Hier, 23 février 2004, était le jour de l’armée russe et cette date a donné lieu à de nombreuses commémorations dans tout le pays. Mais hier on célébrait également les 60 ans du crime soviétique perpétré contre le peuple tchétchène. La seule manifestation publique y faisant référence fut interdite à Moscou et les manifestants dispersés.
Le 23 février 1944, Staline déporta la totalité de la population tchétchène en Sibérie. Le tiers des habitants mourut pendant le trajet et beaucoup d’autres périrent là-bas en raison des terribles conditions de vie. Ce sujet était tabou à l’époque de l’URSS, car Staline avait justifié sa mesure en déclarant que les Tchétchènes étaient des sympathisants nazis, ce qui était une insulte à tous les Tchétchènes qui s’étaient battus contre les nazis, dont mon père qui avait été blessé sur le front. Khrouchtchev autorisa en 1959 le retour en Tchétchénie, mais il fallut attendre Gorbatchev pour que les anciens combattants tchétchènes soient reconnus.
Cela fait 400 ans que les Tchétchènes se battent pour l’indépendance. La déportation de 1944 n’est pas la seule que nous ayons subie. Aujourd’hui, nous pensons que les Russes veulent nous liquider. Le quart de la population est mort depuis 1994 et 50 % des Tchétchènes vivent hors du territoire. Les civils sont les premières victimes et la Tchétchénie est un terrain lucratif pour les trafics orchestrés par l’armée russe. Mon neveu Ali a été arrêté et torturé par l’armée jusqu’à ce que ma famille paye une rançon de 10 000 dollars. Le Kremlin a fait un travail brillant en convainquant le monde que les Tchétchènes étaient des terroristes et des bandits alors que les attentats sont les conséquences du désespoir et qu’il devient de plus en plus évident que les toutes premières attaques sont imputables aux services de renseignements russes.
Si rien n’est fait la jeunesse de mon pays va davantage se radicaliser.

Source
Washington Post (États-Unis)
Quotidien états-unien de référence, racheté en août 2013 par Jeff Bezos, fondateur d’Amazon.

« A History Written In Chechen Blood », par Khassan Baiev, Washington Post, 24 février 2004.