La séance est ouverte à 11 h 5.
Le Président (parle en anglais) : Conformément à l’article 39 du règlement intérieur provisoire du Conseil, j’invite M. Stephen O’Brien, Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires et Coordonnateur des secours d’urgence, à participer à la présente séance.
M. O’Brien se joint à nous par visioconférence depuis Genève.
Le Conseil de sécurité va maintenant aborder l’examen de la question inscrite à son ordre du jour.
J’appelle l’attention des membres du Conseil sur le document S/2016/796, qui contient le rapport du Secrétaire général sur l’application des résolutions 2139 (2014), 2165 (2014), 2191 (2014) et 2258 (2015) du Conseil de sécurité.
Je donne maintenant la parole à M. O’Brien.
M. O’Brien, Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires et Coordonnateur des secours d’urgence (parle en anglais) : Par où vais-je commencer ? C’est avec une vive douleur, une immense tristesse, avec consternation, frustration et une colère constante face à l’excès d’une horreur manifeste et effrénée – bien au-delà du sommet de l’horreur atteint il y a deux semaines – que je fais part aujourd’hui au Conseil de sécurité de la honte que constitue la Syrie aujourd’hui au plan humanitaire, en particulier s’agissant de l’est d’Alep. Les Syriens – et de manière plus immédiate, les habitants de la partie est d’Alep – sont de plus en plus nombreux à subir des privations et à être exposés à la maladie et la mort, avec une férocité croissante. Il ne s’agit pas là d’un résultat imprévisible dû à des forces au-delà de notre contrôle. C’est la conséquence de l’action des parties au conflit, et c’est le résultat direct de l’inaction – par manque de volonté ou de capacité – de la communauté internationale, et tout particulièrement des États Membres représentés dans cette salle.
On peut aujourd’hui légitimement se demander quelle ampleur la catastrophe et le massacre endurés par le peuple syrien devront atteindre avant que les parties au conflit et, par extension, la communauté internationale ne soient poussées à fixer une limite à ne pas franchir. Nous ne sommes pas en présence d’un conflit éloigné dans lequel nous, en tant que communauté, n’avons qu’un vague intérêt, mais d’une mise à l’épreuve cruciale de la capacité et de la volonté des membres du Conseil de prendre une décision et des mesures à même de faire respecter ostensiblement les mots inscrits dans la Charte des Nations Unies, que toutes les nations sont tenues de respecter, et de sauver le peuple syrien du fléau de la guerre.
Ces sept derniers jours, les attaques se sont intensifiées dans tout le pays. Qu’il s’agisse de frappes aériennes à Deir el-Zor ou de frappes aériennes associées à des attaques terrestres dans les gouvernorats d’Alep, de Hama, d’Homs, d’Edleb et de Rif-Damas, entre autres, les combats se sont amplifiés en dépit de l’accalmie qui a régné pendant une semaine lorsque la cessation des hostilités a été rétablie – même si cette dernière s’est accompagnée de violations de la part de toutes les parties.
Les combats observés ces derniers jours n’ont été nulle part plus intenses que dans l’est d’Alep. Selon les estimations, quelque 320 civils ont été tués et 765 blessés dans les premiers jours de l’offensive lancée le 22 septembre suite à l’annonce par le Ministère syrien de la défense. Plus d’une centaine d’enfants ont été tués. Ce ne sont pas là de simples chiffres qui viennent s’additionner à d’autres ; il s’agit de vies individuelles et de familles que nous avons collectivement échoué à sauver. L’utilisation présumée de nouvelles bombes antibunker aurait causé des destructions massives dans une zone par ailleurs déjà grandement décimée. Selon les informations que j’ai reçues, les corps de nourrissons, d’enfants, de femmes et d’hommes sont prisonniers des décombres, jusqu’à 20 mètres sous terre, car ces personnes s’étaient réfugiées dans des caves où elles étaient en sécurité jusqu’à ce que ces armes d’un genre nouveau ne soient utilisées et leur coûtent la vie. Des frappes aériennes auraient touché trois des quatre centres de protection civile de l’est d’Alep, faisant des blessés parmi le personnel et compromettant lourdement sa capacité à intervenir.
