Le débat sur le voile dans le pays de Voltaire révèle une crise anthropologique dans le modèle laïc français. La loi récemment adoptée qui interdit les signes et les vêtements démontrant une affiliation religieuse dans les écoles publiques a en fait pour objectif de réagir au port du voile porté par quelques centaines d’écolières. Cette interdiction ne résoudra pas pour autant le problème de la France avec sa seconde religion.
Contrairement au modèle anglo-saxon qui reconnaît le « droit à la différence » mais applique comme corollaire une « différence des droits », les modèles français et arabo-musulmans sont fondamentalement égalitaires. Ces deux modèles universalistes sont compatibles, mais différents sur deux points : le modèle français a du mal à accepter les différences culturelles alors que le modèle musulman est beaucoup plus pluraliste, et le modèle français reconnaît une égalité homme-femme tandis que l’universalisme musulman continue de placer la femme en statut de minorité.
Les études en Europe ont démontré que le port du voile était souvent un choix individuel chez les musulmanes et qu’il est ressenti comme un moyen de s’affirmer. C’est justement cette affirmation qui inquiète la France. Ce pays n’accepte pas les ségrégations basées sur la couleur de la peau, mais elle est irritée par les différences culturelles. Alors que la France plaide pour « l’exception culturelle », l’affaire du voile révèle ses contradictions tout comme le statut des femmes révèle celles du modèle musulman. Dans la guerre en Irak, la France a affronté avec son universalisme le différencialisme anglo-saxon et a obtenu le soutien d’une partie du monde dans ce combat. Mais aujourd’hui, il envoie avec l’affaire du voile un autre message. La France ne sait pas comment accepter la différence et elle commet l’erreur de croire qu’elle peut combattre un fondamentalisme (musulman) par un autre fondamentalisme (laïque). Au contraire, la France devrait enseigner le fait religieux dans sa pluralité.
Le modèle laïque français va devoir évoluer vis-à-vis des expressions des diversités culturelles tandis que l’universalisme musulman promeut l’égalité homme-femme. Cela pourrait faire naître un islam gallican contre le développement des extrémismes.

Source
Al-Ahram (Égypte)

« Unveiling French universalism », par Reda Benkirane, Al Ahram, 5 mars 2004.