Le journaliste irlandais Gearoid O’Colmain s’est rendu place de la République à Paris pour y voir le mouvement « Nuit Debout ». À sa grande déception, ce que l’on présente comme une prise de parole citoyenne n’était qu’un rassemblement gauchiste. Ici, loin de voir dans le capitalisme « le stade suprême de l’impérialisme », on déplore les mensonges d’un grand patron, mais on ignore la financiarisation de l’économie et l’on célèbre les coups d’État maquillés du « printemps arabe ».
Dans son roman Voyage au Bout de la Nuit, Louis-Ferdinand Céline décrivait de manière provocante les soldats qui sont morts durant la Première Guerre mondiale comme des « idiots ». L’écrivain français faisait référence au fait que ces soldats avaient donné leur vie pour une cause qui n’était pas la leur — le massacre futile des pauvres pour le bénéfice des riches. Au long des nombreuses et pertinentes réflexions du livre sur la condition humaine, Céline note combien, dans la modernité, la rue en est venue à constituer le lieu des rêves. « Que fait-on dans la rue, le plus souvent ? On rêve. C’est un des lieux les plus méditatifs de notre époque, c’est notre sanctuaire moderne, la rue ».
Depuis que le gouvernement français a récemment introduit une législation réformant le droit du travail, un nouveau mouvement social « spontané » et sans leadership a pris racine à travers les villes de France — le mouvement Nuit Debout. Comme le suggère son titre, ce mouvement social se déroule pendant la nuit, et l’un de ses slogans est « Rêve Général ! » — un jeu de mots sur le terme « grève générale ». Donc, plutôt que d’appeler à une grève générale afin d’amener le gouvernement à genoux, les activistes appellent à rêver dans les rues !
Le mouvement a pris son envol après la sortie le 23 février du film du journaliste François Ruffin Merci Patron !, un film qui critique la ploutocratie française.
Bien que le film fasse la critique de l’avarice du capitalisme contemporain, il ne traite pas de la relation entre le capitalisme monopolistique, les guerres étrangères de conquête au service de l’accumulation de capital, la lutte des classes et la désinformation médiatique massive.
Le film de Ruffin n’expose pas non plus la complicité de toutes les officines médiatiques françaises dans des crimes de guerre et de génocide au Moyen-Orient et à travers l’Afrique, par la dissémination de mensonges et de désinformation sur le rôle de l’impérialisme occidental dans ces conflits. Il n’y a pas d’évocation du fait que la raison pour laquelle le président de Côte d’Ivoire Laurent Gbagbo s’était fait kidnapper par les forces spéciales françaises en 2010 — son pays bombardé et son image démolie — tenait au fait qu’il avait défié le puissant Club de Paris, le cercle de banquiers français qui contrôlent l’argent de la néo-colonie africaine ; Gbagbo avait proposé que la Côte d’Ivoire imprime son propre argent — un geste courageux qui aurait permis à ce pays riche en ressources de construire sa propre base industrielle, indépendamment d’intérêts coloniaux.
Malgré le fait qu’il se trouve un stand sur la Place de la République affirmant exposer le rôle nuisible de la politique française en Afrique, il n’y a pas de réelles informations sur ce qu’est ce rôle, et aucun des intellectuels pan-africanistes ayant écrit sur le sujet n’a été invité à s’exprimer et à vendre ses livres. Le mouvement Nuit Debout est majoritairement blanc, et de la classe moyenne.
Le film de Ruffin échoue également à démontrer comment les patrons français des industries céréalières ont fricoté avec le terrorisme contre le peuple de Libye quand ils ont secrètement rencontré des traîtres libyens à Paris en novembre 2010, afin d’organiser le bombardement et la destruction du pays le plus riche et le plus démocratique d’Afrique.
La classe dirigeante française n’est pas seulement coupable de la destruction de siècles d’acquis sociaux des travailleurs français, ils sont complices de génocide et de crimes contre l’humanité. Alors pourquoi Ruffin n’en parle-t-il pas ?