Le 22 septembre, des attaques ont rendu la station de pompage de Bab al-Nayrab inutilisable, provoquant l’arrêt de l’approvisionnement en eau de la majeure partie de l’est d’Alep. Le 24 septembre, de multiples frappes aériennes qui ont touché la zone de Jisr el-Haj, dans l’est de la ville d’Alep, auraient endommagé des entrepôts du Croissant-Rouge arabe syrien, tuant l’un des rares médecins que cette zone comptait encore, ainsi que sa femme – une sage-femme expérimentée. Pas plus tard qu’hier, deux des huit hôpitaux restants – et, par là-même, deux des quatre unités chirurgicales à subsister dans l’est d’Alep – ont été rendus hors service par des attaques. Je me fais l’écho des paroles du Secrétaire général, qui a présenté la situation devant le Conseil hier :« [C]eux qui utilisent des armes de plus en plus destructrices savent exactement ce qu’ils font. Ils savent qu’ils sont en train de commettre des crimes de guerre. » (S/PV.7779, p. 2)
Qu’on se le dise : les preuves et les récits des témoins oculaires sont en train d’être recueillis. Ce ne sera peut-être pas aujourd’hui, mais un jour viendra où les individus et les institutions qui ont la cruauté et le cynisme de commettre ces crimes de guerre ne trouveront nulle part où se cacher. L’ONU a une responsabilité au nom de tous les États Membres, et elle a le devoir de préserver ces preuves pour, lorsque ce jour sera venu, pointer du doigt le ou les États Membres, ainsi que leurs dirigeants et hauts responsables. Il ne reste, semble-t-il, qu’un seul facteur de dissuasion : le fait que c’est à l’opinion publique, et à son aversion, qu’ils auront véritablement des comptes à rendre. Car il est clair, ma foi, que rien d’autre ne semble fonctionner pour mettre fin à ce carnage délibéré et gratuit, cette litanie de vies sacrifiées et brisées.
Je le dis clairement : l’est d’Alep, à l’heure actuelle, n’est pas au bord du précipice ; il est en plein milieu d’une terrible chute qui l’emporte dans l’abîme sans pitié et sans merci d’une catastrophe humanitaire sans commune mesure avec ce que nous avons connu jusqu’ici en Syrie, d’autant que les Nations Unies n’ont pas pu y accéder depuis le 7 juillet et que le secteur médical de la zone semble véritablement sur le point de disparaître totalement. Des centaines d’évacuations médicales critiques sont nécessaires de toute urgence. J’ai reçu des informations alarmantes faisant état de patients refoulés ou traités à même le sol des rares installations médicales encore ouvertes. Les capacités des unités de soins intensifs, qui étaient déjà plus que limitées, sont désormais complètement dépassées. Quatre personnes, dont trois enfants, sont mortes parce qu’elles n’ont pu être placées sous respirateur. On signale également de graves pénuries de fournitures chirurgicales, de poches de sang, d’anesthésiques et autres articles médicaux indispensables. En conséquence, l’assistance médicale requise est aussi prioritaire que l’aide alimentaire.
En raison de l’état de siège, la nourriture reste rare, et les rations disponibles ne permettront de nourrir que 40 000 personnes pendant un mois. Malgré la disponibilité de stocks alimentaires certes limités, les effets d’un accès réduit à la nourriture se font déjà sentir. Des décès dus à la malnutrition, à la maladie et à des intoxications, chez ceux qui fouillent les ordures à la recherche de nourriture, ont été signalés. L’approvisionnement en eau douce est lui aussi en train de se tarir, et les maladies transmises par l’eau ainsi que les maladies mortelles évitables devraient très prochainement connaître une forte hausse – une tragédie de plus dont on pourrait se passer.
Plus de 100 000 enfants sont pris au piège dans l’est d’Alep, et ce sont eux qui sont parmi les plus vulnérables, qui sont les premiers à souffrir, et qui endurent les souffrances les plus graves. Les images d’Alan Kurdi, d’Omran Daqneesh et, désormais, de Rawan Alowsh ont beau avoir capté l’attention furtive du monde et être désormais gravées dans nos consciences, leurs cas ne sont ni isolés ni exceptionnels, mais emblématiques du massacre et des atteintes effroyables que subissent les enfants aux mains des parties à ce conflit. Tous les jours, les équipes de secours découvrent des enfants sous des amoncellements de gravats, dans la poussière infernale et asphyxiante de l’est d’Alep. Dans le même temps, des attaques aveugles sont lancées par des groupes armés non étatiques dans l’ouest d’Alep alors, bien sûr, il y a des torts des deux côtés, mais c’est la population prise au piège dans l’est d’Alep qui subit le poids écrasant des forces en présence. Nous devons arrêter ce cauchemar.
