Dix-neuf jours après les attentats de Madrid, les attaques suicides en Ouzbékistan semblent ramener au premier plan les dangers qu’encourent les alliés de l’administration Bush dans la « guerre au terrorisme ». Si l’usage de femmes kamikazes se faisant exploser amène immédiatement à voir un lien entre la nébuleuse Al Qaïda et les groupes actifs à Tashkent, l’approche stratégique semble être tout autre en Asie centrale.
En effet, les attentats ne visaient pas les populations civiles sous des symboles de l’Occident, mais le symbole le plus haï du régime de fer d’Islam Karimov : la police, l’une des plus corrompue et répressive d’ex-URSS. On assiste donc peut-être à un changement de stratégie des terroristes islamistes qui veulent mener des attaques de type guérilla visant à pousser la population à renverser des régimes répressifs. Si c’était le cas, il serait alors temps pour l’administration Bush de modérer son soutien aux tyrans d’Asie dont la politique crée un terreau favorable aux extrémistes.
Le président ouzbek a créé une situation dans laquelle aucune opposition démocratique ne peut s’épanouir et qui favorise les mouvements habitués à la clandestinité. La situation des Droits de l’homme dans le pays est la plus mauvaise de toute l’ex-URSS. L’économie n’est pas réformée. Elle continue à être dans les mains du gouvernement qui oblige la jeunesse à travailler deux mois non rémunérés dans l’année à son profit dans les champs de coton.
Les attentats de Madrid ont démontré la grande capacité d’analyse des terroristes sur les développements politiques éventuels de leurs actions. En Ouzbékistan, ils veulent prendre le contrôle de millions de jeunes désœuvrés. Il faut se méfier du succès dans la jeunesse de l’Isb ut Tahir, groupe officiellement pacifiste mais souhaitant l’instauration d’un califat, ce qui prépare le terrain au Mouvement islamique d’Ouzbékistan, groupe qui lui est violent. Pour éviter cela, l’Union européenne, la Russie et, surtout, les États-Unis ne doivent plus soutenir Islam Karimov sous peine d’accroître l’animosité contre les démocraties.
« A Tachkent, un changement de stratégie du terrorisme ? », par Alain Délétroz, Le Monde, 6 avril 2004.
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