M. le président. L’ordre du jour appelle, en application de l’article 35, alinéa 2 de la Constitution, une déclaration du Gouvernement suivie d’un débat sur l’intervention des forcées armées françaises en Syrie.
La parole est à M. le Premier ministre.
M. Edouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, conformément à l’article 35, alinéa 2, de notre constitution, j’ai l’honneur de vous informer des décisions prises pour l’intervention de nos forces armées à l’étranger. Compte tenu de l’importance de ces opérations, nous avons voulu que cette information soit suivie d’un débat à l’Assemblée nationale et au Sénat.
Le 7 avril dernier, plusieurs attaques chimiques ont été menées sur la ville de Douma, en Syrie, y compris contre les infrastructures médicales : plus de quarante-cinq personnes y ont laissé la vie et de très nombreuses autres ont été blessées. Dans la nuit du 13 au 14 avril, sur ordre du Président de la République, les forces aériennes et navales françaises, en étroite coordination avec les forces armées des États-Unis et du Royaume-Uni, ont frappé le territoire syrien. Cette opération a été un succès. Nous avons détruit les trois sites visés : un site de recherche dans la banlieue de Damas, un site d’assemblage et un site de stockage d’armes chimiques.
Sans attendre notre débat de ce jour et conformément à l’esprit de nos institutions, le Gouvernement a veillé à ce que le Parlement soit constamment informé de la situation. Dans la soirée qui a précédé l’action de nos forces, j’ai personnellement informé les présidents des deux assemblées des décisions prises par le Président de la République ; hier matin, je les ai à nouveau reçus ainsi que les présidents des commissions compétentes et des groupes parlementaires. Ces échanges ont été d’une grande qualité et d’une grande dignité, qualité et dignité que la situation impose, et je voulais en remercier chacun.
Cet après-midi, il nous revient de débattre de la situation en Syrie et de l’action de la France.
Je voudrais au préalable rappeler le cadre dans lequel se déploie notre politique en Syrie. S’agissant tout d’abord de nos objectifs généraux, ils sont clairs, ils n’ont pas varié : notre ennemi n’est pas la Syrie. Nous ne sommes pas entrés en guerre contre la Syrie ou contre le régime de Bachar el-Assad. Notre ennemi, c’est Daech.
M. Claude Goasguen. Ah ! C’est bien !
M. Edouard Philippe, Premier ministre. Nous voulons venir à bout du mouvement terroriste qui a organisé sur notre sol les attentats meurtriers qui ont frappé tant de familles françaises dans leur chair et, au-delà, tous les esprits.
Mais notre action politique ou militaire au Levant serait parfaitement vaine, notre politique étrangère tout entière sans objet, si une arme de terreur, bannie par la communauté internationale depuis près d’un siècle, entretenait la barbarie contre les populations civiles, promouvait la haine, minait toute possibilité de règlement politique et, en amont, contredisait toutes les règles que se donnent les humains. Trouver une solution politique à un conflit, faire que la guerre débouche sur la paix, c’est possible. Mais aucune solution politique ne sera trouvée tant que l’utilisation de l’arme chimique restera impunie. Les populations civiles paient le coût de l’inaction. Notre sécurité elle-même, en France et en Europe, est mise en cause.
C’est bien la raison pour laquelle le Président de la République avait fixé clairement, dès le début de son mandat, une ligne rouge.
L’arme chimique est interdite dans les opérations de guerre depuis la signature du protocole de Genève en 1925, il y a près d’un siècle ; la Syrie a ratifié ce protocole en 1968, il y a cinquante ans. Depuis la bataille d’Ypres, en 1915, la France a toujours été à la pointe du combat contre les armes chimiques. Après le protocole de Genève, c’est notre pays qui a relancé la négociation sur le sujet, en 1989, à l’initiative du président François Mitterrand, et la convention qui interdit la possession d’armes chimiques a finalement été signée à Paris, en 1993. Elle est aujourd’hui la loi commune de 192 États.
La communauté des États s’est accordée pour bannir les armes chimiques parce qu’elles sont systématiquement l’instrument d’un crime de guerre : sous forme gazeuse ou liquide, elles se répandent au-delà de la zone des combats, persistent après le temps des combats et touchent indistinctement les combattants et les civils. Il ne s’agit plus d’une guerre sale ou d’une guerre déloyale, mais de scènes apocalyptiques que le régime syrien a réactivées.
Avec les armes chimiques, c’est la raison et la civilisation qui vacillent durablement. J’ai eu l’occasion de le dire en réponse à un député lors d’une séance de questions au Gouvernement : l’utilisation de l’arme chimique dit quelque chose de celui qui y a recours. Et notre réaction à cette utilisation, mesdames, messieurs les députés, dit quelque chose de nous.
En mai 2017, le Président de la République avait donc très précisément défini une ligne rouge : une attaque chimique avérée, attribuable aux forces armées syriennes, avec des conséquences létales, entraînerait une riposte immédiate. Cela avait été dit clairement, d’ailleurs en présence du président de la Fédération de Russie, lequel avait ensuite approuvé la formulation du Président de la République.
Le 7 avril dernier, cette ligne rouge a été franchie. Les renseignements rassemblés par la France et ses alliés attestent de la réalité de cette attaque chimique, que vient également de confirmer l’Organisation mondiale de la santé. Ces renseignements, collectés par nos services et par nos alliés, analysés par nos équipes médicales, font état de nombreuses victimes et démontrent la responsabilité des forces armées syriennes dans cette opération.
C’est malheureusement une tactique déjà éprouvée qui s’est exercée à Douma. Le schéma appliqué est en effet très similaire à celui qui avait été suivi à Alep. La stratégie opérationnelle répond à un objectif clair : semer la terreur dans les populations civiles et accélérer les dernières étapes du combat en délogeant les groupes armés par tous les moyens. Il s’agit donc d’une stratégie de terreur délibérée et répétée.
Le régime n’en est pas à sa première utilisation des armes chimiques. En 2013 et en 2017, la France a déclassifié des renseignements qui démontrent la responsabilité de Damas dans plusieurs attaques chimiques avérées. Lors de l’attaque de Khan Cheikhoun, le 4 avril 2017, notre pays a publié sa propre évaluation qui prouve la responsabilité du régime, et les mécanismes internationaux, sous l’égide de l’Organisation des Nations unies et de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques – OIAC –, ont confirmé, à plusieurs reprises, nos éléments. Dans un rapport publié le 6 septembre 2017, le comité d’enquête de l’ONU a, lui aussi, établi la responsabilité des forces gouvernementales syriennes dans les attaques de Khan Cheikhoun.
Avant d’avoir recours à la force, nous sommes allés au bout de la démarche politique et diplomatique pour faire entendre raison à Damas. La France est en effet profondément attachée au multilatéralisme parce que la voie collective – l’histoire nous en a convaincus – est la seule manière de maintenir une paix durable. Ces dernières années, notre pays et ses partenaires ont donc multiplié les initiatives diplomatiques au Conseil de sécurité, à l’Assemblée générale des Nations unies, au Conseil des droits de l’homme, à l’OIAC. Mais la France veut un multilatéralisme efficace. Or en l’espèce, l’attitude d’obstruction d’un État n’a pas permis à cette démarche collective d’aboutir. La Russie a posé douze veto sur le dossier syrien, dont six sur le seul dossier chimique – le plus récent, mardi dernier, s’opposait à un projet prévoyant le rétablissement du mécanisme indépendant d’enquête et d’attribution des responsabilités en cas d’attaque chimique en Syrie.
En vertu du chapitre VII de la Charte, qui autorise l’emploi de la force si nécessaire, le Conseil de sécurité s’était pourtant déjà engagé à adopter des mesures coercitives, notamment militaires, face aux violations multiples et répétées, par le régime, du droit international et de ses propres engagements. Je voudrais notamment vous rappeler les termes de la résolution 2118, votée à l’unanimité le 27 septembre 2013, à la suite, déjà, des attaques chimiques syriennes du mois précédent : le Conseil de sécurité « décide, qu’en cas de non-respect de la présente résolution, y compris de transfert non autorisé ou d’emploi d’armes chimiques par quiconque en République arabe syrienne, il imposera des mesures en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations unies ».
Nous avons donc pris nos responsabilités ; et pour le futur, pour les jours, les semaines et les mois qui viennent, notre ligne politique reste claire et ne change pas. Notre riposte était amplement justifiée dans ses causes. Dans ses modalités, elle a été soigneusement proportionnée : des objectifs exclusivement liés au programme chimique, des objectifs exclusivement syriens. Elle a été ciblée pour éviter les dommages aux civils, et conçue de façon à prévenir toute escalade. Nous avons ainsi envoyé un message ferme. Un message clair. Un message fort.
M. Manuel Valls. C’est bien !
M. Edouard Philippe, Premier ministre. Nous voulons dissuader le régime de recourir à l’arme chimique, alors que des combats se poursuivent et qu’il ne montre aucune disposition à rechercher une voie de sortie politique.
Nous voulons dire qu’aucune victoire militaire ne peut impunément être remportée au moyen d’armes chimiques.
Notre action, coordonnée avec celle de nos alliés, vise à rendre prohibitif le coût d’utilisation de ces armes et à amoindrir la capacité des Syriens à y recourir de nouveau en atteignant leurs installations de production, d’assemblage et de stockage.
Je tiens ici, mesdames, messieurs les députés, à rendre hommage aux femmes et aux hommes de nos armées qui ont conduit cette opération avec un sang-froid et un professionnalisme remarquables. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, LR, MODEM, UDI-Agir et NG.) Par sa force et sa profondeur de frappe, la France a confirmé son statut de puissance politique et militaire. Ses armées, avec nos alliés, sont intervenues avec rapidité et efficacité, tout en assurant des garanties nécessaires pour protéger les populations civiles.
Pour autant, cette intervention n’est pas le prélude à une guerre. Nous n’entrons pas dans une logique d’escalade. Nous avons frappé les capacités chimiques du régime et non les alliés du régime, malgré nos divergences de vues qui sont claires. Le Président de la République continue à dialoguer avec ses homologues car nous ne voulons pas renoncer à la seule option qui soit porteuse d’avenir : la solution politique.
Notre action a recueilli un très large soutien international, tant de la part de nos alliés, en particulier l’Allemagne – qui a souligné son caractère nécessaire et proportionné – que des grandes organisations internationales. L’Union européenne, l’OTAN comme le Conseil de coopération des États arabes du Golfe se sont, par la voix de leurs représentants, très clairement et très favorablement exprimés. Samedi dernier, le Conseil de sécurité a massivement rejeté, par huit votes négatifs et quatre abstentions, le projet présenté par la Russie pour condamner l’intervention. La très grande majorité des membres du Conseil ne souscrit donc pas à l’affirmation selon laquelle notre action serait contraire à la légalité internationale. Aux yeux de tous, elle témoigne en outre de notre autonomie de décision.
Au-delà de cette opération militaire, nous allons désormais poursuivre nos efforts pour relancer activement un processus de règlement aujourd’hui à l’arrêt. Le Conseil de sécurité des Nations unies en a fixé le cadre. Outre la résolution 2118 que j’ai citée, la résolution 2401, également adoptée par la Russie, prévoit une trêve immédiate qui doit permettre la reprise de l’aide humanitaire : 13 millions de Syriens, dont 6 millions d’enfants, doivent en effet recevoir une aide urgente et vitale. En outre, plus de la moitié de la population syrienne a dû quitter son foyer.
Le Président de la République va annoncer une initiative impliquant une montée en puissance des financements français et européens ainsi que l’élaboration d’un plan d’ensemble dans lequel s’inscriront l’ensemble des projets, en coordination avec nos principaux partenaires, l’ONU, le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés, le HCR, le Comité international de la Croix-Rouge, le CICR, ainsi que les organisations non-gouvernementales.
La résolution 2254, quant à elle, prévoit l’adoption d’une nouvelle constitution et l’organisation d’élections libres en Syrie. Nous devons renforcer le consensus international en faveur d’une solution politique inclusive : l’instance de concertation, qui réunit les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Arabie saoudite, la Jordanie et la France, doit ouvrir une négociation avec l’Iran, la Russie et la Turquie.
Mesdames et messieurs les députés, si la force n’est jamais une fin en soi, l’histoire nous a appris qu’en différer l’usage face à l’inacceptable achète souvent un repos illusoire qu’il faut plus tard payer au prix fort.
Avoir recours à la force est un acte lourd et grave. Tous ceux qui ici, sur ces bancs, ont eu à prendre ou à accompagner de telles décisions, le savent : l’action comporte un risque. Elle a un coût. Un coût humain. Un coût politique.
Je voudrais vous faire partager la conviction que le risque comme le coût de l’inaction étaient, en l’espèce, plus grands encore. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) Plus grands pour notre avenir. Plus grands aussi pour notre conscience et pour la trace que nous laisserons dans l’histoire comme dans le regard de ceux qui nous suivront.
Bien sûr, la décision – difficile, légitime et nécessaire – prise en son âme et conscience par le Président de la République sera débattue. C’est l’honneur de notre démocratie que de permettre un tel débat. Je ne mésestime nullement la complexité de la situation au Levant, mais si elle impose nuance, prudence et réflexion, elle ne condamne pas plus à l’inaction qu’à l’impuissance face à une violation aussi flagrante des principes qui fondent notre vie en commun.