Nous restons prêts à acheminer de l’aide à l’est d’Alep à travers les lignes de front et les frontières. Parallèlement aux efforts visant à obtenir une cessation complète des hostilités, qui se sont malheureusement révélés être une simple distraction et ont escamoté les négociations en faveur d’une trêve humanitaire plus brève, j’appelle depuis juillet à instaurer d’urgence une pause humanitaire, de 48 heures au moins chaque semaine, afin de permettre l’acheminement de l’aide humanitaire et l’évacuation médicale des personnes dans un état critique, et de donner un répit aux civils en faisant cesser le déluge de bombes et les attaques ininterrompues qui leur causent d’indicibles souffrances.
L’heure n’est ni aux gesticulations politiciennes, ni à la protection d’une quelconque position politique ou, en l’occurrence, militaire. L’heure est venue de prendre acte de l’horreur qui se déroule sous nos yeux, de convenir de notre humanité commune et de rétablir la cessation des hostilités pour protéger les civils et sauver des vies. Ce serait là l’action humanitaire à son apogée. Si nous ne pouvons pas obtenir une cessation des hostilités, nous devons au minimum disposer d’une trêve hebdomadaire de 48 heures. Se contenter de moins placerait aujourd’hui le Conseil du mauvais côté de l’histoire, du côté des morts qu’on aurait pu éviter. Cela relève certes de la responsabilité des parties au conflit, mais seule la volonté unifiée de chacun des membres du Conseil nous donnera une chance d’y parvenir.
Les membres du Conseil m’ont déjà entendu le dire, il ne reste que peu de mots pour décrire les horreurs que vivent les personnes en état de siège. Prises au piège et hors de notre portée, elles luttent au quotidien pour leur survie, soumises à un châtiment collectif. La situation révoltante qui règne à Alep doit être un S.O.S., un appel de détresse lancé à la communauté internationale. Il est désormais évident que cette situation remplit les critères d’un siège – avec notamment l’encerclement militaire, l’absence d’accès humanitaire et l’absence de liberté de mouvement des civils. L’est d’Alep est désormais assiégé.
Je puis assurer le Conseil que cette affirmation repose non pas sur des conjectures, mais bien sur la réalité sur place, que je viens de décrire. La zone est encerclée militairement par les forces syriennes. En outre, des groupes d’opposition armés continuent de mener des opérations militaires depuis l’intérieur de la ville, ce qui fait courir encore plus de risques, en permanence, aux personnes qui y sont prises au piège. Malgré tous nos efforts, lesquels ont été examinés dans les moindres détails au Conseil, il n’y a eu quasiment aucun accès humanitaire à travers les lignes de front ou les frontières depuis le début du mois de juillet. Il convient de noter que cette situation résulte d’obstacles dressés tant par les autorités syriennes que par des groupes armés non étatiques.
En outre, malgré l’affirmation selon laquelle il existe des couloirs disponibles, les civils qui souhaitent se rendre dans l’est d’Alep et en sortir sont, pour la plupart, dans l’incapacité de le faire. Il en serait de même pour les membres du Conseil : c’est quelque chose qu’ils ne feraient tout simplement pas, s’ils n’avaient nulle part où aller de leur plein gré et s’ils risquaient de se faire tirer dessus par un tireur embusqué. Comme nous le disons depuis longtemps, les civils ne peuvent pas se déplacer lorsqu’il existe de tels niveaux d’insécurité. Nous avons également analysé ce manque de mouvement, qui tient à la présence militaire aux points d’entrée et de sortie ainsi qu’à certaines préoccupations en matière de sécurité, pas seulement du fait des tireurs embusqués, mais aussi en raison du risque d’être arrêté dans les couloirs humanitaires qui ont été créés par la Fédération de Russie.
Il est absolument scandaleux qu’il y ait maintenant 275 000 personnes de plus qui sont assiégées en Syrie. Nous devons tous faire tout notre possible pour mettre fin à cette pratique médiévale une bonne fois pour toutes. Le nombre de personnes assiégées en Syrie est passé de 586 200 à 861 200, même après déduction des 4 000 personnes qui ont dû quitter Daraya fin août. Cela s’ajoute aux millions de Syriens qui se trouvent dans des endroits difficiles d’accès aujourd’hui.
