Depuis plusieurs décennies, les nations du monde entier se rencontrent, discutent et cherche conjointement des solutions efficaces pour lutter contre la pauvreté et poursuivre ce qu’il est commun d’appeler le « développement ». L’Histoire nous montre que de façon quasi systématique, la tendance est de suivre l’exemple des pays du Nord industrialisés, bien que les réalités socio-économiques régionales soient différentes et nécessite sans doute une étude précise et adaptée, notamment du point de vue économique. Faisant face a de nombreuses difficultés, les mesures prises relèvent plus souvent de l’humanitaire donc de l’urgence que véritablement du politique et ainsi leurs impacts se retrouvent uniquement sur le très court terme.
Prenant conscience que les politiques de « développement » ne peuvent pas se réaliser réellement si elles ne sont pas inscrites dans la durée, l’Organisation des Nations Unies a créé en 1992, suite a la conférence de Rio sur l’environnement et le développement (CNUED), la « commission du développement durable », constitué de 53 membres élus pour 3 ans. Cette conférence a souligné la façon dont les différents facteurs sociaux, économiques et d’environnement sont interdépendants et la nécessite que « les esprits et les mains travaillent ensemble. » Elle a par ailleurs reconnu que l’équilibre des dimensions d’ordre économique, social et d’environnement nécessite de nouvelles perceptions de la manière dont nous produisons et consommons, de la façon dont nous vivons, nous travaillons, nous nous entendons et prenons nos décisions. Un élément majeur de la CNUED a été Action 21, un audacieux et vaste programme d’actions appellant de nouvelles façons d’investir dans le futur pour atteindre un développement durable global au 21ème siècle. Ses recommandations vont des nouvelles méthodes d’éducation, aux nouvelles façons de préserver les ressources naturelles et aux nouveaux moyens de participer à une économie durable et au système démocratique.
En Avril 2004 s’est tenu la 12ème session de la « commission du développement durable ». La ministre vénézuélienne de l’environnement et des ressources naturelles, Ana Elisa Osorio, a profité de l’occasion pour rappeler les objectifs fixés par la CNUED et l’Agenda 21 comme le développement de l’économie solidaire, la participation et l’intégration de tous les citoyens, l’interdépendance des facteurs sociaux, politiques et économiques. Elle a par ailleurs indiqué que le Vénézuela s’est profondément engagé pour accomplir ces accords convenus internationalement en entreprenant notamment de profond changement au niveau de la participation des communautés au sein du processus démocratique et économique en vue d’une transformation positive de la réalité. L’idée est une vision triangulaire citoyen-environnement-société qui établit une coresponsabilité de l’Etat et des communautés dans la gestion et la préservation du patrimoine environnemental.
Une des caractéristiques mondiales du sous-développement et de la pauvreté est le problème du logement qui induit l’accès à l’eau potable, la santé, la possibilité de trouver un emploi, etc. Ce point fut largement soulevé lors de la conférence de Rio, les nations s’étant fixé d’améliorer pour 2020 la vie de près de 100 millions d’habitants installés dans les « bidonvilles » grossissant en bordure des grandes métropoles.
Dans sa nouvelle constitution approuvée par référendum en 1999, le Venezuela a inscrit le droit au logement comme un droit faisant partie intégrante des nécessités fondamentales pour le développement humain et a entreprit une politique concrète visant a éviter l’apparition de nouvelles constructions informelles, la réduction du déficit d’habitations existantes et l’accès à la propriété.
La construction de logements et la réhabilitation des Barrios
Le Vénézuéla, comme la plupart des pays d’Amérique Latine, a vu ces dernières années une prolifération spontanée et anarchique dans ses grandes agglomérations, de « barrios », sorte de campement dont la structure de maçonnerie fait de bloques de béton et d’argile peut atteindre jusqu’à 7 ou 8 étages sur les flancs des montagnes qui entourent Caracas, l’imposante capitale. Le plus souvent, ces constructions se situent dans des zones sismiques ou d’affaissement ce qui augmente la vulnérabilité de ces habitations déjà fortement endommagées et fragilisées chaque année avec la saison des pluies. La possibilité de catastrophes dans les « barrios » est donc très importante ; le glissement de terrain dans l’Etat de Vargas, qui eut lieu en décembre 1999 et au cours duquel plus de 10.000 personnes perdirent la vie et plus de 150.000 personnes leurs maisons reste présent dans les esprits pour le rappeler.
