposition à la politique de soutien inconditionnel d’Israël, qui va même souvent jusqu’à porter atteinte à d’autres budgets annuels de l’État. Quand bien même cette opposition se réduirait-elle à une seule voix, elle est attaquée – je le sais : cela m’est arrivé ! Pourquoi ? Eh bien parce que si le Congrès est totalement silencieux sur la question, la presse n’aura aucun sénateur dissident à citer : bonne manière, de surcroît, de museler totalement la presse ! Tous les journalistes ou éditeurs de journaux qui franchiraient la ligne jaune sont très rapidement ramenés dans le droit chemin par une pression économique extrêmement bien organisée à l’encontre du journal surpris en train de pécher.
Il m’est arrivé d’effectuer un voyage d’études au Moyen-Orient. J’avais invité à m’accompagner un ami journaliste, qui travaillait pour des journaux du groupe Knight-Ridder. Il écrivait honnêtement sur ce qu’il voyait, en ce qui concerne les Palestiniens et la situation dans plusieurs pays limitrophes d’Israël. Mais les directeurs du quotidien St. Paul Pioneer reçurent des menaces de plusieurs de leurs principaux annonceurs publicitaires, l’avertissant qu’ils supprimeraient leurs insertions publicitaires au cas où ce journal continuerait à publier les articles de ce journaliste – leçon très vite assimilée par les responsables du quotidien...
En ce qui concerne les positions de plusieurs agences administratives sur la question d’Israël, il y a deux choses qui est susceptible de les ramener dans le « droit chemin » : la pression de membres du Congrès, qui transmettent la pression émanant des exigences de l’AIPAC [1], d’une part, et, d’autre part, le désir qui est celui du président des États-Unis et de ses conseillers de protéger leurs partis politiques respectifs de succomber à cette pression. Je n’ai pas souvenance d’une seule situation où une quelconque administration ait perçu le besoin que la puissance militaire d’Israël fasse la promotion d’intérêts impériaux états-uniens. En réalité, comme nous l’avons vu lors de la Guerre du Golfe, l’implication d’Israël a été au détriment de ce que Bush père voulait faire, dans cette guerre. Vous vous en souvenez sans doute : ils avaient dû supprimer toute contribution israélienne, aussi modeste eût-elle été, à la coalition, afin que celle-ci n’éclate pas…
Quant à l’argument selon lequel nous aurions besoin d’utiliser Israël comme base pour des opérations états-uniennes, je n’ai connaissance d’aucune base états-unienne de cette nature… Les États-Unis disposent de suffisamment de bases, et de flottes, militaires, dans la région, pour être à même de faire face à n’importe quel type de requête militaire, sans avoir besoin de faire appel à Israël. En fait, je ne vois pas une seule occasion où les États-Unis pourraient bien avoir besoin d’impliquer Israël militairement, de crainte de se mettre à dos leurs alliés actuels, comme, par exemple, l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis… L’opinion publique de ces pays ne laisseraient pas leurs monarchies maintenir leur alliance avec les États-Unis, dès lors qu’Israël entrerait dans le jeu…
J’imagine qu’il est loisible d’imaginer que l’encouragement donné par Bush à Israël dans son agression militaire contre le Liban, cet été, aurait résulté de quelque impératif impérial, mais ce n’était, en réalité, qu’une simple extension de la politique traditionnelle états-unienne d’aide à Israël, sous l’effet de la pression incessante de son lobby. De fait, je n’ai entendu strictement aucune voix s’opposant à l’invasion du Liban par Israël, cet été (à l’exception du seul Chuck Hagel). Le Liban a toujours été un « pays à jeter », aux yeux du Congrès. Comprendre que quoi qu’il puisse bien s’y passer, cela n’a strictement aucun effet sur les intérêts états-uniens. A-t-on d’ailleurs jamais entendu parler d’un lobby libanais ? ! ? C’était déjà le cas, en 1982 : le Congrès est resté muet comme une carpe, au sujet de cette cuvée d’invasion israélienne du Liban…
Je pense qu’au fond du fond du cœur tant des membres du Congrès que des responsables des agences gouvernementales, ils préfèreraient ne pas avoir un Israël qui pourrit la vie aux responsables de la politique étrangère états-unienne – politique consistant pour l’essentiel à assurer l’écoulement régulier du pétrole en direction du monde occidental afin d’éviter une récession économique. Mais ce que font nos décideurs politiques, en réalité, consiste à juguler la pression que ce lobby exerce sur eux afin qu’ils soutiennent Israël, tout en dissuadant les pays pétroliers de couper le robinet du pétrole aux pays occidentaux. Jusqu’ici, ils y ont réussi. À l’exception du roi Fayçal et de son embargo pétrolier, il n’y a plus jamais eu de dirigeant saoudien capable de tenir tête à la politique des États-Unis.
Par conséquent, je pense que le désinvestissement, et en particulier la suppression des aides à Israël, aurait pour résultat immédiat la renonciation d’Israël à la Cisjordanie et à la bande de Gaza, au profit des Palestiniens. Une pression de cette nature, cela marcherait, je pense, car l’opinion publique israélienne serait tout à fait à même de comprendre la raison de ses difficultés, et elle exigerait qu’un accord de paix soit immédiatement conclu avec les Palestiniens. Cela marcherait, en raison de la démocratie israélienne ; on n’est pas dans la situation d’une dictature, dans laquelle l’opinion publique ne pourrait pratiquement rien faire pour changer l’attitude de ses dirigeants. Le principal objectif de ce lobby, c’est la continuité du flot d’argent qui se déverse du Trésor des États-Unis vers Israël. Pour cela, il lui faut un Congrès docile et une administration complaisante. Comme l’a dit un jour Willie Sutton : « C’est là qu’est le fric ! »
Lire l’étude de Jeffrey Blankfort :
1. Le contrôle des dégâts : Noam Chomsky et le conflit israélo-israélien.
2. Contrairement aux théories de Chomsky, les États-Unis n’ont aucun intérêt à soutenir Israël.
3. Comment Chomsky a occulté l’influence du lobby pro-israélien sur la politique des États-Unis
[1] American Israeli Public Affairs Committee est une association se définissant elle-même comme le principal lobby pro-israélien aux États-Unis.
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