Agir ; prendre nos responsabilités ; porter haut la voix de la France ; montrer ce sur quoi nous resterons inflexibles et utiliser s’il le faut, quand il le faut, nos forces armées pour dire sans relâche ce que nous sommes et ce à quoi nous croyons. Nous ne pouvons prétendre régler à nous seuls tous les problèmes du monde, mais nous ne devons jamais, jamais détourner les yeux lorsque nous pouvons y contribuer. Tel est, mesdames et messieurs les députés, le sens de l’action du Président de la République et du Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, MODEM et UDI-Agir.)
M. le président. La parole est à M. Richard Ferrand, pour le groupe La République en marche.
M. Richard Ferrand. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la ministre des armées, monsieur le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, monsieur le secrétaire d’État auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement, madame la vice-présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées, mes chers collègues, je veux d’abord saluer le courage et le professionnalisme de nos armées qui ont conduit avec succès notre opération en Syrie.
Elle a permis de détruire des installations clandestines de production et de stockage d’armes chimiques. Elle a été conduite, avec mesure et responsabilité, par les états-majors, en coordination avec nos alliés américains et britanniques. Menée depuis plusieurs bases situées en métropole, et depuis nos bâtiments déployés en Méditerranée, elle constitue une nouvelle preuve des prouesses dont nos aviateurs et nos marins sont capables. La France est reconnaissante envers ces derniers, comme elle l’est à l’égard de tous ceux qui s’engagent, sur notre territoire et bien au-delà de nos frontières, pour la sécurité collective.
Le 7 avril, à nouveau, des voix d’enfants, de femmes et d’hommes se sont tues. Ce conflit ne cesse de semer la mort dans toutes les contrées de la Syrie ; il réduit en cendres toute trace d’humanité sur cette terre pourtant si proche du berceau de la civilisation ; il fait de ces terres de culture, d’art et d’histoire, des champs de désolation.
Le 7 avril, les destins de combattants et de civils ont été mêlés dans une attaque aveugle et barbare.
L’attaque chimique à Douma nous renvoie un siècle en arrière, lorsque ces armes venues des tréfonds de la barbarie humaine ont été utilisées pour la première fois à Ypres. Nous étions, alors, à l’aube d’un demi-siècle de ténèbres, où l’humanité a montré ce qu’elle avait de pire.
Depuis, ces armes scélérates avaient été mises au ban de la civilisation : elles n’ont en effet été utilisées que ponctuellement, par des régimes dictatoriaux, face à des civils sans défense.
Symbole de sa lâcheté, c’est donc à ce procédé que Bachar el-Assad a recouru pour traquer les derniers opposants qui refusaient encore de lui livrer la Ghouta orientale.
Ce sont nos services – les services de renseignement français – qui nous ont apporté les preuves – confirmant ainsi les informations dont nous disposions – que cette attaque chimique avait bien eu lieu et qu’elle était bien l’œuvre du régime syrien.
M. Claude Goasguen. Et les Turcs ?
M. Richard Ferrand. Ce dernier avait déjà entamé une campagne de bombardements indiscriminés sur des villes entières, sans prendre en compte la nature civile ou militaire de ses cibles. Surtout, il ne s’agit pas d’une première : les services français d’évaluation ont ainsi recensé, depuis le 4 avril 2017 et l’attaque de Khan Cheikhoun, au moins quarante-quatre signalements d’utilisation d’armes chimiques par le régime.
C’est donc avec raison que le Président de la République avait rappelé, le 29 mai 2017, à Versailles, en présence de Vladimir Poutine, que des armes chimiques ne pourraient être utilisées contre des populations civiles sans que la France ne réagisse. C’est ce qu’elle a finalement fait, et elle a eu raison. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM ainsi que sur quelques bancs du groupe UDI-Agir.)
Aux souffrances des peuples ne peut répondre ni une indifférence coupable ni un lâche silence. La seule compassion n’est pas une réponse à la barbarie : la décision du Président de la République de frapper les installations d’armes chimiques était donc la réponse qui s’imposait.
Nous connaissons tous le poids d’une telle décision. Cependant, sans l’action des forces françaises, américaines et britanniques, Bachar el-Assad aurait pu disposer des capacités détruites pour agir contre son peuple, voire contre ses voisins. Désormais, le régime el-Assad sait que l’impunité ne vaut plus, qu’il ne pourra plus gazer son peuple sans s’exposer – et ce, quelle que soit la posture de ses protecteurs – à une riposte certaine. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur plusieurs bancs du groupe MODEM.)
Il ne fait aucun doute que les trois résolutions adoptées à l’unanimité par les Nations unies – la résolution 2254 sur le processus politique en Syrie, la résolution 2118 sur l’interdiction absolue des armes chimiques et la résolution 2104 sur le droit humanitaire – fondent parfaitement l’action conduite. Il en est de même du protocole de 1925 et de la convention de Paris sur l’interdiction des armes chimiques, ouverte à la signature en 1993 à l’initiative de François Mitterrand : ils fondent parfaitement l’action du Gouvernement.
Le Conseil de sécurité s’est d’ailleurs refusé à condamner l’initiative de la coalition.
Alors depuis samedi, nous entendons ceux pour qui cette opération militaire aurait été de trop, inutile, et ceux qui la jugent au contraire insuffisante. Les premiers condamnent sans rien proposer ; et leurs vociférations ne font que masquer leur choix de ne rien faire. Nous, nous préférons la France qui agit pour une Syrie insoumise, pour une Syrie libre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM ainsi que sur quelques bancs du groupe MODEM. - Protestations sur les bancs du groupe FI.)
M. Laurent Furst. Et les Kurdes ?
M. Richard Ferrand. D’autres – ceux-là mêmes qui exaltent la France debout mais qui la voudraient couchée – se montrent sceptiques et dubitatifs, alors même que c’est en se fondant sur des renseignements souverains que notre pays a affirmé l’autonomie de ses choix stratégiques et d’engagement.
M. Jean-Paul Lecoq. Que faites-vous des Kurdes ?
M. Richard Ferrand. Quelques-uns, enfin, jugent l’intervention insuffisante, alors qu’ils avaient, par le passé, échoué à en conduire une semblable – en raison, certes, de la défaillance de certains de nos alliés.
Mes chers collègues, chacun se souvient de l’émotion qu’a déclenchée, en France comme dans le monde, la photographie du corps sans vie du petit Aylan échoué sur un rivage de Turquie.
M. Claude Goasguen. Quel rapport ?
M. Richard Ferrand. Aujourd’hui, ce sont ses frères, ses sœurs et ses parents que l’on gaze, et il nous faudrait fermer les yeux, nous cacher ou disserter sur le droit international ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.) Il ne suffit pas de pleurer sur le sort des victimes ou de cultiver une distance théorique avec l’histoire : la grandeur du devoir est d’agir. La puissance de la France lui permet de faire respecter le droit humain ;…
M. André Chassaigne et Mme Danièle Obono. Sauf au Yémen !
M. Jean-Paul Lecoq. Ou en faveur des Kurdes !
M. Richard Ferrand. …nous ne serons pas de ceux qui, exprimant une indignation à géométrie variable, prétendent que la France est en infraction quand elle va sauver des vies.
Quand la France est grande aux yeux du monde, notre assemblée n’a pas le droit d’être petite. Le général de Gaulle…
M. Damien Abad. Rien que ça !
M. Richard Ferrand. …aimait à rappeler que la politique la plus coûteuse et la plus ruineuse est d’être petit.
Personne n’aime le bruit des bombes, mais nous honnissons plus encore les cris étouffés des victimes gazées. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
L’action militaire doit être mise au service de l’action diplomatique : je salue à cet égard l’initiative du Gouvernement qui a déposé aujourd’hui au Conseil de sécurité des Nations unies un projet de résolution en faveur de la paix.
Mes chers collègues, nous sommes toutes et tous les représentants de la nation. Les tactiques parfois marécageuses, les parallèles infondés comme les élucubrations de mauvaise foi n’ont pas leur place dans des circonstances aussi graves. Ils donnent en effet du crédit à un dictateur et à un régime qui ont pourtant fait de la brutalité et de l’inhumanité une marque de fabrique et sur lesquels ils espèrent fonder leur pérennité. Ils viennent délégitimer l’action de nos armées, le travail de nos services de renseignement mais également celui des ONG qui, sur place, ont permis de faire toute la lumière sur l’atrocité de l’attaque perpétrée par le régime syrien. Le doute qui pourrait ainsi être instillé est dangereux.
Mes chers collègues, nous ne pouvons pas continuer, pour rendre l’horreur supportable, à détourner le regard.
Mme Danièle Obono. Comme au Yémen ?
M. Patrick Hetzel. Pour aider l’Arabie saoudite ?
M. Richard Ferrand. La décision du Président de la République était celle qui s’imposait parce qu’elle fait pièce à une réalité inhumaine. C’est pour cela, monsieur le Premier ministre, que je souhaite affirmer le soutien sans faille du groupe La République en marche à l’opération conduite par nos armées le 14 avril en Syrie. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur plusieurs bancs du groupe MODEM.)
M. le président. La parole est à M. Christian Jacob, pour le groupe Les Républicains.
M. Christian Jacob. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la ministre, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, au nom du groupe Les Républicains, mes pensées reconnaissantes vont évidemment aux soldats français, qui ont accepté leur mission et qui ont répondu à la décision du chef des armées d’engager la France sur le théâtre d’opération syrien. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR, sur plusieurs bancs des groupes LaREM, MODEM, UDI-Agir, sur quelques bancs du groupe NG et parmi les députés non inscrits.)
L’article 35 de notre constitution donne au Président de la République la responsabilité d’engager seul nos armées. Il vient de faire ce choix. Nous ne doutons pas qu’il a pesé lourdement cette décision et qu’il a fondé celle-ci sur la conviction profonde qu’elle servira les intérêts de la France, car c’est en définitive ce qui compte lorsque l’on envoie nos soldats au feu. Il nous revient maintenant à nous, parlementaires, d’en débattre.
Le Président de la République a fait une lecture stricte de l’article 35. C’est son droit. Je souligne néanmoins que rien ne lui interdisait d’organiser un débat avant les frappes – François Mitterrand l’avait fait en 1990 (Murmures sur les bancs du groupe LaREM) – et de permettre au Parlement de voter. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR et sur plusieurs bancs des groupes FI et GDR. - M. Christophe Naegelen applaudit aussi.)
M. Pierre-Henri Dumont. On appelait cela la démocratie, à l’époque !
M. Christian Jacob. Un vote de la représentation nationale donne de la force à une décision du Président de la République qui ne s’appuie pas sur la force du droit international.
J’ai le privilège, triste à bien des égards, de m’exprimer pour la troisième fois devant un premier ministre qui défend la décision d’un président de recourir à la force en Syrie. Vous êtes donc, monsieur le Premier ministre, le troisième, après M. Ayrault et M. Valls, auquel je réponds.
Vous n’avez pas oublié, chers collègues – pour ceux d’entre vous qui étaient là –, le fiasco du débat de septembre 2013 : un président de la République qui décide, déjà à la suite de l’emploi d’armes chimiques, de nous informer que la France va intervenir. Tabou absolu du droit international depuis le protocole de Genève de 1925, comme vous l’avez rappelé, monsieur le Premier ministre, l’utilisation de gaz est un acte barbare, sauvage et inhumain. Hier comme aujourd’hui, c’est l’honneur des grandes démocraties d’être inflexibles. Vous savez ce qu’il advint de cette intervention : lâché par le président Obama et par le parlement britannique, François Hollande a renoncé. Il n’avait d’ailleurs pas vraiment d’autre choix, car, sans mandat des Nations unies, cette intervention était vouée à un échec politique.
Nous connaissons la suite de l’histoire. En deux ans, la situation est devenue incontrôlable. L’État islamique a imposé un califat de la terreur – un califat, ne l’oubliez pas, qui avait imposé le viol, la torture, l’esclavage des femmes ; une barbarie dont ont été victimes les chrétiens d’Orient, les Yézidis, les Kurdes, les populations civiles syriennes (Applaudissements sur les bancs du groupe LR et parmi les députés non inscrits) ; une barbarie, mes chers collègues, qui a frappé douloureusement notre territoire national et emporté tant de nos compatriotes. En septembre 2015, le président Hollande a pris acte de l’échec de la stratégie occidentale. Il a pris acte qu’en Syrie, rien ne se ferait sans la Russie, sans les puissances régionales que sont l’Iran et la Turquie.
La Russie a peut-être beaucoup de défauts, mais convenons qu’elle a permis d’accélérer la chute de Daech. Que serait devenue la poudrière syrienne sans l’intervention des Russes ? (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LR, UDI-Agir et FI, ainsi que parmi les députés non inscrits.) Convenons aussi, et c’est de la realpolitik, que la Russie a des intérêts stratégiques en Syrie, en particulier ses bases militaires, et qu’elle les défend avec constance. Est-il raisonnable, dans ces conditions, de s’interdire, par dogme, de travailler à une solution politique globale pour la Syrie avec la Russie ? Tout le monde sait que rien ne s’est fait depuis 2015 et que rien ne se fera en Syrie sans la Russie,…
M. Pacôme Rupin. Justement !
M. Christian Jacob. …parce qu’elle y est présente et qu’elle y a des bases militaires ; surtout, les Russes, avec les Iraniens et maintenant les Turcs, ont décidé que leurs intérêts stratégiques justifiaient le maintien au pouvoir de Bachar el-Assad.
