Quelques jours après la « guerre du gaz » en Bolivie, les communautés indigènes de l’Équateur ont remporté une nouvelle victoire dans la lutte mondiale contre les transnationales. La compagnie états-unienne Texaco, qui exploite depuis plus de vingt ans le pétrole de l’Amazonie équatorienne, a dû s’asseoir sur le banc des accusés. Elle devra répondre du désastre écologique dont elle est responsable ainsi que de l’extinction de deux ethnies.
Le 21 octobre en Équateur, les indigènes de l’Amazonie ont commencé ce qu’on appelle déjà « le procès environnemental du siècle » qui pourrait durer des années. Si le mouvement indigène gagne ce procès, Texaco devra payer un milliard de dollars aux communautés pour dommages et préjudices. Être parvenu à mettre sur le banc des accusés une des transnationales les plus puissantes du monde, dont le conseil exécutif a pu compter parmi ses membres rien moins que l’actuelle conseillère de Sécurité nationale du régime Bush, Condoleeza Rice, est une victoire en soi.
Texaco et le pétrole en Équateur
En 1967, la Texaco Petroleum Company (Texpet), filiale de Texaco Inc, commence à exploiter le pétrole en Équateur en consortium avec l’entreprise nationale Petroecuador. Jusqu’en 1990, année à laquelle prit fin son contrat, Texaco érige un oléoduc gigantesque qui traverse la forêt amazonienne, construit 22 stations, perfore 339 puits sur un territoire qui atteint aujourd’hui 442 965 hectares et produit environ 1 500 millions de barils de brut. En un peu plus de vingt ans, la compagnie a ainsi exploité 80 % de la production nationale de pétrole, laissant à l’État de maigres royalties et sans jamais partager les bénéfices.
Parallèlement elle a répandu des tonnes de produits toxiques et de déchets dans l’Amazonie, et plus de 86 milliards de litres d’eau de production (dont la salinité est six fois supérieure à celle de l’eau de mer et qui contient des restes d’hydrocarbures et de métaux lourds). Cela sans compter les deux millions de mètres cube de gaz consommés par leurs brûleurs sans aucun contrôle environnemental.
Désastre sans précédents
Les communautés indigènes ne cessent de dénoncer depuis une décennie les opérations de Texaco qui ont causé la destruction et la pollution de grandes étendues de forêt, l’extermination des leurs et l’appauvrissement non seulement de la région mais du pays dans son ensemble. Entre 1967 et 1990, dans la meilleure tradition de l’économie de prédation de la période coloniale, Texaco a épuisé les ressources naturelles et détruit la biodiversité dont se servaient les communautés pour des usages médicinaux, nutritionnels ou domestiques. Dans la forêt humide, zone connue pour son importante réserve d’eau douce, les habitants n’ont plus de quoi boire étant donné le degré de pollution. Les poissons des rivières meurent empoisonnés de même que la végétation de la zone en situation de déforestation.
En dehors du désastre écologique, Texaco est accusé d’avoir attenté à la vie des indigènes Siona, Secoya, Cofán, Quichua et Huaorani, qui se sont vu contraints de quitter leurs territoires altérant ainsi leur mode de vie et leurs coutumes ancestrales. Ceux-ci se sont surtout vus exposés à diverses maladies : cancers, fausse couche, infections intestinales, respiratoires et cutanées, troubles nerveux comme la perte de mémoire, vertiges et douleurs de tête lancinantes. Texaco serait ainsi responsable du processus d’extinction des peuples Tetetes et Sansahuaris.
La responsabilité de Texaco, selon les habitants de l’Amazonie, consiste dans le fait d’avoir utilisé les méthodes qui ont été abandonnées ou interdites du fait de leur dangerosité dans d’autres pays. La transnationale a ignoré des pratiques habituelles dans l’industrie, comme la réinjection des résidus liquides dans le gisement. Ces résidus ont, au contraire, été déversés dans des puits directement creusés dans le sol et dont le contenu s’est logiquement retrouvé dans les fleuves et rivières.
Le procès environnemental du siècle
Après dix ans de litiges, les communautés indigènes sont parvenues à faire avaliser le procès contre Chevron-Texaco (en octobre 2001 les deux groupes ont fusionné, formant l’actuel Chevron-Texaco). Une première demande avait été présentée aux États-Unis en 1993. Mais pendant des années la compagnie a refusé de reconnaître la juridiction nord-américaine. C’est seulement le 7 mai 2003 que la justice états-unienne a transféré le dossier à la justice équatorienne et qu’il a été accepté par la cours suprême de justice de la ville de Nueva Loja, proche de la frontière colombienne. Celle-ci a ordonné à Chevron-Texaco d’accepter la juridiction équatorienne. C’est ainsi qu’a commencé le « procès environnemental du siècle », le 21 octobre dernier.