Le siège n’est pas une arme de guerre, c’est une violation flagrante et injustifiable du droit, un droit auquel ont souscrit toutes les parties qui assiègent ces villes. Alors que le peuple syrien lutte pour sa survie et qu’une solution politique demeure hors de portée, ce que les communautés attaquées peuvent tout au plus espérer dans l’immédiat, c’est que l’aide humanitaire leur parvienne. Le rôle des organisations humanitaires n’est pas de faire partie d’une solution politique, mais de fournir des vivres, un abri et des moyens de survie à ceux qui sont dans le besoin, pendant que cette solution est recherchée. Les efforts qui sont déployés pour protéger les personnes vulnérables, fournir de l’aide aux communautés dans le besoin et combler le vide là où il n’existe pas d’autre option ont subi un terrible revers la semaine dernière.
Après cinq ans de conflit, il ne devrait pas être nécessaire d’expliquer à quelque partie que ce soit que le droit des conflits armés prévoit la protection des travailleurs humanitaires. En 2016, je ne devrais pas avoir à informer le Conseil de sécurité des actes de violence commis contre ceux qui sont neutres dans un conflit et qui sont disposés à se rendre dans les environnements les plus difficiles qui soient afin d’aider ceux qui endurent des souffrances inimaginables. Et pourtant, la semaine dernière, alors que les dirigeants du monde entier se réunissaient pour débattre de la crise humanitaire en Syrie, un convoi humanitaire a été la cible d’une attaque épouvantable.
Le 19 septembre, en début de soirée, alors que 31 camions acheminaient une aide vitale à Ouroum el-Koubra, à quelques kilomètres à l’ouest d’Alep, les travailleurs humanitaires ont été attaqués – un exemple de plus du mépris choquant des parties pour la vie civile et l’espace humanitaire. Pendant deux heures, la zone autour d’un convoi humanitaire des Nations Unies et du Croissant-Rouge arabe syrien, pourtant clairement identifiable, est devenue une zone de massacre. Dix-huit travailleurs humanitaires – 12 volontaires, cinq chauffeurs et Omar Barakat, chef du Croissant-Rouge arabe syrien à Ouroum el-Koubra – ont été brutalement tués. Quinze autres conducteurs ont été blessés, de nombreux civils ont été tués et blessés, et l’entrepôt où les fournitures devaient être déchargées ainsi qu’une infirmerie à située à proximité ont été gravement endommagés. La population locale a été traumatisée plus encore en voyant ce qui arrive à ceux qui tentent de l’aider. Et bien sûr, elle n’a pas reçu l’aide vitale dont elle avait désespérément besoin – la définition même d’une double tragédie.J’ai exprimé mes sincères condoléances aux familles, aux collègues et aux proches de ceux qui ont fait le sacrifice de leur vie, et je m’engage à faire tout mon possible pour veiller à ce que leur mort n’ait pas été en vain. Je demande à chacun d’entre nous de saisir ce moment. J’appelle le Conseil à agir de toute urgence pour protéger les acteurs humanitaires, qu’il s’agisse de membres du personnel des Nations Unies ou de nos partenaires des organisations non gouvernementales, qui subissent des actes de violence presque quotidiennement. Je demande également au Conseil de tenter de lever tous les blocages et de supprimer tous les retards qui font obstacle au déploiement de l’assistance, et de veiller à ce que l’aide humanitaire soit acheminée rapidement, en toute sécurité et sans entrave à tous ceux qui en ont besoin. Plus important encore, je demande au Conseil de mettre fin au bain de sang.