Quels sont nos intérêts fondamentaux, à nous ? La France les a-t-elle même définis un jour ? Nous aurions pourtant dû être instruits par le cas irakien ! Comme en Irak, l’élimination d’un dictateur ne suffirait pas à poser les fondations d’une démocratie.
M. Jean-Luc Mélenchon. C’est vrai !
M. Christian Jacob. Comme en Irak, on a affaire à une guerre civile. Comme l’Irak, la Syrie est un pays complexe, ethniquement et religieusement. Et pourtant, nous, nous continuons à laisser flous nos véritables objectifs.
J’ai cru comprendre que le départ de Bachar el-Assad n’était plus un objectif central pour la France. Il faudrait nous confirmer que c’est bien le cas, monsieur le Premier ministre. Et si c’est le cas, pourquoi ne travaillons-nous pas à une solution partagée avec la Russie ?
Je garde en mémoire la réaction du président Chirac, lorsque, en 2003, il a refusé que la France ne s’engage dans le bourbier irakien. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR.– Mme Marielle de Sarnez et Mme Marine Le Pen applaudissent aussi.) « S’affranchir de la légitimité des Nations unies, privilégier la force sur le droit, ce serait prendre une lourde responsabilité » : tels avaient été ses mots. Nous pensons, plus que jamais, qu’il avait raison, car c’est une ligne constante de la diplomatie française. Il avait raison, car un membre permanent du Conseil de sécurité doit respecter le droit international. Que dirons-nous quand d’autres interviendront sans mandat de l’ONU ?
Plusieurs députés du groupe LaREM. Et alors ? Fallait-il ne rien faire ?
M. Richard Ferrand. Quid de la résolution 2118 ?
M. Christian Jacob. Nous considérons que le respect du droit international, dans la durée, renforce la voix de la France. En nous alignant sur les positions américaines, nous renonçons à une forme de singularité de la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR, sur plusieurs bancs des groupes FI et GDR, sur certains bancs du groupe UDI-Agir, ainsi que parmi les députés non inscrits.)
Après cinq années de tâtonnements, d’errements parfois, je crains que la France n’ait choisi, à nouveau, l’isolement au Levant ; un isolement qui l’empêchera de peser sur le cours des choses. Vous avez annoncé des initiatives politiques et diplomatiques, mais nous n’avons pas été rassurés – ni par les mots du Président de la République ni par les vôtres, monsieur le Premier ministre. Nous n’avons pas compris, en vérité, premièrement, si la Russie et les puissances régionales étaient des interlocuteurs crédibles et souhaités par la France, deuxièmement, si Bachar el-Assad était aux yeux de la France un acteur du règlement global. Nous pensons quant à nous qu’il est temps de dire aux Français ce que nous cherchons en Syrie et quels sont nos objectifs – si nous en avons. Faute de quoi, les frappes aériennes de samedi n’auraient été que la manifestation d’une forme d’impuissance sur le fond.
Certains médias et lui-même peuvent être tentés d’accréditer que le Président Macron est, dans cette affaire, un chef de guerre, mais ce n’est pas le cas ; il est le chef de l’État, le chef des armées, qui doit agir, d’abord, et même seulement, pour défendre les intérêts vitaux et stratégiques de la nation française.
M. Sylvain Maillard. C’est ce qu’il fait !
M. Christian Jacob. Nous lui recommandons de placer son action dans le long cours de la diplomatie française. La représentation nationale, elle aussi, est dépositaire de cet héritage. Elle a son mot à dire. Je le dis une fois encore : rien n’interdisait un vote du Parlement.
En décidant seul d’une intervention sans mandat des Nations unies, le Président de la République a franchi une ligne. Nous le regrettons. Nous le regrettons, parce que c’est ce que les chefs de l’État qui se sont succédé avaient bâti de plus précieux pour garantir l’indépendance de la France.
M. Jean-Luc Mélenchon. Très bien !
M. Christian Jacob. À chaque fois que la France a pesé, a fait entendre sa voix, comme en Irak en 2003, elle a été fidèle à sa mission, elle a été plus forte, elle a été respectée. Ce que nous attendons du Président de la République, c’est une vision diplomatique et militaire claire, une expression d’indépendance pour notre pays.
M. Bastien Lachaud. Exactement !
M. Christian Jacob. Monsieur le Premier ministre, je vous ai interrogé, hier, à Matignon, sur les renseignements qui ont justifié les frappes. Je vous ai demandé si ces renseignements provenaient de nos propres services. Vous m’avez répondu par l’affirmative. J’en ai pris acte. Il s’agit pour nous d’une question essentielle. C’est au prix de la transparence, de la confiance entre le Gouvernement et son opposition, que nous pourrons soutenir les initiatives de la France après des frappes qui sont, certes, une réussite opérationnelle, mais dont rien ne dit à cette heure qu’elles sont une réussite politique, ni qu’elles permettront de progresser dans la voie d’une solution en Syrie.
Je dois à la vérité de dire, après vous avoir écouté hier et aujourd’hui, que l’utilité des frappes françaises en Syrie reste à démontrer. Nous craignons qu’en intervenant sans mandat, la France se soit isolée encore un peu plus dans cette région du monde, où, pourtant, les liens dont elle dispose auraient dû lui permettre de jouer un rôle à la mesure de son histoire. C’est pour nous, monsieur le Premier ministre, une occasion manquée. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR, sur plusieurs bancs des groupes FI et GDR, sur quelques bancs du groupe UDI-Agir, ainsi que parmi les députés non inscrits.)
M. le président. La parole est à M. Marc Fesneau, pour le groupe du Mouvement démocrate et apparentés.
M. Marc Fesneau. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la ministre, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, d’abord les faits : la France et ses alliés ont rassemblé les preuves confirmant l’utilisation par le régime syrien d’armes chimiques à Douma, le 7 avril dernier. En conséquence, la France a décidé de conduire, avec le Royaume-Uni et les États-Unis, une opération militaire visant à détruire plusieurs sites directement liés au programme d’armes chimiques du régime de Damas. C’est dans ces conditions que les forces françaises ont été engagées dans la nuit de vendredi à samedi dernier.
Je tiens à rendre hommage ici à nos forces armées, qui ont, une fois encore, fait preuve de leur efficacité et de leur professionnalisme. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes MODEM, LaREM, LR, NG, UDI-Agir.)
Voilà pour les faits. Il était du devoir de la France d’agir. En effet, les preuves rassemblées par nos services pointent directement la responsabilité du régime syrien et viennent alimenter le dossier déjà bien lourd de l’usage des armes chimiques par ce dernier. On le sait, nombreuses ont été les attaques depuis le terrible massacre de la Ghouta du 21 août 2013 – il suffit de rappeler l’attaque au gaz sarin du 4 avril 2017 sur Khan Cheikhoun, qui a tué plus de quatre-vingts personnes –, et cela jusqu’à celle du 7 avril dernier ; tous, nous avons vu les photos insoutenables des victimes, photos qui témoignent de cette barbarie.
Ces attaques sont des violations inacceptables et continues du droit international, qui appellent une réponse très ferme. Certains posent la question de l’intérêt d’une telle action. Pour notre part, nous sommes de ceux qui pensent qu’après cinq ans de négociations, d’actions diplomatiques infructueuses, de signatures de conventions et de promesses non tenues, franchir une fois encore la ligne rouge de l’utilisation de l’arme chimique nécessitait que nous prenions, cette fois-ci – j’allais dire : enfin ! –, nos responsabilités. (Applaudissements sur les bancs du groupe MODEM et sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)
Le droit international nous autorise à une telle action : à l’évidence, le régime syrien n’a pas respecté la Convention sur l’interdiction des armes chimiques qu’il a pourtant ratifiée en 2013, ni la résolution 2118 du Conseil de sécurité de l’ONU, résolution que vient de rappeler le Premier ministre et qui prévoit, en cas de violation, des sanctions pouvant aller jusqu’à l’usage de la force. Je crois que ce texte, qui fut adopté à l’unanimité, a la vertu d’être clair. Tout cela nous faisait obligation d’agir. Le régime syrien le savait et il s’est exposé en conscience à une réaction de la communauté internationale. C’est le lot de cette dernière que d’être régulièrement testée par ceux qui entendent se soustraire aux règles communes que nous nous sommes fixées.
Certains ont accusé la France et ses alliés d’être intervenus avant même qu’une enquête indépendante ne soit conduite sur place pour confirmer la réalité et, le cas échéant, la provenance des attaques, mais c’est oublier que la Russie s’est opposée en 2017 au renouvellement du mécanisme d’enquête conjoint de l’ONU et de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques, ainsi que, mardi dernier, au projet de résolution, proposé par les États-Unis et soutenu par la France, visant à créer un instrument d’enquête. C’est encore ce qui s’est passé aujourd’hui, avec le refus de l’accès d’inspecteurs au site de Douma.
Face à ce blocage, la France et ses alliés ont pris leurs responsabilités, avec toute la légitimité requise. Nous l’avons fait dans la continuité de la parole de la France depuis 2013, et alors même que le Président de la République avait clairement fixé les limites lors de sa rencontre avec Vladimir Poutine à Versailles, en mai dernier. Notre partenaire russe ne peut pas être surpris de la volonté de la France de faire respecter les engagements de chacun.
Le Gouvernement français, depuis le début de la crise syrienne, a toujours été très clair sur son opposition catégorique à l’usage de ces armes en Syrie et ailleurs, comme sur la nécessité de punir ceux qui y recourent.
À l’été 2013, la France était déjà à l’initiative, et l’on peut regretter, au regard des faits actuels, que l’accord passé à l’époque entre les États-Unis et la Russie pour démanteler l’arsenal chimique syrien n’ait pas atteint son but. Quand des engagements sont pris, il faut les faire respecter, sous peine d’encourager le désordre mondial et de laisser les acteurs du conflit agir impunément sans craindre de réaction.
C’est là tout le sens des représailles engagées dans la nuit de vendredi à samedi, et nous faisons crédit au Président de la République d’avoir tenu parole avec courage. Sur le plan opérationnel, nous avons démontré de manière autonome notre capacité d’action. Notre armée a prouvé une nouvelle fois, ce week-end, sa capacité à se projeter vers des cibles définies par notre gouvernement. Elle ne s’est laissée entraîner dans aucun engrenage parce qu’elle a agi de façon précise et proportionnée. La France et ses alliés ont pris le temps nécessaire pour identifier et cibler les sites directement liés au programme syrien d’armes chimiques et s’assurer que les dommages collatéraux soient les plus limités possible.
Fondamentalement, la stratégie française quant à la résolution du conflit syrien ne doit pas changer. Nous devons d’abord réaffirmer l’urgence d’un cessez-le-feu et d’une action humanitaire. En sept ans, ce conflit a en effet causé plus de 350 000 morts, dont bon nombre de civils, plus de 6 millions de déplacés internes et près de 5 millions et demi de réfugiés. Il est plus que temps que cela cesse ! Il est temps que nous rendions un espoir à la population syrienne, qui souffre chaque jour des assauts les plus brutaux, qu’ils soient chimiques ou conventionnels, du régime et d’autres belligérants.
Nous devons réaffirmer, en même temps, que la solution au conflit est politique et qu’elle passe par un vrai compromis entre toutes les parties au conflit, sans exclusive. Cette solution politique est une nécessité absolue à double titre : pour la lutte contre le terrorisme, qui reste la priorité absolue, et pour l’avenir du peuple syrien.
La France doit continuer à prendre l’initiative, comme elle l’a fait ces derniers mois, et faire travailler ensemble les États-Unis, la Grande-Bretagne, la Russie, l’Iran et la Turquie, qui soutiennent chacun des acteurs locaux. Il est impératif de maintenir des canaux de discussion avec tous ces États. À ce titre, nous saluons la volonté du Président de la République de réunir tous les acteurs impliqués dans la région autour de la table ainsi que l’initiative prise à l’ONU aujourd’hui. C’est l’honneur et le devoir de la France, dans un paysage où s’enchevêtrent toujours plus les intérêts des puissances du monde, de ne jamais rompre le dialogue afin de gagner la paix. Nous devions porter une voix forte et ferme pour faire respecter une certaine idée de l’humanité. La France, par cette action, l’a fait.
Nous assumons pleinement la décision prise il y a quelques jours par le Président de la République et soutenons l’idée de tout mettre en œuvre pour créer les conditions d’une résolution politique et diplomatique de ce conflit. En Syrie comme ailleurs, nous devons invariablement nous préoccuper de faire valoir le respect des engagements internationaux, faire primer la sécurité collective et sauvegarder le dialogue.