Les conditions de vie, ou plutôt de survie, dans les « barrios » ne sont pas uniquement difficiles a cause de la vulnérabilité des édifices et du problème de l’accès a ces zones qui ne permet pas de gérer les situations d’urgences, mais surtout de la précarité des services d’assistance, des infrastructures et des équipements sans oublier l’insalubrité et la quasi-absence d’eau potable et d’électricité.
Face à cette situation dramatique, le gouvernement vénézuélien a mis en place une politique pour le développement des habitations et la réhabilitation des barrios faisant du droit au logement l’une de ses priorités. Cette politique repose sur 3 piliers fondamentales, devant être les bases solides pour la réalisation de ce programme : la coresponsabilité entre les citadins, le secteur privé et l’Etat ; la participation active des communautés organisées et la satisfaction du droit au logement. L’un du principal organisme d’exécution est le Fond national de Développement Urbain (Fondur) qui dépend du Ministère des finances et de la Corporation Vénézuélienne du pétrole (CVP) pour son financement, il négocie directement avec l’assemblée nationale et le Ministère des infrastructures pour la réalisation des programmes.
Depuis son lancement, ce plan de logement est confronté à deux problèmes majeurs. D’une part la lente arrivée des ressources financières et d’autre part le retard accumulé dans les constructions, le plus souvent du a l’inefficacité des contractuels issus du secteur privée qui ne respecte pas les délais. José Vicente Rodriguez, président du Fondur, a indiqué que 22 plaintes étaient déjà en examen au Tribunal et que 25 autres allaient être présentées. Selon lui, certaines entreprises, qui devaient réaliser les travaux sur une période maximum de six mois, n’avaient effectué que 50% du travail en 1 an. Ajouté à cela, le blocage économique du pays et notamment du secteur pétrolier lancée en décembre 2002 par l’opposition au régime du président Chávez suite a l’échec du coup d’Etat d’avril 2002, a considérablement affaibli l’économie vénézuélienne dont le PIB s’est effondrée de 8,9% en 2002 et 9,2% en 2003. En conséquence, l’année 2003 fut une période noire dans l’exécution des constructions, ceci ajouté à un déficit des habitations en augmentation, de l’ordre de 129.000 par an.
Rodríguez a signalé qu’avec le retard dans les réalisations des « habitations d’intérêt social », les prix des solutions de logement ont augmenté de 20%, certaines unités pouvant coûter entre 30 et 35 millions de bolivars. Il a cependant ajouté que malgré cette augmentation, l’Etat va continuer d’assurer 80 à 90% du financement. En 2003, 970 millions de dollars furent destiné à assurer les frais publics pour les plans de logement, ce qui équivaut a 1,2%du PIB. L’idée est que pour être bénéficiaire de ce type d’habitation, le citadin doit s’affranchir d’une cotisation initiale de 10 à 20% de la valeur total. L’objectif est que les personnes n’engagent pas plus de 30% de leurs revenus ménagers mensuelles dans les paiements. Le reste est financé par l’organisme d’exécution du secteur comme le FONDUR, INAVI, FUNDABARRIOS, Safir et Ducolsa qui coordonne également la participation et la formation des communautés afin de promouvoir l’autoconstruction, la cogestion et la réduction des coûts.
Malgré les difficultés liées à la conjoncture économique, la réhabilitation des Barrios se poursuit. Aujourd’hui 88% de la population a accès à l’eau potable et 74% dispose du service de traitement des eaux usagers. En 4 ans, le taux de mortalité infantile a été réduit de 22‰ à 18‰ .
Les Comités de Terres Urbaines
Une des mesures très importantes prise par le gouvernement contre la pauvreté et pour un « développement durable » des Barrios concerne la redistribution des terres urbaines. Il s’agit de donner aux personnes un titre de propriété sur leur maison, généralement construite de leurs mains, qui leur assure une sécurité juridique indispensable pour profiter de toutes les garanties et bénéfices déterminés par la loi. Avec ce titre ils savent que cette maison est bien la leur et qu’on ne la leur retira pas et peuvent ainsi effectuer des petits emprunts pour la rendre plus confortable ou faire des réparations.
Ce processus d’acquisition des titres de propriétés est un processus collectif et sans doute un des éléments les plus novateur et intéressant des politiques menées au Vénézuéla dans la perspective de mettre en place une véritable démocratie participative. En effet, pour acquérir les titres de propriétés, les habitants doivent former des Comités de Terres Urbaines (C.T.U) qui les représentent face à l’Office Technique National (O.T.N), organisme lié à la vice-présidence de la République chargé de la régularisation de l’appartenance des terres urbaines. L’idée est de promouvoir la participation des communautés et de les incorporer directement dans le processus de régularisation de la propriété. Ceci fut clairement exprimé par le président Hugo Chávez, le 4 février 2002, lors de l’annonce du décret présidentiel 1666, qui légalise la régularisation des droits de propriété pour les personnes vivant dans des établissements marginales dans les zones publiques urbaines. L’objectif est de « stimuler la participation des citadins au moyen de la mise en place des Comités de Terres Urbaines » selon les mots du chef de l’Etat. Ce nouveau projet de loi va dans le sens de la Loi sur la Terre, décrétée en novembre 2001, afin de régulariser l’appartenance de la propriété rural.