Le convoi humanitaire à Ouroum el-Koubra avait été méticuleusement organisé, comme le sont tous les déploiements d’aide humanitaire. Lorsqu’ils franchissent une ligne de conflit pour acheminer de l’aide, l’ONU et ses partenaires obtiennent d’abord l’autorisation des autorités syriennes. Toutes les parties en sont notifiées à l’avance, et les informations concernant l’emplacement du convoi et son statut sont mis à jour tout au long du trajet. Les convois d’aide humanitaire des Nations Unies informent tous les acteurs sur le terrain de l’acheminement de l’aide humanitaire en cours. Ces précautions sont prises pour veiller à ce que le convoi soit à l’abri d’une attaque.Nous n’avons pas encore tous les détails. Toutefois, il n’est pas trop tôt pour dire clairement quelles sont les conséquences de cette attaque honteuse. Si les assaillants étaient au courant du convoi humanitaire et l’ont attaqué intentionnellement, ils ont commis un crime de guerre. Quelle que soit la raison et quelle que soit la partie responsable, ces personnes doivent savoir qu’elles seront tenues de rendre des comptes. La responsabilité est importante dans l’intérêt de la justice, mais elle est également nécessaire pour mettre fin à la culture de l’impunité. C’est autant une question pratique qu’une question de principe. Si rien ne garantit que les convois humanitaires seront en sécurité, la capacité des organisations humanitaires d’acheminer une assistance sera menacée et ceux qui en ont besoin continueront de souffrir. Comme je l’ai déjà dit, ceux qui sont aux avant-postes de la fourniture d’aide sont courageux, mais ils ne sont pas suicidaires. Des garanties de sécurité suffisantes pour l’acheminement de l’aide doivent être mises en place. Oui, cela veut dire dialoguer avec toutes les parties en toute impartialité, n’en déplaise à certains. Ce sont des principes humanitaires sur lesquels moi et les autres travailleurs humanitaires de l’ONU et au-delà nous appuyons pour pouvoir aller de l’avant. Pour nous, c’est l’accès qui compte par-dessus tout. Sans cela, alors que nous sillonnons la Syrie dans tous les sens, nous ne pouvons pas contribuer à améliorer la situation, comme les citoyens du monde nous le demandent.
Le Secrétaire général a demandé qu’une enquête rigoureuse soit menée afin d’établir les circonstances entourant cette attaque et amener les responsables à répondre de leurs actes. Il examine actuellement les options pour voir quelle serait la forme la plus efficace de cette enquête. Je demande à toutes les parties de démontrer clairement leur volonté de protéger l’espace humanitaire, d’appuyer le processus d’enquête aux fins d’une application pleine et transparente du principe de responsabilité et de lutter contre l’impunité.S’il est vrai que l’ONU et ses partenaires apportent une aide à des millions de personnes chaque mois grâce à des programmes ordinaires et à des activités transfrontières, ceux qui sont dans le plus grand besoin sont souvent ceux qui ne peuvent être atteints par l’une ou l’autre modalité. Si nous consacrons beaucoup d’attention à la nécessité d’assurer l’acheminement de l’aide humanitaire par le biais de convois franchissant les lignes de front, ce n’est pas pour diminuer l’importance des autres modalités, qui assurent l’essentiel de la fourniture d’aide, mais pour faire en sorte que nous axions nos efforts sur les endroits que nous ne sommes pas en mesure d’atteindre d’une autre façon.
Dans les zones difficiles d’accès et assiégées, nous avons continué d’apporter une assistance aux communautés dans le besoin en septembre grâce à des convois interorganisations traversant les lignes de conflit. Le 19 septembre, nous avons ainsi approvisionné 84 000 personnes à Talbissé ; le 22 septembre, 35 000 personnes à Mouaddamiyé ; le 24 septembre, 70 000 personnes dans le quartier de Waar à Homs ; et, le lendemain, quelque 60 000 personnes dans les quatre villes – Madaya, Zabadani, Fouaa et Kefraya. Nous continuons d’apporter une assistance aux populations par voie aérienne, tant par aérolargage que par des ponts aériens. Nous avons mené à bien 126 largages aériens depuis avril à Deir el-Zor, fournissant des vivres, des denrées nutritives, des articles médicaux et un approvisionnement en eau, assainissement et hygiène aux personnes dans le besoin. Nous avons effectué deux tours complets de distribution d’aliments, pour un total de 110 000 personnes chaque fois. Un troisième tour a commencé le 12 août. Nous avons maintenant mené à bien 90 ponts aériens à Qamichli, fournissant une aide en matière d’alimentation, de santé, d’approvisionnement en eau, assainissement et hygiène, de nutrition, d’éducation, d’abri et d’assistance non alimentaire, dont plus de 50 000 rations alimentaires complètes.
Quant à la population le long du mur de sable à la frontière syro-jordanienne, où je me suis rendu et sur lequel je me suis tenu au début de ce mois, les autorités jordaniennes nous ont informés que les organisations humanitaires pourraient reprendre les opérations d’aide en faveur de ceux qui sont bloqués le mois prochain. Nous attendons avec impatience que tous les arrangements de sécurité et autres soient mis en place afin qu’elles puissent avoir lieu, et ce, jusqu’à ce que des solutions à plus long terme soient trouvées. Je remercie ceux qui travaillent d’arrache-pied pour y parvenir.