Rester sans agir, c’était se condamner à être les spectateurs passifs d’actes barbares et, d’une certaine façon, les légitimer. Mes chers collègues, nul acteur démocratique ne peut ainsi laisser bafouer le droit international et le plus élémentaire respect des populations civiles. Nulle force démocratique ne peut rester soumise à la bonne volonté d’un dictateur qui a constamment trahi la parole donnée.
Depuis 2011, l’escalade de l’horreur n’a fait qu’empirer et les actes barbares se sont multipliés. Parce que nous sommes une puissance forte, membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, et une diplomatie écoutée qui a toujours su faire entendre une voix singulière, nous devions agir, en imposant le droit le plus élémentaire par la force si besoin et en dialoguant sans relâche avec les acteurs de ce conflit pour rechercher les voies de la paix. Voilà quelles sont la feuille de route et la vocation de la France. Et voilà pourquoi le groupe MODEM et apparentés soutient pleinement le Président de la République et le Gouvernement dans leur action. (Applaudissements sur les bancs des groupes MODEM et LaREM, ainsi que sur quelques bancs du groupe UDI-Agir.)
M. le président. La parole est à M. Franck Riester, pour le groupe UDI, Agir et indépendants.
M. Franck Riester. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la ministre, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, dans la nuit de vendredi à samedi, la France a pris ses responsabilités en participant en Syrie, aux côtés de ses alliés américains et britanniques, à une intervention contre l’arsenal chimique du régime criminel de Bachar el-Assad.
Je tenais tout d’abord à vous remercier, monsieur le Premier ministre, d’avoir respecté la représentation nationale en tenant le Parlement informé tout au long de cette séquence, notamment en nous réunissant hier à Matignon et en organisant, avec le président de l’Assemblée nationale, le débat de cet après-midi. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et UDI-Agir.)
Mme Sarah El Haïry. Très bien !
M. Franck Riester. Par ailleurs, je veux rappeler qu’en Syrie, la guerre a déjà fait près de 400 000 morts et 12 millions de déplacés, dans une zone transformée en une vaste « salle de torture », comme le dénonce la commission d’enquête de l’ONU en Syrie.
Car nous ne pouvons feindre de l’ignorer : les règles du droit international ont été bafouées dans ce pays. Une nouvelle fois, des armes chimiques ont été utilisées. Ne rien faire aurait été un aveu d’impuissance, un renoncement ;…
M. Richard Ferrand. Très bien !
M. Franck Riester. …ne rien faire aurait été admettre que les traités qui protègent les peuples peuvent être piétinés sans conséquence ; ne rien faire aurait été indigne de l’attachement de la France au respect des droits de l’homme.
M. Sylvain Maillard. Eh oui !
M. Franck Riester. Alors oui, il fallait agir. Mais il fallait d’abord s’assurer, comme votre gouvernement l’a fait, monsieur le Premier ministre, que certaines conditions étaient bien satisfaites.
Mme Valérie Boyer. Et les Kurdes ? Et Benghazi ?
M. Franck Riester. Tout d’abord, il fallait confirmer que des attaques avec des armes chimiques, entraînant des morts, par les forces armées du régime de Bachar el-Assad, avaient bien été menées sur le quartier de Douma le 7 avril 2018 en fin d’après-midi. Cette confirmation, les services français vous l’ont apportée, sans aucun doute possible, et elle a été appuyée par les ONG actives sur le terrain, lesquelles ont dénoncé des frappes ayant causé la mort de plusieurs dizaines de personnes par des agents chimiques. Je me permets d’ajouter que ces victimes d’attaques chimiques sont malheureusement loin d’être les premières. Les témoignages concordent. L’Union des organisations de secours et soins médicaux fait ainsi état de près de 187 attaques chimiques et de plus de 15 000 victimes depuis le début du conflit.
Je le dis à ceux qui critiquent aujourd’hui l’intervention, de l’extrême gauche à l’extrême droite en passant par Les Républicains (Exclamations sur les bancs du groupe LR) : fermer les yeux une nouvelle fois aurait été se condamner à l’inaction, avec de lourdes conséquences pour les populations de la région et pour le poids de la France dans le monde. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI-Agir, LaREM et MODEM.)
M. Pierre Cordier. Suiveur !
M. Franck Riester. La communauté internationale ne pouvait rester passive face à des crimes d’une telle ampleur. D’autre part, cette intervention s’inscrit dans la démarche de lutte contre l’emploi des armes chimiques menée par la communauté internationale.
Je tiens à rappeler que notre pays a toujours participé activement à l’élaboration des conventions mondiales d’interdiction d’utilisation des armes chimiques, et qu’il est un gardien diligent des traités de non-prolifération des armes de destruction massive. C’est d’ailleurs à Paris, mes chers collègues, que fut signée en 1993 la convention qui, issue du traité international de désarmement, interdit la mise au point, la fabrication, le stockage et l’usage des armes chimiques.
Vingt ans après, la résolution 2118 adoptée par le Conseil de sécurité de l’ONU impose quant à elle, aux termes de son article 21, que la Syrie s’engage à démanteler intégralement son arsenal chimique, sous peine d’un recours à des mesures militaires. Cette résolution a été adoptée à l’unanimité. Pourtant, la Russie utilise invariablement son droit de veto contre tout projet d’intervention visant à la faire respecter.
L’hypocrisie d’une telle attitude ne devait pas nous détourner d’une action légitime face à la responsabilité de protéger les peuples qui incombe à la communauté internationale lorsqu’elle fait face à des violations qui, pour citer Kofi Annan, « vont à l’encontre de tous les principes sur lesquels est fondée notre condition d’être humain ».
Samedi, au Conseil de sécurité de l’ONU, la Russie a d’ailleurs échoué à faire adopter un projet de résolution condamnant les frappes en Syrie, puisque seuls trois membres sur quinze ont voté ce texte (Exclamations sur les bancs du groupe FI), ce qui montre le large soutien de la communauté internationale à cette opération menée conjointement avec nos alliés membres permanents de ce conseil.
M. Fabien Di Filippo. Vous regardez trop la télé !
M. Franck Riester. La troisième condition à nos yeux, c’était que nos frappes fussent circonscrites aux capacités de production et de stockage des armes chimiques. Cela a bien été le cas, puisque l’intervention a visé le principal centre de recherche et deux centres de production du programme clandestin chimique du régime de Bachar el-Assad. Les douze missiles tirés par la France ont tous atteint leur objectif, et nous pouvons nous en féliciter.
Enfin, il fallait prévenir le risque d’escalade militaire, bien réel dans la région. Ainsi, la Russie a bien été prévenue du lancement de l’opération, notamment via le canal de déconflixion, ce mécanisme mis en place entre les commandements des armées qui interviennent en Syrie afin d’éviter tout incident. Le respect de ces conditions légitime l’intervention de la France, et le groupe UDI, Agir et indépendants soutient la décision du Président de la République. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI-Agir et LaREM, ainsi que sur quelques bancs du groupe MODEM.)
Je tiens à saluer, dans cet hémicycle, le professionnalisme de nos forces armées. La France peut s’honorer d’être capable de participer à une opération d’une telle précision sans déplorer de victimes. Franchir la ligne rouge de l’utilisation d’armes chimiques, mes chers collègues, ne se fera plus sans conséquences. À n’en pas douter, une telle action renforce le crédit de la parole de la France.
Pour autant, nous devons être conscients que ces frappes, aussi utiles qu’elles aient été en matière de symbole de fermeté et de détermination dans notre combat pour le respect des droits humains, ne nous dispensent en rien d’une réflexion plus globale sur la résolution du conflit syrien lui-même. Nous faisons toute confiance à notre diplomatie pour y contribuer pleinement. Nous sommes convaincus que la solution, en dehors des questions de personnes, doit appartenir au peuple syrien lui-même, à travers des élections libres et démocratiques qui permettront de désigner des dirigeants légitimes et une représentation de l’ensemble des composantes du conflit.
Mme Maud Petit. Très bien !
M. Franck Riester. En effet, seule une juste représentation de toutes les minorités syriennes permettra une paix durable et la reconstruction pacifique du pays.
Mais pour cela, il convient d’abord de vaincre définitivement Daech, dont l’émergence a été un élément perturbateur supplémentaire de la situation en Syrie. La victoire contre Daech doit rester la priorité numéro un de la France au Levant. Je tiens d’ailleurs à alerter la représentation nationale sur la situation humanitaire de nos alliés kurdes, qu’il est primordial de soutenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-Agir et sur plusieurs bancs des groupes LaREM et FI.)
M. Pierre Cordier. Comme si nous ne le savions pas !
M. Franck Riester. Une fois cette victoire acquise, notre pays devra assumer son rôle, au sein de l’Europe, pour œuvrer à la fin de la guerre civile. Cet exercice imposera un dialogue franc avec toutes les puissances qui se retrouvent directement ou indirectement engagées dans le conflit syrien : la Russie, la Turquie, l’Iran et les États-Unis notamment. Nous devons toutefois être conscients qu’il n’y aura pas de solution durable si celle-ci menace à terme la sécurité des voisins de la Syrie : j’insiste tout particulièrement sur ce point.
Nous sommes également convaincus que la restauration de relations de confiance avec la Russie et la Turquie, qui ont un rôle clé dans le conflit, imposera à l’Europe de proposer à ces deux grandes nations, situées dans son environnement immédiat, une nouvelle forme de partenariat. En effet, s’il est compréhensible que la Russie souhaite maintenir les conditions de la sécurisation de ses voies commerciales en Méditerranée et que la Turquie souhaite éviter une déstabilisation de son unité nationale, il est de notre devoir, pour la stabilité même de l’Europe, d’empêcher ces deux grands États de s’enfermer dans une logique nationaliste et impérialiste.
De même qu’il n’y aura pas de paix durable en Syrie sans la Russie et sans la Turquie, il n’y aura pas de stabilité durable, pour l’Europe, sans la recherche d’une relation nouvelle avec nos voisins proches, sur la base d’un projet capable de transcender les peuples et de détourner les États des tensions qui nous divisent. À l’heure où nous avons plus que jamais besoin de construire la paix en Syrie et de la maintenir chez nous, il nous faudra retrouver le courage et l’esprit des pères fondateurs de l’Europe, ceux-là mêmes qui permirent à notre continent de vivre la période de paix la plus longue depuis deux millénaires. Il n’y a jamais de paix sans courage. Puisse leur exemple nous inspirer. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI-Agir et LaREM, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe MODEM.)
M. le président. La parole est à Mme Valérie Rabault, pour le groupe Nouvelle Gauche.
Mme Valérie Rabault. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la ministre, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, samedi, à deux heures du matin, heure française, la France, avec les États-Unis et le Royaume-Uni, a opéré, sur le sol syrien, des frappes visant des installations identifiées comme des usines de fabrication d’armes chimiques. Samedi, à deux heures du matin, heure française, notre armée, avec son aviation et ses navires, a été engagée par le Président de la République, menant des frappes ciblées sur un sol étranger, à plus de 3 000 kilomètres de nos frontières.
Je souhaite ici saluer son professionnalisme et son efficacité, ainsi que le courage de l’ensemble des soldats qui ont été mobilisés pour cette opération. (Applaudissements sur les bancs des groupes NG, LaREM, MODEM, UDI-Agir et LR.)
Samedi à deux heures du matin, heure française, la France, avec deux États membres permanents du Conseil de sécurité, est intervenue en Syrie au nom du respect de la résolution 2118 des Nations unies, dont l’article 21 prévoit la possibilité d’une riposte militaire en cas d’utilisation d’armes chimiques. Mais samedi à deux heures du matin, heure française, la France, pour la première fois de son histoire contemporaine, a mené des opérations militaires, hors de ses frontières, sans mandat explicite de l’Organisation des Nations unies. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LR.)
Monsieur le Premier ministre, nous comprenons la philosophie de la démarche décidée par le Président de la République. Nous sommes ici, toutes et tous, les héritiers des Lumières, défenseurs ardents d’un concept né en France il y a plus de deux cents ans : l’universalité des droits humains.
M. Richard Ferrand. C’est incroyable !
Mme Valérie Rabault. Depuis 1945, ce principe d’universalité est au cœur du fondement de notre ordre mondial. Ainsi, René Cassin, père de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 évoquait ce « monument du droit des gens, protecteur des hommes de tous lieux, de tous territoires, de toutes confessions, sans préoccupation de connaître le régime des États ou des autres groupes humains dans lesquels ils vivent ».
Monsieur le Premier ministre, l’universalité des droits humains n’a de force que parce qu’elle est régie et protégée par un cadre juridique international. Créer une brèche, si petite soit-elle, dans ce cadre juridique peut faire courir le risque de fragiliser l’universalité de tous ces droits.
M. Patrick Hetzel. Évidemment !
Mme Valérie Rabault. Or, samedi dernier, la France et ses alliés ont créé une brèche. Certes, c’est au nom du respect de la résolution 2118 des Nations unies, qui vise à protéger la population civile syrienne des attaques chimiques, donc du respect des droits humains, que le Président de la République a fait intervenir l’armée française en Syrie.
M. Manuel Valls. C’est incroyable !
Mme Valérie Rabault. En procédant ainsi, il a souhaité faire respecter le droit international, mais il l’a fait en dehors du cadre prévu par ce même droit.
