L’« Affaire al-Dheeb », du nom du poète qatari Mohamed Ibn al-Dheeb al-Ajami, emprisonné à vie pour délit d’opinion, est un bon exemple de ce qui arrive quand on plaide pour plus de liberté et plus de démocratie au Qatar. André Chamy et François Belliot, du Réseau Voltaire France, reviennent sur cette affaire qui n’a guère été relayée dans les médias commerciaux. C’est tellement plus important de parler de la récente arrivée de David Beckham dans le club de football de la capitale française… financé par le Qatar.
Au Qatar, la Cour de Sûreté de l’État, par une décision qui tient sur deux lignes, a condamné à la prison à vie le poète Mohamed Ibn al-Dheeb al-Ajami, accusé d’avoir insulté les symboles de l’Etat et incité au renversement du régime. La base de l’accusation est un simple poème, vieux de deux ans, écrit en réponse au poète Khalil al-Chebrami dans le cadre des joutes verbales très habituelles dans ce pays.
Le plus cocasse est que ce poème s’intitule Le Jasmin, en référence au printemps arabe (!), et que le poète y souhaite l’arrivée de ce printemps au Qatar. Ce poème lui a valu, dans un premier temps, d’être convoqué par les services de la Sureté de l’Etat et mis au cachot pendant un mois, période pendant laquelle il n’a pas eu droit à une seule visite. Il s’est ensuivi une période de détention de plus d’un an, au terme de laquelle il a été condamné à perpétuité.
Un groupe d’avocats, accompagnés d’une délégation de Human Rights Watch International, a plaidé en faveur de Mohamed Ibn al-Dheeb al-Ajami. Certains avocats ont demandé l’autorisation de faire appel de la décision et d’autres ont fait part de leur opposition devant l’avocat général de ladite Cour de Sureté de l’Etat.
Joe Stork, directeur exécutif adjoint de Human Rights du Moyen-Orient et en Afrique du Nord, a déclaré que cette condamnation, au terme d’un procès non équitable, constitue une violation du droit à la liberté d’expression.
Le même indique, que, malgré « toutes les positions prises par le Qatar lui-même comme partisan de la liberté, ce pays veut faire taire les voix de ses citoyens. La présumée moquerie de Mohamed Ibn al-Dheeb al-Ajami à l’encontre des dirigeants du Qatar saurait difficilement être comparée à la moquerie que constitue ce jugement dans un pays qui se revendique comme un havre régional pour la liberté d’expression. (…) La condamnation de Mohamed Ibn al-Dheeb al-Ajami prouve que, pour les dirigeants du Qatar, la Constitution du pays et les obligations qui les lient aux traités internationaux demeurent lettre morte ».
Quelle découverte !
Alors que ce verdict intervient après une année d’emprisonnement arbitraire, entretemps l’émir du Qatar n’a cessé de se répandre dans les médias commerciaux en déclarations critiques et incendiaires envers les régimes qu’il considère, à l’unisson de ses alliés états-uniens et français, comme corrompus et totalitaires. Il est vrai que l’homme a accédé au pouvoir par un coup d’Etat familial en renversant son père en 1995 et se trouve donc particulièrement bien placé pour donner des leçons de démocratie. Il est vrai que cela s’est fait “en famille” et que l’autorité de la famille Khalifa ne s’en est pas trouvée ébranlée.
Sa chaîne de télévision qatari Al Jazeera, qui s’autoproclame fièrement la chaîne « de l’Opinion et de l’Opinion Opposée », n’a pas jugé utile de commenter le verdict contre le poète Mohamed Ibn al Dheeb, sans doute en raison de l’indépendance de la justice qatarie et pour montrer qu’au Qatar les médias sont totalement indépendants du pouvoir.
Des écrivains, des artistes et des écrivains des monarchies du Golfe se sont associés pour rédiger une lettre à Son Altesse (démocratique), l’émir du Qatar, lui demandant de bien vouloir gracier le pauvre pécheur… Ce qu’ils sollicitent n’est pas un nouveau jugement ou une audience publique mais purement et simplement la libération du poète, car, pour eux, le Qatar ne s’est pas engagé dans le monde arabe en faveur des Droits de l’Homme et de la Démocratie pour trahir ses « idéaux » de façon aussi flagrante.
Détail biographique intéressant, Mohamed Ibn al-Dheeb al-Ajami, de la tribu Nabati, est l’un des poètes les plus célèbres du monde arabe et il occupe une place spéciale auprès de l’émir de Dubaï, Cheikh Mohamed Ibn Rashid Al Maktoum, et de son fils le prince héritier Cheikh Hazza Ibn Mohamed Ibn Rashid Al Maktoum.
Après avoir envoyé les Frères Musulmans pour tenter de déstabiliser la petite principauté de Dubaï, le Qatar met en prison le poète de l’émir, son rival ! Le Qatar est donc, non seulement un pays tourné vers la démocratie et les droits de l’homme, mais aussi un pays dont les dirigeants savent faire la différence entre leurs intérêts privés et l’intérêt général des citoyens qui les élisent.
Le Qatar, vraiment… un modèle à tous égards. Et l’on comprend, en prenant connaissance de ce genre d’affaires, pourquoi c’est précisément à ce genre d’Etats – modèles de vertu dans un océan de dévoiement et de corruption – que les Occidentaux (Etats-Unis et France en tête) ont choisi de s’allier pour combattre les forces de l’axe du mal et pour étendre les « zones de paix démocratique » partout où les êtres humains souffrent sous le joug de l’abjection.
NB : A la date où nous publions cet article, nous apprenons que l’émir du Qatar, dans sa grande mansuétude, a commué le 23 février dernier la peine du poète à 15 années d’emprisonnement : la démocratie, décidément, avance à pas de géant au Qatar !
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