Si nous nous félicitons de ces livraisons, qui offrent une bouée de sauvetage aux personnes qui sont en grande partie prises au piège dans des endroits hors de notre portée, il a été particulièrement frustrant de voir les dernières semaines passer sans que l’accès ne s’améliore, d’autant plus que le rétablissement de la cessation des hostilités aurait dû nous donner la possibilité d’étendre notre rayon d’action. Au lieu de cela, les retards qu’accusent les déploiements à travers les lignes de front sont de plus en plus fréquents. Le premier convoi interinstitutions traversant les lignes de front en septembre a été déployé le 19 septembre. Le mois dernier, le premier convoi interinstitutions n’a pu partir que le 23 août. Cela signifie que pour les trois premières semaines de chacun de ces deux derniers mois, les convois interinstitutions n’ont pas pu atteindre un grand nombre des personnes qui avaient besoin d’aide.
Nous n’avons pu acheminer une aide humanitaire dans les quatre villes pour la première fois en cinq mois – depuis que l’accès humanitaire avait été autorisé pour la dernière fois le 30 avril – qu’après de nombreux obstacles et retards causés par la confiscation du matériel médical à la dernière minute, ce qui a nécessité d’autres négociations par les parties avant de parvenir à un accord définitif. Ailleurs que dans ces quatre villes, les fournitures médicales ont continué à être retirées de convois humanitaires. Rien qu’au cours de cette année, plus de 200 000 articles ont été retirés de convois. En outre, il est tout simplement inadmissible de conditionner la fourniture de l’aide humanitaire, quelle qu’elle soit, aux dispositions de l’accord de cessez-le-feu pour les quatre villes, qui reposent sur un échange constant de mauvais procédés.
Comme je l’ai dit à plusieurs reprises, l’Organisation des Nations Unies a toujours été prête et reste prête à remplir sa mission. Nous avons présenté nos demandes et nos camions sont prêts à partir, mais ils ont été retardés par les mêmes tactiques bureaucratiques – réponses tardives, absence de lettres de facilitation, négociations sur le nombre de bénéficiaires. S’il est vrai que nous sommes confrontés à de tels problèmes avec une régularité alarmante, ce mois-ci, nous avons également été témoins de nouvelles tactiques dilatoires visant à priver d’aide des personnes qui en ont désespérément besoin, comme la lenteur des forces de sécurité syriennes à approuver les articles dans les entrepôts, et dans le cas de Mouaddamiyé, l’endommagement des articles par les forces de sécurité. Il a fallu recharger les camions en présence d’officiers russes pour nous assurer de la coopération des forces de sécurité syriennes. Hier encore, un convoi qui devait se rendre à Douma s’est vu refuser l’accès au dernier point de contrôle tenu par les forces gouvernementales, alors qu’il avait reçu toutes les garanties et les autorisations nécessaires. Après avoir attendu plus de huit heures au dernier point de contrôle tenu par les forces syriennes, il a dû retourner à l’entrepôt.
Bien sûr, l’insécurité demeure également un facteur important qui entrave le déploiement de convois. Il y a deux jours, le 27 septembre, l’ONU a annulé un convoi qui devait se rendre à Rastan alors que les camions se trouvaient déjà au dernier point de contrôle des forces armées syriennes, en raison de frappes aériennes qui prenaient pour cible la ville à laquelle l’ONU et ses partenaires voulaient accéder. Il s’agit encore d’un autre convoi dont toutes les parties avaient été informées qu’il était en route et pour lequel toutes les parties avaient fourni des garanties de sécurité, mais dont elles n’ont pas pu assurer le passage en toute sécurité. On peut s’imaginer le cauchemar que vivent les civils, qui se sont réveillés ce matin-là en espérant recevoir une aide susceptible de leur sauver la vie, mais qui, au contraire, ont fait l’objet d’attaques incessantes.
Nous attendons la réponse du Gouvernement concernant le plan de convois interinstitutions pour le mois d’octobre, qui a été déposé le 19 septembre. L’ONU a demandé à avoir accès à 962 800 personnes qui se trouvent dans 29 zones. Il s’agit de zones assiégées, de zones difficiles d’accès et de zones prioritaires situées au-delà des lignes de front. Nous attendons une réponse dans les prochains jours, et je prie les autorités syriennes de répondre positivement et à temps à cette demande et de veiller à ce que la réponse à cette demande soit rapidement mise en oeuvre. Nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre trois semaines avant le départ du premier convoi interinstitutions, une fois de plus durant ce mois. Au fur et à mesure que l’insécurité croît, les souffrances des civils augmentent également. Il faut autoriser un accès sûr et durable, sur la base de l’évaluation des besoins faite par l’ONU.