M. Richard Ferrand. Mais non, enfin !
Mme Valérie Rabault. En tant que représentants de la nation, donc garants de sa protection physique et juridique au regard des règles internationales, vous comprendrez que votre position nous interroge, puisque, de fait et contrairement à ce que vous avez pu indiquer, vous avez placé la France en dehors du cadre légal international. (« C’est faux ! » sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)
M. Sylvain Maillard. Vous venez de dire le contraire !
Mme Valérie Rabault. Pour autant, chers collègues de la majorité, nous ne pouvons que vous rejoindre lorsqu’il s’agit d’œuvrer au respect légitime des résolutions du Conseil de sécurité, votées pour préserver les droits humains.
M. Claude Goasguen. Oui, évidemment !
Mme Valérie Rabault. Si nous nous retrouvons aujourd’hui dans cette situation particulière où, pour faire appliquer une résolution des Nations unies, la France se place en dehors du cadre de celles-ci, c’est principalement du fait du droit de veto accordé à cinq États membres.
En matière humanitaire, ce droit de veto, qui a conduit à de nombreux blocages, est indirectement responsable de milliers de morts, qui auraient pu être évitées si la communauté internationale avait réagi. Aussi, monsieur le Premier ministre, le groupe Nouvelle Gauche au nom duquel je m’exprime devant vous, vous demande de prendre une initiative auprès des Nations unies pour faire évoluer ce droit de veto.
M. Manuel Valls. Il ne manquerait plus que ça !
Mme Valérie Rabault. Déjà, en octobre 2013, Laurent Fabius, alors ministre des affaires étrangères, avait formulé une perspective équivalente :…
M. Richard Ferrand. Nostalgie !
Mme Valérie Rabault. …« Il s’agit pour les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de procéder à un encadrement volontaire par eux-mêmes du droit de veto. Cette évolution s’opérerait sans modification de la Charte et par un engagement mutuel des membres permanents. Concrètement, lorsque le Conseil de sécurité aurait à se prononcer sur une situation de crime de masse – et c’est le cas –, les membres permanents s’engageraient à renoncer à leur droit de veto ».
Monsieur le Premier ministre, sortir de l’impasse juridique dans laquelle nous enferme le droit de veto en matière internationale, suppose de soutenir cette proposition. Nous vous le demandons très solennellement.
Sans ce veto, qui a été utilisé par la Russie, la France aurait eu l’autorisation formelle d’intervenir pour faire respecter la résolution 2118.
Monsieur le Premier ministre, la France a agi à la fois pour le droit international et en dehors de celui-ci. Elle a aussi agi – j’insiste sur ce point – sans ses partenaires de l’Union européenne.
Aussi, permettez-moi de vous interroger : avez-vous, ou non, sollicité nos partenaires de l’Union européenne pour participer aux frappes sur les usines d’armes chimiques en Syrie ? Si la réponse est positive, confirmez-vous que tous les pays que vous avez contactés ont refusé de participer à l’opération que la France et ses alliés ont menée ? Si la réponse est négative, pourquoi avez-vous estimé préférable de ne pas associer nos partenaires européens, alors même que le Président de la République, lors de son discours de la Sorbonne, appelait à « une doctrine commune pour agir » et, plus encore, à « une culture stratégique commune » ?
Mme Danièle Obono. C’était il y a longtemps !
Mme Valérie Rabault. Nous, députés socialistes et apparentés, considérons que la stratégie internationale de la France devrait s’appuyer sur une coopération européenne renforcée, qui représente le seul positionnement susceptible de réaffirmer notre souveraineté dans le contexte international que nous connaissons. Oui, notre souveraineté passe par l’Europe !
L’échiquier géopolitique se redistribue avec, d’un côté, à l’est, la Russie, qui œuvre à renforcer ses positions au Proche et au Moyen-Orient ainsi que dans les Balkans, et de l’autre, à l’ouest, un partenaire américain dont l’imprévisibilité peut interpeller. Cette évolution à l’est et à l’ouest risque de facto de conduire l’Europe à devenir spectatrice de son propre destin, ce qui est en contradiction totale avec l’œuvre de construction européenne menée depuis soixante ans. Elle conduit aussi, inéluctablement, à asseoir les populismes en tous genres.
Être maîtresse de son destin politique signifie pour l’Europe organiser une défense européenne commune et un positionnement commun face aux évolutions géostratégiques du monde.
M. Claude Goasguen. Certes !
Mme Valérie Rabault. Dans cette perspective, le groupe Nouvelle Gauche observe que d’autres pays font des propositions pour tenter de lever le blocage institutionnel qui, sur certaines décisions, et notamment en matière de politique étrangère, condamne l’Europe au surplace.
Ainsi, le ministre social-démocrate des affaires étrangères allemand, Heiko Maas, avance l’utilisation de la clause dite « passerelle », incluse dans le traité de Lisbonne, qui permet d’étendre la majorité qualifiée à l’ensemble du processus décisionnel en matière de politique étrangère, à condition qu’elle soit soutenue par une majorité des députés européens, et adoptée à l’unanimité des dirigeants de l’Union européenne.
Monsieur le Premier ministre, que répondez-vous à cette proposition, pour que l’Europe retrouve sur la scène internationale la voix qu’elle a perdue ?
M. Manuel Valls. Rien ! (Sourires.)
Mme Valérie Rabault. Enfin, ces frappes reposent la question de la stratégie de la France en Syrie.
En 2015, l’actuel ministre des affaires étrangères, alors ministre de la défense, a publié un livre au titre évocateur, Qui est l’ennemi ?,…
M. Richard Ferrand. Très bonne lecture !
M. Luc Carvounas. Écoutez Mme Rabault !
Mme Valérie Rabault. …rappelant la nécessité d’être en mesure de répondre à cette question préalablement à la construction de toute stratégie.
Aussi, monsieur le Premier ministre, je vous pose aujourd’hui la même question : en Syrie, qui, à cet instant, est l’ennemi contre lequel la France se bat ? S’agit-il de Bachar el-Assad ?
Face à l’impasse des pourparlers de paix de Genève 2, comment la France, avec l’Europe, compte-t-elle réinitier un processus de discussion, en associant la Russie, la Turquie et l’Iran ? L’application des résolutions 2254 de 2015 et 2401 de 2018, déjà agréées, peut-elle être un jour effective ?
Sans ce processus de discussion entre tous les partenaires, il n’y aura pas de paix en Syrie. Il n’y aura pas de paix en Syrie, et il y aura sans doute des fractures grandissantes au sein de l’OTAN.
En conclusion, éviter la situation de samedi où la France agit à la fois pour le droit international et en dehors de celui-ci suppose de mener de front deux chantiers : celui de la réforme du droit de veto des cinq membres permanents en matière humanitaire et celui de la défense européenne.
Monsieur le Premier ministre, vous aurez notre soutien pour mener ces chantiers. À vous de nous dire, si vous acceptez le défi de les porter. (Applaudissements sur les bancs du groupe NG.)
M. Jean-Louis Bourlanges. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon, pour le groupe La France insoumise.
M. Jean-Luc Mélenchon. À cette heure, la France, partie prenante d’une intervention militaire que le monde entier observe, est sans doute aussi observée alors qu’elle délibère. Le monde verra que l’Assemblée nationale française est partagée entre ceux qui ont des raisons, qu’ils défendent et argumentent, d’approuver cette action, et ceux qui, comme nous, l’opposition populaire, y sont hostiles.
M. Erwan Balanant. L’opposition populaire !
M. Jean-Luc Mélenchon. Cette discussion ne nous affaiblit pas. Elle nous montre pour ce que nous sommes : une démocratie et la matrice de toutes les républiques de l’ère moderne. Mais quelle que soit la nature des raisons qui nous opposent, il faut que chacun entende, sur la terre entière, la position commune des Français, d’un bout à l’autre de cet hémicycle. Toutes opinions confondues, les Français disent que ceux qui ont recours aux armes chimiques doivent être châtiés. (Applaudissements sur les bancs du groupe FI et sur quelques bancs du groupe LaREM.)
M. Jean-Paul Lecoq. Bravo !
M. Erwan Balanant. Pas trop tôt !
M. Jean-Luc Mélenchon. Le recours aux armes chimiques est proscrit. Nous, Français, avons des raisons particulières d’insister sur ce point. D’abord, parce que notre nation a été martyrisée, mais ensuite parce que c’est à Paris, et à notre initiative, qu’a été adoptée la convention sur l’interdiction des armes chimiques, en 1993.
M. Claude Goasguen. Très bien !
M. Jean-Luc Mélenchon. Il faut rappeler qu’à cette occasion, hélas ! nous n’avions pu obtenir que les puissants signent l’accord que proposaient les Français, qui portait aussi sur l’interdiction des armes bactériologiques. Faisons le vœu que nous n’ayons jamais à le reprocher à ceux qui, à ce moment, ont refusé de signer.
Partant de cela, je veux dire comment nous voyons ce qui s’est passé. Nous sommes intervenus militairement dans le pire nid de frelons de la planète,…
Un député du groupe LR. On a bien fait !
M. Jean-Luc Mélenchon. …nid d’autant plus agité que s’y trouvent 42 % des réserves de gaz de l’univers, et 47 % de celles de pétrole, ce qui donne à chacun de puissantes raisons d’agir et de se sentir concerné. (Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.)
Nous ne pourrons nous contenter de dire que seule la morale guide nos pas car, alors, on s’étonnera que celle-ci ne nous ait pas conduits à secourir les malheureux Rohingyas, dont chacun sait qu’ils sont persécutés, ou, sur le même territoire, les malheureux Kurdes, dont chacun sait également qu’ils sont abandonnés.
M. André Chassaigne. Oui !
Mme Danièle Obono. Exactement !
M. Jean-Luc Mélenchon. De même, nous ne pourrons pas non plus faire croire qu’en bombardant, nous sommes uniquement mus par le désir de faire respecter les résolutions de l’ONU, sinon, nous en ferions de même pour celles qui concernent la Palestine ou Cuba. (Applaudissements sur les bancs des groupes FI et GDR. – Exclamations sur plusieurs bancs.)
M. Meyer Habib. Et voilà !
M. Jean-Luc Mélenchon. Vous pouvez crier, chers collègues. Je ne polémique pas, j’argumente.
C’est dans ce contexte, où la morale et le suivi des résolutions de l’ONU ne trouvent pas aussi complètement que vous le pensez leur compte, que nous sommes intervenus. Sans preuves. (Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.)
M. Richard Ferrand. Mensonge !
M. Sylvain Maillard. Mais si !
M. Jean-Luc Mélenchon. Je ne dis pas sans certitude ni sans conviction. Je ne dis pas que nos services ne sont pas capables d’évaluer précisément ce qu’il en est. Mais, dans le droit international et dans l’action internationale, on ne peut agir que sur la base de preuves affirmées par les organismes qui en sont responsables.
Or ceux-ci étaient en train de faire leur enquête au moment où sont intervenus les bombardements : la branche particulière de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques, préposée à la tâche d’établir si de telles armes ont été utilisées, était en effet en train de faire son enquête lorsque nous avons agi.
Ensuite, nous avons agi sans mandat de l’ONU. C’est sans doute, pour la France, le coup le plus important porté à sa diplomatie.
J’ajoute que, non seulement nous n’avions aucun mandat de l’ONU, mais encore, nous n’avons tenu aucun compte des organisations régionales concernées, au moins autant que les Occidentaux, par la situation en Syrie.
M. Richard Ferrand et plusieurs députés du groupe LR. C’est faux !
M. Jean-Luc Mélenchon. Frapper la veille de la réunion de la Ligue arabe, sans tenir aucun compte de ce qui pourrait s’y dire ; ne tenir aucun compte de l’Organisation de l’unité africaine qui, depuis s’est exprimée, c’est continuer la vieille méthode des puissances impériales, qui ne tiennent pas compte des peuples, au nom desquels elles prétendent agir. (Applaudissements sur les bancs des groupes FI et GDR. – Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.)
Je vous le dis avec regret, car je préférerais ne pas avoir à vous le dire compte tenu de l’idée que je me fais de ma patrie, nous sommes intervenus sans aucun allié de l’Union européenne, ce qui montre assez quelle fumisterie est l’idée d’une défense et d’une armée communes.
M. Sylvain Maillard. Et les Anglais ?
M. Jean-Luc Mélenchon. Nous sommes intervenus sans objectif politique précis – la suite nous l’a montré. (Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.)
Chers collègues, je sais que l’on compte le temps, mais écoutez-moi !
Nous avons tous écouté le Président de la République, dimanche soir. Nous l’avons entendu dire qu’il s’était retenu de participer à la réunion d’Astana. Que voulons-nous ? Le succès du trio d’Astana, qui réunit la Turquie, la Russie et l’Iran, pour ne citer qu’eux ? Voulons-nous qu’il parvienne à ses fins ? Ou préférons-nous soutenir le processus de Genève, qui n’avance pas ? Ou misons-nous sur une autre organisation internationale, dont nous proposons qu’elle se réunisse ? Nous ne le savons pas.
Quel est donc l’objectif précis, à part, naturellement, la volonté de retrouver la paix, l’amitié, la concorde et l’amour, qui nous meut tous avec la même énergie ? Que voulons-nous ?