Le principe est simple, l’élection d’un C.T.U se fait par le vote d’une assemblée constituée des habitants du quartier dont l’étendue ne doit pas dépasser 200 habitations. La date et le lieu de cette assemblée doivent être connus des habitants au moins cinq jours avant sa tenue au moyen d’affiches publiques et de tous les autres moyens de convocation disponible (papiers volants, annonces publiques, etc). Cette assemblée commence par un point d’information et d’explication relatif au décret 1666 et continue avec l’inscription des personnes qui aspirent à former le Comité, finalement constitué au moyen d’une élection de ceux qui devront représenter la communauté. Le résultat de l’élection accompagné des signatures de tous les participants doit être noté dans un acte qui défini clairement la direction du secteur avec un croquis où sont établit les zones d’action du Comité. Cet acte est enfin présenté à l’Office Technique National et permet ainsi de commencer les démarches.
Le premier travail du CTU est d’effectuer un recensement cadastral précis. Il s’agit de faire un inventaire quantitatif du nombre de familles, de logements et d’édifices que comporte la zone urbaine précédemment définie accompagnée de données qualitatives sur l’état des infrastructures, les conditions d’occupations, socio-économiques, culturelles, éducatives, sportives, etc. Toutes ces informations permettent d’obtenir une première approximation des caractéristiques et conditions de l’Etablissement Urbain et Populaire.
De plus, le CTU est chargé de rédiger la « Carta de Barrio », document contenant l’histoire du Barrio raconté par ses habitants qui auparavant n’existait que dans les mémoires et se transmettait oralement. Ces histoires sur la vie du quartier révèlent son identité actuelle et passée, sa vision et ses désirs pour l’avenir. Ce document contient également les projets proposés par la communauté pour améliorer les conditions de vie ce qui permet d’établir des critères pour l’utilisation et la gestion de l’espace urbain disponible et la mise en place de normes et formes de cohabitation nécessaire pour vivre et construire un mode de relation communautaire destiné au bien-être de tous. La réalisation du recensement communautaire et cadastral ainsi que de la « lettre du barrio » se prépare lors d’ateliers de formations dans le quartier où est expliqué le travail a faire et la démarche à suivre, où se coordonnent les rôles de chacun des participants et où est élaborée un calendrier de planification.
Tout ce travail des CTU permet de renforcer les relations au sein du quartier et fait des habitants les véritables protagonistes de cette réforme urbaine. Les habitants s’investissent et participent concrètement à la vie politique du quartier et, conséquences inattendues et positives de ce processus, les CTU s’occupent de nombreux autres sujets même après l’acquisition des titres de propriétés. Suivant cette logique d’améliorer les conditions de vie dans les Barrios, les CTU ont formés des sous-comités qui négocient directement avec les compagnies de services publics comme la compagnie des eaux et celle de l’électricité, ce qui évite ainsi de passer par des officiels locaux de type exécutif, qui généralement ne connaissent pas vraiment les problèmes des localités spécifiques. Les CTU sont un moyen de pression et d’action collectif vraiment efficace face à une administration qui a encore beaucoup de difficultés à sortir du système bureaucratique qui la caractérisent depuis fort longtemps. C’est pourquoi les CTU poursuivent leur travail en vue d’un réel développement du barrio, sans attendre obligatoirement des réponses ou une « main tendue officielle ». Ainsi ils cherchent à améliorer les activités et infrastructures culturelles (maison de la culture, maison des jeunes) sportives (rénovation et construction de terrains de sport) sociales (association de femmes, garderie d’enfants) et économiques (marché solidaire, coopératives) par la réalisation d’études et de plans suite à des réunions d’informations et de propositions.
Entre ceux déjà bien organisés et d’autres en cours de consolidation, le Vénézuéla compte près de 6000 CTU dont presque 1000 pour la capitale, Caracas. Au mois de septembre 2003, 73.125 titres de propriété avaient été distribués, l’objectif pour le premier semestre 2004 est d’arriver à en régulariser environ 283.000.
