Trois ans après les attentats du 11 septembre, George W. Bush a perdu les bénéfices de l’unanimisme qui mettait son administration à l’abri de toute critique. Les déboires en Irak ont brouillé l’image que l’administration Bush comptait donner de l’Amérique. L’Amérique ne sait plus que faire de sa guerre en Irak et il devient difficile de parler encore de " libération " alors que la résistance à notre présence s’étend désormais à tout le pays.
Les Etats-Unis craignaient que sunnites et chiites ne puissent trouver de terrain d’entente ; ils en sont venus à redouter qu’ils le fassent à leurs dépens. Il est bien trop tôt pour parler d’insurrection généralisée ou de guerre civile, mais faute de changements profonds en Irak, les dynamiques enclenchées risquent de mener à terme à une défaite stratégique américaine. Les prétextes servant à déclencher la guerre sont tombés et les images d’Abu Ghraib ont fini de ruiner notre crédibilité morale. Aujourd’hui, l’administration Bush mise sur la date du 30 juin et sur l’irakisation graduelle des forces de sécurité pour redorer son blason, mais le symbole du transfert de souveraineté résistera-t-il longtemps à la vue de forces irakiennes refusant de mater les rebelles que les troupes américaines s’en iront combattre ?
Les échecs de l’administration Bush sont liés à une appréciation démesurément idéologique des priorités, un orgueil délirant et une méconnaissance profonde du monde arabe et du phénomène terroriste. Par sa politique, l’administration Bush a divisé Américains, Européens et Arabes au moment où il fallait réaliser l’union contre Al Qaïda. N’en déplaise à Bush, le terrorisme d’origine islamiste ne se nourrit pas d’une haine abstraite de la liberté, de la démocratie ou du mode de vie américain. Il recrute sur des bases politiques et ce problème ne pourra être résolu qu’à travers une approche politique. Or, depuis le 11 septembre 2001, on n’a guère fait de politique, ou si mal, occupant un pays arabe et négligeant le conflit israélo-palestinien, cause principale de radicalisation dans la région.
On aurait tort cependant de voir dans ces échecs la fin de l’ère Bush car ses atouts sont considérables : des fonds électoraux sans précédent, une carte électorale qui, au vu des évolutions démographiques, lui est plus favorable qu’en 2000 ; l’image (certes écornée) d’un chef de guerre ; un adversaire en mal de charisme, et surtout une forte reprise économique créatrice d’emplois. La démission du chef de la CIA lui a offert un bouc émissaire pour les bévues commises et la mort de Ronald Reagan lui a offert la possibilité de multiplier les parallèles entre l’action des deux présidents. Il suffirait d’un léger mieux en Irak à l’automne pour rassurer l’électorat sur la situation dans ce pays. Pourtant, John Kerry ne semble compter que sur les fourvoiements du président et sur la lassitude du peuple américain. En outre son équipe semble interpréter l’élection comme un référendum sur Bush.
C’est une stratégie risquée malgré ce qu’annoncent les sondages. Il faut qu’il se démarque de Bush et énonce une autre politique. On voyait poindre une campagne dans laquelle Bush mettrait l’accent sur les succès à l’étranger et Kerry sur les difficultés internes, paradoxalement, le contraire est désormais possible. Il n’en est que plus impératif pour le candidat démocrate de démontrer qu’il serait capable de résoudre les problèmes que - par excès d’arrogance et par défaut de discernement - Bush lui aura, et nous aura, légués.
« La différence démocrate se fait attendre », par Robert Malley, Le Monde, 26 juin 2004
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