Enfin, nous sommes intervenus sans objectif militaire probant.
Mme Amélie de Montchalin. Si ! La destruction des actes chimiques !
M. Jean-Luc Mélenchon. Monsieur le Premier ministre, je veux saluer votre comportement à l’égard des parlementaires, en tout cas à l’égard de mon groupe : vous m’avez prévenu que vous organiseriez une réunion dimanche, et nous avons pu échanger avec le souci des responsabilités que nous exerçons, vous de manière très éminente, moi comme président de groupe. Je ne vous ai posé qu’une seule question, que je m’autorise à répéter devant l’Assemblée nationale : quels risques courions-nous, et quelles mesures avions-nous prises pour éviter l’escalade ? C’est la seule chose qui compte, quand vous frappez, de savoir jusqu’où vous devrez encore frapper. Là, j’ai dit qu’il s’agissait du pire nid de frelons.
Monsieur le Premier ministre, vous m’avez dit, comme chacun a pu le vérifier ensuite, que toutes les dispositions avaient été prises pour éviter cette escalade, c’est-à-dire que nous avons respecté les codes de déconfliction sur la zone. Qu’est-ce que la déconfliction ? Cela consiste à éviter les effets de surprise. La guerre étant faite de surprises, cela signifie que, pour l’essentiel, on dit ce que l’on va faire, et par où l’on va passer. Cela explique que les Russes aient regardé tout cela fort tranquillement, sans tirer une seule munition : ils savaient – et vous avez bien fait de les prévenir – qu’ils ne seraient visés à aucun moment.
Voilà beaucoup de choses qui laissent rêveur. Quels résultats ont bien pu être obtenus ? Pourquoi ne nous en dit-on rien ? Sommes-nous incapables de l’entendre ? Nous avons frappé, paraît-il, deux usines d’assemblage, sans que cela dégage une seule petite bouffée d’air impur dans la zone qui l’entoure – nous n’avons tué personne et je m’en réjouis, et je comprends qu’on ait essayé d’éviter de faire des victimes.
Mais après que la situation a atteint son paroxysme, après que nous avons entendu, le lendemain, le président de la République française dire qu’il avait convaincu M. Trump de rester sur place pour terminer le travail, et d’autres évoquer un plan d’armement chimique qui se serait développé, sans que l’on s’en rende compte, pendant de nombreuses semaines, moins de vingt-quatre heures après, le président des États-Unis a indiqué que les forces américaines allaient partir. Si bien que tout cela ressemble davantage à une salve d’adieu qu’à un tir militaire visant à rétablir une situation.
La vérité est derrière le rideau. C’est la raison pour laquelle je voudrais que vous nous précisiez le contenu des innovations conceptuelles de la soirée d’hier. (Sourires sur les bancs des groupes FI et GDR, ainsi que sur les bancs du groupe LR.) Qu’est-ce qu’une déclaration de guerre qui n’en est pas une, quand on attaque un pays à plus de 3 000 kilomètres de distance ? Devons-nous considérer que bombarder trois usines, ce n’est pas une déclaration de guerre (« Oui ! » sur les bancs du groupe LaREM) et que, par conséquent, à Pearl Harbor, ce n’est pas la guerre, qui a commencé ? (Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.)
M. Sylvain Maillard. Cela n’a rien à voir !
M. Jean-Luc Mélenchon. Une déclaration de guerre nous eût imposé un débat du Parlement. Et voici le premier coup que je vois à ce qui s’est produit : si le Président de la République française a dit, dès le mois de mai, qu’il y avait une ligne rouge à ne pas franchir, qu’est-ce qui, depuis le mois de mai, a empêché que l’on en discute ici, et que l’on établisse un protocole pour châtier ceux qui viendraient à utiliser les armes chimiques ? Rien ! Et pourtant, cela n’a pas été fait.
Que signifie, monsieur le Premier ministre, cette nouveauté que l’on appelle la « légitimité de la multilatéralité », qui a été évoquée hier ? Pour un Français, il n’y a qu’une seule légitimité ou, plus exactement, il y a deux manières d’agir. En ce qui concerne notre territoire national et nos populations, il n’y a aucune limite à notre décision que notre propre volonté. En ce qui concerne le concert des nations, nous croyons à un monde ordonné, non pas à un monde multipolaire, car c’est toujours la guerre pour savoir qui, parmi les multipolaires, est le premier. Un monde ordonné autour du droit, qui prime la force, voilà ce à quoi nous croyons, c’est-à-dire à l’ONU. (Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.) Nous sommes dans le monde des BRICS – Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud. C’est fini le temps où, à quelques pays, on pouvait décider pour tout le monde ; tenez-vous le pour dit ! (Applaudissements sur les bancs des groupes FI et GDR.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Lecoq, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
M. Jean-Paul Lecoq. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la ministre, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, les militaires français ont obéi aux ordres, avec professionnalisme et compétence, mais le problème, c’est l’ordre. Alors que l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques devait entamer samedi son enquête sur une attaque chimique présumée de Bachar el-Assad en Syrie, Damas se réveillait au petit matin au son des missiles américains, britanniques et français.
Nous ne doutons pas que Bachar el-Assad soit capable du pire, mais il fallait attendre l’ouverture et les conclusions de l’enquête internationale destinée à établir les faits et les preuves, à identifier les responsables, pour donner toute sa légitimité à une quelconque riposte. Or, sans attendre des preuves irréfutables, ces trois pays ont pris la responsabilité de mener des actes de guerre illégaux, sans mandat de l’ONU, dans une seule volonté de représailles.
Mme Coralie Dubost. C’est faux !
M. Jean-Paul Lecoq. Ces frappes militaires attestent de l’irresponsabilité de ces trois puissances, qui ont, à nouveau, cédé à la tentation de jouer le rôle de gendarme du monde plus que jamais anachronique, inefficace et périlleux.
Si l’attaque perpétrée samedi n’est guère surprenante compte tenu de la tradition interventionniste des États-Unis, en revanche, le suivisme français l’est plus, au regard du principe d’indépendance nationale fondé sur les valeurs de paix et de multilatéralisme. Il est vrai que les présidences Sarkozy et Hollande ont marqué un tournant atlantiste, aujourd’hui confirmé par le président Macron. La tradition de l’indépendance nationale faisait notre singularité et notre grandeur ; sa remise en cause pose la question de notre place dans le monde. La France est-elle condamnée à s’aligner sur la volonté et la stratégie américaines définies par l’administration Trump et son armée de super-faucons, une administration fébrile qui ne contrôle ni ne domine plus l’ordre international, face à Moscou, Téhéran et Pékin ?En répondant à l’injonction de riposte de Trump contre l’attaque chimique attribuée au régime syrien, la France a fait, à nouveau, le choix de la guerre préventive, un choix qui n’ouvre nulle perspective stratégique et politique pour sortir le pays du chaos dans lequel il est plongé.
La lutte contre Daech ne doit en aucun cas être détournée. J’apprécie, monsieur le Premier ministre, que vous ayez évoqué ce point dans votre discours, car vous ne l’avez pas tellement abordé lors de la réunion de dimanche matin. Rappelons-le, notre ennemi, c’est Daech.
Il faut revenir aux fondamentaux. Israël profite de cette guerre pour bombarder – comme dimanche dernier – depuis le Liban, des infrastructures syriennes où sont présents des Iraniens, et profite de la diversion pour bombarder simultanément la bande de Gaza. (M. Meyer Habib proteste.) Les Turcs massacrent les Kurdes dans le nord du pays ; les Français, les Britanniques et les Américains en profitent pour attaquer des positions syriennes. Les Russes sont prêts à tout pour maintenir le pouvoir de Bachar el-Assad. Plutôt que de partir dans tous les sens, recentrons la présence internationale sur la lutte contre Daech ; sinon, elle n’a rien à faire dans la région.
Il n’est pas trop tard pour que la France assume sa responsabilité et son sens de l’audace sur la scène internationale, et qu’elle renoue avec sa tradition et sa culture d’opposition à toute forme de domination. Cette singularité, nous en avons été si fiers, lorsque, courageusement, en 2003, la France s’est opposée à la guerre en Irak, dénonçant la propagande mensongère des Américains pour tenter de justifier leur entreprise destructrice de l’Irak. La France avait alors refusé de céder à la diplomatie de l’émotion et des intérêts commerciaux, préférant la diplomatie de la raison. Cependant, depuis quelques années, elle est coutumière du fait : elle est en guerre en Afrique et au Moyen-Orient, comme cela vient d’être rappelé. Ce sont autant de tragédies qui ont offert un terreau propice à la propagation de l’idéologie mortifère de Daech.
Pour toutes ces erreurs passées, il serait logique que la représentation nationale soit pleinement impliquée dans le déclenchement et le suivi de ces opérations militaires. Jusqu’à aujourd’hui, il n’en est rien. Notre Parlement a été mis à l’écart des décisions qui lançaient ces opérations tous azimuts. À quoi sert-il de s’exprimer, une fois que les armes frappent ? Hier encore, le Président s’est satisfait de ce véritable angle mort de la Ve République. Il est d’ailleurs insupportable de voir comment, de New York à Paris, notre pouvoir politique a justifié les attaques de ce week-end : des leçons de morale, toujours des leçons de morale ! Mais plus personne ne les écoute, puisque c’est au nom de ces leçons de morale démocratique que sont advenues les pires aventures militaires, par exemple en Irak ou en Libye.
Demain, Bachar el-Assad devra être jugé pour les crimes insupportables perpétrés contre son propre peuple. D’autres devraient l’être aussi peut-être. Mais aujourd’hui, qu’on le déplore ou non, toute solution politique doit passer par lui. L’indignation contre le dirigeant syrien est juste et salutaire, même si elle masque difficilement la diplomatie à géométrie variable de la France. C’est précisément cela qui sape le peu de crédibilité qu’elle a encore.
Les alliances actuelles avec les gouvernements les plus réactionnaires, tels ceux de l’Arabie Saoudite et des Émirats Arabes Unis, doivent, quant à elles, être reconsidérées au regard d’autres critères que celui de la vente d’armes, surtout lorsque les armes françaises contribuent à mener une guerre inique et sanglante contre le peuple du Yémen. Or l’horreur du chaos yéménite ne fait l’objet d’aucune forme d’intérêt de la part des trois puissances occidentales. Cette indignation sélective est insupportable.
En outre, les frappes en Syrie ont été justifiées par des concepts diplomatiques infamants : celui de « monde libre » en France et celui de « monde civilisé » aux États-Unis. Ces mots ne devraient jamais trouver leur place au sein d’une diplomatie responsable, car, qui dit monde libre, dit monde non libre, et qui dit monde civilisé, dit monde non civilisé.
M. Bastien Lachaud. Il a raison !
M. Jean-Paul Lecoq. Qui est l’ennemi ? La question a été posée tout à l’heure. La ministre des armées nous a expliqué, dans cet hémicycle, que nos ennemis étaient ceux qui n’étaient pas nos alliés. Ces conceptions viriles et brutales des relations internationales ne provoquent que divisions et stigmatisations au sein de la communauté internationale. Qui peut encore dire aujourd’hui que les guerres irakienne et libyenne provoquées par le soi-disant monde libre ont offert la démocratie et la liberté à ces peuples ?
Ainsi, riposter aux crimes du régime syrien par la seule voie militaire, sans stratégie politique de long terme visant le retour de la paix, sans initiative diplomatique digne de ce nom, relève plus de la posture et de la communication que de l’engagement politique et de l’action humanitaire. Ce matin même, Donald Trump, partie prenante de cette expédition punitive, a confirmé sa volonté de quitter au plus vite le terrain syrien, sans se préoccuper de l’avenir politique de ce pays.
Ne nous en déplaise, la Russie est devenue centrale dans le conflit. Elle est aujourd’hui la seule puissance à avoir maintenu le dialogue avec l’ensemble des interlocuteurs – un des fondamentaux de la diplomatie que le gouvernement français semble avoir oublié. Autrement dit, le retour de la paix civile en Syrie passe aussi par la Russie et les autres acteurs régionaux, pas seulement par Washington ou Paris. Le nier, c’est faire preuve d’une naïveté irresponsable, et c’est ce qui a coûté sa crédibilité à la France dans l’affaire syrienne.
Nous avons le sentiment que plusieurs occasions de faire entendre la voix de la France en faveur de la paix auprès de la Russie ont été gâchées, par calculs et autres tergiversations. Aujourd’hui, Trump veut détruire le régime de « l’animal Assad », et nous nous sommes laissé emporter dans cette guerre illégale. Nous regrettons que le Président de la République nous ait entraînés dans ce sillage belliciste, dont les conséquences seront dramatiques. Faut-il, d’ailleurs, voir un lien entre cette action de gendarme du monde et le fait de posséder l’arme nucléaire ? Le rôle de la France en tant qu’État doté n’est pourtant pas marginal. L’objectif gaulliste de la dissuasion française était l’indépendance nationale. Plutôt que de se servir de la dissuasion nucléaire française pour se permettre d’attaquer illégalement un pays, mieux vaudrait l’utiliser pour obliger les parties à discuter ensemble.
