À l’approche de l’anniversaire de la prise d’otage et du massacre de Beslan, on s’agace en Russie de l’audience dont bénéficient les auteurs de ces actes en Occident. La « guerre au terrorisme » y apparaît de plus en plus pour ce qu’elle est : un argument politique occidental pour justifier une politique impérialiste. Dans le même temps, à la suite des attentats de Londres, la longue litanie des analyses racistes et faisant la promotion du « choc des civilisations » se poursuit dans la presse occidentale.
En Russie, on s’apprête à commémorer l’anniversaire de la prise d’otage de Beslan dont l’issue dramatique a traumatisé le pays. Cette commémoration se prépare alors que la Russie débat de la valorisation de l’organisateur du massacre, Chamil Bassaïev, par les Anglo-saxons. La controverse se cristallise sur une interview accordée au journaliste pro-séparatiste Andreï Babitsky sur la chaîne états-unienne ABC. Ce dernier se défend dans l’édition russe de Newsweek. Il explique comment il a pu parvenir à Bassaïev en rencontrant différents groupes séparatistes et prétend que c’est en leur donnant la parole et en débattant avec eux qu’on délégitime le mieux les terroristes. Cette conception de la lutte anti-terroriste doit avoir les faveurs d’ABC qui a diffusé l’interview, mais cette logique ne semble s’appliquer qu’aux adversaires de la Russie.
Le site internet du Kavkaz Center publie un texte de Chamil Bassaïev, en personne. Ce dernier raconte que l’opération à Beslan a été rendue possible grâce à l’utilisation d’un agent triple qui a manipulé les troupes russes. Il se félicite du succès de l’action (qui rappelons le a fait des centaines de morts, pour la plupart des enfants) et invite au respect de la mémoire des martyrs de Beslan, c’est à dire de ses hommes. Tout au long de son texte, il sous-entend que ce sont les forces russes qui ont entraîné le massacre, thèse largement admises dans la presse occidentale et véhiculée par les gouvernements pro-séparatistes, tel celui de la Lituanie qui avait fait demander à l’Union européenne des explications à Poutine, ou les personnalités anti-russe, comme le Français André Glucksman.
Le dirigeant de l’Institut des Peuples de Russie, Kim Tsagolov, dénonce ce point de vue dans Gazeta. Non seulement il fustige la complaisance occidentale vis-à-vis de Bassaïev, mais il affirme que le chef terroriste ne pourrait pas tenir sans appuis étrangers. Il prétend que contrairement à ce que beaucoup de médias internationaux affirment, les Russes ne sont pas considérés comme des ennemis honnis dans le Caucase même s’il reconnaît qu’ils ont commis des erreurs dans cette région.
Ce dernier point de vue illustre bien celui généralement admis en Russie mais il a peu de chance d’être entendu dans les médias occidentaux. Les terroristes tchétchènes jouissent en effet d’une grande audience et les appels à la lutte contre le terrorisme global les incluent rarement parmi les entités qu’il faudrait combattre. Dans la presse mainstream occidentale, « le » terroriste est un « jihadiste », souvent arabe, luttant contre l’Occident par haine de ce dernier et voulant imposer un califat mondial. Les séparatistes tchétchènes n’entrent pas dans le modèle.
Les attentats de Londres ont fournit une occasion supplémentaire de fustiger cette figure du terroriste et d’agiter une fois de plus le spectre de l’ennemi intérieur musulman. Dans une tribune publiée par le New York Sun, The Australian, et le Jerusalem Post, Daniel Pipes se délecte de cette vague de racisme. L’administrateur de l’U.S. Institute of Peace donne des bons points aux hommes politiques qui ont été le plus loin dans les propos racistes et dans l’encouragement aux politiques d’expulsion de populations musulmanes. Il invite même les États-Unis à s’en inspirer, preuve qu’après avoir lancé le mouvement du « choc des civilisations », Washington a été rattrapé par certains de ses disciples.
Toutefois, officiellement, personne n’assume être favorable au « choc des civilisations » et chacun prétend vouloir l’éviter. L’administration Bush qui a axé toute sa stratégie autour du projet de Samuel Huntington se défend de l’encourager. Les partisans de ce concept stratégique se cachent derrière des justifications plus politiquement correctes. Ainsi, ils parlent plutôt d’une « guerre des idées » entre la démocratie et le « jihad » ou d’une guerre civile au sein de l’islam entre un courant démocratique et un courant islamiste, l’Occident étant bien entendu du côté des premiers et leur venant en aide. Cette présentation des choses est parfaitement illustrée par la tribune de Bassam Tibi dans l’International Herald Tribune. Ce professeur d’origine syrienne est un spécialiste de l’islam salué dans les milieux néo-conservateurs. Il affirme qu’il faut organiser une guerre des idées contre le « jihadisme », qu’il présente comme une branche conquérante au sein de l’islam.
Cette logique est également partagée par Frank J. Gaffney Jr. dans le Washington Times. Le coordinateur des faucons se positionne lui aussi dans la « guerre des idées » contre « l’idéologie du mal » ; un terme auquel il préfère celui, tellement plus évocateur, d’ « islamofascisme ». Il estime que la principale difficulté que rencontrera le gouvernement Blair dans cette lutte sera de différencier les musulmans des islamistes. Reprenant les analyses de Daniel Pipes dans ce domaine, il condamne un certain nombre d’organisations musulmanes et invite la responsable de la propagande dans l’administration Bush, Karen Hughes, à ne pas les fréquenter.
Ce déferlement de racisme inquiète les partisans d’un impérialisme états-unien « soft » rassemblé autour de George Soros. Ainsi, dans l’International Herald Tribune, James A. Goldston, directeur exécutif de la Justice Initiative de l’Open Society Institute refuse qu’au nom du terrorisme on casse les principes de la « société ouverte », le modèle politique promut par le milliardaire. Il demande donc au gouvernement de Tony Blair de ne pas adopter de politiques ségrégationistes. L’auteur ne conteste pas pour autant la vulgate autour de la figure du terroriste.
Sans remettre en cause la version officielle autour des auteurs des attentats de Londres, le journaliste Adam Curtis s’oppose à l’image du terrorisme véhiculé par les médias dans The Guardian. Auteur d’un documentaire sur l’instrumentalisation de la peur, il fustige les « experts » médiatiques qui après avoir présenté Al Qaïda comme une superstructure très organisée pour justifier l’attaque de l’Irak la décrivent aujourd’hui comme une « idéologie du mal » pour justifier les politiques racistes du gouvernement Blair. Tout cela est contre-productif et ne peut qu’accroître le risque de tensions entre communautés affirme-t-il.
Loin du débat étriqué sur la nature de la menace islamiste, on n’hésite pas, dans la presse arabe à s’interroger sur les vrais auteurs des attentats de Londres. Le journaliste du quotidien libanais Annahar, Samih Saab, note que ces attentats offrent une formidable bouffée d’air frais à Tony Blair, mis à mal dans son pays par l’alliance avec George W. Bush et l’aventure irakienne. Lui qui avait martelé que la Guerre d’Irak entrait dans la guerre au terrorisme voit son analyse « confirmée » par ces attentats. Il en est donc le premier bénéficiaire. Le chef du Conseil des Gardiens de la Révolution iranienne, l’ayatollah Ahmad Janati, franchit la limite au-delà de laquelle le journaliste libanais n’osait pas aller. Pour lui, dans Asharqalawsat, puisque le gouvernement britannique est le premier bénéficiaire des attentats, il doit être considéré comme le principal suspect. Et ce d’autant plus que, d’après lui, l’hypothèse Al Qaïda ne tient pas la route.
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