Alexandre Adler a affirmé que la Russie ne saurait retrouver une cohésion interne et une stabilité que si les raisons de sa longue humiliation disparaissent. La croissance économique russe de ces dernières années répond en partie au problème, mais l’instabilité en Ukraine et en Biélorussie et les pressions, voire les menaces, contre les minorités russophones dans la plupart des ex-pays soviétiques favorisent en Russie une rancœur et une agressivité que Vladimir Poutine exploite. L’attitude occidentale dans l’affaire tchétchène, surtout sensible aux violations des Droits de l’homme au moment où il devient clair qu’il s’agit d’une rébellion islamiste appuyée tout spécialement par Al-Qaida, renforce ce phénomène.
L’Union européenne et la communauté internationale ont intérêt à ce que la Russie retrouve sa stabilité interne et une meilleure démocratie. Il faut pour cela cesser d’ostraciser la Russie et Jacques Chirac a raison de traiter Poutine en chef d’État respectable même s’il a péché par manque d’explication de ses intentions. Je suis de cette génération politique qui a défendu les Droits de l’homme, mais sur cette question cela ne m’empêche pas d’être partisan de la Realpolitik.
Nous savons que la politique russe en Tchétchénie et la politique chinoise au Tibet sont inacceptables, mais la puissance et la taille de ces deux pays les rendent insensibles aux pressions internationales et leur donnent les moyens de répliquer. Cela ferait perdre des emplois chez nous et renforcerait le caractère autoritaire et xénophobe de ces pays.
Nous ne pouvons pas, en outre, rompre les relations avec la moitié de la planète qui n’est pas démocratique. Il faut que, dans nos relations, nous fixions des critères d’évaluation des différents pays. Si un pays n’exerce pas de menaces sur ces voisins, est stable intérieurement et dispose d’un gouvernement responsable, nous pouvons avoir des relations minimales avec lui. Si le pays respecte les libertés fondamentales, nous pouvons avoir davantage de contacts et des relations plus étendues encore, s’il tient, en dernier lieu, de réelles élections pluralistes.
Il faut ainsi appuyer la lente maturité des démocraties et intégrer les Droits de l’homme dans la Realpolitik.
Le Figaro (France)
Diffusion 350 000 exemplaires. Propriété de la Socpresse (anciennement créée par Robert Hersant, aujourd’hui détenue par l’avionneur Serge Dassault). Le quotidien de référence de la droite française.
« Realpolitik et droits de l’homme », par Michel Rocard, Le Figaro, 9 avril 2004.
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