Seule l’ouverture d’un dialogue diplomatique constructif entre les puissances régionales directement impliquées, d’un côté, et entre les membres permanents du Conseil de sécurité, de l’autre, serait efficace. Notre diplomatie doit se montrer plus active et contribuer à rassembler la communauté internationale en soutenant tous les processus qui feront avancer la paix, comme ceux de Genève ou d’Astana.
Restant fidèles à nos principes et à nos valeurs de paix et de démocratie, nous, députés communistes et ultramarins du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, ne pouvons que condamner les frappes militaires punitives en Syrie que le Président de la République a décidées sans l’aval de l’ONU ni du Parlement français.
Il n’est pas trop tard, je le répète, pour que notre pays regagne sa place sur la scène internationale, dans le cœur des peuples, et se range du bon côté de l’histoire. Moscou n’a pas fermé la porte à un dialogue direct avec la France, y compris dans le cadre d’une visite officielle du chef de l’État à Saint-Pétersbourg fin mai. Nous intimons celui-ci de saisir ce moment pour faire taire les bombes et pour trouver, avec la Russie, une solution mettant enfin un terme à la souffrance du peuple syrien, qui se sent abandonné depuis trop longtemps. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur plusieurs bancs du groupe FI.)
M. le président. La parole est à M. José Evrard, au titre des députés non inscrits.
M. Sylvain Maillard. Alors là, l’inquiétude est à son paroxysme…
M. José Evrard. Monsieur le président, mes chers collègues, je condamne la décision du Président de la République de bombarder la Syrie. Cette agression d’un État souverain, menée de concert avec les États-Unis et la Grande-Bretagne, est indigne du point de vue moral, en même temps qu’illégale du point de vue du droit et illégitime du point de vue de la charte des Nations unies.
En bombardant sans l’aval du Conseil de sécurité un pays souverain, la France participe à la disparition progressive du système légal de l’ONU et détruit son propre droit de veto au Conseil de sécurité. La France souhaite-t-elle en finir avec le droit international et suivre aveuglément les États-Unis ?
Bill Clinton a attaqué la Yougoslavie en violant allègrement le droit international. George Bush Jr a fait de même contre l’Irak, Barack Obama contre la Libye et la Syrie. Donald Trump, quant à lui, n’a jamais caché son aversion vis-à-vis du droit international. Son silence pesant sur le Yémen est la preuve de sa connivence avec le prince d’Arabie Saoudite.
L’acte est effrayant par l’usage d’armes destructrices, et dans la mesure où il ne se fonde sur rien : les preuves de l’emploi par l’armée syrienne d’armes chimiques et de l’implication de l’armée russe n’existent pas.
M. Sylvain Maillard. C’est honteux !
M. José Evrard. L’argument qui consiste à mettre en avant la certitude des preuves tout en en faisant l’objet d’une interrogation montre l’embarras du Président de la République à l’idée d’entraîner le pays dans l’aventure. « Nous avons la certitude de l’emploi par Bachar el-Assad de l’arme chimique », a-t-il dit… pour ajouter ensuite qu’il fallait la vérifier.
Après l’intervention du ministre des affaires étrangères sur TF1 le 14 avril, il semblerait que les témoignages sur lesquels la France s’est appuyée pour décider de frapper la Syrie sont en partie issus des réseaux sociaux (Protestations sur les bancs du groupe LaREM),…
M. Sylvain Maillard. Oh là là…
M. José Evrard. …ces mêmes réseaux sociaux qui suscitaient pourtant auparavant la plus grande méfiance du gouvernement français.
Je me méfie doublement de ceux qui se présentent en chefs de guerre en doutant de leurs certitudes. Donner pour preuve les témoignages et prises de vue de la nébuleuse terroriste – Office syrien des droits de l’homme et Casques blancs, entre autres – tient de l’escroquerie.
Il faut donc se demander pourquoi notre armée a participé à l’agression de la Syrie souveraine dans ces conditions.
L’action engagée par le Président de la République s’inscrit dans la continuité de ses prédécesseurs. Depuis l’apparition en 2011 de troubles en Syrie, troubles démesurément grossis par les Occidentaux, les pressions sur le pays n’ont jamais cessé. Donc, depuis 2011, nos gouvernants successifs n’ont fait qu’attiser les difficultés syriennes pour les associer au chaos installé par l’oncle Sam et régnant chez le voisin irakien.
Il n’est pas nécessaire d’appartenir à l’Intelligence Service pour comprendre que l’apparition et l’extension de Daech furent largement approuvées et soutenues par les Occidentaux. Selon Roland Dumas, les Anglais préparaient la guerre en Syrie deux ans avant les manifestations de 2011. Laurent Fabius saluait le « bon boulot » du terrorisme d’Al-Nosra, affirmait que le président Assad n’avait pas sa place sur terre.
La DGSE livrait des armes aux islamistes…
M. David Habib. N’importe quoi !
M. José Evrard. …sur ordre du président Hollande. Le trafic du pétrole battait son plein, apportant des revenus confortables au califat en marche. Quelle duplicité ! La prise de Palmyre par les islamistes enlevait aux observateurs occasionnels des événements tout doute quant au combat occidental contre l’islamisme. C’est à cette date que la Russie a répondu favorablement à la demande d’aide de la Syrie et qu’elle a mis un terme à ce qu’il faut bien qualifier de drame.
L’agression à laquelle a participé France la semaine dernière correspond précisément à la fin de la guerre sur le territoire syrien. Nous ne sommes plus en 2011 ni en mars 2018 : tout acte de guerre contre la Syrie n’a désormais plus la même signification. Le président Macron va-t-il faire le choix de la guerre ou celui de la paix ?
En ce qui concerne Les Patriotes, dont je suis ici le porte-parole (Exclamations sur les bancs du groupe LaREM), nous nous opposerons à toute nouvelle aventure, à toute nouvelle provocation d’attaque chimique. Nous exigeons dès maintenant que tous les personnels et matériels militaires engagés dans la zone soient rapatriés dans les plus brefs délais comme signe de bon vouloir vis-à-vis de l’État syrien et que, d’autre part, un débat soit engagé au Parlement pour examiner la réparation des dégâts que la politique française a causés à la Syrie.
M. Sylvain Maillard. C’est honteux !
M. José Evrard. C’est honteux de ne pas être patriote !
M. le président. La parole est à Mme Marielle de Sarnez, présidente de la commission des affaires étrangères.
M. Sylvain Maillard. Elle va relever le niveau !
Mme Marielle de Sarnez, présidente de la commission des affaires étrangères. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la ministre des armées, messieurs les secrétaires d’État, chers collègues, notre débat s’inscrit pleinement dans l’équilibre institutionnel défini par notre Constitution. À l’exécutif, l’initiative de l’engagement, mais l’obligation d’informer et de rendre compte ; au Parlement, le contrôle des modalités et des objectifs politiques de l’intervention.
Ce débat constitue donc un exercice démocratique utile. Mais, pour l’avenir, il nous faudra sans doute réfléchir à des mécanismes qui offriraient à notre Parlement un meilleur accès, plus en amont, aux informations qui commandent la décision d’engagement. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LR, FI et GDR.)
M. Michel Herbillon. Très bien !
M. Claude Goasguen. Enfin !
Mme Marielle de Sarnez, présidente de la commission des affaires étrangères. Le Président de la République l’avait clairement annoncé : l’emploi d’armes chimiques en Syrie, en violation du droit international et des résolutions du Conseil de sécurité, ne pourrait rester impuni.
L’intervention militaire de la France était donc prévisible, attendue et conforme aux engagements pris.
Cette opération a été menée par la France et ses partenaires avec responsabilité, dans un cadre maîtrisé, proportionné et circonscrit à l’effet recherché : la destruction des capacités chimiques du régime syrien afin d’en prévenir une nouvelle utilisation. Tout risque d’escalade a été volontairement évité. Aucune victime civile ou militaire n’est à déplorer.
Cette intervention a été menée dans le respect de ce qui fait la singularité et la force de la position française : l’autonomie et l’indépendance, en matière tant d’initiative que d’exécution. Elle est le reflet de la responsabilité particulière qui est celle de la France en tant que membre permanent du Conseil de sécurité, une responsabilité, issue de l’histoire, et même de l’histoire récente, qui fait considérer notre pays comme le gardien le plus impartial de la règle de droit international et de la défense des droits humains.
C’est au nom de ces principes que la France, en 2003, s’était opposée à la guerre en Irak ; ce sont ces mêmes principes qui l’ont décidée à mettre fin à l’impunité de ceux qui ont organisé les attaques chimiques. (Applaudissements sur les bancs du groupe MODEM et sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)
La France doit maintenant relancer le processus politique et diplomatique, car, nous le savons tous ici, il ne peut y avoir de solution militaire en Syrie, et c’est bien à une stratégie globale de sortie de crise que nous devons consacrer tous nos efforts.
Les objectifs politiques de la France sont connus, ils sont rappelés en ce moment même à l’ONU : l’éradication du terrorisme et l’élimination de Daech ; l’instauration d’un mécanisme d’enquête sur les armes chimiques ; un cessez-le-feu sur l’ensemble du territoire syrien ; l’accès à l’aide humanitaire pour les civils ; l’établissement d’un plan de sortie de crise qui évite tout à la fois la partition de la Syrie et l’exclusion de certaines communautés.
La France occupe une place particulière, une place singulière. Elle est aujourd’hui la seule puissance en situation de parler avec confiance avec tous les pays, et avec les puissances qui exercent leur influence : la Russie, l’Iran, la Turquie. Toutes les communautés intéressées devront être impliquées ; je pense en particulier aux Kurdes. (MM. Meyer Habib et Maurice Leroy applaudissent.)
Voilà plus de sept années que dure cette guerre. Le bilan est terrible, il est effroyable : plus de 350 000 morts – 500 000, disent même certaines ONG –, des dizaines de milliers de disparitions forcées, des millions de déplacés internes et plus de cinq millions de Syriens contraints de quitter leur pays.
Ce terrible bilan dicte notre devoir et en souligne l’urgence. La voix de la France, respectée et engagée, est l’une des seules qui puissent se faire entendre. La stabilité future de la Syrie est le but que nous devons atteindre ; notre sécurité collective en dépend. Nous en connaissons le moyen : un accord politique entre l’ensemble des parties, garanti par la communauté internationale et qui rende au peuple syrien la responsabilité de son avenir.
Ce chemin est sans doute difficile. Mais nous sommes sûrs au moins d’une chose : pour notre pays et pour tous ceux qui nous écoutent dans le monde, il n’y en a pas d’autre. (Applaudissements sur les bancs des groupes MODEM et LaREM. – MM. Meyer Habib et Maurice Leroy applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Dumas, vice-présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées.
Mme Françoise Dumas, vice-présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la ministre des armées, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, avant de commencer mon propos, je voudrais avoir une pensée particulière pour nos militaires blessés ce week-end au Mali. Nos pensées vont vers eux, leurs familles et leurs frères d’armes. (Applaudissements sur tous les bancs.)
Dans la nuit de vendredi à samedi, sur ordre du Président de la République, les forces armées françaises, en coalition avec les États-Unis et la Grande-Bretagne, sont intervenues en Syrie par le biais de frappes aériennes et de tirs de missiles de croisière, pour détruire les capacités de production, de développement et de stockage d’armes chimiques du régime syrien.
Le bilan de l’attaque du 7 avril, qui a entraîné ces représailles, est particulièrement lourd : plus de 50 personnes ont été tuées. Les éléments réunis par la France, émanant de nos propres services, de partenaires ou d’organisations non gouvernementales réputées pour leur fiabilité, ont permis d’établir avec un haut degré de confiance que cette attaque était de nature chimique et qu’elle avait été conduite par les forces du régime syrien.
Cette banalisation de l’emploi d’armes chimiques contre les populations civiles ne pouvait rester sans réponse, car elle constitue une menace pour la sécurité collective. Notre intervention se fondait juridiquement sur la résolution 2118 du Conseil de sécurité de l’ONU, qui ouvrait la voie à une action coercitive en cas de manquement du régime à ses engagements, pris en 2013, de démanteler son arsenal chimique. Malheureusement, en raison de l’opposition de la Russie au Conseil de sécurité, une réponse concertée et forte de la communauté internationale face à l’utilisation d’armes chimiques était impossible.
La planification des opérations de la coalition a pris en compte le risque d’escalade militaire, en évitant de viser des objectifs pouvant abriter des forces alliées du régime. L’absence de victimes collatérales civiles est une autre preuve de la proportionnalité et de la justesse des frappes. Au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale, je tiens à saluer la place centrale occupée par les forces armées françaises dans ce dispositif.
Dans le cadre de cette opération, la marine nationale a déployé trois frégates multimissions, une frégate anti-sous-marine et une frégate antiaérienne. Elle a lancé avec succès trois missiles de croisière navals d’un nouveau type, qui n’avaient jamais été employés depuis leur mise en service. Le raid aérien français mené par l’armée de l’air depuis la France, avec cinq ravitaillements en vol et dix heures de vol d’affilée en condition de combat, a mobilisé l’action de cinq Rafale, quatre Mirage 2000, deux AWACS et plusieurs ravitailleurs sur une distance de plus de 4 000 kilomètres.