La réussite de cette expérience inédite de participation des habitants au processus politique ne se fait pas sans difficultés. La mise en place d’une organisation communautaire et le travail collectif et volontaire que cela nécessite demande de nombreux efforts quotidiens pas toujours évidents à assumer. Une première rencontre d’évaluation, organisée le 11 janvier 2004 par le conseil de coordination pour la régularisation de l’appartenance des terres urbaines, a permis de réaliser un diagnostic des réussites, des erreurs et des choses qu’il reste à faire. Ainsi dans les acquis et points positifs qu’il faut consolider et développer au niveau individuel, du C.T.U et du conseil de coordination, on retrouve l’idée de participation et d’apprentissage du travail collectif en faveur de la communauté, la mise en place d’atelier de formation et de plans de travail, le développement constant et continue du niveau de vie des habitants du quartier. Au niveau des erreurs et problèmes à surmonter, il ressort essentiellement le manque de confiance, de patience et de prise de décisions. La question d’une meilleure communication sur le processus de la part des organisations et institutions comme des médias communautaires et nationaux fut présenté comme l’un des objectifs a atteindre, au même titre que la poursuite de l’acquisition des titres de propriété, de la réhabilitation des logements et infrastructures des quartiers et surtout du développement de la citoyenneté. Ce panorama critique et auto-critique montre une chose essentielle et intéressante pour l’avenir : la prise de conscience politique de la part des habitants des quartiers populaires et des organisations qu’ils construisent. En effet, la création et le développement inattendu des Comités de Terres Urbaines peut-être vu comme le premier pas vers une démocratie participative dans laquelle les personnes deviennent les véritables acteurs du processus politique.
Lors d’une journée d’évaluation du travail de plusieurs C.T.U, qui s’est tenu le 5 mars 2004 dans le quartier Sucre à l’ouest de Caracas, de nombreuses propositions furent émises pour donner concrètement un rôle politique décisionnel et exécutif aux communautés.
Mettant en avant les problèmes rencontrées avec l’administration publique et les organismes qui en dépendent, notamment en ce qui concerne l’absence de réponses, les conflits avec les fonctionnaires trop éloignés et insensible au réalités sociales du terrain, le manque de communication et de souplesse pour l’acquisition des titres de propriété, les organisations ont affirmé la nécessité d’une gestion communautaire des questions d’ordre économiques, sociales et politiques qui les concernent directement. Pour les C.T.U, les blocages administratifs et les difficultés rencontrés avec les institutions pourraient être évité s’il existait un pouvoir exécutif indépendant, en lien direct avec le gouvernement, au niveau de la communauté. Ils ont ainsi demandé la mise en place d’un gouvernement communautaire proposant la signature du décret sur la loi de participation citoyenne. L’objectif est également de simplifier les procédures et d’éviter les divisions entre les différents acteurs du processus de régularisation de la propriété urbaine, mais au contraire de développer une coresponsabilité de la communauté organisée et des institutions impliqués comme l’Office Technique Nationale, l’Assemblée Nationale, les différents Ministères, le conseil national de l’Habitat (CONAVI), etc.
Pour cela Les C.T.U propose un contrôle social du processus et la création de « missions municipales » pour former les communautés à la participation et à la gestion des services ainsi qu’une assistance technique et juridique des différents organismes publics, le fond de développement urbain (FONDUR), la fondation pour le développement municipal et des communautés (FUNDACOMUN), la fondation pour l’équipement des Barrios (FUNDABARRIOS), la protection civil, etc, comme il est stipulé dans l’article 6 du décret 1666. Les C.T.U réunis dans le quartier Sucre ont aussi rappelé la nécessité de diffuser et discuter du projet de loi des terre urbaines afin d’émettre des propositions lors de son vote a l’Assemblée nationale, de s’occuper des terrains privées, d’intégrer les populations les plus exclues, de lutter contre l’invasion des espaces verts et d’effectuer un important travail de communication.
La mise en place des Comités de Terres Urbaines a réellement cristallisé la volonté des habitants des Barrios d’être les protagonistes de la vie politique de leur communauté et de sortir du système classique de démocratie représentative. Prenant confiance du défi que cela représente, ils avancent progressivement, organisent des ateliers de démocratie participative dans les quartiers, développent des organismes d’informations pour diffuser leurs activités, faciliter l’échange d’expériences et promouvoir la participation collective. Ce changement politique sans précédent était un souhait du gouvernement vénézuélien et l’une des causes de son élection. Les citoyens ne l’ont pas oublié et poursuivent ainsi les initiatives afin que concrètement le pouvoir soit dans leurs mains, celles du peuple.
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