Ruffin écrit pour des publications "gauchistes" qui ont soutenu les "rebelles" appuyés par l’Otan en Libye — des rebelles qui étaient en réalité des terroristes d’al-Qaïda au service de l’Otan. En 2011, le mensuel « de gauche » Le Monde diplomatique a publié un article sur la Libye affirmant qu’il n’y avait aucun doute sur la « brutalité du régime », en dépit du fait que tous les crimes imputés au colonel Kadhafi aient été perpétrés par les « rebelles » takfiristes.
Ruffin et les publications malhonnêtes pour lesquelles il écrit sont tous complices du génocide commis par l’Otan contre les peuples des états de l’Hémisphère Sud, du Moyen-Orient et de l’Afrique à l’Amérique latine.
Non, aucune de ces réalités inconfortables n’est décrite dans l’anti-capitalisme de Ruffin. En lieu et place, nous avons des slogans d’extrême gauche, de l’ironie de petit bourgeois et l’occupation écervelée d’une place publique par des jeunes, qui n’ont ni l’éducation ni l’expérience nécessaires pour comprendre les raisons structurelles et les implications profondes de la réforme du travail qu’ils affirment rejeter.
Le mouvement Nuit Debout n’est assurément pas spontané, il ne vient pas non plus de la base et n’est pas sans leadership, ainsi que le prétendent tellement d’observateurs.
Au contraire, il est le résultat de décennies d’analyse politique attentive de la part d’idéologues impériaux étasuniens. Depuis la dissolution non-démocratique de l’URSS en 1991, les États-Unis ont perfectionné une technique de changement de régime communément dénommée comme celle des « révolutions colorées ». La stratégie comprend la cooptation de slogans et de symboles gauchistes pour servir un programme de droite. Lénine et le parti bolchévique avaient plusieurs fois dénoncé Léon Trotsky pour l’utilisation de cette technique contre-révolutionnaire avant comme après la Révolution d’Octobre. C’est désormais devenu l’outil standard de la politique étrangère US.
La manipulation de la naïveté et de la rébellion de la jeunesse dans le but de renverser un gouvernement hostile aux intérêts US, ou la création d’un mouvement d’opposition « de gauche » dans les pays impérialistes conçu pour étouffer toute opposition réelle - c’est une stratégie que tout aspirant activiste a besoin d’étudier s’il espère s’engager dans des mouvements capables de réel changement social, politique et économique.
Le mouvement Nuit Debout est dirigé par des petits-bourgeois-Bohème qui ne comprennent pas ou peu le capitalisme contemporain. Le mouvement est organisé selon les mêmes principes que les révoltions colorées appuyées par les USA en Europe de l’Est et pendant le « Printemps arabe » — des slogans vides de sens, des jeux de mots stupides et un infantilisme politique. Bien que nous ne puissions pas encore le prouver, l’usage du poing fermé comme logo du mouvement couplé à celui de slogans débiles rappelle très fortement les stratégies et tactiques de CANVAS, le Center for Applied Non-Violent Actions and Strategies [Centre pour les Actions et Stratégies Non-Violentes Appliquées, NdT], une organisation de formation de la jeunesse proche de la CIA.
La classe dirigeante française a de toute évidence passé plus de temps à lire Marx que leurs prétendus adversaires. Car les alliés objectifs du capitalisme monopolistique en Europe aujourd’hui sont les gens comme François Ruffin et l’autre idéologue éminent de la bourgeoisie gauchiste dans ce mouvement, Frédéric Lordon — qui tous les deux camouflent la nature réactionnaire de leur pseudo-anticapitalisme ou, pour être plus précis, leur « anti-néolibéralisme », avec un mélange de sémantique alambiquée, d’attitude pseudo-intellectuelle et de slogans d’extrême gauche.