La Syrie saigne. Ses citoyens sont en train de mourir. Nous avons tous entendu leur appel au secours. En tant qu’agents humanitaires, nous faisons tout ce que nous pouvons. La semaine dernière, les dirigeants du monde sont venus à New York, se sont assis autour de cette table et ont tenu des réunions au niveau ministériel, et tout cela n’a abouti à aucun résultat tangible. Au lieu de cela, alors que les dirigeants du monde se réunissaient, la violence s’est intensifiée – davantage de civils et d’agents humanitaires ont été tués. Il est temps d’établir les responsabilités. Il est temps que le Conseil cesse de tolérer le mépris total des dispositions les plus élémentaires du droit international humanitaire.Je demande au Conseil d’agir maintenant, de faire justice à ceux qui ont sacrifié leur vie et de prendre toutes les mesures qui s’imposent pour mettre fin à la violence. Toute autre option est inenvisageable. La dépravation dont nous sommes témoins ne fera qu’empirer. Si les parties au conflit n’agissent pas, le seul espoir du monde repose sur la volonté et les mesures collectives du Conseil de sécurité, dans l’unité. Il incombe au Conseil de renverser le cours des choses, de créer les conditions propices pour que l’aide parvienne à tous ceux qui en ont besoin, de mettre fin aux sièges, de rétablir le dialogue politique et de mettre fin à la guerre.
Le Président (parle en anglais) : Je remercie M. O’Brien pour son exposé qui donne à réfléchir.
Je vais maintenant donner la parole au membre du Conseil qui souhaite faire une déclaration.
M. Bermúdez (Uruguay) (parle en espagnol) : Je remercie le Secrétaire général adjoint, M. Stephen O’Brien, de son exposé détaillé. Ma délégation a demandé la parole parce que nous sommes convaincus que ces séances d’information ne sont pas organisées exclusivement dans l’intérêt du Conseil de sécurité, mais de tous les Membres de l’Organisation. À cet égard, en notre qualité de membre élu, nous estimons que nous devons faire part aux Membres qui nous ont élu à ce poste de nos opinions sur les questions qui font l’objet de ces séances publiques. Par conséquent, dans l’intérêt de la transparence de nos travaux, je vais présenter la position de ma délégation dans cette salle. Nous voulons également être cohérents par rapport à ce qui a été fait lundi dernier quand nous avons pris la parole dans cette salle, dans le cadre de l’examen de la dimension politique du conflit en présence de l’Envoyé spécial, M. Staffan de Mistura (voir S/PV.7777).
Monsieur le Président, je saisis cette occasion pour vous remercier d’avoir convoqué, le 21 septembre, une réunion de haut niveau du Conseil (S/PV.7774), durant laquelle les chefs d’État, les chefs de gouvernement et les ministres se sont prononcés en faveur d’une solution négociée à cette crise. La semaine dernière, nous avons été témoins d’une attaque odieuse contre un convoi humanitaire, en violation des normes les plus élémentaires du droit international humanitaire. En outre, ces dernières heures, la ville d’Alep, ou ce qu’il en reste, a été la cible d’un des bombardements les plus intenses depuis le début du conflit, qui a fait des centaines de morts et causé d’énormes dégâts aux infrastructures, qui sont déjà pratiquement en ruines.
Cette nouvelle escalade militaire est un nouveau coup porté à la protection des civils et aux espoirs du peuple syrien, qui pensait que ses longues souffrances qui durent depuis plus de cinq ans allaient prendre fin. Comme nous l’avons indiqué hier durant la séance d’information sur la mise en oeuvre de la résolution 2286 (2016) (voir S/PV.7779), une fois de plus, nous condamnons fermement les bombardements incessants des hôpitaux et des installations médicales en Syrie, qui sont devenus une pratique criminelle qui persiste ces derniers temps et qui doivent cesser immédiatement. Nous condamnons également l’utilisation des sièges et de la famine en tant que tactiques de guerre et nous demandons à ceux qui se livrent à de tels actes de lever tous les sièges, lesquels ont des conséquences néfastes sur des millions de personnes en Syrie. Nous demeurons favorables aux pauses humanitaires hebdomadaires de 48 heures, qui pourraient être un prélude à un nouveau cessez-le-feu.