Cette opération, particulièrement complexe, a permis de démontrer, s’il en était besoin, l’excellence de la planification de nos états-majors, le professionnalisme et le courage de nos militaires, ainsi que la qualité de nos équipements. L’outil militaire est ainsi parfaitement en adéquation avec notre volonté d’autonomie stratégique et de décision, en tant qu’alliés au sein de la coalition. En ce sens, nous saluons encore une fois la pertinence de l’effort consenti envers les armées, dans le cadre de la loi de programmation militaire 2019-2025.
Comme l’a indiqué Mme la ministre des armées, le 14 avril, l’opération est considérée comme terminée, puisqu’elle a rempli ses objectifs. Nous poursuivons désormais tous nos efforts diplomatiques pour aboutir à une solution politique inclusive. Mais la France, le Royaume-Uni et les États-Unis ont toutefois annoncé qu’une telle initiative pourrait être reconduite en cas de nouvelle utilisation de l’arme chimique par l’armée syrienne ou des forces supplétives du régime. La coalition doit cependant rester vigilante quant à la possibilité de représailles. Le risque étant élevé, les forces britanniques ont renforcé les mesures de défense aérienne sur leur base militaire à Chypre, d’où sont partis les quatre Tornado qui ont participé à l’opération.
Dans un contexte de blocage du Conseil de sécurité, ces frappes peuvent permettre de déverrouiller les positions des belligérants. Elles s’inscrivent dans un cadre plus large et cohérent, celui de la négociation pour une résolution politique du conflit. La France est attachée à un multilatéralisme efficace, fondement de sa politique étrangère. Si le premier objectif est de lutter contre les groupes terroristes qui nous menacent, et en premier lieu l’organisation Daech, la France doit également poursuivre ses efforts au sein des institutions internationales pour faire émerger une solution politique au conflit et stabiliser la région. Résoudre la crise humanitaire et mettre fin aux souffrances du peuple syrien est de notre responsabilité, car la France, dans le concert des nations, dispose toujours d’une voix particulière. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
M. le président. Monsieur le Premier ministre, vous avez souhaité répondre aux orateurs. Vous avez la parole.
M. Edouard Philippe, Premier ministre. Permettez-moi, monsieur le président, de remercier, au nom du Gouvernement, tous ceux qui ont participé à ce débat, en particulier ceux qui ont pris la parole en leur nom ou en leur qualité de présidente ou vice-présidente de commission, et de président ou présidente de groupe parlementaire. Je voudrais souligner la qualité et l’importance d’un débat comme celui que nous sommes en train de conduire. Cela a été dit à plusieurs reprises, un tel débat fait l’honneur des démocraties. Cela n’est pas une formule. Il n’y a, en effet, que dans les démocraties, exclusivement, que des représentants du peuple et le chef du Gouvernement peuvent débattre et discuter, accepter d’entendre les désaccords, même si c’est parfois avec agacement. Assumer ces désaccords, c’est l’honneur des démocraties.
Ce débat a été public ; il ne relève pas d’un entre-soi. Il a été libre –évidemment – et complet. Les expressions contradictoires sont respectables, d’abord parce que le sujet est d’une redoutable complexité et les enjeux d’une importance considérable, mais aussi parce que le consensus sur les mesures décidées par le Président de la République n’est pas un objectif en soi. On ne peut pas envisager de conduire un pays et d’entretenir des relations internationales avec pour seule boussole l’idée d’un consensus absolu. On doit veiller à la marche du pays en ayant conscience de ses intérêts et de l’idée que l’on se fait de la République française. Cette idée n’est pas forcément consensuelle, mais ce n’est pas grave ; nous pouvons l’assumer. C’est, encore une fois, l’honneur des démocraties que de le permettre.
Monsieur le président Jacob, vous avez formulé des critiques fondées sur deux précédents et une inconnue. Vous avez, tout d’abord, évoqué la question du débat préalable. Vous le savez, l’organisation du débat prévue à l’article 35, alinéa 2, de la Constitution, résulte d’une modification apportée en 2008. Pourquoi la Constitution prévoit-elle une information du Parlement – et non pas forcément un débat – dans les trois jours qui suivent l’intervention des forces armées ? Parce qu’il n’a pas échappé au rédacteur de la Constitution que, dans une opération militaire, l’effet de surprise n’était pas négligeable et pouvait avoir un intérêt. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) C’est d’ailleurs probablement la raison pour laquelle, lors de l’intervention en Libye, le président Sarkozy n’avait pas choisi, avec son gouvernement, d’organiser un débat avant l’intervention des forces armées extérieures, mais bien après, dans les trois jours qui ont suivi. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
M. Pierre Cordier. Cela faisait une semaine qu’on en parlait !
M. Christian Jacob. On était dans le cadre du droit international !
M. Edouard Philippe, Premier ministre. C’est la même raison qui explique, je le pense, la décision prise par le président François Hollande et son gouvernement, en 2013, d’organiser un débat après l’intervention au Mali ou après celle en République Centrafricaine, plutôt qu’avant. Si j’invoque toujours avec prudence les mânes du général de Gaulle, j’imagine mal – je peux me tromper – que la conception initiale du constituant de la Ve République ait été de demander au Parlement un débat public avant que le Président de la République décide d’engager les forces armées à l’extérieur du territoire. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.) Je le dis avec prudence, car je n’y étais pas. Mais cela me semble découler assez naturellement de ce que j’ai pu lire à ce sujet.
M. Jean-Louis Bourlanges. Bizerte !
M. Jean-Paul Lecoq. Il faut changer tout ça !
M. Edouard Philippe, Premier ministre. Monsieur Jacob, vous avez également fait mention du précédent irakien, en comparant la décision prise par le Président de la République à celle de Jacques Chirac en 2003. Ce précédent n’est, à mon sens, pas comparable, pour deux raisons. Premièrement, l’objet de l’opération en Irak était d’intervenir au sol et de faire tomber un régime, deux éléments dont il n’était pas question dans l’action menée il y a quelques jours par les armées françaises. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)
Deuxièmement, l’une des motivations de l’intervention américaine en Irak était l’existence prétendue d’armes de destruction massive. En Syrie, l’utilisation de l’arme chimique n’est pas prétendue. Elle est avérée ! (Mêmes mouvements) Elle a été répétée ! Elle est démontrée !
M. Christian Jacob. C’est aussi ce que disait la CIA ! Avec même des photos à l’appui…
M. Edouard Philippe, Premier ministre. Il me semble qu’il y a là une différence notable qu’il faut prendre en compte.
Enfin, monsieur Jacob, vous avez évoqué une inconnue : ce qu’il conviendrait de faire. Faut-il ne pas agir ? Faut-il accepter tacitement, à regret sans doute, l’emploi d’armes chimiques ? Vous parlez de solution politique. Vous avez raison, et nous y sommes également favorables. Nous avons même indiqué que cette solution politique devrait être discutée dans le cadre de la conférence de Genève, à laquelle nous croyons et invitons l’ensemble des parties à participer, sans arrière-pensée. Bien entendu, il faut une solution politique. Tout le monde le sait et partage cette idée. Mais lorsque l’utilisation répétée de l’arme chimique est avérée, que faut-il faire : se contenter de dire qu’il faudrait une solution politique, alors que tous les mécanismes permettant de la définir sont bloqués, ou intervenir ?
Cette solution politique est-elle moins atteignable aujourd’hui qu’elle ne l’était avant l’intervention française ?
M. Éric Coquerel. Oui !
M. Edouard Philippe, Premier ministre. Je ne le crois pas. J’ai même tendance à penser qu’en étant fermes, clairs et prévisibles, nous contribuons à dire clairement à nos partenaires et interlocuteurs, à ceux avec qui il faudra définir la solution politique que vous appelez de vos vœux, que nous sommes présents et que nous sommes déterminés. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)
M. André Chassaigne. Quel argument !
M. Edouard Philippe, Premier ministre. Madame Rabault, vous nous avez interrogés sur le fondement juridique de l’intervention française, indiquant qu’elle fragiliserait le système juridique international pour n’avoir pas respecté le droit. En vous écoutant, j’avais envie de poser une question simple : où le système est-il renforcé si l’impunité prévaut en matière d’utilisation de l’arme chimique ?
M. Erwan Balanant. Très bien !
M. Edouard Philippe, Premier ministre. Où le système est-il renforcé si les blocages conduisent à ne rien faire et à accepter tacitement la plus terrible violation des interdictions en matière d’utilisation d’armes du droit international ?
Vous avez évoqué l’initiative française prise en 2013 sur le droit de veto. Cette initiative visait à intervenir dans deux cas seulement : le blocage avéré du Conseil de sécurité et la violation massive du droit humanitaire. La France n’a pas changé de position. Elle continue de soutenir cette initiative, dont chacun comprendra que les termes ne peuvent être envisagés que si l’ensemble des détenteurs du droit de veto s’accordent en la matière.
Vous avez également soulevé la question de la sollicitation des alliés européens. Disons-le aussi clairement que l’a fait Mme la vice-présidente de la commission de la défense et des forces armées, les capacités de conception, de planification, de coordination et d’exécution de la mission démontrées par les forces françaises sont uniques en Europe occidentale. Bien entendu, nous devons nous engager toujours plus avant dans une logique de coopération forte avec nos partenaires européens. Ne nions cependant pas l’évidence : à l’instant où nous parlons, cette action pouvait être menée par la France, conjointement avec le Royaume-Uni et les États-Unis, mais il était peu envisageable qu’elle le fût avec d’autres pays.
L’Union européenne a apporté, ce matin, un soutien très large à l’initiative franco-britannique. L’Allemagne aussi a formulé son soutien, vous le savez.
M. Jean-Paul Lecoq. Cela a été compliqué !
M. Edouard Philippe, Premier ministre. Nous considérons, bien entendu, qu’un travail toujours plus rapproché avec nos partenaires européens est indispensable en matière de défense.
Monsieur le président Mélenchon, vous avez évoqué le risque d’escalade, suivant un raisonnement marqué, à mon sens, par une forme de paradoxe. D’un côté, vous pourfendez le risque de l’escalade, quand vous semblez critiquer, de l’autre, le fait que nous ayons pris les mesures nécessaires pour éviter précisément cette escalade…
Nous avons adressé un message clair aux autorités syriennes et à leurs alliés. Ce message n’a pas été formulé par un quelconque suivisme d’une grande puissance alliée ; il a été formulé dès le mois de juillet 2017, avec l’annonce d’une ligne rouge – idée que l’on peut parfaitement critiquer – faite en présence même du président de la Fédération de Russie. Nous avons tenu notre position, en portant une extrême attention au respect d’une certaine forme de prévisibilité et des codes qui prévalent en la matière. Car nous voulions, monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, frapper des installations exclusivement chimiques et exclusivement syriennes. Il était important que chacun sache qu’une fois la ligne rouge franchie, nous agirions ainsi, et seulement ainsi. Ce message n’est motivé ni par la conquête territoriale ni par l’intérêt économique, mais par la simple volonté de dire haut et fort que l’usage répété de l’arme chimique n’est pas envisageable pour un État ou pour des autorités. Voilà le message que nous avons voulu faire passer, et il me semble correspondre, d’une certaine façon, monsieur le président, à la vocation universelle que vous défendez parfois. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
Enfin, en écoutant M. Lecoq, je ne pouvais m’empêcher d’éprouver une certaine forme de nostalgie. (Sourires.) Car entendre un député communiste critiquer l’emploi de la force dans le cadre d’une action conjointe de la France, de la Grande-Bretagne et des États-Unis face à un allié de la Russie nous renvoyait à une grammaire qui peut sembler ancienne. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
M. Sylvain Maillard. C’est vrai !
M. Jean-Paul Lecoq. C’est petit !
M. Edouard Philippe, Premier ministre. Mais l’argument est important et je veux insister sur une remarque que vous avez formulée, monsieur le député, sur le prétendu suivisme des autorités françaises. Nul suivisme dans la décision qui a été prise par le Président de la République ; celui-ci a formulé l’idée de ligne rouge de façon souveraine, en présence non du président américain, mais du président russe, tout en indiquant que dans le passé, d’autres lignes rouges n’avaient peut-être pas été respectées.
M. Éric Coquerel. Si chacun a sa ligne rouge, alors…
M. Edouard Philippe, Premier ministre. Il n’y a là aucun suivisme – le fait d’avoir des alliés n’implique pas que quiconque soit suiveur –, mais au contraire, la volonté de préserver l’autonomie de décision française et la clarté de nos positions.
Mesdames, messieurs les députés, l’essentiel est probablement devant nous, dans les initiatives diplomatiques que chacun sur ces bancs a appelées de ses vœux, dans les contacts multiples qui doivent nous permettre de participer à la construction de la solution politique en Syrie, dans la crédibilité de notre République lorsqu’elle désigne les lignes qu’elle considère comme infranchissables. Je l’ai indiqué tout à l’heure, notre réaction à l’usage de l’arme chimique dit ce que nous sommes. Je suis fier, au nom du Gouvernement et sous l’autorité du Président de la République, d’avoir dit au monde qui nous étions. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM ainsi que sur quelques bancs du groupe UDI-Agir.)
M. le président. Le débat est clos.
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