Il y a des milliers d’authentiques organisations issues de la base populaire en France, et ils obtiennent une grande part de leurs informations de médias indépendants comme Meta TV, le Cercle des Volontaires, le Réseau Voltaire et beaucoup d’autres. Une réelle analyse du capitalisme est fournie par des organisations communistes telles que l’OCF et l’URCF. Une critique bourgeoise cohérente de l’impérialisme français et européen est fournie par le parti politique UPR.
Les activistes de Nuit Debout parlent d’une « convergence des luttes » alors que des journalistes et des activistes provenant de ces organisations véritablement issues du peuple ont été escortés sous la contrainte hors de la Place de la République et dénoncés comme étant des « fascistes ». Les Antifas sont une organisation qui prétend combattre le fascisme mais passe le plus clair de son temps à attaquer tous les activistes authentiquement anti-impérialistes en souillant leur nom avec l’étiquette « fasciste ».
Les Antifas ont encore été actifs dans le mouvement Nuit Debout où de réels anti-impérialistes français tels que Sylvain Baron ont été forcés de quitter la Place.
L’auteur de ces lignes avait souligné à plusieurs reprises en 2011 que l’échec de la gauche à comprendre l’idéologie réactionnaire du « Printemps arabe », et le rôle des agences US dans son organisation et son exécution auraient de graves conséquences pour la politique progressiste. Dorénavant, des techniques similaires sont employées à travers le monde afin de criminaliser la vraie opposition anti-capitaliste et créer les conditions d’une dictature militaire. Les alliés objectifs de cette stratégie sont des anti-capitalistes petits-bourgeois comme François Ruffin et Frédéric Lordon ; ce sont des intellectuels putatifs et fantasmagoriques qui brillent dans les rues du monde onirique nocturne et métropolitain si éloquemment dépeint par Céline.
La représentation des guerres d’agression étrangères de l’impérialisme en tant que « révolutions » et « interventions humanitaires », mariée à la défense puérile de concepts vaseux comme « l’Europe sociale » — c’est là le rôle néfaste joué par ces « révolutionnaires » post-modernes, qui sont l’avant-garde de l’impérialisme réactionnaire. Une maladie quand l’auteur de ces lignes l’avait dénoncée en 2011, le pseudo-gauchisme a muté en une sérieuse pandémie planétaire. Si cette forme de gauchisme n’existait pas, l’impérialisme aurait été contraint de l’inventer. Le mouvement Nuit Debout s’étend maintenant à travers le monde. Les médias pseudo-gauchistes présenteront avec zèle ce mouvement comme une évocation mondiale du tableau de Delacroix La Liberté guidant le Peuple alors que malheureusement, il s’agit plutôt d’une sinistre version du Joueur de flûte de Hamelin.
Les soi-disant « anti-fascistes » de ce mouvement dénoncent comme « fascistes » ceux qui exposent les mensonges des médias corporatistes utilisés pour justifier les crimes des guerres étrangères de l’Otan — les guerres étrangères de l’accumulation du capital menées par les mêmes multinationales qui imposent domestiquement l’austérité et la lutte des classes ; mais ce sont eux qui sont les fascistes, ce sont eux qui sont les ennemis de la classe laborieuse !
La confusion idéologique est la grande pathologie politique de notre époque. Céline décrit la guerre et la maladie comme les deux « infinités du cauchemar ». L’écrivain français aurait pu inclure le fascisme parmi les cauchemars cités, la pernicieuse idéologie que son cynisme l’amena éventuellement à embrasser. L’on peut décrire les deux « infinités du cauchemar » contemporaines comme la prolifération de guerres d’agression et le triomphe de la répression capitaliste, due à la maladie politique du crétinisme d’extrême gauche qui a supplanté le mouvement travailliste au cours des 30 dernières années. Jusqu’à ce que notre jeunesse s’émancipe de l’influence pernicieuse de l’opposition sous contrôle et de l’idéologie pseudo-gauchiste — qui fait d’eux les idiots utiles du capitalisme monopolistique plutôt que des révolutionnaires — leur activisme de bon aloi est tragiquement destiné à précipiter le voyage au bout de la nuit de la civilisation.
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