Neuf mois de cette année se sont écoulés depuis l’adoption de la résolution 2254 (2015) et sept mois se sont écoulés depuis l’adoption de la résolution 2268 (2016). En outre, après près de 50 séances du Conseil consacrées à la situation en Syrie, celle-ci semble se détériorer de jour en jour. Les discours que nous prononçons ici, en dépit des bonnes intentions qui y sont exprimées, n’ont pas permis de changer la réalité sur le terrain. Alep et d’autres localités syriennes continuent d’être au quotidien le théâtre de l’horreur des bombardements incessants, qui exterminent petit à petit leur population. C’est un massacre que rien ne justifie, perpétré sous les yeux du monde, qui semble incapable de réagir face à une telle barbarie.
Il y a quelques jours, nous nous demandions ce que le Conseil de sécurité allait faire et quel serait le résultat de nos délibérations face à ces horreurs sans précédent dans l’histoire récente. Même si tout le monde ici a réitéré à satiété qu’il n’y aura pas de solution militaire en Syrie, les événements sur le terrain démontrent le contraire. Par conséquent, tant que les parties au conflit syrien et leurs partisans n’auront pas renoncé à leurs intentions d’atteindre leurs objectifs par cette voie, il sera très difficile pour nous de parvenir à un accord qui permette aux parties de reprendre les négociations pour trouver une solution politique au conflit.Nous nous trouvons à un moment décisif. Le peuple syrien et la communauté internationale ont constaté que le Conseil, jusqu’à présent, a été incapable de mettre fin aux hostilités, d’assurer un accès humanitaire durable, régulier et sûr et de créer des conditions propices à la reprise du processus de transition politique prévu par la résolution 2254 (2015), qui est paralysé depuis cinq mois. Il nous appartient d’assumer les responsabilités qui ont été confiées au Conseil, sinon l’histoire nous imputera la responsabilité de n’avoir pas pu mettre un terme à l’un des pires conflits que l’humanité a connus au cours de cette décennie.
Je plaide pour que nous continuions de renforcer les efforts afin de mettre de côté nos divergences et de prendre enfin des engagements de nature à donner une impulsion nouvelle et peut-être définitive à une solution politique en Syrie. À cet égard, nous prions instamment, de nouveau, la Fédération de Russie et les États-Unis d’Amérique de poursuivre le dialogue pour tâcher de trouver les accords nécessaires afin de déboucher une fois pour toutes sur la fin du conflit et la pacification graduelle de la Syrie. Ils peuvent compter à cette fin sur l’appui de l’Uruguay.
Il est probable que si le Conseil réfléchit en fonction de la majorité des Syriens, en donnant la priorité aux hommes, aux femmes, aux enfants, et aux travailleurs et civils syriens, qui représentent l’immense majorité de la population, nous nous rapprocherons d’une voie de règlement plus viable. Les centaines de milliers de victimes et les millions de Syriens dont la vie a été bouleversée par la guerre seront témoins de nos prochaines décisions.
Le Président (parle en anglais) : Je remercie le représentant de l’Uruguay de sa déclaration, qui reflète les vues de la délégation néo-zélandaise et, j’en suis certain, de nombreuses autres délégations dans cette salle.
Étant donné qu’il s’agit de la dernière séance prévue du Conseil pour le mois de septembre, je tiens à dire aux membres du Conseil, en particulier mes collègues Représentants permanents et leur équipe respective, et au Secrétariat que la délégation néo-zélandaise a sincèrement apprécié tout l’appui qu’ils nous ont fourni.
La présente séance revêt un caractère particulièrement poignant pour mon équipe et pour moi-même : il se passera probablement deux autres décennies avant qu’un Néo-Zélandais préside à nouveau le Conseil de sécurité.Le mois a été très chargé. Nous avons pris des décisions sur plusieurs questions importantes, notamment en ce qui concerne la Colombie, la sécurité aérienne, le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires et l’Afghanistan. Mais, comme l’a montré la séance d’information d’aujourd’hui, nous ne sommes pas parvenus à nous prononcer sur les questions les plus pressantes auxquelles nous sommes confrontés. C’est pour ma délégation un sujet de grande déception. Nous saluons cependant le travail acharné, l’appui et la contribution précieuse de toutes les délégations et des représentants du Secrétariat, ainsi que du personnel des services de conférence et des interprètes.
Alors que se conclut notre présidence, je sais que je parle au nom du Conseil en souhaitant bonne chance à la délégation russe pour le mois d’octobre.
J’invite à présent les membres du Conseil à poursuivre le débat sur la question dans le cadre de consultations.
La séance est levée à 11 h 40.
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