Les avocats de l’accusation, qui représentent les 30 000 indigènes équatoriens, réclament 1 milliard de dollars. Alberto Wray, un de ces avocats, a déclaré à la presse internationale [1] que la compagnie Chevron-Texaco devrait nettoyer les puits remplis de toxines et de pétrole ainsi que les fleuves, installer l’eau potable dans les hameaux de la région, répondre à la demande médicale des habitants et aider les cinq communautés touchées à récupérer leurs modes de vie d’avant le déferlement pétrolifère.
Selon un rapport de l’entreprise Global Environmental Opérations, engagée par les communautés indigènes afin d’évaluer le désastre, l’épuration des lieux pollués par la compagnie devrait coûter 6 114 millions de dollars. Comme l’a déclaré à CNN un autre avocat de la cause indigène, Steven Donziger [2], ce montant n’est qu’une évaluation : « Les chiffres que donne ce rapport ne sont qu’une base, les coûts de dépollution pourraient augmenter substantiellement. Tout dépend de ce qu’ils veulent nettoyer [Chevron-Texaco]. S’ils veulent tout nettoyer, cela coûtera beaucoup plus cher. » Notons que, de toute façon, ce rapport n’étant pas reconnu par la justice équatorienne, il ne sera pas versé au dossier.
Texaco devant la justice
Au début du procès, la transnationale allégua que Chevron Texaco ne pouvait être jugée pour quelque chose qu’elle n’avait pas commis. L’avocat de la défense, Adolfo Callejas, rappela en effet que l’entreprise avait une nouvelle personnalité juridique et que les faits commis par Texaco Inc ne pouvaient pas lui être imputés : « Chevron Texaco ne succède pas à Texaco, elle ne peut donc pas être considérée comme responsable. » [3]
De son coté Ricardo Reis Viegale, vice-président du conseil général de Chevron-Texaco pour les produits d’Amérique latine, a demandé que l’on ne tienne pas compte de ces accusations du fait de leur manque de fondement [4]. Il a aussi affirmé qu’en 1988 l’entreprise avait mené à bien une opération de nettoyage pour un montant de 30 millions de dollars et que, suite à cela, le gouvernement équatorien avait libéré la compagnie de Texaco de toute responsabilité. « Puisque le gouvernement a libéré Texaco de toute obligation et responsabilité, les demandes devraient être portées contre le gouvernement et non contre la Compagnie », a ajouté Reis Niega dans une conférence de presse internationale. Les plaignants ne nient pas le fait que Texaco a réalisé ce travail de récupération environnementale, mais affirment qu’il a été accomplit de façon approximative et inefficace.
Malgré les efforts de Texaco pour invalider le procès, celui-ci continue à suivre son cours et l’entreprise a donc décidé de passer à l’offensive. Elle a demandé au juge Alberto Guerra, qui instruit le dossier, de déterminer une date pour que les trois ministres de l’Énergie et des mines puissent s’y présenter, ainsi que les anciens gérants de Petroecuador, Carlos Romo et Jorge Pareja.
Les communautés indigènes sont décidées à poursuivre le procès et peuvent compter sur le soutien des environnementalistes et des militants des Droits de l’homme, comme la célèbre Bianca Jagger, ex-épouse de Mick Jagger. Celle-ci tente également d’alerter sur les possibles risques de répétition de ce désastre. En effet, depuis que Texaco a arrêté l’exploitation, Petroecuador continue à travailler avec les mêmes infrastructures qui ont déjà empoisonné l’Amazonie. Ces derniers jours, de nouvelles plaintes se sont ajoutées contre Chevron Texaco, celles des entrepreneurs de pompes à essence équatoriennes, qui l’accusent d’avoir mis en faillite plusieurs d’entre eux et de s’être approprié 40 % du marché.
Le précédent que constitue ce procès est une nouvelle victoire des mouvements sociaux et indigènes contre les abus des transnationales. En Bolivie, en 2000, la guerre de l’eau a été remportée contre la multinationale états-unienne Bechtel. Au mois d’octobre dernier, une mobilisation aymara pour la défense du gaz a mis le président qui voulait brader les ressources boliviennes en fuite. Pourtant il n’y a pas que des victoires en la matière. En 2001, des communautés indigènes de l’altiplano avaient déposé une plainte contre Transredes, sans que celle-ci n’ait été instruite depuis. Il faut d’autant plus saluer le courage de la cours de la Nueva Loja pour sa décision.
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