Aux États-Unis, l’incapacité à trouver des armes de destruction massive en Irak n’a pas eu un grand impact si on en croit les sondages. Les Américains sont si sceptiques vis-à-vis des médias et du gouvernement que le fait de mentir n’attire plus leur attention. Toutefois cette absence de découverte a un impact car elle a encore diminué la justification de cette agression. On est passé de la possession d’armes de destruction massive à la capacité et l’intention de les posséder, ce qui peut donc englober à peu près tous les pays du monde.
De toute façon, le prétexte a changé. Il n’est plus question désormais de lutter contre la prolifération, mais d’amener la démocratie en Irak. Il a suffi que le président change de discours pour que le débat change immédiatement et qu’il évolue vers la pertinence de la démocratisation. Personne ne dit qu’avant de passer à ce débat, il faut d’abord admettre que George W. Bush et Tony Blair sont deux des pus grands menteurs de l’histoire et que, s’ils ont menti auparavant nous n’avons pas de raison de plus les croire aujourd’hui. Mais peu importe, la doctrine a changé.
La population irakienne se révolte car on lui refuse la souveraineté. Les États-Unis se moquent de la démocratie. Ce qui est important pour eux, c’est le contrôle. Ils ont retenu des Britanniques que cela fonctionne mieux quand on ajoute une apparence de démocratie. C’est ce que les Britanniques ont appliqué en Irak dans les années 20 et que les États-Unis appliquent dans les pays d’Amérique du Sud et dans d’autres endroits du monde. Qu’importe que les programmes néo-libéraux qui sont appliqués en Irak violent la Convention de Genève, c’est le même programme qui est imposé à tout le tiers-monde et qui, d’une certaine façon, a créé le tiers-monde. Le dédain pour la démocratie est également démontré par le traitement réservé à Yasser Arafat par les États-Unis et par les réactions à la décision turque de suivre les États-Unis en Irak. Paul Wolfowitz qui se présente comme le champion de la démocratie dans la région a même affirmé que la Turquie devait s’excuser et que le devoir d’une démocratie était de soutenir les États-Unis.
On pourrait aussi parler de la démocratie aux États-Unis. Il existe dans ce pays une majorité de la population qui souhaite un transfert du contrôle de l’Irak à l’ONU et qui soutient le plan saoudien en Israël, mais les gouvernements ne tiennent pas compte de ces positions. Ariel Sharon peut mener sa politique grâce au soutien sans faille des États-Unis, qui lui donnent même les moyens de frapper l’Iran. Les pires ennemis d’Israël sont les Palestiniens modérés et l’attaque du Liban en son temps servait déjà pour partie à leur nuire alors qu’ils faisaient des propositions de paix. L’invasion de l’Irak participe de la même logique : cela accroît le terrorisme, mais ce n’est qu’un petit problème face à la perspective de posséder une base permanente dans la région et les ressources de ce pays. Ce contrôle des ressources est un sujet tabou aux États-Unis alors que tout le monde sait que c’est le vrai but de guerre à Bagdad.

Source
Gulf News (Émirats arabes unis)
Gulf News est le principal quotidien consacré à l’ensemble du Golfe arabo-persique, diffusé à plus de 90 000 exemplaires. Rédigé à Dubaï en langue anglaise, il est principalement lu par la trés importante communauté étrangère vivant dans la région.

« Chomsky speaks-so listen », par Noam Chomsky, Gulf News, 23 avril 2004. Ce texte est adapté d’une interview accordée le 2 avril à la chaîne EDTV.